7. PREMIER VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL

§ 1.
Barnabas et Saul dans l'île de Chypre : 13.1 à 13.12
§ 2.
Visite et discours à Antioche de Pisidie : 13.13 à 13.52
§ 3.
Paul à Iconie : 14.1 à 14.7
§ 4.
L'impotent de Lystre : 14.8 à 14.20
§ 5.
Retour de Derbe à Antioche : 14.21 à 14.28

§ 1. Barnabas et Saul dans l'île de Chypre

La persécution fomentée par Hérode vient d'aggraver l'opposition d'Israël contre les chrétiens. L'Eglise, d'autre part, ne peut pas ne pas s'étendre ; repoussée par les Juifs, elle se tournera de plus en plus vers les Gentils. Dans cette phase nouvelle, les Douze continueront à rester à l'arrière-plan. Nous ne connaissons point, il est vrai, tous les détails ; nous jugeons seulement par les narrations des Actes, et nous ne les voyons point encore se préoccuper de la mission à l'extérieur. La direction du troupeau de Jérusalem et peut-être de quelques petits cercles rapprochés semble, momentanément, leur suffire. Le premier voyage missionnaire partira d'Antioche et non de Jérusalem.

13.1   Car Antioche n'est pas moins riche en ressources spirituelles : elle aussi a ses prophètes et ses maîtres1. Plus tard, écrivant aux Corinthiens, Paul adoptera le même ordre de succession : les prophètes d'abord (après les apôtres), ensuite les docteurs. (1 Corinthiens 12.28) Les prophètes dont il est parlé ici ont probablement fait partie de la visite mentionnée 11.27. L'auteur va nous en nommer quelques-uns. A ce propos, et dans maints détails subséquents, on remarquera la sûreté, parfois presque la minutie de ses informations. On dirait souvent la reproduction fidèle d'un document écrit, conservé dans les archives d'Antioche. Après tout, serait-ce bien extraordinaire ? Et ce document ne pourrait-il pas être le rapport présenté par les deux missionnaires au retour de leur voyage ? On avait beau écrire alors moins qu'aujourd'hui, un tel rapport valait la peine d'être consigné et conservé. En tout cas, Stokes a raison d'appeler le point auquel nous arrivons « la ligne du partage des eaux dans le livre des Actes. » Notre auteur, bientôt, deviendra témoin et acteur des événements.

Nous rencontrons d'abord, comme au début du livre, une énumération de noms propres. Barnabas est le premier. En qualité de Cypriote, il doit se trouver très particulièrement à l'aise dans ce milieu ethnico-chrétien, où quelques-uns de ses concitoyens ont prêché l'Evangile (11.20) ; Lévite pourtant, il représente encore le passé et la tradition. Vient ensuite un Siméon presque inconnu, Juif d'après son nom, en relation avec le monde païen comme l'indique son surnom latin Niger, identifié sans preuves suffisantes avec le Simon de Cyrène de Luc 23.26. En troisième lieu Lucius, inconnu aussi, sauf par son lieu d'origine, la Cyrénaïque, d'où Antioche avait également reçu des évangélistes. Nous pourrions, au besoin, retrouver en lui le Lucius de Romains 16.21, mais non pas Luc l'évangéliste, dont le nom s'écrit Λουκᾶς ou Λουκίανος . Le quatrième nom est accompagné d'un τε, annonçant peut-être la classe des maîtres succédant à celle des prophètes ; c'est le nom d'un Manahen, ou Manachem (מְנַחֵמ, consolateur), présenté comme frère de lait d'Hérode le tétrarque, sans doute d'Antipas, alors dépossédé et exilé ; cela donnerait à Manachem une cinquantaine d'années. Au reste, le terme σύντροφος pourrait désigner un simple camarade d'enfance, ou bien un émule ; Calvin interprète : « Qui cum Herode tetrarcho educatus fuerat. » Enfin, le dernier de tous, Saul, sans la moindre désignation ; n'est-ce point sa volonté, c'est-à-dire son humilité, qui se révèle dans cette place, prise après toutes les autres ? Il ne voulut jamais être mis : ὑπὲρ ὁ βλέπει τις με ἤ ἀκούει τι ἐξ ἐμοῦ . (2 Corinthiens 12.6) Nos missionnaires les plus distingués, quand ils racontent leur histoire, ont l'air de parler des autres. Paul s'efface derrière Barnabas. « Complures jam annos, dit judicieusement Bengel, apostolatum gesserat ; sed Antiochiæ inter veteranos, insigni modestia, infimo loco contentus erat, ut David etiam post unctionem, oves pascebat. »

13.2   Ces prophètes, ces maîtres et, sans doute, avec eux ceux dont les noms ne nous ont pas été conservés, nous sont présentés en un moment où ils se livrent à des actes de culte, en particulier au jeûne. Le terme λειτούργειν employé par l'auteur sert bien à désigner les fonctions sacerdotales de l'ancienne alliance. Il ne marque pourtant pas ces membres de l'Eglise d'Antioche comme séparés du reste de leurs frères par les barrières du sacerdoce. D'une part, l'Esprit dont ils sont animés ne leur appartient point par privilège exclusif, les simples fidèles le possèdent aussi ; de l'autre, ils n'offrent plus les sacrifices lévitiques : la victime parfaite a été immolée. Non, leur λειτουργία ce sont des chants, des prières, des méditations de la Parole sainte. C'est aussi un acte symbolique par lequel ils certifient leur séparation d'avec le monde païen : le jeûne. Ils se consacrent de la sorte au service du Seigneur, avant même d'y être appelés par une vocation plus spéciale.

Le Saint-Esprit les trouve donc dans des conditions éminemment favorables, lorsqu'il veut prendre parmi eux ses premiers missionnaires. La particule δή jointe à l'impératif ἀφορίσατε indique un ordre auquel il faut obéir immédiatement. Pourquoi tarder, en effet ? les campagnes sont prêtes pour la moisson. Et cet ordre paraît s'adresser à l'Eglise entière, non pas seulement aux prophètes et aux docteurs. Les presbytres ne sont pas nommés, il est vrai ; n'est-ce pas afin de laisser le plus possible dans l'ombre tout intermédiaire humain ? La première investiture donnée à Saul pour son apostolat s'était exprimée d'abord par la bouche d'Ananias, puis directement par Jésus, dans le temple de Jérusalem. La seconde aura pour organe unique l'Esprit-Saint ; mais elle aura pour témoin une Eglise entière, déjà fondée au milieu des Gentils. Si celle-ci hésitait encore sur la nécessité de poursuivre son travail dans cette même direction, la voici désormais très clairement instruite. L'Esprit, au surplus, a déjà fait choix, non seulement des hommes, -- Barnabas et Saul, -- mais aussi de l'œuvre particulière à laquelle il les destine. Tout est prévu ; reste à obéir. Et si l'on demande comment ces deux hommes ont eu connaissance de leur vocation, nous pouvons répondre avec Bengel, au moins avec quelque probabilité : « Vocatio aliqua ad Barnabam et Saulum interna pervenerat ; quæ nunc per os aliorum reiteratur, ut hi quoque scirent vocationem illorum, eique subscriberent. »

13.3   Tous obéissent, en effet. La rapidité du récit semble attester l'empressement des fidèles. Encore un jeûne en commun2, encore quelques prières, et l'Eglise, en assemblée solennelle, impose les mains aux missionnaires pour les laisser partir. D'un milieu extra-palestinien et d'une ville foncièrement idolâtre procède l'accomplissement des dernières injonctions laissées par le Christ aux apôtres : « Vous me serez témoins...jusqu'aux extrémités de la terre. »

13.4   Mais notre historien a besoin encore de le constater : l'initiative de ce voyage n'appartient pas à l'Eglise. Barnabas et Saul3 sont envoyés par le Saint-Esprit, non point par elle. Ont-ils aussi reçu de lui la direction qu'ils devaient suivre ? Nous n'en doutons pas, car plus tard nous le verrons intervenir à deux reprises pour changer les plans de voyage de Paul. (16.6-7) D'excellentes raisons, assurément, faisaient choisir l'île de Chypre. Barnabas était naturellement poussé du côté de sa patrie. L'île avait fourni des évangélistes à Antioche ; des relations étaient ainsi toutes préparées ou même déjà formées. On était sûr, en outre, d'y rencontrer un grand nombre de Juifs ; ils y avaient été attirés par la concession, faite à Hérode le Grand, de riches mines de cuivre ; or, pour longtemps, la mission commencera par les Juifs. Et puis elle devait tendre aussi du côté de l'occident, vers Rome, pour y saisir à sa racine l'arbre du paganisme. Avant la capitale, les provinces, c'est dans l'ordre.... Aurions-nous donc les vues trop courtes, pour discerner dans ces calculs humains la volonté et les directions du Saint-Esprit ?





Les deux amis descendent à Séleucie, port d'Antioche, à l'embouchure de l'Orontes. Ils s'y embarquent pour Chypre. Avec un bon vent, quelques heures suffisaient pour la traversée. Débarqués à Salamine, ils entrent dans les synagogues de cette ville et ils y annoncent la Parole de Dieu. Avec quels résultats ? L'auteur ne nous en dit pas un mot. Cela nous aurait beaucoup intéressés, n'est-ce pas ? Il nous importerait moins, peut-être, de savoir Jean, surnommé Marc, dans la compagnie des missionnaires. L'historien en juge autrement ; il mentionne avec soin ce dernier trait. Dans ses modestes fonctions d'assistant et de domestique, -- ces deux notions sont contenues dans ὑπηρέτης, -- Marc sert de trait d'union entre l'Eglise de Jérusalem et les troupeaux des Gentils. Barnabas et Saul, encore sur le rivage oriental de l'île, conservent en quelque sorte une dernière communication avec la Terre-Sainte. Bientôt ils s'enfonceront vers l'occident...Marc reste avec eux4.

13.6   Quittant Salamine, en effet, et traversant toute l'île, ils arrivent à Paphos, probablement Nea-Paphos, à 60 stades au nord de l'ancienne ville de ce nom. Là, ils ne rencontreront plus seulement des synagogues ; ils se trouveront en face du paganisme, sous une de ses formes les plus corrompues. Paphos était un centre principal du culte de Vénus. C'était aussi la résidence du gouverneur romain. Le texte donne à ce fonctionnaire le titre de proconsul et le nom de Sergius-Paulus. Sur ces deux points, l'histoire et l'archéologie établissent de la façon la plus intéressante l'exactitude de notre écrivain.

Au dire de Strabon, -- un contemporain de Paul, -- les provinces romaines étaient partagées en deux classes : les « sénatoriales, » gouvernées par des proconsuls (ἀντυπάτοι) et les « impériales, » commandées par des propréteurs >antistrat'hgoi). Puis, établissant la liste de ces deux classes, il nomme l'île de Chypre au nombre des impériales. Donc, dira-t-on, elle devait avoir pour magistrat un propréteur. C'était bien le cas trente ans avant Jésus-Christ. Mais, cinq ans plus tard, Auguste rétrocéda au Sénat, par voie d'échange, la Gaule narbonnaise et Chypre5. Cette île, dès lors, eut de nouveau des proconsuls. Bœckh en nomme deux, avec leur titre, dans son Corpus inscriptionum græcarum (Nos 2631 et 2632), et cela en 51 et 52 après Jésus-Christ. Enfin, depuis la cession de l'île à l'Angleterre, le général Cesnola a publié le résultat de ses investigations archéologiques dans ce territoire. Il mentionne, en particulier, une inscription mutilée où se lisent encore ces deux mots : Proconsule Paulo6. Ce Paulus est bien, sans doute, notre Serge-Paul, avec son titre de proconsul. Avant d'accuser de légèreté l'auteur du livre des Actes, on fera bien d'y regarder de très près.

Dans notre récit, ce magistrat est noté comme intelligent, συνέτος  ; un peu, sans doute, à la façon de Corneille. Sa religion païenne ne le satisfait pas ; seulement il ne sait pas encore où trouver mieux. Il a donné sa confiance à un certain Juif, qualifié tout ensemble de magicien et de faux prophète, un adhérent de la cabale, à en juger par les brèves informations de notre texte. Des gens de cette sorte se comptaient alors en grand nombre dans l'Orient. On les trouvait dans maintes familles nobles ; ils avaient pris de l'influence sur de hauts personnages, politiques ou militaires. Pompée, Crassus, César avaient eu leurs astrologues, comme Wallenstein eut Seni. Le confident de Serge-Paul est un des plus coupables de ces prétendus sages : faux prophète, menteur donc, il est en la puissance de celui que Jésus nomme « meurtrier » dès le commencement. (Jean 8.44) Sa nationalité est juive, mais il est de fait un païen ; il s'appelle Barjésus7 et aussi Elymas. Ce dernier terme, emprunté probablement à l'arabe, désigne le savant, l'initié ; nous en trouvons le pluriel dans les Ulémas, les docteurs musulmans en théologie. D'après l'expression ἦν σύν τῷ ἀνθυπάτῳ, cet homme semble s'être établi en vrai parasite dans la demeure du proconsul, au moins dans son voisinage immédiat. Ses affirmations plus ou moins monothéistes pouvaient bien exercer quelque influence sur un païen intelligent.

Les deux missionnaires ont commencé (v. 6) par rencontrer le magicien. Elymas aura parlé d'eux au proconsul et celui-ci aura témoigné le désir de les voir. Il les mande auprès de lui. Le faux prophète leur fait opposition. Il voit son autorité détruite si ces évangélistes gagnent la confiance du magistrat. Il cherche donc à le détourner de la foi. Deux chercheurs ! L'un cherche avec ardeur (ἐπεζήτησεν) à entendre une parole de salut. L'autre cherche avec passion à l'en détourner. Le premier est un païen, le second est un Juif, vrai descendant de Janès et de Jambrès, les deux adversaires de Moïse8 devant Pharaon. Le roi d'Egypte a résisté à Moïse pour céder aux magiciens ; le magistrat romain va résister à Elymas pour céder aux prédicateurs du Christ. Israël repousse de plus en plus son Sauveur ; les païens le reçoivent.

13.9   En face de ce contraste poignant, la vocation de Saul à l'apostolat éclate subitement. Une force nouvelle le contraint à sortir de sa réserve, et nous allons entendre la première parole publique de lui dont nous ayons conservé les termes. Ce sera une parole du blâme le plus accentué, mais -- nous l'apprenons tout aussitôt -- cette censure ne provient point d'un mouvement de colère humaine : Paul est rempli du Saint-Esprit 9.

Ce n'est pas tout. L'auteur nous communique en cet instant le changement subit, et pourtant définitif, survenu dans le nom de notre apôtre. Il s'appelait Saul ; il se nommera dorénavant Paul. Pourquoi ? On a répondu souvent : « A cause de la conversion de Serge-Paul, dont il va être l'instrument. » En souvenir de cette première conquête faite dans le monde païen, Saul aurait pris, ou son entourage lui aurait donné, le nom de son premier converti. C'était l'opinion de Jérôme. Ce Père va même jusqu'à laisser entendre que le proconsul donna son nom à l'apôtre en signe de reconnaissance pour sa conversion10. Cette hypothèse néanmoins, malgré l'appui de Baumgarten, soulève bien des objections. D'abord le nouveau nom paraît donné avant même la conversion du proconsul. Puis savons-nous si cet homme a bien été le premier converti de l'apôtre ? Admettons-le : notre missionnaire aurait-il consenti à se donner ou bien à accepter le nom païen d'un magistrat haut placé ? Son humilité s'en serait-elle accommodée ?...Une solution beaucoup plus simple nous paraît se présenter. L'apôtre, comme un grand nombre de Juifs de son temps, devait porter deux noms, l'un hébreu : Saul, c'est-à-dire Saül ; l'autre helléniste ou même latin, malgré une origine juive : Paul (en hébreu פָּעוֹל, « fait »). Il a gardé au milieu de ses compatriotes le premier de ces deux noms ; son œuvre maintenant se poursuit essentiellement au milieu des Gentils ; il adopte le second, heureux peut-être en même temps de faire oublier son nom de persécuteur. Les personnalités de Jean-Marc, de Jésus-Justus (Colossiens 4.11) et de Barjésu-Elymas offrent des exemples suffisants de cette rencontre de deux noms sur un même individu.

13.10   Paul, dès ce moment, devient le personnage principal du livre des Actes. Déjà au verset 13 de notre chapitre la société de voyage sera désignée par ces mots significatifs : οἱ περὶ Παῦλον 11, les gens qui entourent Paul. Il a tout d'un coup assis son autorité par son apostrophe au magicien ; à notre connaissance, il n'en a point prononcé de plus sévère ; examinons-la de près.

L'apôtre se trouve en présence d'une tentative faite résolument pour détourner un pécheur de la foi. Il a vu vite et bien la nature de cette tentation et surtout du tentateur. Il va donc en quelques mots, très énergiques et très brefs, définir le caractère d'Elymas, montrer l'origine vraie d'une pareille nature et esquisser les œuvres auxquelles elle aboutit.

Son caractère d'abord. Il est résolument faussé, plein de toute ruse, en opposition absolue avec cet Esprit de vérité dont Paul est animé, en communion avec l'Esprit de mensonge. Il est, en même temps, plein de toute fraude, ou de toute iniquité, la conséquence de la ruse. Le terme ῥᾳδιουργία, ailleurs ῥᾳδιούργημα, désigne proprement le travail léger (ῥάδιον, ἔργον), c'est-à-dire accompli légèrement et sans sérieux, superficiellement, puis à l'aide de tromperies pour s'éviter les difficultés.

L'origine, ensuite, de ce caractère : c'est une filiation satanique. Elymas mérite d'être appelé fils du diable ; sa ruse et sa fraude en témoignent suffisamment. Son nom de Barjésu -- fils de Jésus -- est une tromperie de plus ; il appartient à la « postérité du serpent. » Car il y a, -- Paul l'affirme ici d'un trait sûr, -- il y a dès la chute de l'homme une descendance du diable, dont l'esprit menteur a infecté comme un venin toute la race humaine. Jésus a pu dire aux Juifs : « Votre père, c'est le diable » (Jean 8.44), et aux pharisiens en particulier : « Serpents, race de vipères. » (Matthieu 12.34 ; 23.33)

Les œuvres, enfin, produites par ce caractère. Elymas est devenu ennemi de toute justice : il hait le juste parce qu'il est juste, comme Caïn haïssait Abel ; il hait Barnabas et Paul, prédicateurs de la justice. De là une activité foncièrement corrompue et corruptrice. Pareil au méchant dont les sentiers sont toujours détournés (Esaïe 59.8), ou bien aux chefs de la maison de Jacob, habitués à pervertir toute droiture (Michée 3.9), le magicien s'efforce de « perdre en détours, » par ses conseils et par son exemple, les voies droites du Seigneur. Il ne veut pas laisser l'âme du proconsul s'ouvrir aux paroles des missionnaires et connaître par eux le Dieu « juste et droit. » (Deutéronome 32.4) Satan n'a pas, pour le moment, d'ouvrier plus habile ni plus dangereux.

13.11   Mais l'apôtre n'a pas reçu seulement la puissance de démasquer cet hypocrite ; il a celle aussi de lui annoncer son châtiment, dont il devient en quelque mesure l'intermédiaire. La main du Seigneur est maintenant sur Elymas, non pour le bénir, mais pour le frapper. La nature de la punition est dans un rapport manifeste avec la nature du péché. Le magicien prétendait tout voir et tout savoir : il va devenir aveugle et devra chercher des bras complaisants pour le conduire ; les ténèbres remplissaient son cœur, elles vont obscurcir ses yeux. Ne dirait-on pas une reproduction, physiquement et moralement, du miracle dont Saul fut l'objet devant Damas ? Reproduction aussi du châtiment de Nébucadnetsar, celui du faux prophète est annoncé comme ne devant point durer toujours ; mais le terme de cette durée est laissé en suspens. Daniel avait parlé de sept ans pour la folie du roi de Babylone. Paul ne précise pas et dit seulement ἄχρι καιροῦ 12, jusqu'à une [certaine] occasion. Si donc les dispositions d'Elymas viennent à changer, son épreuve pourra cesser. Ont-elles changé ? La tradition le dit ; l'histoire l'ignore.

En tout cas, Dieu a confirmé instantanément la sentence rendue par son apôtre. Il a fait tomber sur les yeux de Barjésus un brouillard13 et des ténèbres, dont la cause exactement physiologique ne nous est pas exposée. Le faux prophète est devenu l'image de son peuple. Il a comme lui un κάλυμμα sur sa vue et sur son esprit (2 Corinthiens 3.15), des ὀφθαλμούς τοῦ μή βλέπειν (Romains 11. 8) ; il tourne çà et là, cherchant qui le mène. Si nous ignorons l'effet moral produit sur lui, nous connaissons le résultat pour le proconsul. Ce fut une conversion. Cet homme intelligent a su discerner en tout cela l'enseignement du Seigneur. Il a été saisi d'étonnement, mais surtout il a cru.

Ainsi, dès son premier voyage, Paul a porté le nom de son Maître devant les fils d'Israël, devant les païens, même devant le pouvoir royal, représenté par un proconsul. (Comparez 9.15.) Et cette première expérience peut lui faire entrevoir l'entrée des païens dans l'Eglise par suite de l'endurcissement des Juifs. Cet aveuglement du reste, comme celui d'Elymas, durera « jusqu'à un certain temps. »

Zeller, on s'y attend bien, n'a pas admis comme historique notre récit. Il y a découvert une fiction, destinée à prêter au ministère de l'apôtre des Gentils des débuts analogues à ceux de Pierre. Ces douze versets seraient ainsi une combinaison maladroite de la conversion de Saul à Damas, de la rencontre de Pierre avec le magicien Simon et du châtiment infligé à Ananias et à Saphira. En fait, Elymas aveugle serait le symbole des fausses religions tâtonnant dans l'obscurité, peut-être même tout simplement une caricature de Saul de Tarse au moment de sa conversion...Oui certes, pareille combinaison serait infiniment maladroite, et il nous suffit de demander au nom de quelles preuves on l'impute à un historien dont nous avons admiré jusqu'ici le bon sens et l'exactitude. Or ces preuves n'ont point été fournies.

Un trait veut être ici relevé. Dans sa première rencontre avec la puissance romaine, notre apôtre la trouve bien disposée en faveur de la vérité. Nous aurons à revenir sur cette remarque.

§ 2. Visite et discours à Antioche de Pisidie

13.13   Paul est, dès maintenant, dûment accrédité auprès de ses compagnons de route ; son autorité est tenue pour égale à celle des Douze ; les voyageurs acceptent sa direction, quittent avec lui Paphos1 et se dirigent vers Perge en Pamphilie, chef-lieu de province sur le Cestus et célèbre par un temple de Diane. On trouve aujourd'hui sur cet emplacement les ruines d'un théâtre, d'un stade et d'un aqueduc. Pourquoi cette direction préférablement à une autre ? L'écrivain ne nous renseigne pas là-dessus. Peut-être comme Barnabas avait au début choisi Chypre, sa patrie, Paul a choisi maintenant des localités voisines de la Cilicie.

Et peut-être aussi cette influence prédominante de Paul a-t-elle contribué à lasser Marc. Barnabas, son cousin, a pu lui sembler trop mis de côté. Et puis on s'éloignait beaucoup de Jérusalem, on se lançait bien dans l'inconnu ! Bref, l'entrain et le courage ont fait défaut à ce jeune associé des missionnaires. Il les quitte brusquement, et les motifs de sa retraite n'ont pas été jugés absolument purs, puisque Paul, lors de son second voyage, s'est refusé à reprendre Marc.

Les deux amis restés seuls ne paraissent pas avoir fait longue halte à Perge ; ils y prêcheront à leur retour. (14.25) Selon Farrar, ils auront été engagés par la saison à partir immédiatement pour la région montagneuse. L'été était là ; la population émigrait sur les hauteurs pour fuir la chaleur accablante de la plaine. Il y aurait eu, d'autre part, de sérieux inconvénients à renvoyer ce voyage à l'automne, où les pluies rendent certains passages périlleux ou même impraticables. Par ces plateaux coupés de torrents fougueux, infestés de maraudeurs, l'apôtre aura probablement couru quelquefois ces « dangers de fleuves, dangers de brigands, » dont il parle 2 Corinthiens 11.26.

13.14   De Perge, Paul et Barnabas montent à « Antioche la pisidienne2. » Cette ville, bâtie par Séleucus Nicanor, transformée l'an 6 par Auguste en colonie romaine, fortifiée pour résister aux incursions pillardes des montagnards de l'Isaurie et de la Pisidie, doit avoir été une cité importante. Les ruines de ses aqueducs et d'autres monuments en font foi. Les Juifs y étaient alors assez nombreux pour posséder une synagogue. Les deux missionnaires y entrent un jour de sabbat, et vont prendre place sur les sièges d'honneur réservés aux rabbins ; Paul y a droit comme docteur, Barnabas comme Lévite. On ne manquera pas, sans doute, de les y remarquer et de leur donner l'occasion de se faire entendre3.... Le résultat, ce sera la fondation de la première Eglise chrétienne connue dans l'Asie Mineure. On comprend avec quel amour notre auteur en fera l'histoire.





Avant de l'aborder, toutefois, nous rencontrons sur notre chemin une question d'un très haut intérêt. Pourquoi donc, se dit tout lecteur réfléchi, l'apôtre des Gentils va-t-il persister, à travers tout son ministère, à s'adresser toujours aux Juifs en premier lieu ? Attribuer ce trait saillant du ministère de Paul à des tendances judaïstes et particularistes de notre écrivain, ce n'est pas répondre ; car pourquoi donc cette même plume n'a-t-elle pas manqué une fois à nous raconter les violences du Juif contre les prédicateurs de l'Evangile ? Certes il n'y avait rien là de nature à glorifier ce peuple. Non, la réponse est ailleurs. Paul nous l'a donnée dans son épître aux Romains, dans ces chapitres 9 à 11 où il énonce ses principes sur la question missionnaire.

Il a d'abord exposé en huit chapitres la doctrine du salut individuel. Il aborde ensuite celle du salut des nations, spécialement au point de vue d'Israël. Or, il l'a douloureusement constaté : son peuple répond par l'endurcissement aux appels de Dieu. Mais a-t-il pour cela, lui Paul, le droit de ne plus prêcher la grâce à ses compatriotes ? Nullement. La teneur expresse de son mandat apostolique (Actes 9.15) l'envoie toujours vers les « fils d'Israël. » La nation, comme telle, s'est détournée de Dieu. Les individus refuseront-ils tous de se convertir ? Cela n'est point démontré ; l'espérance reste, et au nom de cet espoir l'apôtre continue d'annoncer à ses frères le salut par la foi en Christ. Comme autrefois Moïse chez Pharaon, comme Esaïe chez les Hébreux, il exercera, par le fait, un ministère d'endurcissement pour la masse rebelle. Il le sait, et pourtant il continuera ; c'est son devoir. Quelques-uns du moins recevront son message et seront sauvés. Si la masse persévère dans sa rébellion, elle n'en contribuera pas moins à l'accomplissement des desseins de Dieu. La réjection d'Israël, suite de sa révolte, aura pour conséquence la conversion des païens ; et celle-ci, à son tour, émouvant à jalousie les enfants d'Abraham, les fera entrer dans l'Eglise.





En outre, plus les Juifs sont éloignés de Jérusalem et de l'influence du sanhédrin, plus il importe à Paul de leur faire connaître l'Evangile. Ils n'ont pas encore eu le temps d'être prévenus contre la vérité ; raison de plus pour la prêcher sans retard. Paul ne peut consentir à négliger une seule des synagogues à côté desquelles il passe. Il sera expulsé de la plupart ; il verra ses compatriotes se tourner contre son Sauveur et hâter leur propre ruine. Il le sait ; pour lui c'est un tourment continuel, une douleur croissante4. Pourtant il ne peut pas y échapper. Malheur à lui s'il n'évangélise Israël. Et les quelques fils d'Abraham qu'il aura gagnés à Christ, 1 Corinthiens 9.22, lui importeront au moins autant que les foules amenées d'entre les Gentils. Le discours prononcé à Antioche de Pisidie, mis en parallèle avec les principales thèses de ses épîtres, jette un jour très brillant sur la position prise dès maintenant par l'apôtre dans ses voyages missionnaires.

13.15   Dans la synagogue où ils sont entrés, Paul et Barnabas écoutent tout d'abord, avec les assistants, la lecture d'un fragment de la loi (Parascha) et d'un autre des prophètes (Haphtara). Ainsi s'ouvrait toujours le culte. (Comparez Luc 4.16-18.) Une ingénieuse remarque de Bengel, adoptée par plusieurs théologiens, permet de supposer avec une certaine probabilité quels ont dû être ces deux fragments. Paul, en effet, dès le début de son discours, emploie deux verbes très rares dans le Nouveau Testament : ἐτροφφόρησεν et κατεκληρόνομησεν (v. 18) ; or ces deux mêmes verbes se rencontrent Deutéronome 1.31,38, dans la version des Septante. Paul, dit-on, aura très naturellement reproduit ces deux mots aussitôt après les avoir entendus, et la Parascha du jour doit avoir été Deutéronome ch. 1. A cette section de la loi correspond aujourd'hui dans le service public du sabbat l'Haphtara Esaïe ch. 1 ; dans ce fragment-là, les Septante se servent du verbe ὑψόω, avec le sens particulier d'élever pour dire éduquer (Esaïe 1.2) ; l'apôtre s'en sert avec le même sens au verset 17. Ces deux péricopes, enfin, se lisent actuellement dans le jour anniversaire de la ruine de Jérusalem. Etait-ce le cas au temps de notre apôtre ? Cela expliquerait bien son discours. La lecture publique avait fait naître dans l'auditoire des impressions tristes, amenées déjà par les souvenirs célébrés ; Paul se serait hâté de lui montrer Jésus le Consolateur. Reconnaissons-le cependant : nous ne savons pas si l'ordre des péricopes, dans le culte de la synagogue, était alors le même qu'aujourd'hui5.

Nous revenons à Antioche. Les ἀρχισυνάγωγοι, -- c'est le président et les anciens, -- ont découvert dans l'assistance Paul et Barnabas. Suivant l'usage courtois observé envers les docteurs en passage, ils leur font offrir la parole, et Paul s'empresse d'accepter. Il avait le droit de parler assis ; il préfère pourtant se lever et, réclamant d'un geste le silence, il commence son allocution. Il s'est très probablement exprimé en grec ; les Juifs de la diaspora parlaient tous cette langue ; ils lisaient même fort souvent en grec leurs livres sacrés.

Nous rencontrons ici le premier discours à nous connu adressé par Paul à des hellénistes ; le seul même, si nous faisons abstraction des quelques paroles dites aux Juifs de Rome, 28.17-28. Nous l'avons sans doute en abrégé ; mais ce résumé suffit pour nous révéler la manière de l'apôtre dans sa prédication à ses compatriotes6. La forme est entièrement historique ; c'est la mieux faite pour gagner l'attention et peut-être la sympathie. C'est, en outre, celle dont Etienne s'était servi devant le sanhédrin, et les analogies sont frappantes entre le discours du diacre et celui de l'apôtre. Paul, dans son coup d'œil sur le passé de son peuple, ne remonte pas jusqu'à Abraham ; il partira seulement du séjour en Egypte. Mais (comme Etienne), il comptera de la vocation des pères jusqu'au règne de David dix périodes successives dans l'histoire d'Israël7. Il n'y relèvera pas, comme le diacre accusé, la continuelle tendance du peuple à se révolter malgré les grâces de Dieu ; il n'insistera ni sur l'époque de Salomon ni sur la construction du temple. Ses auditeurs, très éloignés de Jérusalem, étaient moins idolâtres de ce sanctuaire que les membres du sanhédrin ; et puis il pouvait les supposer bien disposés pour sa personne et ne prononçait point une apologie. S'appuyant des exemples du passé, il montrera combien on serait inexcusable de rejeter le Messie parce que ses débuts n'ont rien eu d'éclatant. Surtout il s'empressera de le présenter comme un Sauveur prêt à recevoir tout pécheur.

Trois parties apparaissent aisément dans ce discours :

  • a) Préparation historique à Jésus. (Vers. 16-25.)
  • b) Histoire de Jésus. (Vers. 26-37.)
  • c) Appel à Jésus. (Vers. 38-418.)

a) Préparation historique à Jésus. Versets 16-25.
13.16   L'apôtre s'adresse également à ses concitoyens, Ἰσραηλεῖται, et aux prosélytes, φοβούμενοι τὸν θέον . Ils sont ensemble pour lui les représentants du peuple hébreu désigné bientôt par ces mots : ὁ θεός τοῦ λαοῦ τούτου . Après avoir fait choix des patriarches, au milieu des nations idolâtres, Dieu a élevé leurs fils, son propre peuple, pendant son habitation9 dans la terre d'Egypte, et avec bras élevé (c'est-à-dire en surmontant tous les obstacles) il les en a fait sortir. Ensuite au désert, pendant environ quarante ans, il les a nourris. Nous devons, du moins, traduire de la sorte si nous lisons avec A, C, ἐτροφοφόρησεν . א, B, D lisent ἐτροπόφορησεν  : il supporta leur caractère, leur πρόπος . Ce sens n'est point impossible. D'autre part le passage Matthieu 6.26 permet parfaitement de considérer Dieu comme nourrissant ses enfants, et la teneur du discours paraît mieux s'adapter à cette idée qu'à celle de tout le support dont l'Eternel eut besoin pendant les longs voyages au désert.

13.19   Après avoir amené son peuple dans le pays de Canaan, Dieu détruisit devant lui sept nations, plus exactement sept tribus (comparez Deutéronome 7.1), dont il lui donna le territoire en partage10. Paul passe ensuite à la période des juges ; mais le texte fait surgir ici une question chronologique. Faut-il rattacher la notice : pendant environ 45o ans à il leur partagea leur terre en héritage, ou bien aux mots suivants : il leur donna des juges jusqu'à Samuel, en plaçant le καὶ μετὰ ταύτα avant ὡς ἔτεσι  ? La première leçon, suivie par א, A, B, C, n'offre pas de difficulté si l'on fait dater la vocation des patriarches de la naissance d'Isaac, époque où la promesse reçut son accomplissement. On compte alors : 60 ans de la naissance d'Isaac à celle de Jacob ; 130 jusqu'à l'arrivée de Jacob en Egypte ; 215 jusqu'à l'exode ; 47 jusqu'au partage de Canaan, en tout 452 ans, ou environ 450 comme dit Paul. Seulement la facilité même de cette leçon la rend un peu suspecte et porte à demander s'il ne faut pas adopter la seconde, bien moins commode. Prenons, en effet, 450 comme chiffre de la période des juges ; la donnée de Paul va se trouver en désaccord avec 1 Rois 6.1, dont l'auteur compte 480 ans de la sortie d'Egypte à la quatrième année de Salomon. Car 40 ans du désert, 25 sous Josué, 40 de Saül, 40 de David, 4 de Salomon formant un total de 149 ans, il resterait pour la période des juges 480 - 149 = 331 ans, et non pas 450 comme notre texte paraît l'exiger. Ce texte-là, du reste, concorde avec celui de Jos., Ant. 8, 3, 1 (comparez 10, 8, 5), d'après lequel Salomon aurait commencé le temple « 592 ans après la sortie d'Egypte. » Comptons alors : 40 ans du désert, 25 sous Josué, 450 des juges, 40 de Saül, 40 de David, 4 de Salomon, nous arrivons à 599, chiffre sensiblement égal à la donnée de Josèphe. Paul peut fort bien, comme Etienne devant le sanhédrin, avoir suivi une tradition différente de celle de 1 Rois ch. 6. Quant à lire τρικοσίοις au lieu de τετρακοσίοις, ce serait une correction trop évidemment intentionnelle.

13.21   L'apôtre nous paraît encore adopter une indication de Josèphe (Ant. 6, 14, 9), quand il fixe à 40 années la durée du règne de Saül. Les textes sacrés ne nous renseignent pas sur ce point. Au reste, continue l'orateur, Dieu ayant mis de côté11 Saül, suscita David et l'établit roi. Il lui dit aussi, lui ayant rendu témoignage : J'ai trouvé David, fils de Jessé, un homme selon mon cœur. Or cette phrase ne se retrouve nulle part telle quelle dans l'Ancien Testament ; c'est une combinaison de Psaume 89.21 et de 1 Samuel 13.14, avec addition des trois mots τὸν τοῦ Ἰεσσαί . Ces paroles, en outre, n'ont pas été adressées directement à David. On voit donc avec quelle liberté l'apôtre en use dans ses citations de l'Ancien Testament.

13.23   Au surplus, l'histoire de David lui importe à peine. Il l'a nommé pour arriver au plus vite à son descendant : Jésus. Et, sans passer par les habiles transitions auxquelles Etienne s'était astreint, il montre l'Eternel amenant12 à Israël, de la race de David, un Sauveur, savoir Jésus-Christ. Le mot σωτῆρα a ici tout l'accent. Paul a soin, du reste, de rattacher l'apparition du Messie au ministère de Jean-Baptiste, car la réputation du précurseur avait certainement pénétré en Asie, preuve en soit les disciples d'Ephèse. (19.1-5) Pierre l'avait aussi nommé chez Corneille, pour rappeler la nécessité du baptême de repentance comme préparation à l'œuvre du Christ. La pensée de Paul est la même, et il insiste sur cette prédication du Baptiste avant l'entrée en charge13 de Jésus ; le repentir n'a pas cessé d'être la seule voie pour parvenir au salut. En revanche, arrivé au terme de sa course14, Jean voulut absolument empêcher ses disciples et ses admirateurs de le prendre pour le Messie. Il s'en défendit en termes énergiques, reproduits presque textuellement par Paul, mais dont le texte est ici susceptible de deux traductions. Ou bien une interrogation : « Que soupçonnez-vous que je sois ? Je ne le suis pas. » Ou bien une affirmation : « Je ne suis pas ce que vous me croyez être. » La première forme me paraît mieux en rapport avec les passages Luc 3.15-17 ; Jean 1.19-26. Calvin la préfère : « Quanquam uno contextu legi potest : non sum quem esse me putatis ; altera tamen lectio receptior, ut etiam plus vehementiæ habet ad refellendum errorem. »

b) Histoire de Jésus. Versets 26-37.

13.26   Arrivé à ce point de son exposition historique, Paul la suspend un instant pour passer à un appel. Car enfin le sanhédrin a eu beau décréter la mort du Christ, pour les Juifs d'Antioche le procès demeure encore entier. Accepteront-ils, oui ou non, le Sauveur condamné à Jérusalem ? A eux seuls de décider. L'apôtre, pour les aider dans cette décision, emploie les expressions à la fois les plus pressantes et les plus aimables : Hommes frères, fils de la race d'Abraham, craignant Dieu [qui se trouvent] parmi vous, à nous (donc à vous aussi15) la parole de ce salut a été envoyée. Des paroles si bienveillantes pourraient-elles amener un conflit ?

13.27   Paul cependant ne peut pas éviter de s'expliquer sur ce fait extraordinaire : les Juifs ont rejeté leur Messie. Il introduit cette pensée nouvelle par un γὰρ sur lequel la sagacité des commentateurs a trouvé l'occasion de s'exercer. Lechler et Hackett développent par cette conjonction le sens du λόγος σωτήριας du verset 26 : « C'est bien une parole de salut qui nous a été envoyée ; car si Jésus a été rejeté des siens, c'est en accomplissement des prophéties. » Sens forcé et peu clair. Reuss voit dans le début du verset 27 la transition entre les prophéties messianiques, y compris celles du précurseur, et l'histoire même de Jésus : « Ces prophéties s'accomplissent pour vous, car les habitants de Jérusalem les ont en fait rejetées, et c'est à vous d'en recueillir le fruit. » Ceci, croyons-nous, nous amène au sens vrai, précisé mieux encore par Meyer. Le γὰρ du verset 27 accentue le contraste entre le ἡμῖν (ou ὑμίν) et le κατοικοῦντες ἐν Ἰερουσαλὴμ  : « La parole vous est envoyée à vous, car les gens de Jérusalem n'en ont pas voulu. » Et déjà le Seigneur, Matthieu 21.43, avait marqué la prédication de l'Evangile à la diaspora et même aux Gentils comme une rétribution de l'incrédulité des Jérusalémites. Nous admirons donc ici l'habileté de l'orateur. Mais nous reconnaissons aussi dans cette adresse les règles de la charité et de la vérité. D'abord, le rejet du Christ par les autorités d'Israël est un accomplissement des prophéties ; la parole de Dieu ne pouvait pas ne pas être exécutée. Ensuite, l'ignorance des chefs ne les justifie point ; elle excuserait moins encore les Juifs d'Antioche, maintenant avertis. Etait-elle d'ailleurs complète, cette ignorance du sanhédrin ? Il a réclamé de Pilate la mort de Jésus, sans avoir trouvé en lui aucun sujet de condamnation. Voilà surtout le point qu'il importe à Paul d'établir devant ses auditeurs d'aujourd'hui. Il va même, au verset 29, jusqu'à attribuer aux ennemis du Christ la descente de la croix et l'inhumation. Ces deux actes, pourtant, ont été exécutés par deux fidèles disciples. Cela est certain ; toutefois Joseph et Nicodème étaient membres du conseil qui fit périr Jésus ; la garde du sépulcre avait été remise à des ennemis du Seigneur (Matthieu 27.62-66), et la permission d'ôter de la croix le cadavre fut donnée par Pilate, un autre ennemi. L'affirmation générale reste donc vraie : ils l'ont enlevé...et déposé.

13.30   Mais Dieu a ressuscité ce mort ! Toujours cette opposition triomphante, déjà signalée dans les discours de Pierre, entre l'œuvre de l'homme et l'œuvre de Dieu. L'apôtre insiste sur la résurrection, sceau divin du ministère du Christ : il a été vu vivant, l'espace de plusieurs jours16, par ceux dont il avait fait ses compagnons, de la Galilée jusqu'à Jérusalem. Ceux-là sont encore ses témoins devant le peuple ; généreux témoignage rendu comme en passant aux Douze et à leur œuvre. Paul ni Barnabas ne sauraient prétendre à la même position ; du moins, ils évangélisent : Nous vous publions en bonne nouvelle la promesse produite à l'adresse des pères17, savoir que (ou : parce que) Dieu l'a remplie pour nos enfants, ayant ressuscité Jésus. Nous entendons, en effet, par ἀναστήσασ, la résurrection du Sauveur, et non sa présentation solennelle dans le monde, et cela malgré l'autorité de Calvin : « Neque tantum dixit Christum resurrexisse a mortuis, sed divinitus ordinatum, et quasi manu Dei productum in lucem, ut Messiae partes impleret, sicut passim docet Scriptura excitari a Domino reges et prophetas. » Sans doute la citation du Psaume 2, à la fin du verset, semble se rapporter tout d'abord au sacre du Messie. Mais, comme l'observe Baumgrarten, l'engendrement du Christ raconté dans ce texte est pour notre apôtre un symbole de la résurrection. La naissance de Jésus a été celle d'un πρωτότοκοσ ἐκ τῶν νεκρῶν (Colossiens 1.18) ; il pouvait traverser la mort, il ne pouvait pas y demeurer. Sa vie devait donc reparaître un jour, dégagée de toute attache et de toute entrave terrestre. L'idée centrale sur laquelle Paul insiste maintenant est bien celle de la résurrection, non pas de la présentation du Christ dans le monde.

La citation scripturaire est bien introduite au verset 33 comme venant du Psaumeé2. Origène et D lisent pourtant ici ἐν τῷ πρώτῳ ψαλμῷ . Cette leçon, un peu plus difficile, ne serait-elle pas la véritable ? Assurément les mots cités se trouvent dans le Psaume 2 de nos Bibles. Mais on fit longtemps des deux premiers chants un Psaume unique. Albert le Grand les lisait réunis en un, quand il écrivait : « Psalmus primus incipit a beatudine, et terminatur in beatudinem18 ; » un אַשְׁרֵי, en effet, commence notre Psaume 1 ; un autre termine le Psaume 2.

13.34   Deux nouvelles citations vont encore établir l'absolue réalité de la résurrection de Jésus, à peu près dans le sens de Romains 6.9. L'une provient de Esaïe 55.3 ; l'autre du Psaume 16.10. La première modifie un peu le texte des Septante et ne traduit pas littéralement le חֲסְדֵי de l'original. Paul insiste sur les termes τà ὅσια τὰ πιστά de la traduction grecque, afin de pouvoir reprendre le mot ὅσιος, et l'appliquer à Jésus au verset 35. Or cet adjectif signifie proprement : « pur de tout crime ; » puis : « saint, pieux » (comparez 2.27) ; au pluriel neutre : « les choses ou les paroles saintes, » et spécialement « les promesses sacrées faites par Dieu. » Paul a maintenant en vue celles de 2 Samuel 7.12-16. Il revient à la démonstration exposée par Pierre le jour de la Pentecôte ; il rappelle le même Psaume et il applique au Christ l'engagement pris pour David de ne pas le livrer au « séjour des morts. » Ce dernier terme est remplacé par διάφθορα  ; la mort est exprimée par sa conséquence, savoir la corruption. Le corps du Sauveur n'a pas été abandonné à la décomposition du sépulcre ; autrement les « promesses saintes » eussent été violées. -- La logique serrée de ce raisonnement est indiquée par διότι, au début du verset 35, et les trois citations de l'Ancien Testament se tiennent étroitement entre elles. Le Psaume 16 est, il est vrai, une prière. Mais Dieu l'avait en quelque sorte dictée à David ; Jahveh peut être considéré comme le sujet du λέγει au verset 35.

13.36   Deux mots suffisent maintenant pour l'histoire de David. En premier lieu, un souvenir reconnaissant : de ce côté-ci de la tombe, il a rempli sa tâche ; il a rendu des services à sa génération « hominibus sui temporis, » comme traduit Calvin. Ensuite, affirmation de la mort et de l'inhumation de David. On peut, avec Olshausen et Meyer, rattacher θεοῦ βουλῇ à ὑπηρετήσασ  : « ayant, en son propre temps, servi au conseil de Dieu, » ou bien, à ἐκοιμήθη, προςετέθη  : « S'étant, selon le plan de Dieu, endormi pour aller rejoindre ses pères. » Cette dernière relation me semble la plus probable. Il y a peut-être dans le choix du terme προςετέθη une idée plus ou moins vague de la survivance de l'âme19. En tout cas, il fallait à Israël un Sauveur entièrement dégagé de la corruption de la tombe ; Dieu le lui a donné en ressuscitant Jésus.

c) Appel à Jésus. Versets 38-41.

13.38   Paul est arrivé à la dernière partie de son exposé ; il lui reste à en tirer les conséquences. Le salut dont il vient de raconter l'origine, la marche et la nature exige de chaque âme un abandon complet de sa voie passée, donc la conversion ; il n'y a, sans cela, nulle entrée possible dans le royaume des cieux. Eh bien, cet abandon du passé et cette naissance à une vie nouvelle sont rendus réalisables par Jésus ressuscité. Il y a plus encore. Le croyant se trouve justifié en Jésus20 de tous les péchés dont il n'eût jamais été délivré « en la loi. » Dans le domaine de la loi, la justice ne peut pas être atteinte ; elle l'est seulement dans la sphère du Christ. Ces deux déclarations ne sont-elles pas le résumé de l'histoire de notre apôtre ? Il n'avait jamais pu être justifié en la loi de Moïse ; il l'a été en la grâce de Christ. Ce qui s'est trouvé vrai pour lui le sera pour tous les croyants.

Nous rencontrons ici pour la première fois, et à deux reprises dans le même verset, le terme δικαιοῦν, devenu bientôt caractéristique de l'enseignement paulinien. Certes, nous ne saurions donner tort à Zeller, lorsqu'il écrit : « Quiconque n'aurait pas connu d'autre part la doctrine de la justification, n'aurait pu s'en rendre compte par cette fugitive allusion. » C'est vrai. Seulement, en quoi l'authenticité du discours en est-elle infirmée ? Les grandes épîtres la confirment bien plutôt, en prêchant et en développant la doctrine ici rapidement indiquée. Paul ne l'avait pas encore entièrement formulée ; il 'était au début de son apostolat ; l'ampleur et la décision du dogme vinrent plus tard. Il lui suffit, en cet instant, de pousser ses auditeurs vers Jésus. Les ressemblances constatées de ce discours avec celui d'Etienne et ceux de Pierre ne jettent aucun doute sur l'originalité de celui de Paul. Son argumentatiom est déjà comme elle le sera plus tard, basée sur l'expérience et sur les textes de l'Ecriture. En concédant que les Juifs ont livré le Christ par ignorance, il use d'une modération sagement chrétienne, mais dépourvue de tout artifice. Un faussaire, assurément, eût placé dans sa bouche des paroles bien plus sévères.

13.40   Paul conclut donc très naturellement par un appel : il l'appuie d'une citation prophétique, tirée de Habacuc 1.5 (peut-être avec réminiscence d'Esaïe 28.2-4). Ce même Habacuc lui fournira plus tard le thème principal de ses épîtres aux Galates et aux Romains : le juste vivra par la foi. La citation, faite d'après les Septante, ne reproduit pas littéralement l'hébreu où manque le terme καταφρονητάι  ; -- ἐκδιηγῆσαι, raconter en détail, est employé ici comme 15.3. Le contenu de la prophétie est une menace ; l'apôtre l'a introduite avec une vraie délicatesse : Veillez donc, afin que ne survienne pas ce qui a été prononcé. Il ne dit même pas : « afin que ne vienne pas sur vous. »

13.42   Les auditeurs ont été touchés, assez pour demander une instruction supplémentaire, ou même tout simplement la répétition de cet enseignement si nouveau21. Pourquoi ne pas le reproduire εἰς τὸ μεταξὺ σάββατον, « dans le sabbat entre celui-ci et un troisième, » donc : au sabbat suivant, μεταξὺ étant synonyme de ἑξῆς (donné par D) ? L'expression, unique dans le Nouveau Testament, se lit Jos., Bell., 5, 4, 2 ἔτι δὲ τῶν μεταξὺ τούτων βασιλέων . Le verset 44, au reste, nous transporte bien au sabbat suivant, et il ne faut pas traduire : « dans la semaine intermédiaire. » Au surplus, les conversations que nous voyons s'engager à l'issue du service entre les Juifs, les prosélytes, Paul et Barnabas, les exhortations faites par ces derniers à rester dans la grâce de Dieu, tout cela a bien dû se répéter maintes fois durant la semaine.

13.44   Au sabbat suivant, littéralement « au sabbat tenant22, » nouvelle assemblée. Toute la ville à peu près s'est réunie pour entendre la Parole de Dieu, et non pas seulement pour satisfaire sa curiosité. Il n'en fallait pas tant pour exciter la jalousie des Juifs, résolus avant tout à rester mosaïstes. Ils font opposition aux enseignements de Paul, allant même dans leur haine jusqu'au blasphème. Paul et Barnabas sont résolus à ne pas rester de force au milieu de blasphémateurs. Ils vont se retirer, mais pas avant d'avoir exposé encore à leurs contradicteurs tout le sérieux de la situation. Tous les deux parlent, maintenant, et non plus Paul seulement. Dans le plan divin, disent-ils, la Parole devait être prêchée à vous premièrement. Puisque vous la repoussez, puisqu'en la repoussant vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous tournons vers les Gentils. Le salut passe de la sorte à côté d'Israël pour être porté à d'autres. Ce n'est point en suite d'un mouvement de colère des évangélistes, c'est en obéissance à un ordre du Maître (22.21) et en accomplissement de l'antique prophétie d'Esaïe23 (49.6), où le serviteur de l'Eternel reçoit le mandat de porter le salut jusqu'aux extrémités de la terre. Ce serviteur, certes, dans les textes sacrés, c'était le Messie. Toutefois, comme les missionnaires continuent son œuvre, ils se sentent le droit de s'appliquer ce mandat et cette promesse. Convier les Gentils à la repentance c'est bien, en vérité, se comporter comme « la lumière des nations. »

Ces paroles remplissent de joie les païens. Ils le manifestent en donnant gloire à Dieu, et tous ceux qui avaient été ordonnés en vue de la vie éternelle crurent. Cette traduction est seule fidèle au texte ; nous ne pouvons pas donner à τεταγμένοι c le sens de « bien disposés. » Le terme est un participe passif et signifie : rangés, ordonnés, assignés, comme on lit dans Xénophon ἐπ’ ὀκτῷ τεταγμένοι  ; soldats rangés sur huit. Notre texte donc, après avoir relevé le côté humain de la conversion (v. 46), ne signale pas moins clairement la liberté souveraine de Dieu dans cet acte. Trait bien paulinien, on le reconnaîtra, car c'est la doctrine de Romains 8.28 ; 9.11 ; Ephésiens 1.4,11, etc. En outre, cette seconde face de la vérité est propre à encourager le petit troupeau dans les épreuves au-devant desquelles il marche sans doute ; il a été « assigné à la vie éternelle. » Et de l'expression ὅσοι ἤσαν, nous concluons à cette autre affirmation scripturaire : la conversion est un acte essentiellement individuel24.

13.50   Aucun miracle de Paul ni de Barnabas n'est ici rapporté ; la Parole de Dieu paraît avoir seule agi, en se répandant à travers toute la contrée. Elle suffit pour sauver, elle suffit aussi pour exciter les haines. Les Juifs réussissent à soulever parmi les prosélytes un certain nombre de femmes de qualité, épouses peut-être de païens en relation avec la synagogue et désignés comme les premiers de la ville ; les gens de la société, dirions-nous. Grâce à leur concours, ils font éclater une persécution contre les deux missionnaires et parviennent à les chasser de ce territoire. En effet, Paul et Barnabas ne résistent pas. Ils se rappellent l'ordre de Jésus en vue de cas pareils (Matthieu 10.14) ; ils se soumettent, en secouant contre la ville la poussière de leurs sandales. Renonçant à la direction du nord, ils inclinent vers le sud-est pour aboutir à Iconium, aujourd'hui Konjeh, alors capitale de la Lycaonie et siège d'une tétrarchie indépendante. Paul pouvait se flatter de n'y pas être poursuivi par les Juifs d'Antioche. Les deux amis laissent derrière eux quelques disciples remplis du Saint-Esprit et dont la joie n'est pas éteinte par le départ de leurs pasteurs. Nous avons noté un phénomène spirituel tout pareil chez l'eunuque de Candace25. (8.39)

§ 3. Paul à Iconie

14.1   Le Saint-Esprit a-t-il lui-même dirigé les voyageurs sur Iconie ? Il est permis de le croire. Dès leur arrivée, ils trouvent une synagogue, ils y entrent, ils y prêchent. Cette simultanéité de leurs actes est indiquée par l'expression κατὰ τὸ ἀυτὸ  : dans le même moment où1...Dès l'instant où ils arrivent à la synagogue, ils y prêchent. Et leur prédication est de telle nature qu'une grande multitude de Juifs et de Grecs est gagnée à la foi.

14.2   Il y avait cependant, là comme partout, des Juifs incrédules. Leur jalousie est excitée par ce succès. Ils éveillèrent et rendirent méchantes les âmes des païens contre les frères. Energique peinture de leur action satanique ; ils surprenaient endormies les âmes des Gentils, ils les éveillent pour leur faire partager leur haine ; ils les trouvaient trop douces, ils les rendent mauvaises2. Quant au terme de frères, il désigne sans doute et les prédicateurs et leurs premières ouailles fidèles. Au reste, malgré cette opposition, les missionnaires persistent encore un certain temps ; ils sont gênés, mais non expulsés. Et si leur enseignement se poursuit très ouvertement, c'est, d'une part, que leur courage s'appuie sur le Seigneur3, de l'autre que le Seigneur, scellant de son témoignage leur proclamation de sa grâce, leur donne le pouvoir d'accomplir des signes et des prodiges. Un « schisme4 » ne tarde pas à se produire au sein des habitants. Les uns se prononcent pour les Juifs, les autres pour les nouveaux venus (appelés tous deux ici « apôtres, » comme au verset 14, malgré l'impropriété apparente du terme appliqué à Barnabas). Un véritable « élan5, » mais de fort mauvais augure, se dessine à la fois chez les païens et chez les Juifs ; les magistrats n'osent pas résister ; ils autorisent contre les étrangers des mauvais traitements, même une lapidation. Celle-ci en resta pourtant au projet ; elle ne fut pas exécutée. Nous en connaissons une seule dont Paul ait été victime et nous allons la rencontrer au verset 196. (Comparez 2 Corinthiens  11.25.)

14.6   Cette fois, il faut de nouveau fuir. Les missionnaires gagnent alors deux villes de la Lycaonie, Lystre7 et Derbe, au nord du Taurus, choisies peut-être, préférablement à d'autres, parce qu'elles ressortissaient, comme Iconie, à une juridiction indépendante où les persécuteurs, pensaient-ils, auraient moins d'accès. Et là, continue l'historien, ils étaient évangélisant, non seulement les deux villes mais aussi tout le territoire ; nous ne savons pas combien de temps.

§ 4. L'impotent de Lystre

14.8   Nous abordons maintenant le récit d'un nouveau miracle, et, par conséquent, de nouvelles attaques de la critique. Baur y voit une confusion avec des mythes superstitieux lesquels seraient la source ou peut-être le produit de noue fragment. Zeller (et bien d'autres avec lui) insiste sur les nombreuses ressemblances de cette histoire avec celle de la guérison de l'impotent, au chapitre 3. L'auteur, pense-t-il, a voulu absolument établir un parallèle entre Pierre et Paul pour prouver l'égalité de leur autorité. Tous les deux ont eu affaire avec des magiciens, tous les deux ont guéri des malades par leur prière et par leur parole (Enée, Publius) ; ils en ont même guéri à leur insu, Pierre par son ombre, Paul par des linges pris sur lui (5.15 ; 19.12) ; tous deux ont ressuscité des morts (Dorcas, Eutyche) ; tous deux ont été adorés par des païens (Corneille, les gens de Lystre).... Nous nous gardons de contester ces analogies ; mais elles ne nous prouvent pas le caractère fictif des récits. Elles établissent, au contraire, un plan bien arrêté du Seigneur ; Jésus a décidé de donner un même pouvoir à l'apôtre des circoncis et à celui des Gentils. Les chrétiens de Jérusalem ont précisément proclamé cette égalité au moment où ils ont appris les détails du premier voyage de Paul. (Galates 3.7-9) Dieu ne voulait pas que son missionnaire « demeurât en reste » -- μηδὲν ὑστερηκέναι -- vis-à-vis des apôtres les plus distingués. (2 Corinthiens 11.5 ; 12.11-12)

Le lieu du miracle n'est pas indiqué ; il n'est pas même parlé d'une synagogue à Lystre. L'impotent était assis, probablement sur la place publique et, probablement aussi, y demandait l'aumône. Jamais, dit le texte, il n'avait pu marcher. Mais, depuis l'arrivée de Paul, il entendait et même il écoutait ses paroles1 elles n'étaient pas tombées sur un terrain stérile. Il suffit, en effet, à l'apôtre d'un regard attentif sur ce malheureux pour découvrir en lui la foi d'être sauvé, c'est-à-dire la foi nécessaire au salut et, sans doute, tout autant à la guérison. Reuss affaiblit beaucoup trop le sens en traduisant : « Voyant qu'il espérait être guéri ; » vraiment un regard d'apôtre n'était pas nécessaire pour découvrir cet espoir. L'état d'âme de cet impotent nous paraît le placer au-dessus du malade de la Belle-Porte, car celui-ci se contentait d'attendre une aumône. (3.5) L'homme de Lystre a découvert en Paul un homme saint, doué d'une puissance supérieure, capable même de guérir son corps et son âme, et nous souscrivons au jugement de Bengel : « Dum claudus verbum audit, vim sentit in anima : unde intus movetur ut ad corpus concludat. »

14.10   Paul, en lui commandant de se lever, ne prononce pas le nom de Jésus ; il l'avait maintes fois nommé, sans doute, dans son allocution ; il le montre, il le laisse en quelque sorte agir seul. Il ne tend même pas la main à l'infirme, comme Pierre pourtant l'avait fait après avoir nommé le Christ. Différences dans les ressemblances ; il n'y a pas copie ! Dans les deux cas l'effet est instantané ; l'infirme sauta, et se promenait. La peinture de la scène est rendue vivante par le simple rapprochement de ces deux verbes : un aoriste, il sauta 2, se lança d'un bond sur ses pieds ; un imparfait, il se promenait, il allait çà et là comme pour essayer et pour prouver la réalité de sa guérison.





14.11   Le miracle a été public, la foule en est témoin. Transportée d'admiration, et l'exprimant fort naturellement dans son langage populaire habituel (Zeller lui-même en convient), savoir le dialecte lycaonien, elle s'écrie tout d'une voix : Les dieux rendus semblables aux hommes sont descendus vers nous. Ce cri, les apôtres ne le comprennent pas, puisqu'ils n'y répondent rien en ce moment. Ils n'entendent pas le lycaonien. Mais l'exclamation n'a rien en soi d'extraordinaire. Dans cette portion de l'Asie-Mineure on croyait volontiers aux théophanies. La fable y avait placé le mythe touchant de Philémon et de Baucis. Là seulement dans la chaumière des deux vieillards, Jupiter et Mercure, repoussés de partout, avaient rencontré une hospitalité empressée. Ainsi l'avait chanté Ovide3 :

Jupiter hue specie mortali, cumque parente
Venit Atlantiades, positis caducifer alis....
14.12   Ce souvenir, très probablement, se présente aujourd'hui aux Lycaoniens. Ils tremblent de méconnaître une seconde fois des dieux en voyage ; ils croient avoir deviné deux déguisements et ils supposent sans hésiter les noms des deux étrangers. Barnabas est, pour eux, Jupiter : peut-être sa tenue est-elle plus imposante, son âge plus avancé. Quant au nom de Mercure donné à Paul, il ne nous amènerait point à prêter à l'apôtre une apparence méprisable ; les anciens, au contraire, aimaient à se représenter Mercure sous les traits d'un beau jeune homme. Mais en même temps ils avaient fait de lui le dieu des orateurs, et Paul était précisément « le conducteur de la parole » ὁ ἡργούμενος τοῦ λόγου . Ces pensées se sont emparées entre autres du prêtre du Jupiter qui est devant la ville, nous dirions en langage d'archéologue : « de Jupiter hors des murs : » le dieu est censé se trouver là où son temple est bâti4. Ce sacrificateur veut immoler des victimes aux divinités. Il amène des taureaux couronnés5 devant les portes, ou de la ville ou du temple, mais pas du logis des deux amis, car leur logis n'avait très probablement pas des πυλῶνες . Le sacrifice allait commencer quand, entendant ce bruit, voyant ces apprêts, les apôtres (pour la seconde fois ce nom est donné à Barnabas) comprennent. Ils ne perdent pas une minute pour empêcher un sacrilège. Quelques mots prononcés en grec ont pu, du reste, tout leur révéler. Ils déchirent leurs vêtements avec indignation, s'élancent au milieu de la foule (Ἐξεπήδησαν brusque sortie de la maison ; εἰσεπήδησαν (Recepta) : brusque apparition dans la foule.), crient pour arrêter le plus vite possible les païens, puis s'expliquent en peu de mots et plus posément, comme l'indique l'opposition du λέγοντες et du κράζοντες . Ces deux pluriels nous laissent entendre Barnabas et Paul parlant tous les deux. Leur acte a rappelé celui de Pierre chez Corneille (10.26) ; leurs paroles, tout naturellement, doivent différer des siennes.

14.15   Hommes, disent-ils, pourquoi faites-vous cela ? Et nous aussi nous sommes des humains, affectés des mêmes émotions que vous. Ce terme ὁμοιοπαθὴς, appliqué à Elie par Jacques 5.17, est peut-être choisi en opposition à celui ἄπαθεῖα, dont les païens gratifiaient volontiers leurs dieux. Il n'y a pas de différence essentielle entre les « affectus » des Lycaoniens et ceux des missionnaires, car, précisément à cause de leur parenté humaine, ces derniers viennent annoncer aux premiers une bonne nouvelle, associée à une exhortation, celle de se détourner de ces vanités vers le Dieu vivant. L'adjectif ματαίων pourrait être pris au masculin, en sous-entendant θεῶν . Le sens neutre me semble plus probable et appuyé par τούτων  ; d'un geste les apôtres montrent le temple6, les statues, les taureaux et, d'un mot, les appellent « ces choses vaines, » en les opposant au Dieu vivant qui a créé l'univers7. Et cet univers, à son tour, est présenté en ses trois grandes divisions, dont le paganisme avait fait des dieux : le ciel, la terre, la mer. Au surplus, tout en combattant la superstition, les missionnaires usent avec ces païens des ménagements de la charité. Ils reconnaissent le support dont l'Eternel a usé dans les générations écoulées8 ; permettant à toutes les nations de suivre leurs propres voies, sans cesser pour cela de se rendre témoignage à lui-même au milieu d'elles. Il leur envoyait, en effet, ses dons9, des pluies entre autres, si particulièrement nécessaires au terrain souvent desséché de la Lycaonie ; par le fait de ces pluies, des saisons fertiles ; et, comme résultat dernier, de la nourriture et de la joie pour tout le monde, en assez grande abondance pour produire la foi au bienfaiteur.

Deux points intéressants ressortent pour nous de cette brève allocution. En premier lieu, la sagesse avec laquelle les missionnaires s'abstiennent de faire appel à l'Ancien Testament, dans cette foule où nul peut-être ne le connaissait. Ensuite, le caractère foncièrement paulinien du raisonnement, presque identique à celui du discours d'Athènes et conforme aux déclarations de Romains 1.18-20. Barnabas a parlé, sans doute, mais les paroles conservées sont bien celles de Paul. Du reste elles ont à peine suffi pour détourner les païens de leur projet10 ; on voulait absolument offrir des sacrifices aux deux étrangers. Mais, nous ne l'oublions pas, cet enthousiasme n'était point une conversion.

14.19   Bientôt surviennent des Juifs11. Leur haine persévérante les amène d'Iconie et même d'Antioche. En peu d'instants, les Lycaoniens prêtent l'oreille à leurs calomnies. On les dirait fort vexés de s'être trompés et impatients de corriger leur erreur par quelque violence. On en veut surtout à Paul, représenté évidemment par ces Juifs comme le plus dangereux ; on le lapide sans aucune forme de procès ; puis on traîne son corps hors de la ville ; on le croit déjà mort12 . Des disciples, alors, font cercle autour de l'apôtre. On se disposait probablement à lui rendre les derniers devoirs, quand le martyr, non pas ressuscité, d'après le texte, mais réveillé d'un étourdissement, se lève soudain et rentre dans la ville. Parmi ces disciples qui l'ont entouré, il est fort permis de croire à la présence de Timothée. Il était originaire de ce pays (16.1), et Paul lui rend le témoignage d'avoir été son compagnon dans ses persécutions à Antioche, à Iconie, à Lystre. (2 Timothée 3.10-11) Farrar suppose même que le missionnaire, tout meurtri après cette lapidation, aurait été recueilli et soigné dans la maison d'Eunice, où le jeune Timothée se serait bien vite attaché à lui : il n'y a rien là d'impossible. Selon Zeller, l'apôtre n'aurait très probablement pas été lapidé à Lystre.... Pourquoi ?

Les soins donnés à Paul ne durèrent pas longtemps. Dès le lendemain il quittait la ville et se rendait avec Barnabas à Derbe. Là nous ne surprenons aucune trace de violences ; nous ne savons même que peu de chose de ce séjour, auquel 2 Timothée 3.11 ne fait pas allusion.

§ 5. Retour de Derbe à Antioche

14.21   Au dire de notre historien, l'évangélisation de Derbe eut pour résultat la conversion d'un assez grand nombre de néophytes. Nous sommes enclins à chercher parmi eux ce Gaïus de Derbe, nommé 20.4. Paul est arrivé ainsi à la quatrième station de son premier voyage en Asie Mineure ; et ces quatre Eglises en terre païenne semblent encore une contre-partie des quatre monarchies universelles contemplées par Daniel. (Baumgarten.) Les deux missionnaires, au reste, ne poussent pas plus loin leur marche en avant ; un désir généreux et sage les anime, celui de revoir les troupeaux naissants et de les fortifier. A cet effet ils renoncent, pour rentrer en Syrie, à prendre la route la plus directe le long du Taurus et à travers la Cilicie. Ils reviennent sur leurs pas, ne craignent pas de passer par Lystre, traversent ensuite Iconie et Antioche de Pisidie, c'est-à-dire les lieux mêmes où ils ont été persécutés. De ville en ville, ils exhortent les disciples à demeurer dans la foi, sans se laisser ébranler par les nombreuses tribulations du moment : ces θλίψεις ne sont-elles pas nécessaires pour arriver au royaume des cieux1 et dès lors une condition de la gloire à venir ? Tout cet enseignement est conforme à celui du Christ. (Jean 16.33) -- Mais ces exhortations ne suffisent pas. Paul s'éloigne, il veut laisser des remplaçants dans ces Eglises et leur donner au moins un commencement d'organisation. Sans rien leur imposer, les deux amis les font procéder à des élections d'anciens : leur ayant, d'Eglise en Eglise, donné des presbytres par élévation des mains, c'est-à-dire : « à mains levées2, » par une votation populaire, analogue à celle des diacres. Le participe χειροτονήσαντες paraît au premier abord se rapporter seulement à Paul et à Barnabas, et Hackett les voit seuls à l'œuvre dans cette élection. Reuss, pourtant, observe avec raison que « le verbe grec employé pour marquer l'élection emporte, par son étymologie même et par l'analogie des institutions politiques de l'époque, la notion d'un suffrage populaire. » Si nous en jugeons par l'exemple d'Ephèse, chaque Eglise eut plusieurs presbytres ; chacune aussi les consacra par la prière.

14.24   Paul et Barnabas continuent leur voyage de retour, traversent la Pisidie et la Pamphilie, prêchent à Perge où ils n'avaient guère pu s'arrêter, quelques mois plus tôt ; puis, suivant le cours du Katarrhactès, ils descendent au port d'Attalie (aujourd'hui Adalia ou Satalie), ville construite par Attale Philadelphe, roi de Pergame. Ils font voile de là pour Antioche de Syrie d'où, remarque l'auteur, ils avaient été remis à la grâce de Dieu, en vue de l'œuvre qu'ils avaient accomplie. Le terme du voyage est ainsi rattaché à son début. Si nos missionnaires ont quitté Antioche au printemps de l'an 45, si leur voyage a duré un an et demi ou deux ans, ils seront revenus à leur point de départ vers le printemps de 47. A peine arrivés, ils assemblent l'Eglise pour lui communiquer un rapport détaillé de leur travail : toutes les choses que Dieu a faites avec eux, en accomplissement littéral de la promesse du Christ : « Je suis tous les jours avec vous. » (Matthieu 28.20) Sans doute, ils auront raconté leurs expériences douloureuses avec les Juifs. Mais le fait capital demeure celui-ci : Dieu a ouvert aux païens la porte de la foi ! Et déjà plusieurs ont passé par cette porte ouverte.

14.28   Après cela, Paul et Barnabas sont restés à Antioche avec les disciples un temps non petit ; plusieurs mois au minimum, peut-être deux ou trois ans, et nous arriverions ainsi à 50, date probable de la conférence de Jérusalem. Ce fut assurément pour l'apôtre lassé une époque bénie de repos, tout ensemble physique et spirituel, accompagné cependant de travail au sein de l'Eglise avec laquelle il reprenait contact.

8. CONFÉRENCE DE JÉRUSALEM

a) Controverse d'Antioche. 15.1-53.

L'assemblée qui va s'ouvrir dans la métropole mérite-t-elle le nom de concile ? Beaucoup de bons auteurs, Stokes en particulier, le prétendent. Pourtant les éléments ordinaires du concile manquent à cette réunion : pas de représentants du pouvoir civil ; pas d'autorité ecclésiastique présidant et décidant sans appel ; pas de décrets souverains renforcés par des anathèmes contre les opposants. C'est bien une conférence ; nous n'y voyons ni un concile ni un synode. Cela ne saurait diminuer en rien l'importance des matières traitées.

L'école de Tubingue a découvert dans ces délibérations et dans ces résolutions une altération intentionnelle de la vérité, et cela dans un but apologétique ou dogmatique. Constatons-le néanmoins ; Baur lui-même a écrit sur ce point un aveu étrange et honorable. « Quand Paul et Silas, dit-il, entreprennent, peu après la conférence, un deuxième voyage missionnaire et commencent par visiter les Eglises fondées dans le premier, ils leur remettent le texte des résolutions votées à cette même conférence par les apôtres et par les presbytres ; elles leur serviront de règle de conduite. Le résultat fut de confirmer ces Eglises dans leur foi et de les faire grandir chaque jour. Tel fut donc, pour la cause de l'Evangile, l'effet bienfaisant de la résolution prise4. » Ce loyal jugement du maître vaut bien celui de plusieurs de ses disciples.

Le texte, en outre, nous révèle une fois de plus l'impartiale façon d'écrire de notre historien. Il ne lui suffit pas d'avoir dépeint l'Eglise dans la gloire de ses débuts ; il raconte aussi ses jours d'épreuve et de danger : le péché d'Ananias, les troubles au sujet des aumônes, la persécution fomentée par Hérode. Nous voici à une heure plus critique encore. Les succès extraordinaires d'une première mission en pays païen semblent entraîner des conséquences redoutables quant aux obligations renfermées dans la loi mosaïque, et même quant à l'organisation de l'apostolat ancien. Paul ni Barnabas ne font partie du cercle des douze ; ils n'en ont pas moins fondé de vivantes communautés chrétiennes. L'Eglise d'Antioche, d'où ce mouvement est parti, devient toujours plus indépendante de celle de Jérusalem. Comment concilier ces manifestations avec les institutions théocratiques ? Graves questions, dont les disciples ne pouvaient pas ne pas s'inquiéter. Aussi, du milieu des judéo-chrétiens, croyants mais attachés au passé, nous allons voir sortir les germes d'un redoutable conflit.





15.1   Des hommes, dont nous ne savons ni le nombre5 ni les noms, se font, dans la jeune Eglise syrienne, les défenseurs décidés de la tradition. Ils arrivent de la Judée et, suivant une addition, peu sûre d'ailleurs, de la Peschitto, ils auraient représenté la fraction des pharisiens alors arrivée à la foi. Sont-ils des émissaires de quelque apôtre ou de Jacques, le frère du Seigneur, chargés d'une sorte d'examen de la situation ? Cela n'est ni certain ni absolument impossible. Ils ont par devers eux, en tout cas, une doctrine déterminée, et ils l'enseignent ouvertement : ἐδίδασκον, dit l'auteur. Ils la résument dans cette phrase très courte et très catégorique : Si vous n'êtes pas circoncis selon l'institution de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. Qu'un païen pût, à la rigueur, recevoir le baptême sans avoir été circoncis, devant l'exemple de Corneille ils étaient bien contraints de l'admettre. Mais le baptême, à leur sens, n'exemptera jamais de la circoncision. Un païen ne sera pas sauvé s'il n'accepte toute la loi de Moïse, résumée à leurs yeux et comme concentrée dans cette cérémonie. La plus simple équité commande d'en rester à ce principe. Autrement la condition du Gentil, débarrassé du joug lévitique, devient trop douce vis-à-vis de celle du Juif, accablé de ce fardeau. Autant nier, désormais, toutes les promesses de l'Eternel aux fils d'Abraham. Et en vérité certaines paroles de Jésus semblaient appuyer le point de vue de ces nouveaux venus, par exemple Matthieu 5.17 ; 23.2-3,23. Comment ne pas conclure de là à la permanence voulue et inattaquable du judaïsme, même au sein de l'Eglise ?

Ces théologiens conservateurs ont fait choix d'Antioche pour y prêcher leur théorie. C'était sagace de leur part : s'ils voulaient combattre l'indépendance, ils avaient raison de l'attaquer dans sa forteresse ; autrement elle allait se répandre dans toute la Syrie, puis dans la Cilicie, au point de compromettre sérieusement le mosaïsme. De ces émissaires juifs, quelques-uns avaient des vues moins avouables ; nous le savons par Galates 2.4 ; nous parlons ici des plus honnêtes. Cette honnêteté même n'en va pas moins mettre l'Eglise dans le plus grand péril. Les préoccupations et les angoisses du Juif converti ; les aspirations du païen croyant qui réclame la liberté, tout cela ne constituait-il pas une lutte intérieure où les souffrances ne devaient pas manquer ? Elle rappelle par plus d'un côté la tentation du Christ, au début de son ministère. Jésus a été sollicité par le diable de faire son œuvre sans rompre avec le monde ; l'Eglise est pressée de convertir l'humanité sans rompre avec l'Israël lévitique, seul gardien jusqu'ici du monothéisme. Le Christ a repoussé le tentateur par de simples affirmations de l'Ecriture sainte ; ni Pierre, ni Paul, ni l'ensemble des chrétiens ne feront appel à une autre autorité pour combattre leurs adversaires.

15.2   La conduite des fidèles d'Antioche mérite aussi d'être observée et louée. Ils ne se jettent pas dans les bras des nouveaux venus ; ils ne les repoussent pas hors de chez eux. Ils examinent, ils discutent. A coup sûr, la discussion est vive ; elle devient une στάσις, presque une sédition (23.7) et une ζήτησις, une controverse (25.20) ; mais vraiment il y avait de quoi. Paul et Barnabas en soutiennent le principal effort, en représentant le parti de la liberté ; ils ont des arguments de fait, abondamment fournis par leur voyage. Et la conduite subséquente de Paul, le contenu de ses principales épîtres nous laissent deviner ses raisons les plus fortes. Jamais, à notre connaissance, il n'a condamné la circoncision en elle-même : il y a soumis Timothée. Jamais non plus il ne l'a tenue pour nécessaire au salut. Il se sera très certainement cantonné sur ce terrain, en face des exigences judéennes.

Grande leçon et peut-être, pour quelques-uns, étrange découverte que cette chaude dispute dans une Eglise encore toute jeune ! Nous aimions à nous la représenter comme l'asile inviolable de la paix. Hélas ! elle était composée d'hommes et non pas d'anges. Elle avait beaucoup à apprendre, et les difficultés, les luttes de cet apprentissage ont fait partie de cette θλίψις prédite par Jésus aux disciples, aussi longtemps qu'ils seraient dans le monde. (Jean 16.33.) Les chrétiens d'Antioche, au reste, nous donnent un excellent exemple : ne parvenant pas à s'entendre, ils ont recours à un arbitrage. D'un commun accord on décide de s'adresser aux apôtres et aux anciens de Jérusalem, et de leur soumettre le ζητήμα, l'objet même de la controverse. Bonne manière de maintenir le lien avec l'Eglise mère. Paul et Barnabas, avec quelques autres, y seront les délégués d'Antioche.

A entendre Zeller, Paul aurait profité de cette occasion pour soumettre son apostolat à la sanction des Douze. Il n'y a rien de pareil dans le texte des Actes, et l'épître aux Galates représente la chose tout autrement. Paul n'a soumis son ministère à aucune sanction humaine ; il a exposé le contenu de sa prédication aux païens, et les « colonnes » de l'Eglise lui ont spontanément donné la main d'association. (Galates 2.2-9) Nous tenons, en effet, le voyage de l'apôtre à Jérusalem, raconté dans ce fragment des Galates, pour identique à celui de Actes 15.2-5, et nous cherchons par conséquent Tite au nombre des τίνας indiqués par notre texte. Dans les Galates, ce voyage est attribué à un ordre divin, à une révélation reçue par Paul ; dans les Actes, à un mandat donné par l'Eglise au missionnaire. Pour établir entre ces deux formes du récit une contradiction irréductible, il faudrait commencer par prouver l'impossibilité d'une révélation imposant précisément ce mandat à cette même Eglise. Et pour faire cette preuve, il faudrait oublier le commandement du Saint-Esprit aux fidèles d'Antioche pour déterminer le premier voyage de Paul et de Barnabas. Supposons même l'Eglise invitant de son propre chef l'apôtre à partir. Etait-il donc interdit à Paul de demander à Dieu s'il devait obéir6 ?

15.3   La députation, accompagnée pour un moment par les disciples7, -- car ils sentent tous le sérieux de ce voyage, -- se met en route du côté de la Phénicie. Quelque sept ans auparavant, les deux amis ont fait un voyage pareil pour porter des aumônes à Jérusalem ; ils viennent y chercher aujourd'hui des biens spirituels, des conseils, la paix si possible. Au reste, ils apportent aussi quelque chose avec eux, savoir les preuves admirables de l'œuvre de Dieu accomplie par leur moyen. Ils en répètent souvent le récit chemin faisant, à travers la Phénicie et la Samarie, procurant ainsi une grande joie aux divers troupeaux semés dans ces contrées, et d'origine ethnico-chrétienne d'après les détails des chapitres 8 et 11. En Galilée ils eussent trouvé surtout des judéo-chrétiens.

15.4   Les députés reçoivent à Jérusalem un accueil fraternel, presque solennel, de la part de toute l'Eglise, spécialement des apôtres et des anciens, et les missionnaires se mettent d'emblée à raconter leurs expériences. D'après les données de Galates 2.2, il y eut alors deux sortes de réunions ; les unes particulières, privées, où Paul exposait κατ’ ἰδίαν sa mission et son point de vue ; les autres générales et publiques, préparées par les premières. La plus simple prudence ordonnait de procéder ainsi ; nous voyons toujours et partout le Saint-Esprit recommander ces mesures de sagesse. Pierre, Jacques et Jean, éclairés par les explications plus intimes de Paul, auront été d'autant mieux portés en faveur de la liberté. L'auteur du livre des Actes n'avait point à insister sur ces entretiens ; son silence n'en dément en aucune façon l'historicité. Du reste, il est facile d'en voir la place au moins indiquée dans son récit : au verset 6, il mentionne seulement une assemblée des apôtres et des anciens, convoqués pour examiner la question ; au verset 12 toute la multitude -- πλῆθος -- écoute Barnabas et Paul ; au 23, apôtres, anciens et frères sont réunis en un dernier ensemble.

Répondrons-nous à la difficulté soulevée par Reuss ? D'après ce savant, il n'y aurait point eu dans Jérusalem de local assez vaste pour contenir une assemblée générale des chrétiens. Eh ! que pouvons-nous bien en savoir ? On n'a peut-être admis dans la conférence que des membres ayant droit de vote. Ou disons simplement avec Edm. Schérer8 : «  Une réunion est annoncée ; y entrent ceux qui peuvent. » Paul, objecte encore Reuss, aurait certainement protesté contre l'emploi du suffrage universel, « tenu par lui pour la chose la plus absurde du monde. » Nous ne connaissons pas, sur ce point délicat, l'opinion personnelle de l'apôtre ; mais nous nous rassurons. Il n'est pas question dans notre texte de suffrage universel entendu à la façon moderne. Le droit de vote était soumis à des conditions religieuses ; exercé dans ces limites, il n'était pas pour effrayer Paul.

15.5   Les débats vont donc commencer. Comme ils seront d'une gravité exceptionnelle, notre historien tient à en rappeler clairement la cause et à la montrer menaçante, dans Jérusalem comme dans Antioche. Les défenseurs à outrance de la circoncision, c'est-à-dire de tout le mosaïsme, sont prêts à combattre dans la capitale ; ils font entendre énergiquement leurs réclamations. Ce sont des croyants ; mais ce sont aussi des pharisiens. Ils n'admettent nulle transaction. Il faut, disent-ils, les circoncire et leur commander de garder la loi de Moïse ; et par ce les ils semblent désigner du geste des gens présents, Tite entre autres, nommé dans les Galates. Quelques exégètes mettent le contenu de notre verset 5 dans la bouche de Paul ou de Barnabas ; ces deux missionnaires auraient terminé leurs récits en racontant textuellement la controverse d'Antioche et les prétentions judaïsantes. C'est possible, mais peu probable. Nous voyons plutôt dans ce verset 5 une remarque de l'écrivain, établissant que les émissaires venus en Syrie y avaient bien exprimé les sentiments de l'Eglise mère. C'est d'autant plus grave pour la situation présente de Paul et de tous les fidèles.

b) La conférence. 15.6-21.

15.6   L'assemblée doit avoir été nombreuse ; certainement elle était très mélangée. Elle renferme des croyants sortis d'entre les Gentils, groupés autour de Paul et de Barnabas ; des judéo-chrétiens appuyés sur l'autorité des Douze, en somme, un type exact de l'Eglise du Christ au milieu du premier siècle. Aucun des deux partis ne paraît avoir déjà son plan bien arrêté ; à part peut-être les pharisiens mentionnés plus haut, nul ne songe à imposer sa manière de voir. On est en face d'un problème ardu ; on veut travailler loyalement à le résoudre ; alors comme plus tard, Paul ne se propose point de dominer sur la foi des autres. (Comparez 9.)

Demandera-t-on comment les apôtres en étaient réduits encore à chercher une solution ? Comment les leçons déjà reçues, les expériences déjà faites pouvaient les laisser dans l'incertitude ? Pourquoi ils hésitaient quant à l'obligation de la circoncision ? Il n'est pourtant pas si malaisé de répondre. A voir l'Eglise, repoussée par les Juifs, toujours plus solidement établie chez les païens, un Israélite chrétien avait quelque droit de s'inquiéter. Le peuple de la promesse était-il rejeté ? L'alliance faite avec Abraham devenait-elle caduque ? Les institutions religieuses de l'Ancien Testament ont-elles perdu toute valeur ?...Jamais peut-être les apôtres n'ont eu plus grand besoin des lumières du Saint-Esprit et de la communion directe avec Jésus. Deux voies s'ouvrent devant eux et ne semblent pas pouvoir se confondre en une seule ; les conséquences en sont également redoutées. Ou bien la foi au Sauveur ne suffit plus pour le salut : c'est la mort de la mission évangélique. Ou bien l'incirconcis croyant peut être sauvé : c'est l'effacement d'un des plus notables privilèges des judéo-chrétiens, c'est presque l'égalité proclamée entre le Juif et le païen.

15.7   La discussion, d'ailleurs très libre, fut abondante et dura longtemps. Elle débuta peut-être par ces délibérations au sujet de la circoncision de Tite dont nous parle Galates chapitre 2. Paul, dans ma conviction, ne consentit pas à cet acte. Mais, dans l'assemblée générale, il commença par garder le silence, Pierre lui-même, malgré son habitude de la parole, ne la prend pas dès l'ouverture des débats ; il laisse sagement les diverses opinions se faire jour. Selon toute apparence les pharisiens légalistes ont les premiers exposé leur point de vue, et leurs arguments n'auront pas manqué de produire de l'impression. Alors seulement Pierre se lève. Il a gagné par le fait de son silence une vue beaucoup plus nette de la situation, avec une intelligence plus entière du passé. Il va répondre directement aux partisans de la tradition ; mais il le fera avec une grande modération de forme, donnant ainsi à ses arguments une plus haute autorité. Nous en retrouvons l'écho dans sa première épître. Au surplus, nul appel à sa dignité personnelle ni à quelque mandat dont il serait seul dépositaire. C'est le dernier discours à nous connu de cet apôtre, et son nom même disparaît ensuite du livre des Actes.

Pierre introduit son opinion par un souvenir, celui d'un événement très connu, auquel il doit la première modification profonde survenue dans sa façon d'envisager l'évangélisation des âmes. C'est la conversion de Corneille. Il ne nomme pas cet officier ; son nom est dans toutes les mémoires et il brille à cette heure, pour lui, d'une éclatante lumière. L'appel des païens au salut cesse d'apparaître à ses yeux comme un fait isolé ; c'est un des éléments essentiels du plan de Dieu, et devant la souveraineté divine ainsi révélée l'apôtre s'incline en invitant toute l'Eglise à s'incliner pareillement : Hommes frères, vous savez que dès les jours anciens Dieu s'est fait chez vous un choix [pour que] par ma bouche les Gentils entendissent la parole de l'Evangile et crussent. L'emploi du verbe au moyen : ἐξελέξατο relève l'autorité de Dieu : Il a fait ce choix pour lui ; l'absence de tout régime, tel que ἐμὲ, efface la personnalité de Pierre10. Comme son premier maître, Jean-Baptiste, s'était contenté d'être une voix, il lui suffit à lui d'être une bouche chargée d'annoncer la bonne nouvelle. Pierre est ainsi devenu, comme Paul, un σκεῦος ἐκλογῆς . (9.15) Il fait remonter ce choix de Dieu à des jours anciens ; les dix ans environ écoulés depuis la conversion de Corneille permettent l'emploi de ces mots. Edm.Schérer les faisait synonymes de ἀπ’ ἀρχῆς, attribuant ainsi le choix de l'apôtre Pierre à un décret éternel. C'est moins probable dans ce contexte.

15.8   En parlant de la sorte, l'orateur ne méconnaît point certaines différences fondamentales entre le Juif et le païen. Mais Dieu, le connaisseur des cœurs11, les sait mieux encore et n'en a pas moins affirmé par son témoignage une véritable égalité entre Israël et les Gentils. Il l'a prouvée par l'envoi du Saint-Esprit aux uns comme aux autres, effaçant ainsi toute distinction par l'effet d'une foi commune, et produisant dès lors chez les uns et chez les autres la purification du cœur. La preuve est suffisante...Pierre déjà l'avait présentée à ses collègues pour justifier sa visite chez Corneille (11.15-17) ; Jérémie avant lui (Jérémie 4.4) avait établi la circoncision du cœur comme la seule véritable ; Paul, dans ses principales épîtres, ne jugera pas autrement les œuvres de la loi dans leur rapport avec l'obéissance de la foi.

15.10   La conclusion, dès lors, s'impose. Ne pas se contenter de cette foi chez les païens, leur imposer des pratiques légales avant de les admettre dans l'Eglise, ce serait tenter Dieu, agir contre ses révélations les plus positives, violer la loi même où il est dit : « Vous ne tenterez point l'Eternel. » (Deutéronome 6.16) Il y aurait plus : ce serait imposer12 aux nouveaux disciples un joug déjà déclaré insupportable par les pères, joug de servitude auquel le chrétien ne doit pas être soumis. (Galates 5.1) Voulût-on même se borner à les circoncire, ce serait encore un leurre ; la circoncision entraîne l'obligation d'accomplir toute la loi. (Galates 5.3) Mais, continue Pierre, si nous n'avons pas pu porter ce joug, rappelons-nous ! Par la grâce du Seigneur Jésus, et par nul autre moyen, nous croyons avoir été sauvés de la même façon que ceux-là (les Gentils). Paul ne s'exprime pas autrement dans ses lettres, par exemple Romains 5.15.

On remarquera, certes, l'indépendance de Pierre vis-à-vis de la loi. Elle nous est attestée, en outre, par la scène d'Antioche : Galates 2.12-21. Les reproches de Paul à son collègue dans cette occasion eussent été sans objet si Pierre n'avait pas soutenu, au moins une fois, précisément le point de vue que notre auteur lui prête dans la conférence de Jérusalem.

15.12   Son discours, au surplus, a obtenu un beau succès : le silence. C'est beaucoup dans une assemblée houleuse et divisée. Il lui a suffi d'en appeler à l'œuvre de Dieu et à la conscience des auditeurs. Dans cet apaisement des esprits, Barnabas et Paul vont pouvoir se faire écouter. Ils ne discutent pas, ils racontent, non leurs propres actes, mais les signes et les prodiges accomplis par Dieu ; ils ont simplement été ses instruments. Leurs récits continuent l'œuvre de paix commencée par Pierre. Ramenée d'abord en arrière jusqu'à la conversion de Corneille, la conférence, grâce aux rapports des missionnaires voit maintenant quatre Eglises établies au milieu des Gentils. Barnabas est ici nommé avant Paul. Plus âgé probablement, plus rattaché en sa qualité de Lévite au troupeau de Jérusalem, il a peut-être parlé le premier.

15.13   Là-dessus nouveau silence. Le calme est décidément rentré dans les cœurs et Jacques, le frère du Seigneur, le personnage déjà très considéré dans l'Eglise mère et très digne de l'être (comparez 12.17), peut amener l'assemblée à un vote final. Il commence par s'en référer au discours de Pierre en donnant à cet apôtre son nom hébreu de Simon13. Il confirme le fait énorme avancé par lui : Dieu a considéré (résolu après délibération) de prendre d'entre les nations un peuple à son nom. Il n'y a plus moyen d'en douter. Jacques semble s'en expliquer avec joie, quelles qu'aient pu être auparavant ses vues personnelles. Il les sacrifiera volontiers en faveur de la vérité, et au profit d'une Eglise étrangère dont la charité a su se déployer en faveur des indigents de Jérusalem. Il a d'ailleurs fait une autre découverte. Dans cette vocation des Gentils il a reconnu l'accomplissement des prophéties, son argumentation ne saurait donc plus hésiter. Pour lui, comme pour Paul dans ses épîtres, la preuve scripturaire est décisive. Avec cela, dit-il (τούτῳ, avec l'affirmation de Simon), concordent les paroles des prophètes...Sur quoi, Jacques cite Amos 9.11-12, librement d'après les Septante, lesquels sont assez libres de leur côté vis-à-vis de l'hébreu.

15.16   Amos, dans ce passage, annonce les temps messianiques. Il voit le trône de David redressé et des étrangers se joignant à Israël pour concourir à cette restauration. En quoi donc la citation se rapporte-t-elle au sujet traité par Jacques ? Ne prouverait-elle pas plutôt le contraire ? En apparence, oui. Mais examinons de plus près. Quel est le but principal de l'orateur ? Ramener toutes choses, partout et toujours, à l'intervention de l'Eternel. S'il s'agit de travailler au rétablissement du règne davidique, Dieu pourra donner même aux païens les dispositions nécessaires. Or, si le texte hébreu d'Amos ne mentionne pas expressément ces dispositions, il les suppose pourtant et le texte des Septante les indique. Le prophète montre d'abord renversé et détruit le tabernacle de David, image de celui de Dieu. Il en prédit ensuite le redressement, amené, introduit par la conversion des Gentils, donc, aux yeux de Jacques, par l'œuvre même de Jésus. Le mot ἀναστρέψω manque dans l'original ; l'orateur l'introduit afin de montrer précisément dans la venue du Christ comme un retour de Dieu pour accomplir sa promesse. Ainsi le salut offert aux Gentils par le sacrifice de Golgotha, et accepté par eux, constitue bien le relèvement du trône de David, présenté dans le mot σκήνη par son côté fragile et humain. « Alias dicitur domus David, solium David, -- observe Bengel, -- sed hic tugurium David, quia ad magnam tenuitatem res ejus redactae erant14. » -- Au verset 17 encore, nous avons dans οἱ κατάλοιποι τῶν ἀνθρώπων des mots étrangers au texte hébreu, où nous lisons seulement : « Toutes les nations. » Jacques peut bien avoir cité d'après l'hébreu, et notre écrivain d'après les Septante. L'important, en tout cas, pour l'orateur est de montrer tous les peuples devenus sujets de l'Eternel dont le nom est maintenant invoqué sur eux. L'accent repose donc sur καὶ πάντα τὰ ἔθνη, où καὶ a le sens explicatif : « Tous les hommes demeurés de reste, savoir toutes les nations. » La répétition enfin : ἐφ’ οὕς ...ἐπ’ αὐτούς constitue évidemment un hébraïsme. Mais on trouvera aussi dans ce ἐπίκαλειν ὄνομα ἐπὶ τινὰ une expression tout analogue à celle de Jacques dans son épître : 2.7.

15.18   Une dernière difficulté se présente au verset 18, riche d'ailleurs en variantes. א, B, C et plusieurs minuscules lisent : ποιῶν ταῦτα γνωστὰ ἀπ’ αἰῶνος  ; A et D, appuyés par la Vulgate : γνωστὸν ἀπ’ αἰῶνος τῷ κυρίῳ τὸ ἔργον αὐτοῦ  ; la Recepta : γνωστά ἀπ’ αἰῶνος ἔστι τῷ θεῷ πάντα τὰ ἔργα ἀυτοῦ . La forme la plus simple, celle de א, me paraît la plus sûre. Ces mots seraient alors : ou bien la fin de la citation d'après une leçon aujourd'hui perdue et ramenant, au moins pour le sens, la conclusion de Amos 9.11 : « Je rebâtirai la tente de David comme elle était autrefois,... » dit le Seigneur qui fait ces choses connues dès l'antiquité ; ou bien une réflexion de l'orateur, analogue à la pensée de 3.21 : rien n'arrive dans notre histoire qui n'ait été préordonné par Dieu et annoncé par ses prophètes. Cette même pensée peut avoir provoqué l'addition de A et celle de la Recepta. Quoi qu'il en soit, une déclaration demeure : l'extension jusqu'aux peuples les plus éloignés des grâces de Dieu, promises et déjà données à la maison de David, n'est point un fait imprévu dans les conseils de Dieu ; c'est le résultat de ses plans, arrêtés dès les temps anciens. « Deus circumcisionem non ita dedit ut semper duraret illa ; nam eodem tempore prædixit conversionem gentium. » (Bengel.)

15.19   Jacques, dès à présent, peut conclure. Il le fait en termes très mesurés, exprimant son opinion personnelle et l'appuyant à la fois des récits entendus et des textes cités. Il veut, contre les prétentions des pharisiens, respecter la liberté des ethnico-chrétiens. Il veut aussi, contre les abus de cette liberté, respecter les scrupules des judéo-chrétiens. Il ne faudra donc pas procurer des embarras15 aux païens convertis ; il faudra seulement leur imposer une rupture franche et complète avec le paganisme. On peut leur éviter la circoncision, mais ils doivent s'abstenir de toute pratique païenne, -- et peut-être quelques jeunes communautés s'étaient déjà montrées trop faibles sur ce point. De là quatre défenses nettement formulées (et non pas trois, comme Reuss l'entend). Les païens convertis devront à tout prix s'abstenir :

  1. Des ἀλισγήματα τῶν εἰδώλων, des « souillures des idoles. » Le terme hapax ἀλισγήμα, de ἀλισγέω souiller (dans le langage biblique seulement) est remplacé et expliqué au verset 29 par εἰδωλοθύτα, les viandes sacrifiées aux idoles. En manger était tenu pour une participation au culte des faux dieux, et l'on sait combien Paul se préoccupe de cette tentation dans ses lettres aux Corinthiens et aux Romains. Moïse avait dit à Israël : « Garde-toi de faire alliance avec les habitants du pays où tu dois entrer...de peur qu'ils ne t'invitent et que tu ne manges de leurs victimes. » (Exode 34.15)
  2. De la πορνεία, par où nous avons à entendre non une autre désignation de l'idolâtrie, mais la caractéristique générale de l'impureté, de la débauche dont le paganisme, non seulement tolérait, mais souvent encourageait et provoquait la pratique. Tel est encore le cas aux Indes et ailleurs. Participer à l'impureté, c'est se conduire en païen. (Comparez Romains 1.24 et suiv.) Reuss me paraît restreindre beaucoup trop l'idée de πορνεία en la limitant aux mariages prohibés à certains degrés (Lévitique ch. 18) et aux secondes noces. Ramsay appuie cette traduction et conclut que les décrets de Jérusalem ont seulement visé la loi cérémonielle. Mais cette vue me semble erronée.
  3. Du πνίκτον . Ce terme, omis à tort dans D (peut-être par homoioteleuton des deux τοῦ), vient de πνίγω, étouffer, et désigne la viande provenant d'un animal non saigné ; la loi (Lévitique 17.12-13) en prohibait l'usage. Cette défense et la suivante ne s'appliquent pas exclusivement à des usages païens ; elles visent des coutumes juives, tout ensemble hygiéniques et religieuses et, dès lors, bonnes à retenir.
  4. Du ἇιμα Le sang, séparé de la viande, devenait souvent aliment ou boisson pour les païens. Ils le mêlaient volontiers au vin dans leurs sacrifices et le buvaient ainsi. Or, dans l'idée israélite, l'âme de l'animal est comme enfermée dans son sang. Si donc le sang peut couler sur un autel pour faire l'expiation des péchés, il ne saurait servir à satisfaire les appétits de l'homme. Interdit déjà à Noé et à ses fils, il le fut avec plus de précision encore à tous les Hébreux. (Comparez Genèse 9.4 ; Lévitique 3.17 ; 17.11-14.)
A ces quatre défenses D et quelques minuscules ajoutent : καὶ ὅσα μὴ θέλουσιν ἑαυτοῖς γίνεσθαι, ἑτέροις μὴ ποῖειν (ou : ποῖειτε .) C'est une reproduction, maladroitement amenée et hors de place ici, de Matthieu 7.12.

Quant aux défenses mêmes, si elles font à peu près partie des fameux « préceptes noachides, » elles n'en sont aucunement la copie. Ces préceptes, en effet, au nombre de sept, s'énoncent comme suit : soumission à l'autorité, interdiction du blasphème, de l'idolâtrie, de l'inceste, du meurtre, du vol, de la viande arrachée à un animal vivant. -- Des propositions de Jacques, adoptées par l'assemblée, les deux dernières au moins reçurent des circonstances un caractère temporaire : l'histoire nous en fournit la preuve.

Au fond, l'avis énoncé maintenant ne constitue ni infidélité ni peureux compromis. Le parti de la liberté chrétienne peut s'y ranger sans renier ses privilèges, sans abandonner ses convictions. On reconnaîtra aux païens convertis la possibilité d'une pleine communion avec Dieu sans passer par les multiples exigences du mosaïsme. On les traitera même de frères, sans leur rien imposer au delà des quatre interdictions ci-dessus. (Comparez v. 23 à 29.) Le seul parti battu sera celui de la circoncision à tout prix. Un joug, sans doute, sera mis encore sur les épaules des fidèles ; mais du moins il ne sera plus insupportable. La générosité de la conférence se contentera de recommander ses décisions, elle ne les imposera pas à coups d'anathèmes.

15.21   Jacques termine, en appuyant ces préceptes d'égards mutuels et de fidélité individuelle sur une considération d'une frappante évidence. Usez entre vous, semble-t-il dire, de ces ménagements, car, pour Moïse, il a dès les générations anciennes des gens qui le proclament, de ville en ville, étant lu dans les synagogues sabbat après sabbat. Par le fait de cette vulgarisation de la loi, d'une part les Juifs ne courent pas le risque de l'oublier, de l'autre les Gentils ne seront pas tentés d'en faire bon marché. La fraternité réciproque des uns et des autres ne les rendra pas indifférents à la loi. L'attache du verset 21 au 20 par la conjonction γὰρ est entendue de la sorte, avec quelques nuances, par la plupart des commentateurs : Meyer : « Il est superflu de recommander ces observances aux Juifs, car la loi où elles sont prescrites ne cesse pas de leur être lue. » Holtzmann : « La loi de Moïse étant lue chaque sabbat aux Juifs et aux judéo-chrétiens, les Juifs demeurent libres de devenir chrétiens, car nous leur interdisons seulement ce que la loi proscrit ; et les judéo-chrétiens entendront dans cette lecture même la défense de participer aux souillures païennes. »

Plus indulgent pour les autres qu'il ne paraît l'avoir été pour lui-même, Jacques a fait une œuvre de sagesse et de paix. L'histoire de l'Eglise n'en connaît guère de plus bienfaisante. Elle connaît, en revanche, la ruine de communautés asiatiques où l'abandon des propositions de Jacques a conduit à la mort. L'Eglise de Pergame tolérait la prédication de nouveaux Balaams, enseignant à manger des viandes sacrifiées aux idoles et à commettre l'impureté : cette Eglise a été détruite. -- Dans celle de Thyatire, Jésabel enseignait aux disciples à vivre dans la débauche et à manger des mets idolâtres : l'Eglise de Thyatire n'existe plus. (Apocalypse 2.14,20) -- Le judaïsme, il est vrai, se sépara de plus en plus des troupeaux chrétiens. L'« Ecclesia gentium » acheva de se dégager des liens du mosaïsme, et les défenses proposées par Jacques cessèrent d'avoir force de loi. Elles n'en avaient pas moins valu à l'Eglise de précieuses années de calme et de prospérité. Au jour où elle se détourna de ces principes de charité et de justice, elle descendit une pente au bas de laquelle elle trouva cette honte : les Juifs persécutés par les chrétiens.

c) La lettre et la députation. 15.22-34.

15.22   La parole de Jacques a clos le débat. Les opinions tout à l'heure si divergentes se sont mises d'accord. Un pareil résultat n'est guère naturel et l'assemblée aura le droit d'en faire honneur au Saint-Esprit. (Vers. 28.) Nous ne surprenons pas même une minorité formée de pharisiens rigoristes. Les résolutions sont prises par les apôtres, par les anciens et par tous les assistants d'un commun accord ὁμοθυμαδὸν, v. 25). Les simples laïques, non chargés de fonctions officielles, nous paraissent avoir exercé comme les autres leur droit de vote. Au verset 23, les manuscrits א, A, B, C, D retranchent, il est vrai, le καὶ entre πρεσβύτεροι, et ἀδελφοὶ, donnant ainsi le sens : « Les anciens en tant que frères. » Mais cela n'enlève rien à la force du σὺν ὅλῃ τῇ ἐκκλησίᾳ au verset 22. La lettre où sera consignée la résolution de l'Eglise a peut-être été libellée et signée seulement par les apôtres et par les anciens ; mais elle a bien été votée aussi par des frères qui n'étaient ni anciens ni apôtres. La conférence de Jérusalem milite ainsi fortement en faveur de la participation des laïques aux affaires ecclésiastiques les plus importantes ; il est bon de s'en souvenir.

Ici Zeller s'étonne, et Luther avant lui s'était étonné. Comment, disent-ils, Paul a-t-il pu donner son assentiment à des mesures d'où ressortait après tout l'autorité de la loi en matière de salut ? -- Elle n'en ressortait point, répondrons-nous sans hésiter. La question proprement dite du salut par la foi n'était plus en jeu. De quoi s'agit-il, en fait ? Le discours de Jacques l'a nettement montré : il s'agit d'établir les rapports mutuels des chrétiens d'origine juive et des païens convertis. Peut-on imposer à ces derniers, comme condition d'entrée dans l'Eglise, l'observance rigoureuse d'une loi dont Dieu ne les pas dotés ? Non, a répondu Jacques. Mais imposons-leur une conduite d'où ne sortent pour eux aucune occasion de chute, pour les Juifs aucun scandale. Et cette réponse est précisément celle de Paul, toutes les fois qu'il traite ces matières, entre autres de l'usage des viandes sacrifiées aux idoles. (Romains ch. 14 et 15 ; 1 Corinthiens ch. 8 à 10) La doctrine de la justification par la foi seule n'en est aucunement atteinte.

Ajoutons-le, d'ailleurs, pour fixer de notre mieux ces points délicats : lorsque Paul les reprend dans sa correspondance, la question a déjà fait de notables progrès. Revenir aux décisions prises à Jérusalem, ce serait un recul ; elles commencent à manquer d'actualité et d'autorité. Si l'apôtre se préoccupe encore des mets idolâtres, des viandes étouffées et du sang, c'est pour établir la liberté chrétienne sur un terrain plus large et pour soutenir un point de vue plus élevé. Il a marché, et l'Eglise avec lui, depuis l'année de la conférence. -- De non moins bonnes raisons expliquent son silence vis-à-vis des Galates au sujet de la fameuse lettre de Jérusalem. Il avait à rétablir au milieu de leurs communautés les preuves de son apostolat, fortement attaqué ; il veut le montrer absolument indépendant de toute influence humaine. Eût-il été bien habile de s'en référer alors aux décrets d'une assemblée où dominèrent Pierre et Jacques ?

Revenons à ces décrets eux-mêmes ; ils seront appelés, 16.4, δόγματα, et nos versets 22 et 25 les introduisent par ἔδοξε . Mais tout d'abord on choisira des messagers pour les porter à Antioche. Ils seront au nombre de quatre16. Paul et Barnabas, cela va de soi ; puis Judas, inconnu pour nous, suivant quelques auteurs frère du Joseph Barsabbas mentionné 1.23 ; Silas enfin, représenté avec Judas comme prophète au verset 32 et nommé Silvain en tête des deux épîtres aux Thessaloniciens. Certains exégètes font de lui l'auteur de l'épître aux Hébreux. Ces quatre hommes sont des chefs17, des frères de premier rang dans le sein de l'Eglise. Ils seront porteurs d'une lettre écrite18 par les mains des apôtres et des anciens ou, plus exactement, de l'un d'eux. Le texte nous en est très probablement parvenu dans les termes originaux, copiés par notre auteur d'un document conservé à Antioche. C'est au reste le premier fragment écrit, à nous connu, du Nouveau Testament ; et il provient d'une Eglise. Jacques a toujours passé pour l'avoir rédigé. Cette supposition paraît très vraisemblable ; la lettre reproduit exactement sa pensée et renferme, comme Jacques 1.1, la salutation grecque χαίρειν . Un rapprochement intéressant, formulé par Baumgarten, se présente à ce propos. Le premier document écrit conservé dans l'Ancien Testament accentue fortement la distance entre Hamalek et Israël, entre les Gentils et le peuple de Dieu (Exode 17.14-16) ; le premier document écrit de la nouvelle Alliance fait tomber cette barrière et consacre l'union entre Israël et les païens.

La forme de la lettre est d'un vrai grec, comme il convenait pour des lecteurs hellénistes. Elle est adressée aux frères : d'entre les Gentils qui se trouvent à Antioche, et en Syrie et en Cilicie, dans des milieux, sans doute, où les pharisiens rigoristes avaient fait valoir leurs revendications ; elle insiste peu, du reste, sur leurs agissements et tâche de les ménager ; elle tient seulement à nier qu'il y ait eu solidarité entre ces menées et l'Eglise de Jérusalem. Celle-ci n'a donné à personne aucun mandat propre à troubler19 les âmes ou à détruire la paix. Heureusement un accord unanime a pu étouffer dans leur germe les tentatives de désunion. On envoie donc à Antioche deux délégués de choix20 associés à Barnabas et à Paul ; ces derniers sont qualifiés de « bien-aimés » et presque de martyrs, car ils n'ont point hésité à exposer leurs vies pour le nom du Seigneur Jésus-Christ. Ici encore le nom de Barnabas paraît avant celui de Paul : il demeure pour l'Eglise de Jérusalem le personnage principal, le missionnaire lévite, le représentant du passé au milieu des victoires du progrès. D'autre part, les séances particulières où Paul a démontré l'origine divine de son apostolat ne sont peut-être point connues de toute l'assemblée ; pour elle, il n'a pas encore passé au premier rang. Judas et Silas, compagnons de ces apôtres, auront pour tâche de confirmer oralement leurs déclarations et la lettre dont ils sont porteurs. Le centre du message sera naturellement l'énoncé des quatre défenses proposées par Jacques et votées par la conférence. Elles sont rappelées et mises sous l'autorité non seulement des frères, mais aussi du Saint-Esprit : Il a paru bon, non pas : « à nous par le Saint-Esprit, » comme traduit Néander, ni : « au Saint-Esprit en nous » ; mais bien au Saint-Esprit et à nous (ses agents) de ne vous imposer nul autre poids21 que ces choses qui sont obligatoires (en tant que défenses), savoir : vous abstenir...

L'ordre des quatre interdictions dans la lettre n'est pas celui du discours ; les expressions ne sont pas non plus identiques ; mais rien n'est changé quant au sens. Les εἰδωλοθύτα viennent en tête, remplaçant les ἀλισγήματα  ; puis ἀἷμα  ; πνίκτα au pluriel au lieu du singulier, enfin πορνεία . Sur ces quatre points, l'abstinence est déclarée ἐπάναγκες 22, absolument nécessaire (terme hapax). Nous devons donc entendre dans ce sens précis la conclusion présentée en termes modérés : « En vous gardant vous-mêmes de ces choses, vous ferez bien. » On peut aussi traduire : « Vous vous en trouverez bien. »

Holtzmann, dans son jugement d'ensemble sur le fragment 15.1-29, en reconnaît l'accord général avec le récit abrégé de Galates chapitre 2. Il signale néanmoins dans ces deux documents des points de vue à son sens inconciliables. Les Actes, selon lui, établissent l'autorité supérieure des Douze et de l'Eglise de Jérusalem ; l'épître aux Galates, au contraire, montre Paul affranchi, déjà alors, de cette autorité. Nous avons répondu plus haut à cette objection. Ajoutons seulement deux remarques. La faiblesse momentanée de Pierre à Antioche, peu après la conférence, ne prouve rien du tout contre le vote de cette assemblée ; et les latitudes plus grandes laissées plus tard à la liberté chrétienne n'infirment en rien l'exactitude du récit des Actes.

15.30   Les députés, ayant reçu de la conférence leur congé (ἀπολυθέντες) et formant maintenant une double délégation, celle de Jérusalem et celle d'Antioche, arrivent dans cette dernière ville. Ils y convoquent l'Eglise pour lui remettre la lettre de Jacques, et la lecture de ce message cause aussitôt une grande joie, en raison de l'exhortation dont il est porteur ; παράκλησις, en effet, nous paraît signifier ici exhortation et non consolation ; se réjouir d'une consolation serait un peu une naïveté. Nous voyons bientôt Judas et Silas continuer et développer par leurs avertissements personnels ceux de la lettre, et réussir de la sorte à fortifier les frères d'Antioche. Notons ici, parmi les meilleurs résultats de la conférence de Jérusalem, celui d'avoir procuré à Paul un associé de la valeur de Silas. Judas nous reste inconnu ; retourné à Jérusalem, il y aura probablement assisté les Douze dans leur œuvre tranquille et relativement cachée. Silas va bientôt partager tous les travaux et les périls des missionnaires. Pour le moment, il reprend avec son collègue le chemin de la métropole, après un congé donné en due forme et de la façon la plus pacifique par les frères d'Antioche.

15.34   Un manuscrit toutefois, celui d'Ephrem, nous donne une idée différente des faits en ajoutant ici : ἔδοξε δὲ τῶ Σίλᾳ ἐπιμεῖναι αὐτοῦ . Ces mots forment dans quelques éditions le verset 34, que Blass conserve. Mais, manquant dans א, A, B, E, G, H, ils me paraissent une interpolation bona fide, destinée à préparer le verset 40, où nous verrons Silas partir avec Paul. Le manuscrit D et quelques versions complètent C en ajoutant : « Mais Judas seul s'en alla. »


1
Ζυγκομίζω porter avec d'autres, et spécialement pour inhumer.
2
Κόπτομαι, se frapper la poitrine ; κοπετός, ὁ, lamentation avec coups.
3
26.11.
4
Blass insère un entre ἀκάταρτα et βοῶνθα ...
5
Jean 4.25.
6
Antiq., 20, 7, 2.
7
Comparez Edm. Stapfer, dans l'Encyclopédie de Lichtenberger, art. Simon le magicien.
8
Constit. apost., lib. VI, cap. 9, d'après la patrologie de Migne.
9
Ouv. cité, p. 168-170.
10
Justin-Martyr, ajoutons-le, peut avoir mal lu ou mal interprété l'inscription de la fameuse statue élevée « Semoni Sanco. » Il peut aussi y avoir eu deux statues dans l'île du Tibre.
1
Ἐπετίθουν est peut-être à préférer à ἐπετίθησαν, pour marquer la continuité de l'action.
2
Comparez encore, sur l'imposition des mains, Stokes, I, 375-384.
3
Cours manuscrit.
4
εἴη ἐις  ; ellipse : que ton argent tombe en perdition et y reste !
5
Ἐπίνοια désigne déjà une pensée qui vient à l'esprit, donc imagination, projet.
6
Πικρίας peut se prendre comme genitivus appositionis.
7
Avec l'accusatif de la localité évangélisée, grécité postérieure.
8
On pourrait traduire : vers l'heure de midi ; comparez pourtant περὶ μεσημβρίαν, 22.6, et non pas κατὰ μεσημβ .
9
C'est-à-dire : elle traverse des lieux déserts. Nous lisons de même dans les Septante, 2 Samuel 2.24 : ὁδὸν ἔρημον Γαβαών .
10
Sur δυνάστης, comparez Luc 1.52 ; 1 Timothée 6.15.
11
Esaïe 56.3
12
Ἀρά γὲ est moins dubitatif que ἆρα  ; comparez Luc 18.8, et pourrait se traduire : est-ce donc que ?...-- On notera la paronomasie entre γινώσκεις et ἀναγινώσκεις .
13
De περιέχω  ; comparez 1 Pierre 2.6. -- Περιοχὴ n'est pas exactement synonyme de περικοπή, coupure.
14
Comparez Matthieu 5.2 ; Actes 10.34.
15
Je demande au reste, avec M. L. Gautier (ouv. cité) : pourquoi vouloir absolument ici une source ? La moindre flaque d'eau aurait suffi.
16
A lit après πνεῦμα les mots : ἅγιον ἐπέπεσεν ἐπί τὸν εὐνοῦχον, ἄγγελος δὲ κυρίου, etc.
17
Εὑρέθη εἰς en sous-entendant ἡρπάγμενον  : il fut trouvé enlevé jusqu'à...
18
Καισάρεια Σεβαστὴς . Jos. Antiq., XVI, 5, 1. Voir aussi l'article Césarea dans Herzog, R. Encycl. Ce nouveau nom remplaçait celui de « Tour de Straton. »
1
Equit., 4, 37. Ἀπειλῆς, φόνου sont ainsi des genitivi partilivi ; comparez ὅζειν τινος, et Winer, Gramm., § 30, 9.
2
Josèphe, Bell., 2, 20, 2, parle de plusieurs milliers de Juifs tombés à Damas dans la guerre contre les Romains.
3
Comparez Stokes, II, 32-34.
4
Galates 1.13 ; Philippiens 3.6 ; 1 Timothée 1.13.
5
22.6 ; 26.13.
6
περιαστράπτω  ; ἀ'π Circumfulgeo.
7
Employé par les Septante.
8
Recognit clement., lib. I, cap. 70, 71. Ediclit J.-P. Migne.
9
Epiph., Adv. Hæres., lib. I, tome II, 17. (Cura D. Petavii.)
10
Comparez entre autres Marc 4.33 ; 1 Corinthiens 14.2 ; Galates 4.21.
11
Les apôtres, p. 175-183.
12
Opinion soutenue par Farrar, Life of Saint Paul, I, excursus X. -- Comparez Stokes II, 50. Nyegaard, Revue chrétienne, 1892, p. 469.
13
Acta Sanctorum, 25 janvier. II, 613.
14
Ῥύμη, proprement tradus, espace allongé, de ῥύω, traîner.
15
Les mots ἐν ὁράματι, manquent dans א, A. Donnés par B, C et par la Recepta, ils sont peut-être une explication, mais peuvent être conservés.
16
Paulus, I, 82.
17
Voir 2 Corinthiens 4.7 le même emploi métaphorique de ce terme.
18
« Comparez Galates 1.15-16 et surtout 1 Corinthiens 9.27.
19
Je renvoie le lecteur, pour une étude plus détaillée de la conversion de Saul, au chapitre III du livre de M. le professeur Aug. Sabatier : L'apôtre Paul (2e édit.). Avec l'expression d'un regret, toutefois : c'est que le savant auteur, après avoir fort justement rattaché cette conversion à la résurrection du Christ, nous laisse dans le doute quant à la réalité de celle-ci. Pourtant, la résurrection est bien de l'histoire, et non de la métaphysique seulement (p. 47).
1
Cette appellation ne se retrouve dans tout notre livre que 13.33, dans une citation.
2
Πορθέω, comme Galates 1.13.
3
Συμβιβάζων  ; comparez 1 Corinthiens 2.16. Littéralement : réunir, rapprocher des éléments, pour conclure par comparaison entre différents termes mis à côté les uns des autres ; puis : démontrer, conclure.
4
J'avoue préférer cette solution à celle de M. Sabatier qui dit ici de notre auteur : « Nous ne pouvons pas nous fier à lui comme précédemment. » (Ouv. cité, Introd. XX.)
5
Farrar place ici une des cinq flagellations subies par Paul, 2 Corinthiens 11.25 .
6
Παρέτηροῦντο à préférer à παρέτηρουν τε, même verbe Luc 20.20. Ἡμέρας καὶ νυκτὸς, façon de compter païenne ; un Juif eût dit : νύκτα καὶ ἡμέραν  ; comparez Actes 20.31.
7
Καθῆκαν (καθὶημι), comparez Luc 5.19 ; σφυρίς, ou mieux σπύρις (σπεῖρα), aliquid volutum ; objet tressé, panier, corbeille ; comparez Matthieu 15.37 ; 16.10 ; Marc 8.8,20.
8
Comparez Bishop Lightfoot, Comment, on the Epist. to the Galatians, 95 et 96.
9
ἐίς Ἰερουσαλημ de א, A, B, C doit être retenu contre ἐν Ἰεπρουσαλημ .
10
Deux fois de suite, le verbe παρρησιαζόμαι a pour régime ἐν τῷ ὀνόματι, comme si le nom de Jésus marquait la sphère dans laquelle cette hardiesse se déployait.
11
Ἐπεχείρουν indique même un commencement d'exécution du projet.
12
15.23.
1
Non pas : « Elle était remplie du Saint-Esprit ; » mais grâce à lui, à son action réveillante sur les âmes, le nombre de ses membres augmentait. Sur πορευομέν τῷ φόβω comparez περιπατεῖν τοῖς ἔθεσι, 21.21.
2
Voir Jos., Antiq., 18, 8, 2-9 ; Bell., 2, 10.
3
Comparez οἰκοδομεῖν au sens spirituel, 1 Corinthiens 8.1.
4
Antiq., 20, 6, 2.
5
L'impérat. aor. marque une action à faire immédiatement.
6
Voir Lightfoot, Hor. hebr., centur. chograph. Matthæo praemissa, p.38.
7
Οιτινες = quippe qui.
1
Jos., Bell., 4, 3, 5.
2
Μαθήτρια, terme rare, pour μαθήτρις .
3
Λούσαντες est peut-être accordé avec μαθηταὶ qui suit. Car cet office devant ici être rempli par des femmes, il eût fallu : λουσάσαι .
4
Lire μὴ ὀκνησῇς avec A, B, C. -- ὄκνος cunctatio. Le verbe est hapax.
5
Sur διελθεῖν ἕως, comparez Luc 2.15.
6
Βυρσεύς  ; ou βυρσοδέψης, corroyeur ; de βύρσα peau apprêtée, cuir.
7
Urchristenthum, p. 570.
1
« Loin de marchander les éléments surnaturels de ce récit, nous en prenons acte ; parce qu'ils nous font voir que, dans l'esprit du narrateur même, il n'en fallait pas moins pour engager Pierre dans cette voie nouvelle ; qu'une révélation subsidiaire était indispensable pour le convaincre qu'un païen pouvait recevoir le baptême, chose qu'il ignorait encore et que ses collègues ont de la peine à croire. » Reuss, La Bible ; histoire apostolique, p. 122.
2
La σπεῖρα était proprement la dixième partie de la légion ; Polybe l'assimile à la manipule, trentième partie de la légion.
3
Hist., I, 59, 64.
4
Faut-il mettre en parallèle de cette narration si simple la bizarre hypothèse d'Ewald ? D'après ce docteur, Corneille aurait hésité d'abord à faire venir Pierre chez lui ; puis il aurait reçu d'en haut (comment ?) la certitude que c'était sondevoir, et il aurait attribué cette conviction à une intervention angélique !
5
La Recepta ajoute à la fin du verset : οῦτος λαλήσει σοῖ τί σε δεῖ ποιεῖν addition condamnée par les meilleurs manuscrits, et peut-être empruntée à 9.6. Même remarque à la fin du v. 32.
6
Comme 8.13. Avec le datif de la chose : persévérer dans, 1.14 ; 2.42.
7
Δῶμα désigne proprement non le toit, mais la maison, Luc 5.19.
8
Πρόσπεινος, insuper esuriens ; hapax.
9
Γεύσασθαι, littéralement « goûter. »
10
La Recepta dit même « tomba » sur lui. Mais les meilleures leçons donnent ἐγένετο et non ἐπέπεσεν .
11
Ὀθόνη, drap, nappe ; diminutif : ὀθόνιον, Luc 24.12. -- Après ἀρχαῖς Recepta, d'après C, lit δεδεμένον  ; à retrancher d'après א, A, B.
12
Le texte de ce verset est passablement altéré, en partie d'après 11.6. Après ἕρπετα la Recepta ajoute : καὶ τά θηριά . La leçon la plus probable me paraît être : ἐν ῷ ὑπηρχεν πάντα τὰ τετράποδα καὶ πετεινὰ τοῦ οὐρανοῦ . (Voir Frid. Blass : Acta apostolorum, editio philologica ; Göttingen, 1895, p. 125.)
13
Lire les intéressantes considérations de Calvin sur ce sujet.
14
Ὀυδεποτε πᾶν, hébraïsme correspondant à οὐδέν .
15
Ἐπὶ indiquant le terminus ad quem.
16
L'imparfait ἐπυθάνοντο, marquant l'action continuée, me paraît préférable à ἐπύθοντο .
17
Après ἄνδρας, la Recepta ajoute τοὺς ἀπεσταλμένους πρὸς αὐτόν  ; ces mots ont été probablement introduits pour les besoins de l'anagnose, parce qu'une péricope commençait à καταβὰς δὲ .
18
Χρηματιζω faire des χρήματα = des affaires ; puis : traiter des affaires publiques ; donner réponse à des consultants ; communiquer des ordres divins. Dans Actes 11.2 et Romains 7.3, donner un nom tiré des affaires qu'on traite ou de la vie qu'on mène.
19
Le manuscrit D introduit le verset 25 par une description un peu lourde et, probablement, apocryphe quant au texte : « Comme Pierre s'approchait de Césarée, un des esclaves, courant en avant, annonça qu'il était arrivé. Mais Corneille s'étant élancé à sa rencontre,... » etc.
20
Lee τοῦ entre ἐγένετο et εἰσλεθειν peut être retranché malgré l'appui de א, A, B, C, E. comparez cependant 3.12 ; 7.19.
21
Συνομίλω est un hapax.
22
Hor. hebr., in Mat. 18.17, p. 396.
23
Comparez Jos., Contra App., II, 28 : Περὶ τῆσ προς ἀλλοφύλους ἐπιεικείας
24
Ἀναντιρρήτως  ; l'adverbe est hapax, voir l'adjectif 19.36.
25
Blass (ouvr. cité, p. 128), voit dans le ἀπό τετάρτης ...le synonyme du latin « nudius quartus ; » mais il suppose que le texte primitif pourrait bien avoir été simplement : πρό τετάρτης ἡμέρας ταύτης ἥμην (comme dans Jean 12.1).
26
D, suivi par la Vulgate, lit ἐνώπιον σοῦ . Erreur évidente ; Corneille attend de Dieu la réponse à ses questions, la fin du verset l'établit.
27
Blass (p. 130) observe que « les très graves embarras du verset 36 seraient enlevés si l'on retranchait du texte le mot κύριος . » On rapporterait alors οὖτος à τὸν λόγον écrit à l'accusatif par attraction du relatif ὅν que Blass retient. Construction analogue à celles de Matthieu 21.42 ; Luc 20.17 ; 1 Corinthiens 10.16 τὸν ἄρτον ὅν κλῶμεν ...ἐστίν . Au verset 37, le même auteur propose de retrancher ἀρξάμενος ἀπο τῆς Γαλ .
28
Comparez cette expression à ἐγένετο ῥῆμα θεοῦ ἐπὶ Ἰωάννην, Luc 3.2.
29
Employé aussi Jacques 2.6.
30
Ces deux notions : « Par la main de Dieu » et « d'avance » sont renfermées dans le terme hapax : προκεχειροτονημένοι .
31
Comparez 1 Pierre 4.5.
32
D'après 11.15, il commençait seulement.
33
Κωλύειν τί τίνος, arœre aliquid ab aliquo.
1
Ἐμνήσθην τοῦ ῥήματος ...ὡς ἔλεγεν ; pléonasme comme Luc 22.61.
2
Πιστεύσασιν peut se rapporter à ἀυτοῖς et à ἡμῖν .
3
L'imparfait ἑδοξαζον de A est probablement à préférer à l'aor. ’δόξασαν  ; l'action a dû se prolonger quelque temps.
1
Actes 21.3 ; 27.3.
2
א, A, D lisent : Ἑλληνας Reuss, je ne puis comprendre pourquoi, déclare absurde la leçon Ἑλληνιστάς appuyée par B, D2, E, H. Les évangélistes ont pu commencer par les hellénistes avant de passer aux Grecs.
3
Comparez Jos., Bell., 7, 3, 3 : « La nation juive était, par toute la terre, fortement mélangée aux indigènes ; en Syrie surtout à cause du voisinage, et très particulièrement à Antioche. »
4
Comparez encore : Farrar, Saint Paul, I, 289 et suiv. ; Renan, Les apôtres, 221 et suiv.
5
Διελθεῖν entre Βαρνάβᾶν et ἕως Ἀντιοχείας manque dans א, A, B, probablement avec raison.
6
Ἐν devant τῷ κυρίῳ n'est pas suffisamment appuyé. πρόθεσις, proprement « exposition ».
7
Le manuscrit D donne ici une longue addition : « Ayant entendu que Saul était à Tarse, il sortit pour le chercher, et l'ayant rencontré, il l'exhorta à venir à Antioche. »
8
1 Pierre 4.16.
9
א dit ici χρηστιανοὺς  ; B χρειστιανούς .
10
Ann., XV, 44.
11
Sur le sens de χρημάτιζω, voir à 10.22.
12
Comparez Lechler, p. 162.
13
Ce nom peut venir de חָגָב sauterelle, ou de עָגָב brûler d'ardeur.
14
Λίμος étant des deux genres, on peut lire μεγάλη, ou μέγαν .
15
Καισάρος de la Recepta manque dans A, B, D.
16
« Arctiore autem annona ob assiduas sterilitates. »
17
« Frugum quoque egestas et orta ex eo fames. »
Ces deux auteurs racontent une émeute soulevée contre Claude par suite de la disette.
1
Comparez Antiq., 13, 9, 1 ; 15, 7, 9 ; 14, 15, 2.
2
Cité par Bonnet, Actes, 299.
3
Hist. eccl., II, 9.
4
Προσέθετο comme דַיוֹספ . Cet hébraïsme n'est pas rare dans le troisième évangile : Luc 19.11 ; 20.12.
5
Luc 22.1 donne aussi à la Pâque le nom de ἑορτὴ τῶν ἀζύμων.
6
Ἐκτενῶς d'après א, et B, ou peut-être ἐκτενὴς  ; D ἐν ἐκτενεία littéralement : avec tension, sans penser à autre chose ; nous lisons Luc 22.44 : ἐκτενέστερον .
7
Ἐτήρουν τὴν φυλακήν  : ils gardaient la prison ; et non : ils faisaient la veille.
8
Nous rencontrons οἴκημα dans les sens de habitation, chambre, cage, prison, cachot.
9
Ζῶσαι, (impératif aor. 1er moy. de ζώννυμι), donné par A, B, D, doit probablement être préféré à περίζωσαι .
10
Ἀυτομάτος se dit habituellement des personnes ; mais Marc 4.28 de la terre.
11
Προδοκία, non pas l'objet de l'attente, mais l'attente elle-même.
12
Sur ἀπὸ τῆσ χαρᾶς, comparez Luc 24.41.
13
Même μαίνῃ que 26.24.
14
Le passage Matthieu 18.10 ne me semble pas non plus favorable à la théorie de l'ange gardien.
15
Κατασείω, avec τῇ χειρὶ ou τὴν χεῖρα  ; 19.33 : secouer, agiter la main, ou de la main ; faire signe.
16
Des commentateurs ont nommé Antioche. Ce serait plus admissible. Mais la suite ne fait nulle allusion à un séjour de Pierre dans cette ville à cette époque.
17
1 Rois 5.9-11 ; 2 Chroniques 2.9-15 ; Ezéchiel 27.17.
18
Δημηγορεώ δῆμοσ et ἀγορεύω, adresser la parole au peuple, concinnor.
19
Correspondant au 1er août, d'après Conybeare et Howson, I, 124.
20
2 Samuel 24.17 ; 2 Rois 19.35.
21
2 Macchabées 9.9-12.
22
Voir Feuille religieuse du canton de Vaud, 14 mars 1886, p. 118.
23
Même déclaration, dans les mêmes termes que 6.7. On dirait d'un cantique, presque d'un refrain triomphal, d'abord avant, maintenant après une persécution. Il reparaîtra 19.20 après les victoires remportées à Ephèse, et avant l'émeute suscitée par Démétrius.
1
τινές devant προφῆται est probablement à retrancher avec A, B, D.
Κατὰ τὴν οὖσαν ἐκκλησια = sous la direction de l'Eglise qui s'y trouvait. Ou avec le sens distributif de κατὰ  : dans chaque Eglise qui se trouvait. Holtzmann : « Bei der vorhandenen Gemeinde. »
2
D ajoute πάντες devant νηστεύσαντες, addition conforme au sens.
3
Le αὐτοι de א, A, B se recommande contre οἱ de D et οὗτοι de la Recepta.
4
Le Dr Ramsay ne rabaisse-t-il pas un peu trop le rôle de Marc en affirmant qu'il n'avait pas été choisi par l'Esprit, que l'Eglise ne l'avait pas délégué, qu'il était un simple « surnuméraire » pris par Barnabas et par Saul sous leur propre responsabilité ? (S. Paul the traveller, p. 71.)
5
Dion Cassius, 53, 12 ; 54, 4 : Τότε ὀῦν καὶ τὴν Κύπρον καὶ τὴν Γαλατίαν τήν Ναρβωνησίαν ἀπέδωκε τῷ δήμω ...καὶ οὐτώς ἀνθύπατοι καὶ ἐς ἐκεῖνα τὰ ἔθνη πέμπεσθαι ἥρξαντο .
6
Voir Stokes, II, 205.
7
En araméen : « fils de Jésus. » Quelques Pères, pour ne pas accoler le nom de Jésus à celui d'un faux prophète, l'appellent Barjéu ou Barsuma. Blass et Ramsay adoptent au lieu de Ἐλύμας la leçon Ἐτοίμας, très peu appuyée.
8
2 Timothée 3.8, où nous lisons le même verbe ἀντίσθαναι .
9
Comme Pierre devant le sanhédrin, 4.8.
10
De viris illustribus, I. (Dans les Œuvres, publiées par Aimé Martin, p. 3.)
11
Nous le verrons seulement 14.14 ; 15.12,25, et, pour des raisons faciles à saisir, nommé après Barnabas.
12
Même expression Luc 4.13.
13
Ἀχλὺς est hapax. Littéralement : brouillard, puis nuage sombre, ténèbres ; ἀχλύω obscurcir et s'obscurcir.
1
Ἀνάγεσθαι, en parlant d'une navigation : être conduit en pleine mer ; in altum mare ferri.
2
א, A, B, C lisent τὴν πισιδιάν, comme un adjectif, au lieu de τῆς Πισιδίας .
3
Sur cette habitude, comme sur tout le culte ancien de la synagogue, comparez les très intéressantes pages de Edersheim, The Life and Time of Jésus the Messiah, I, Book III, chap. 10.
4
Nous ne saurions cependant y voir avec Baumgarten, I, 34-59, l'écharde dans la chair de l'apôtre.
5
Edersheim, dans l'ouvrage cité plus haut, en doute fortement.
6
Je me permets de renvoyer, pour l'étude de Paul considéré comme orateur, à des articles que j'ai publiés dans le Chrétien évangélique, 1895, p. 3, 53, 101.
7
Vocation des patriarches ; séjour en Egypte ; exode ; le désert ; extermination des Cananéens ; partage du pays ; les juges ; Samuel ; Saül ; David.
8
Avec des titres différents, Hackett fait la même division.
9
Παροικία, habitation dans un séjour qui n'est pas l'οἰκία ordinaire, donc à l'étranger. comparez 1 Pierre 1.17.
10
Κατεκληρονόμησεν doit être préféré au κατεκληροδότησεν des Septante.
11
Μεταστήσας peut faire allusion au rejet de Saül, 1 Samuel 15.23, ou bien à sa mort, ce qui est moins probable.
12
ἤγαγεν doit être préféré à ἤγειρεν de la Recepta.
13
Nous traduisons ainsi εἰσόδος, et nous ne pouvons y voir, avec quelques Pères, l'idée de l'incarnation.
14
Δρόμος est employé dans le même sens par Paul parlant de lui : Actes 20.24 ; 2 Timothée 4.7.
15
Ὑμίν d'ailleurs est donné par la Recepta, mais contre א, A, B, D.
16
Ἐπὶ pour indiquer une durée, comme Luc 4.25 devant ἔτη dans quelques manuscrits.
17
Notons εὐαγγελίζεσθαι avec double accusatif. -- Le ἡμῶν après τέκνοις est appuyé par א, A, B, C, D. Ἐπαγγελία est, dans le Nouveau Testament, la promesse du salut ; ἐυαγγέλιον la bonne nouvelle de l'accomplissement de cette promesse. Comparez Liddon, On the Romans, p. 3.
18
Voir Delitzsch, Commentar über die Psalter, in loc. Suivant Meyer, les mots ἐν ψαλμῶ πρώτῳ seraient non de Paul, mais de l'historien. C'est peu probable. -- א, A, B, C, lisent δευτέρῳ .
19
Ainsi l'entend Bengel.
20
Nous rattachons ἐν τούτῳ à δικαιοῦται plutôt qu'à πιστεύων . -- ὡν après πάντων est pour ἀφ’ ὠν .
21
Il faut retrancher après Ἐξιόντων αὐτῶν les mots : ἐκ τῆς συναγωγῆς τῶν Ἰουδαιῶν  ; et retrancher aussi après παρεκάλουν le τὰ ἔθνη de la Recepta, qui donnerait un sens inexact.
22
ἐχομένω à préférer à ἐρχομένω  ; comparez 20.15 ; 21.26.
23
Citation à peu près textuelle d'après les Septante. Le verbe ἐντέλλεω est presque toujours au moyen dans le Nouveau Testament.
24
Présenter les deux termes du problème, les maintenir sans sacrifier l'un à l'autre, c'est le devoir de l'exégèse. Essayer la conciliation, c'est la tâche de la dogmatique.
25
Ramsey, qui place cette Antioche en Galatie, veut que Paul y ait été retenu par la maladie indiquée Galates 4.13. Ce mal aurait été une attaque de malaria ( ?) ; ouv. cité, p. 92-94.
1
« Dans le même lieu » se dirait ἑπί τὸ ἀυτό .
2
Κακόω n'a ce sens qu'ici dans le Nouveau Testament, mais comparez Jos., Antiq., 16, 7,3 : ἐκακοῦτο ταῖς ὑποψίαις .
3
Ἐπὶ τῷ κύριω, freti Domino.
4
Comparez Jean 7.43.
5
Οῥμὴ, comme Jacques 3.4.
6
Il y aurait donc eu à Iconie deux soulèvements (v. 2 et 4) interrompus par une reprise de la mission. (Vers. 3.) Le manuscrit D éclaire peut-être la situation en lisant au verset 3 : « Mais les chefs de la synagogue des Juifs et les principaux conduisirent contre eux une persécution. Mais le Seigneur donna vite la paix. »
7
Λύστρα, est ici un féminin singulier ; au verset 8 un neutre pluriel.
1
L'imparfait ἤκουεν paraît à conserver contre ἤκουσεν de A. Au verset 8 quelques manuscrits donnent περιπεπατήκει, le plus-que-parfait sans augment.
2
A préférer à l'imparfait ἥλλετο de la Recepta.
3
Mélam., VIII.
4
On dit ainsi : παρὰ Διΐ, ad forum Jovis.
5
Στέμματα proprement des bandelettes pour tresser des couronnes ; de στέφω, ἐστεμμαι, couronner.
6
J'appliquerai volontiers ici la remarque de M. le professeur E. Combe : « Les livres historiques du Nouveau Testament et surtout leurs dialogues et leurs discours ne sont pleinement et vraiment intelligibles pour nous qu'en les lisant à haute voix dans le texte original, et en suppléant l'intonation, les gestes, les mouvements, c'est-à-dire en constituant par l'imagination la scène elle-même. » (Annales de bibliographie théologique, 15 novembre 1897, p. 172.)
7
Comparez une opposition analogue 1 Thessaloniciens 1.9.
8
Παροιχόμαι, passer outre.
9
A, B, C lisent ἀγαθουργῶν, contre ἀγαθοποῖων .
10
Sur κατέπαυσαν τοῦ ...comparez κωλυσαι τοῦ de 10.47.
11
Ce verset 19 commence dans D, par : διατριβόντων αὐτῶν καὶ διδασκόντων  ; probablement début d'une péricope.
12
Νομίζοντες de A, B, C paraît préférable à νομίσαντες .
1
Entre καὶ et ὅτι il faut sous-entendre un λέγοντες, renfermé en quelque sorte dans παρακαλοῦντες . La brusque apparition du ἡμᾶς mérite d'être notée. Mais en peut-on conclure avec Ramsay que l'auteur écrivait pendant une persécution ? (p. 123.)
2
Voir encore χειροτονέω 10.41 ; 2 Corithiens 8.19.
3
Si je fais rentrer dans cette deuxième partie le premier voyage de Paul, c'est que je ne vois pas l'Eglise définitivement établie chez les Gentils avant la Conférence de Jérusalem.
4
Paulus, I, p. 151.
5
Τίνες, dit simplement le texte, comme Galates 2.12.
6
Je regrette de voir cette réflexion si simple écartée dans le bel ouvrage du Dr Ramsay. « L'acte, dit-il, qui eut pour résultat le concile de Jérusalem et son décret inefficace ne provenait point d'une révélation divine.... » (Paul the traveller, p. 154.) Qui en a informé le savant auteur ?
7
Dans Tite 3.13, et peut-être 3 Jean 1.6, le terme προπέμπω semble signifier : fournir des viatiques.
8
Note d'un cours manuscrit.
9
2 Corinthiens 1.24
10
A, B, C lisent ἐν ὑμῖν devant ἐξελέξατο, א ἐν ὑμῖν, qui pourrait bien être une correction.
11
Καρδιογνώστης, comme 1.24.
12
Ἐπιθεῖναι est rattaché sans article ni particule à ce qui précède.
13
Plus exactement : Siméon, comme 13.1, vraie reproduction de שִׁמְוֹנ trouve aussi sous la forme שִׁימוֹנ  ; Voir 1 Chroniques 4.20-24.
14
Le terme κατεσκαμμένα, participe parfait passé de κατασκάπτω, comparez Luc 6.48 ; Romains 11.3, est remplacé dans quelques manuscrits par κατεστράμμενα (καταστρέφω) adopté par Tischendorf.
15
Dans παρενοχλέω, le substantif ὄχλος a le sens de « trouble, » parce qu'une foule devient aisément une « turba. » Comparez ἐνοχλέω, Luc 6.18.
16
Ἐκλεξαμένους, suivant l'usage constant du Nouveau Testament, est un moyen, non un passif. L'accusatif s'explique par un ἄυτους sous-entendu : Il parut bon,...eux s'étant choisi des hommes d'entre eux, les envoyer à Antioche.
17
Ἡγουμένοι dans le même sens que Hébreux 13.7,17,24.
18
Le nominatif γφάψαντες se rapporte à un ἀπόστολοι compris dans le ἀπόστολοις du verset 22.
19
ἀνασκευάζω, rassembler des σκεῦη pour les enlever ; mettre sens dessus dessous ; désorienter.
20
Ἐκλεξαμένους doit ici comme au verset 22 être préféré à ἐκλεξαμένοις de A, B, C.
21
Βάρος remplace ζυγὸν du verset 10 ; même mot dans le même sens Apocalypse 2.24.
22
On sous-entend ὅντων après τούτων . ἀπεχέσθαι est construit par exception sans ἀπὸ avec ἐξ au lieu de ἀπὸ .

TROISIÈME PARTIE

1. SECOND VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL. L'ÉVANGILE EN EUROPE

§ 1.
D'Antioche à Lystre ; Timothée : 15.35 à 16.5
§ 2.
Paul à Philippes : 16.6 à 16.40
§ 3.
De Philippes à Athènes : ch. 17
§ 4.
Paul à Corinthe. Retour à Antioche : 18.1 à 18.22

§ 1. D'Antioche à Lystre ; Timothée

15.35   La durée du séjour de Paul et de Barnabas à Antioche après la conférence de Jérusalem ne peut pas être déterminée avec certitude. L'auteur écrit seulement au verset 36 μετὰ τίνας ἡμέρας, pour indiquer leur départ. Comme ils eurent le temps d'enseigner et d'évangéliser en compagnie de plusieurs autres frères, ils poursuivirent sans doute ce travail pendant quelques mois de l'an 51. L'Eglise avait besoin d'eux, après la secousse dont elle avait été ébranlée un moment. Nous croyons pouvoir placer, au moins avec une grande probabilité, pendant cette même époque la controverse soulevée entre Pierre et Paul par la question des rapports à observer avec les ethnico-chrétiens. (Galates 2.11 et suiv.)

Le silence des Actes au sujet de cette discussion ne doit pas nous surprendre ; elle ne rentrait pas directement dans le cadre de l'auteur et n'ajoutait pas d'éléments très nouveaux à son histoire des progrès de l'Eglise. Schneckenburger ne voulait pas se contenter de cette raison, trop simple à ses yeux. Le livre des Actes poursuivant toujours, d'après ce critique, le but « tendentiel » d'effacer jusqu'à la moindre trace de rivalité entre Paul et les Douze, aurait supprimé la dispute d'Antioche. Mais il l'aurait fort habilement voilée en racontant la petite querelle survenue entre Barnabas et Paul...(Vers. 37-39.) Et c'eût été vraiment très habile. Pour mieux montrer son accord parfait avec Pierre, Paul aurait énergiquement refusé la société de Marc, aimé par cet apôtre comme un fils. (1 Pierre 5.13) La critique fait quelquefois de bien jolies découvertes !

Ce récit, auquel nous arrivons, d'un dissentiment momentané entre Paul et Barnabas, aura sans doute été raconté par l'apôtre lui-même à notre écrivain, comme preuve de sa position indépendante vis-à-vis des hommes. Ce nuage passager n'enleva rien, du reste, à son affection pour son compagnon de travail, et trois passages de ses épîtres nous prouvent en quelle estime il le tenait. (Galates 2.9 ; 1 Corinthiens 9.6 ; Colossiens 4.10)

15.36   Nous n'entendons pas ici le Saint-Esprit ordonner ce second voyage missionnaire, comme il avait ordonné le premier. L'initiative vient de Paul : Retournons, dit-il. Inspectons les troupeaux formés à l'étranger et voyons comment ils se trouvent (πῶσ ἔχουσιν). C'est vrai. Mais il serait bien imprudent de conclure de là à l'inactivité du Saint-Esprit dans cette circonstance. Ne peut-il donc pas avoir manifesté sa volonté précisément par la parole de l'apôtre ? Nous en serons persuadés quand nous verrons les succès de cette seconde mission, commencée pourtant avec le projet modeste d'une simple inspection et non de fondations nouvelles. Barnabas, d'autre part, ne semble pas s'être élevé à toute la hauteur de la tache. Nous le voyons conduit, retenu, par des considérations de famille. La faute de Marc au cours de la première expédition ne lui paraît pas si sérieuse ; il entend1 le prendre encore maintenant.

15.38   Alors Paul résiste. Il devait avoir pour cela de fortes raisons. Sans les exprimer, le texte se borne à ces mots, où le verbe ἠξίου a deux régimes un peu différents : Il n'estimait pas digne celui qui s'était séparé d'eux en Pamphilie,...qu'il convînt de prendre avec eux celui-là. Ce jeune homme s'était donc rendu indigne de la confiance de l'apôtre. C'était, admettons-le, simple manque de persévérance ; mais un pareil déficit peut avoir dans la mission des conséquences terribles. Barnabas n'a pas l'air de s'en douter. Est-il un peu, comme le suggère Baumgarten, pareil à Staupitz devant Luther ? Peut-être. Ses visées s'élèvent moins haut. Il n'abandonnera point son sentiment et il n'étendra pas ce second voyage en dehors de l'île de Chypre, sa patrie, terrain plus connu et moins dangereux. -- Une autre supposition est, au reste, permise. Si, comme nous l'avons admis, la dispute entre Paul et Pierre dans Antioche se place à cette date, Barnabas en a été certainement touché. « Lui aussi, lisons-nous Galates 2.13, avait été entraîné par leur hypocrisie, » celle de Pierre et de ses partisans. N'aura-t-il point été blessé de la vive répréhension de Paul ? Ne se serait-il point regimbé quelque peu contre son ancien collègue ? Barnabas était un homme, après tout, et pas un ange. Quand à ce premier sujet de mécontentement s'est joint le refus d'emmener son jeune cousin, la coupe aura débordé. Et il y eut à ce propos quelques mauvais moments ; la discussion devint un παροξυσμὸς  ; littéralement : une exaspération2.

15.39   Jetterons-nous pour cela tous les torts sur Barnabas ? Nous ne pensons pas en avoir le droit. Paul peut avoir été trop sévère pour Marc et pour son cousin ; lui non plus il n'était pas parfait. Il eut assurément le droit de faire entendre la déclaration de son Maître : « Celui qui met la main à la charrue et qui regarde en arrière... » (Luc 9.62. Mais il peut l'avoir appliquée trop vivement et sans laisser voir assez de confiance dans le relèvement possible du jeune homme. Il doit avoir regretté plus d'une fois cette rupture avec le fidèle ami des premiers jours, le compagnon vaillant de la première mission. Il sut plus tard noblement insister sur les mérites de Marc (Colossiens 4.10 ; 2 Timothée 4.11) ; et Marc de son côté, devenu « fort utile pour le ministère, » racheta sa faiblesse passée en allant visiter l'apôtre en prison. (Philémon 1.24) Ainsi l'Ecriture est assez franche, assez sûre d'elle-même, pour nous signaler des erreurs et des disputes au sein de ses prophètes et de ses apôtres. Elle a d'autant plus de droit à notre confiance quand elle nous montre le Seigneur tirant le bien du mal, et faisant tourner à sa gloire jusqu'à la vive discussion survenue entre un Paul et un Barnabas !

En effet, deux tournées missionnaires au lieu d'une vont en être le résultat. Deux partis se sont formés ; ils se séparent l'un de l'autre (ἀπ’ ἀλλήλων)...et l'Eglise n'y perdra rien. Deux frères retournent vers le midi, dans une île où il reste encore énormément à faire ; deux autres marcheront vers l'ouest, du côté de l'inconnu. A l'école de Barnabas, Marc, sans doute, acheva de se former pour sa tâche. Les « bollandistes » consacrent à son histoire, plus ou moins légendaire, un long article dans les Acta sanctorum (avril).

15.40   Paul, de son côté, possède encore toute la confiance de l'Eglise d'Antioche et, semble-t-il, toute son approbation. Sans blâmer aucunement son choix de Silas, elle le confie à la grâce du Seigneur. Les deux voyageurs se mettent alors en route pour traverser la Syrie et la Cilicie, fortifiant les Eglises. Paul aura naturellement profité de cette occasion pour revoir Tarse. Sa visite dans cette ville, supposent quelques exégètes, aurait eu pour résultat la conversion de sa sœur et de son neveu (23.16) ; impossible de rien affirmer sur ce point. Son compagnon et lui partiront de là pour un voyage hérissé de difficultés même encore aujourd'hui ; du sud-est de l'Asie Mineure ils aboutiront aux rives de l'Hellespont. Grâce à de nombreux arrêts, ils n'auront guère pu faire un si long trajet en moins de dix-huit mois. Dans les débuts tout au moins, ils ont pu se servir d'une belle voie romaine, tracée entre Tarse et Derbe, et Paul retrouve enfin dans cette dernière localité et dans Lystre des disciples laissés après son premier passage3. Il prêche tout en voyageant ; il exhorte surtout les membres des Eglises à observer les décisions de Jérusalem. (16.4)





16.1   L'épisode le plus important de cette portion du voyage c'est la rencontre de Paul avec Timothée et l'entrée de ce jeune disciple dans la carrière missionnaire. Croyant, il l'était déjà ; son titre de μαθητής l'indique ; il héritait de la piété de sa mère et de celle de son aïeule (comparez 2 Timothée 1.5) ; en outre, les frères de Lystre et ceux d'Iconie lui rendaient un bon témoignage. Nulle mention particulière de son père, sinon qu'il était Grec ; peut-être était-il mort au moment du passage de l'apôtre ; nous ne le retrouvons plus, ni dans les Actes, ni dans les épîtres ; nous ignorons si la foi de sa compagne avait exercé sur lui une salutaire influence. Cette famille habitait-elle Derbe ou Lystre ? Le texte, malgré une certaine incertitude, me paraît désigner plutôt la seconde de ces deux villes ; le ἐκεῖ du verset 1 est, en effet, en rapport direct avec Λύστραν . Si nous lisons 20.4 avec quelques manuscrits un καὶ entre Γαῖος Δερβαῖος et Τιμόθεος, nous appliquerons l'épithète de « Derbéen » à Gaïus seul, et notre hypothèse au sujet de Timothée serait confirmée4. En donnant à ce zélé compagnon le titre de τέκνον (1 Corinthiens 4.17), Paul nous le présente comme son fils spirituel, converti probablement par son ministère et déjà peut-être, nous l'avons dit, lors de la première visite de l'apôtre à Lystre. On lui attribue généralement une vingtaine d'années à peine au moment où le voyageur l'emmène avec lui.

16.3   Or le missionnaire n'a pas hésité longtemps à faire choix de ce nouvel associé. Le jeune homme, de son côté, ne paraît point avoir résisté ; sa famille ne fait pas non plus d'opposition ; et pourtant, ils connaissaient tous les dangers de la carrière où il allait s'engager, les rues de Lystre en conservaient le témoignage. Mais tous aussi reconnaissaient les circonstances particulièrement favorables où Timothée se trouvait ; grec par son père, juif par sa mère, n'était-il pas très désigné pour une mission où il faudra porter l'Evangile aux Gentils comme aux fils d'Israël ? Plus indépendant que Marc, il aura cependant encore un puissant lien de filiation avec le peuple de la promesse. Restait la circoncision ; il ne l'avait pas reçue, fallait-il l'y soumettre ? L'apôtre répond par l'affirmative. Rien pourtant, dans cette occasion, ne le montre pressé par des objurgations ni accablé par des exigences. Il ne cède pas ; il décide par lui-même et de sa libre volonté. Or une telle démarche est un peu pour nous étonner. Paul, en la faisant, ne renonce-t-il pas en partie à son indépendance vis-à-vis de la loi et à ses principes les plus chers ? (Galates 5.2-6)

Nous ne le pensons pas. D'abord, d'après la loi romaine, l'enfant d'une famille mixte était rattaché d'habitude à la nationalité de la mère ; la loi juive décidait de même. Ensuite, et cette raison était autrement grave pour l'apôtre, ses principes mêmes le poussaient à circoncire Timothée. « Libre de toute entrave, il s'est assujetti à tous, afin de gagner un plus grand nombre. » (1 Corinthiens 9.19) « Toutes choses lui sont permises ; mais toutes n'édifient pas l'Eglise » (1 Corinthiens 10.23), et sa tâche est toujours de l'édifier. Il n'a.jamais vu dans la circoncision en soi un acte d'infidélité, tout en n'y voyant pas davantage une condition de salut. Si elle peut être utile à la mission, donc au règne de Dieu, il la conservera : n'étouffons pas la liberté au nom des principes de la liberté ! Contraindre un chrétien à se faire circoncire ? Nullement. Défendre à un Juif, même à un demi-Juif, de recevoir ce signe de l'alliance ? Pas davantage. Paul n'a pas circoncis Tile ; il circoncit Timothée. Et quand la circoncision aurait pour effet certain de ramener un croyant sous le joug des œuvres de la loi, alors il en détournera les Juifs et les Gentils ; il saura avertir sur ce point les Galates en termes suffisamment clairs.

Dans le cas particulier de Timothée, la sagesse de l'apôtre paraît évidente. Les missionnaires, de ville en ville, commenceront par s'adresser aux enfants d'Abraham. Il leur faudra, pour cela, parler dans les synagogues ; Timothée ne l'eût jamais pu s'il n'eût été circoncis. Il eût été, en outre, exposé à maints soupçons de la part de ses compatriotes., et les attaques dirigées contre lui auraient eu quelque apparence d'excuse. Or la mission a déjà devant elle assez d'obstacles inévitables. Elait-il prudent, disons plus, était-il chrétien d'en multiplier le nombre en se refusant à une démarche où la conscience ni la liberté ne perdaient aucun de leurs droits ? Jésus a-t-il commandé à ses disciples de chercher avant tout et toujours la persécution, et de braver les adversaires quand ils ne frappaient pas ? Certaines sectes l'ont affirmé ; mais je ne vois pas leurs prétentions justifiées par un seul mot des évangile. En vérité, j'appliquerais volontiers ici ces mots énergiques de Luther5 : « Si j'arrivais aujourd'hui au milieu des Juifs ; si je devais leur prêcher l'Evangile et si je les trouvai ; faibles dans la foi, je me ferais circoncire ; j'observerais leurs règles pour le manger et pour le boire. Car refuser de me conduire d'après leurs rites, ce serait me fermer la porte, à moi et à mon Evangile. » La prudence de Paul a bien été celle dont Jésus veut revêtir ses disciples à côté de la simplicité de la colombe. Baur et Zeller s'égarent quand ils tirent de sa conduite une objection contre l'historicité de notre récit.

Ajoutons ici quatre circonstances relatives à la vocation de Timothée, omises dans notre livre, mais signalées dans les épîtres de Paul. D'abord l'imposition des mains, conférée par les presbytres et par l'apôtre. (1 Timothée 4.14 ; 2 Timothée 1.6) Ensuite les prophéties, c'est-à-dire surtout les appels et les exhortations, adressés à ce disciple précisément à l'occasion de cette cérémonie. (1 Timothée 1.18 ; 4.14)

L'apôtre rappelle, d'autre part, une profession de foi faite par Timothée devant plusieurs témoins (1 Timothée 6.12), et des instructions particulières données, devant témoins aussi, par le père spirituel à son enfant. (2 Timothée 2.2) Autant de témoignages solennels et d'engagements sérieux dont la consécration de ce futur pasteur d'Ephèse paraît avoir été entourée.

Dès ce moment, Timothée est devenu l'alter ego de Paul. Il l'a représenté et remplacé à Thessalonique (1 Thessaloniciens 3.2), auprès des chrétiens de Macédoine (Actes 19.22), à Corinthe (1 Corinthiens 16.10), à Ephèse. (1 Timothée 1.3) Il s'associe à lui dans la composition ou tout au moins dans l'envoi de six épîtres : 1 et 2 Thessaloniciens, 2 Corinthiens, Colossiens, Philémon, Philippiens.

Nous ignorons la durée de ce second séjour de l'apôtre à Lystre. Nous l'en voyons repartir avec ses deux compagnons, Silas et Timothée, et maintenant il est dit de tous les trois : Comme ils traversaient les villes, ils leur remettaient (aux disciples) [le soin] de garder les résolutions décrétées par les apôtres et les anciens de Jérusalem. Ils en ont peut-être laissé de lieu en lieu des copies, tout en y joignant oralement mainte explication. Ces résolutions seront d'après 21.25, appliquées à l'ensemble des ethnico-chrétiens et partout elles ont produit d'excellents effets d'apaisement. De jour en jour les Eglises de la contrée se fortifiaient en foi et augmentaient en nombre. « Rarum incrementum, dit Bengel, numero simulet gradu. »

Nous ne nous étonnons plus du silence gardé par Paul dans ses épîtres au sujet des décisions de la conférence. Nous ajouterons seulement aux remarques présentées plus haut sur cette question une intéressante notice historique.

L'accroissement admirable de l'Eglise née du sein des Gentils avait amené, nous l'avons vu, une interprétation toujours plus libérale de l'arrêté pris à Jérusalem. Mais il ne l'avait point fait tomber partout en désuétude, et les voyages de Paul avaient réussi, au contraire, à l'implanter pour très longtemps dans les troupeaux chrétiens. En l'an 177, un martyr de l'Eglise de Lyon est accusé de manger la chair de petits enfants. « Comment, répond l'Eglise, cela nous serait-il possible, à nous auxquels il n'est pas même permis de manger le sang des animaux muets6 ? » En 345, un roi de Perse veut contraindre les chrétiens « à adorer le soleil et à manger le sang des animaux. » Quel sens aurait cet ordre, si les chrétiens ne s'abstenaient pas alors de ces mets par motif de conscience ? Or il semble fort légitime de rattacher leur répugnance aux δόγματα de Jérusalem. Les Eglises de Syrie, celle d'Antioche, par conséquent, avaient eu des rapports fréquents avec des chrétiens de Perse. Et grâce à elles, au quatrième siècle de notre ère, les ordres de la conférence étaient encore observés jusque dans ce pays lointain7.

§ 2. Paul à Philippes

16.6   Les deux versets qui résument le voyage des trois missionnaires de Lystre à Troas présentent quelques embarras critiques. Le premier mot se rencontre sous la forme διῆλθον dans tous les manuscrits antérieurs au neuvième siècle, et dans les versions syriaque, copte, araméenne, éthiopienne ; on lit alors au verset 7 ἐλθόντες δὲ et l'on traduit, ou bien : « Ils traversèrent la Phrygie et le pays de Galatie, ayant été empêchés (parce qu'ils avaient été empêchés) de prêcher en Asie ; mais étant venus vers la Mysie, ils essayaient,... » etc. ; ou bien, en faisant une pause marquée après χώραν  : « Ils traversèrent la Phrygie et la Galatie. Ayant été empêchés de prêcher en Asie, mais ayant abordé la Mysie, ils essayaient... » Cette interprétation, toutefois, exigerait plutôt ἐκωλύθησαν, ou au moins : κωλυθέντες δὲ . Paul, si l'on adopte ce sens, aurait eu, dès son départ de Lystre, le projet de se rendre dans l'Asie proconsulaire, mais en aurait été empêché par une intervention du Saint-Esprit, après avoir déjà parcouru la Phrygie et la Galatie. Le passage 18.23 nous décrit un voyage analogue dans un ordre inverse : la Galatie et la Phrygie ; cela ne constitue pas, sans doute, une bien grande difficulté. Nous en voyons une un peu plus sérieuse dans les détours et les retours en arrière auxquels l'apôtre aurait été contraint pour se ranger à ce plan :direction sur l'Asie proconsulaire, arrêt commandé par le Saint-Esprit, marche en arrière sur la Phrygie et sur la Galatie, reprise de la route sur l'Asie.

La Recepta échappe à ces embarras en lisant : διελθόντες ..., κωλυθέντες ...ἐλθοντες ...ἐπείραζον, d'où une seule phrase, renfermant trois participes passés avec un seul verbe fini. La difficulté consiste alors surtout à en déterminer la relation ; mais le plus naturel paraît être de rapporter chacun de ces participes à celui dont il est immédiatement précédé ; ainsi κωλυθέντες exprimerait une action dont le début coïncide avec la fin du διελθόντες, et de même ἐλθόντες commencerait au terme de κωλυθέντες  : « Ayant traversé la Phrygie,...[puis] ayant été empêchés par l'Esprit,...étant venus vers la Mysie, ils essayaient de se rendre en Bithynie.... » Ce sens est recommandé par Baumgarten et par Hackett1 On peut, au reste, l'adopter même avec la leçon διῆλθον . Reste alors le caractère un peu étrange de l'asyndeton dans la phrase commençant à κωλυθέντες . Un fait semble dominer le récit, c'est la volonté expresse du Saint-Esprit de ne pas laisser les missionnaires s'établir longuement dans l'Asie Mineure. Ils traversent la Phrygie et la Galatie ; pas une halte de marque n'est relatée ; ils voudraient évangéliser l'Asie, -- non pas le continent, mais la province, l'Asie proconsulaire avec Ephèse pour capitale (comparez 2.9), -- le Saint-Esprit ne le leur permet pas. Après avoir marché vers la Mysie, ils veulent pénétrer en Bithynie : nouvelle interdiction de la part de l'Esprit ; il faut avancer vers l'occident ; l'Europe apparaît déjà comme le but du voyage.

Deux questions se présentent encore à nous. La contrée galatique ici indiquée était-elle la province romaine de ce nom, ou seulement la Galatie proprement dite ? Et par quels moyens le Saint-Esprit a-t-il deux fois contraint les voyageurs à changer leur itinéraire ?

La province romaine dite « de Galatie » comprenait alors la Lycaonie. Mais Paul vient de visiter Derbe et Lystre, villes lycaoniennes. Notre historien est trop exact pour avoir voulu dire : « Les missionnaires, après avoir quitté la Lycaonie, traversèrent la Phrygie et la Lycaonie. » La « contrée gala-tique » doit donc s'entendre de la Galatie proprement dite, plus au centre de l'Asie Mineure, où l'apôtre aura fondé, précisément dans ce second voyage, les « Eglises de Galatie. » (Galates 1.2) Quand il leur adressera son épître, il leur dira 4.13 : εὐηγγελισάμηναν ὑμῖν τὸ πρότερον 2. La seconde de ces évangélisations coïncide avec le troisième voyage. (Actes 18.23) Donc la première doit avoir daté du deuxième. On est surpris de voir notre historien ne rien dire de cette portion du ministère paulinien, et ne pas même mentionner une Eglise de Galatie. N'en aurait-il pas eu connaissance ? C'est très peu probable. Nous voyons plutôt ici la suite de son plan : dès les débuts du livre il s'est proposé de retracer la marche de l'Evangile de Jérusalem jusqu'à Rome. A l'exception d'Antioche, il raconte fort brièvement les étapes faites en Asie ; les communautés des Galates n'occupent pas, à ses yeux, une place de première importance. Il ne parlera pas non plus de celles de Colosses, de Laodicée, de Hiérapolis,. se contentant de les laisser sous-entendre. (19.10,26)

Quant à chercher comment le Saint-Esprit a fait connaître sa volonté, nous pourrions peut-être, vu le silence de l'auteur, tout simplement nous récuser. Les voyageurs ont-ils, comme Holtzmann le suppose, entendu des avertissements transmis par quelques prophètes ? C'est possible ; Paul en a entendu un pareil au retour de sa troisième mission. (21.11 ; comparez 20.23) Un phénomène naturel, un tremblement de terre-par exemple (toute cette contrée y était sujette), aurait-il barré soudain la route aux trois amis ? Il se peut bien ; nous-ne savons pas. Une seule indication précise nous est donnée. Dans sa première visite aux Galates, -- c'est-à-dire, selon nous, au cours du voyage actuel, -- l'apôtre fut retenu chez, eux δι' ἀσθένειαv σαρκός . Cette « faiblesse de la chair » fut sans doute une maladie, même, d'après les termes suivants, une maladie repoussante. (Galates 4.13) Il est permis, pensons-nous, d'y voir une explosion particulièrement pénible de son ophtalmie chronique. Il fallut donc s'arrêter et modifier le programme primitif. Nouvel arrêt, nouvelle modification, un peu plus tard, et pour une cause à nous inconnue. Le Saint-Esprit poussait incessamment les missionnaires vers les « îles ; des nationsfnLe Dr Ramsay défend un point de vue tout opposé. Pour lui la Galatie a été visitée par Paul dans son premier voyage. Et il traduit 16.6 Φρυγίαν καὶ Γαλατικὴν Χώραν par : « La région phrygienne de la province de Galatie. » Cette traduction me paraît inadmissible.. » (Genèse 10.5)

16.7   Après la première opposition faite à leurs projets, Paul et ses compagnons se sont dirigés κατὰ τὴν Μυσία  : du côté de la Mysie, ou peut-être : le long de la Mysie, en en suivant la frontière. Leur objectif, en effet, était une autre province, la Bithynie. Cette fois, celui qui les en détourne est appelé non plus l'Esprit-Saint, mais l'Esprit de Jésus. Remarquable et instructive désignation : les Actes des apôtres ne cesseront pas d'être les Actes du Seigneur Jésus ; il continue par son Esprit ἅ ἤρξατο ποῖει . (1.1) Pourquoi, dans ce cas particulier, a-t-il interdit l'accès de la Bithynie ? Pour la réserver, a-t-on dit, à l'apôtre Pierre, à qui cette région aurait été destinée. Pure hypothèse. Il est certain, d'ailleurs, que la Bithynie a reçu l'Evangile ; Pline, vers l'an 110, y signale plusieurs Eglises.

16.8   Nos voyageurs sont donc obligés de contourner la Mysie, sans y entrer, car elle fait partie de l'Asie proconsulaire, déjà fermée devant eux. Une seule direction s'ouvre dès lors, celle de la mer ; ils arrivent à Troas, dont le nom plus complet est Alexandria Troas, en souvenir d'Alexandre le Grand. Située sur l'Hellespont, à quelque dix kilomètres de l'emplacement où Troie s'élevait, elle avait été transformée par Auguste en « colonia juris italici. » C'est aujourd'hui Eski Stamboul3.

Comment cette localité n'eût-elle pas éveillé chez l'apôtre les plus hautes espérances ? A Troas, l'Europe et l'Asie s'étaient rencontrées jadis dans un conflit retentissant. Ne pourraient-elles s'y rencontrer tout autrement aujourd'hui ? L'Asie n'a-t-elle point à faire passer en Europe des trésors, dont Homère ni Virgile ne devinèrent les richesses ? Troas est un port de mer, ouvert du côté de la Grèce. Nulle autre ville de l'Asie Mineure ne saurait mieux appeler dans l'esprit du missionnaire la pensée de ces « îles de Javan, » où devait aussi se lever la lumière du « serviteur de l'Eternel. » Vingt années déjà se sont écoulées depuis le jour où le Sauveur traçait aux Onze leur programme, et faisait reculer leur horizon jusqu'aux extrémités de la terre. Et pourtant, l'Evangile n'a point encore pénétré en Europe ; l'heure n'a-t-elle pas enfin sonné de l'y prêcher ? Oui, Dieu continue à présider à ces progrès, tout ensemble constants et lents, déjà signalés par Etienne dans son apologie. C'est toujours l'humble tige de blé, croissant de nuit et de jour, à l'insu des hommes, mais sans arrêt. (Marc 4.26-29) Le grain va bientôt paraître dans l'épi. Et l'apôtre compte sur ce grain, sur ce fruit spirituel entrevu maintenant au delà des mers. Il n'attend plus qu'un ordre, avant de s'élancer à des conquêtes nouvelles ; quand le commandement viendra, sous la forme d'une révélation, il sera, lui, dans la disposition d'esprit la plus propre à le comprendre et à le suivre.

16.9   Il vient, en effet, dans une vision de nuit. Le terme ὅραμα, employé plus haut pour la vision dont Pierre fut honoré à Césarée (10.17), ne nous oblige pas à voir ici un songe envoyé à Paul endormi. L'apôtre peut s'être alors trouvé en prière. Devant lui se tient soudain un homme, dans lequel il reconnaît un Macédonien. Le costume suffisait pour le lui désigner ; jeune garçon déjà, il avait dû rencontrer souvent des Macédoniens dans le port de Tarse. Les paroles du personnage certifient d'ailleurs bien vite son origine. Car il parle à l'apôtre, et ses quelques mots sont tout ensemble une supplication et l'ordre attendu : Traverse jusqu'en Macédoine et viens à notre secours. -- Βοήθησον  ! N'est-ce pas le cri d'angoisse de l'humanité entière, dont nous surprenons l'écho Romains 8.22 ?-- Là-dessus, le texte continue sans transition : Mais lorsqu'il eut vu la vision, aussitôt nous cherchâmes à partir pour la Macédoine, concluant4 que Dieu nous exhortait à les évangéliser (les, c'est-à-dire les Macédoniens). Ainsi, point d'hésitation ; une obéissance immédiate, la recherche d'un vaisseau, afin de pouvoir partir. Mais pourquoi, dans le récit, ce brusque et surprenant passage de la troisième personne du singulier à Ja première du pluriel : « Lorsqu'il eut vu,...nous cherchâmes ? »

La réponse la plus simple -- ce n'est pas toujours la moins scientifique -- consiste à signaler ici l'entrée en scène d'un nouveau personnage, savoir de l'historien lui-même. Il dit maintenant « nous, » parce qu'il devient acteur, témoin et plus tard narrateur des événements. Et la même explication s'appliquera à la même apparition de la première personne 20.5, puis jusqu'à la fin du livre. Ne le nommons pas encore, ce personnage, puisqu'il tient à taire son nom. Relevons seulement trois circonstances impliquées en quelque sorte dans le récit :

  • a) L'auteur de ce fragment devait se trouver en séjour à Troas au moment où les missionnaires y arrivent.
  • b) Il devait déjà les connaître personnellement ; sinon tous, au moins Paul, le principal d'entre eux.
  • c) Il devait être connu de celui auquel notre livre est dédié, Théophile ; autrement il aurait bien été contraint de se nommer ici. Le « nous, » sans cela, fût demeuré une énigme.
Cet écrivain, de plus, doit avoir été un chrétien, même un ami de la mission. Il ne se fût pas, sans cela, joint si aisément à l'apôtre dans le voyage plein de périls où il allait s'engager. D'après une ingénieuse remarque du Dr Plumptre5, on retrouve dès ce moment dans le langage de Paul certains termes médicaux, comme s'il les eût appris dans la société assidue d'un médecin6.

16.11   Les préparatifs de départ semblent avoir marché rapidement ; la navigation aussi fut rapide. Cela résulte du terme εὐθυδρομήσαμεν  : nous courûmes en ligne droite. Les vents ont donc été favorables. La traversée de Troas à Néapolis se fit en deux jours ; elle en demanda plus du double, en sens inverse, huit ou neuf ans plus tard. (20.6)

Le navire fait halte d'abord devant Samothrace, île de la mer Egée ; mais les voyageurs n'y ont peut-être pas débarqué. Ils arrivent le lendemain à Néapolis, port du golfe Strymon, en face de l'île de Thasos et ressortissant à la Thrace, rattachée ensuite à la Macédoine depuis Vespasien. La route où les missionnaires vont maintenant s'avancer était alors considérée comme directe pour se rendre de l'Asie Mineure à Rome. Une voie romaine, en effet, conduisait directement de Néapolis, par Philippes, à Dyrachium sur l'Adriatique, d'où l'on mettait à la voile pour Brindes. Des postes et des courriers réguliers paraissent avoir été établis le long de cette voie de communication7.

La première station de nos quatre compagnons est Philippes, l'ancienne Crénides, célèbre par ses eaux thermales, placée en quelque sorte sous le patronage de Philippe, le père d'Alexandre. Non loin de là, en 42, Brutus et Cassius avaient été battus par Antoine et par Octave. Un temple assez considérable, dédié à Sylvanus, nous a livré d'intéressantes inscriptions avec quelques noms cités dans le Nouveau Testament.

Mais une question d'histoire et de géographie est soulevée par notre texte. Il appelle Philippes πρώτη τῆς μερίδος Μακεδονίας πόλις κολωνία  : première ville du quartier de Macédoine, colonie. Or, Paul-Emile avait bien partagé la Macédoine en quatre districts ou quartiers, μερίδες  ; mais celui dont Philippes faisait partie avait pour ville principale Amphipolis et non pas Philippes elle-même. Cela étant, les mots πρώτη πόλις ne peuvent s'entendre dans le sens de capitale. Lechler et Reuss donnent à πρώτη une signification purement locale. Philippes, observent-ils, était bien la première ville de Macédoine rencontrée par un voyageur arrivant de Troas, car Néapolis appartenait encore à la Thrace. Cette remarque est juste. Néanmoins, n'eût-il pas été beaucoup plus exact d'écrire ἦv πρώτη et non pas ἐστὶ  ? Philippes était cette première ville pour le voyageur en question ; elle ne l'est pas en elle-même, à moins de transporter par une fiction littéraire le lecteur dans la société de voyage. -- Meyer, Baumgarten et Holtzmann proposent une solution selon nous plus probable, en rattachant πόλις κολωνία, comme une désignation unique, à πρώτη . Dans le district macédonien dont elle faisait partie, Philippes était réellement la première « ville-colonie, » sinon en date, du moins en importance. Octave l'avait érigée en « colonia juris italici. » Dès l'an 42, elle avait servi de retraite aux partisans d'Antoine ; Auguste y avait établi ses vétérans, en leur donnant les droits de citoyens romains, et, tout en se créant de la sorte un excellent avant-poste sur sa frontière stratégique, il avait fait de Philippes une ville assez importante pour mériter le nom de « première ville coloniale. » Vraiment, en pleine terre grecque, elle représentait l'empire romain dans ses principaux éléments. -- Dans cette interprétation, nous donnons à μέρις le sens plus vaste de province, division de l'empire, et nous traduisons : première ville coloniale de la province de Macédoine8.





Dans cette ville, où les missionnaires séjournent quelque temps, une femme et sa maison seront les prémices de leur travail et le premier noyau des Eglises d'Europe. Ainsi, dans son ministère en Samarie, Jésus avait tout d'abord gagné une femme, et celle-ci à son tour quelques-uns de ses concitoyens.

16.13   Paul, fidèle à son plan, commence encore ici par les Juifs. Ils sont très peu nombreux dans Philippes, pas même assez pour posséder une synagogue ; et cependant on en pouvait ouvrir une partout où habitaient dix hommes hébreux « studieux de la loi9 » Ils ont seulement un lieu de réunion παρὰ ποταμὸν, au bord d'une rivière ; non pas sans doute le Strymon, à une journée de distance de la ville, mais probablement un de ses affluents, le Gangas ou Gangytès. Ce lieu de rassemblement pour le culte du sabbat porte le nom de προσευχή, prière, et ce terme ne suppose pas nécessairement un édifice, pas même la plus simple construction ; ce peut être un emplacement en plein air. On les choisissait d'habitude au bord d'un fleuve ou de la mer, afin de rendre les ablutions légales plus faciles10. Des femmes seules, épouses peut-être de maris païens, se rencontrent pour le moment dans la προσευχή de Philippes, et sans doute en bien petit nombre. Cela n'empêche pas Paul de leur prêcher l'Evangile ; les petits débuts ne sont pas les moins vastes promesses. Et ses exhortations, continuées un certain nombre de sabbats, ont été appuyées de celles du voyageur pris à Troas, l'écrivain de notre récit ; cela ressort de l'imparfait à la première personne du pluriel : ἐλαλοῦμεν 16.14   Une femme se distingue bientôt entre toutes les autres. Elle se nomme Lydie, probablement du nom de sa patrie. Elle est native de cette Thyatire, ville lydienne, où nous rencontrons, dès la seconde moitié du premier siècle, une Eglise florissante par sa charité et par sa foi. (Apocalypse 2.18-19) Elle est, de plus, marchande de pourpre, ou d'étoffes teintes en cette couleur ; cette industrie était répandue en Asie et rapportait de beaux gains. Elle est enfin craignant Dieu, et cette expression littéralement interprétée indiquerait une prosélyte. Le tableau gracieux et sobre où nous voyons paraître Lydie nous la présente assurément comme une femme à son aise ; elle dirige une οἶκος, dont elle est la maîtresse ; elle a donc une domesticité, peut-être des enfants ; son mari ne paraît nulle part, et nous avons lieu de la croire veuve.

Lydie « écoutait, » dit tout d'abord le texte. Mais elle écoutait bien, et dans ces conditions où le Saint-Esprit peut faire d'un auditeur un converti. Le Seigneur, en effet, ouvrit son cœur pour porter attention aux choses dites par Paul. La même œuvre, racontée presque dans les mêmes termes, fut opérée par le même Seigneur au soir de la résurrection, pour amener les apôtres à comprendre les Ecritures. (Luc 24.45) Admirable leçon et non moins grande délicatesse du récit : l'œuvre apostolique auprès de Lydie conserve toute son importance ; seule pourtant l'action du Seigneur en fait germer les résultats. Paul prêche ; Lydie écoute ; Jésus ouvre son cœur ! Nous n'en savons pas plus long sur le travail intime accompli dans cette âme ; nous en voyons seulement le couronnement. Lydie est baptisée et sa maison avec elle. Sur cet acte lui-même, aucun détail. Paul a-t-il en personne administré le sacrement ? Ce n'est pas très probable, si nous en jugeons par 1 Corinthiens 1.14-17. Y eut-il, parmi les baptisés, de petits enfants ? C'est possible, mais point certain, et notre récit n'offre nul argument décisif en faveur du pédobaptisme. Deux faits seuls en ressortent avec évidence. D'une part, la foi de Lydie a exercé son influence sur toute sa maison, assez fortement pour amener au baptême des individus peut-être moins avancés qu'elle. De l'autre, elle-même ne fut pas introduite dans l'Eglise du Christ avant d'avoir subi une sorte d'examen de ses convictions. Elle ne pourrait pas dire : Si vous m'avez jugée (κεκρίκατέ) être fidèle au Seigneur, si des entretiens sérieux et répétés n'avaient pas permis à Paul et à ses collègues de se former un jugement sur cette intéressante néophyte.

Lydie éprouve aussitôt le besoin de montrer sa foi par ses œuvres, c'est-à-dire par son dévouement. Elle doit à ces missionnaires le salut de son âme ; elle veut leur offrir l'hospitalité dans sa demeure. Cela ne paraît pas avoir été si facile. Ils sont chrétiennement fiers, ces ambassadeurs du Christ. Des exhortations (παρεκάλεσεν) ne suffisent pas ; la violence très douce et très puissante de la charité devient nécessaire : παρεβιάσατο . Les disciples d'Emmaüs n'avaient-ils pas dû employer la même contrainte, exprimée par le même verbe, pour garder Jésus avec eux ? (Luc 24.29 Mais Lydie aussi a vaincu...Et j'ai regret à mentionner ici l'absurde roman fabriqué à ce propos par Ernest Renan. Traduisant par épouse le σύζυγος de Philippiens 4.3, cet écrivain a imaginé d'y retrouver Lydie, devenue la femme de saint Paul ! Ne nous arrêtons pas à réfuter ; Renan ne s'est probablement pas pris lui-même au sérieux11.





16.16  . D'autres soucis attendaient l'apôtre ; après le succès l'épreuve, enveloppée dans les dehors d'un nouveau succès. La persécution va éclater et, cette fois, elle n'aura pas les Juifs pour instigateurs ; elle naîtra d'intérêts compromis et peu avouables, auxquels on ne veut pas renoncer. Une pauvre esclave, diseuse de bonne aventure, parlant et agissant sous l'inspiration d'un esprit mauvais, sera la cause involontaire de ces violences.

Elle avait, cette malheureuse, un « esprit python » πνεῦμα πύθωνα 12. Python était le nom du funeste serpent de Delphes, tué par Apollon. Sa peau avait recouvert le trépied où siégea la devineresse, et celle-ci dès lors fut appelée Pythie. Un esprit python était, en général, un esprit tenu pour révélateur, mais cela dans le domaine de la superstition. Les Septante emploient πύθων pour traduire l'hébreu אוֹב, et ce terme désigne surtout le ventriloque, considéré comme évocateur des morts et prophète de l'avenir. Plutarque donne ce même sens à πύθων 13. -- L'esclave présentée par notre récit était donc considérée, et peut-être se considérait elle-même comme possédée par un esprit divin et divinateur, dont elle proférait les paroles sans toujours les comprendre. Elle était douée d'une sorte de seconde vue et, parfois, voyait juste. Paul, nous le savons, n'attribuait aux faux dieux aucune réalité quelconque. (1 Corinthiens 8.4) Quand nous l'entendrons s'adresser à l'esprit de la pauvre fille, nous n'en conclurons pas qu'il s'accommode à une superstition populaire. Jésus, dans ma conviction, ne s'y est pas accommodé dans ses rencontres avec les démoniaques, et le disciple ne s'est pas écarté de l'exemple du Maître. Il croit, maints passages de ses épîtres le prouvent, à l'existence d'innombrables esprits mauvais, armée du prince des ténèbres s'efforçant d'assujettir les âmes à l'empire de Satan. Paul a pu sans tromperie, sans concession à une erreur, parler à un « esprit python » et lui faire sentir la souveraine puissance de l'Esprit-Saint.

L'esclave pythonisse ou bien avait eu successivement plusieurs maîtres, ou bien appartenait encore à plusieurs, à une société d'exploiteurs entre lesquels se partageaient les profits14. Et ces profits étaient considérables --ἐργασία πολλήν, dit l'auteur ; ἐργασία signifie l'œuvre, le travail, puis le gain obtenu par ce travail. Quant au travail lui-même, il était le métier des devins : μαντευομένη . Lorsque Paul et ses amis sortaient dans la ville la pythonisse les accompagnait, criant après eux et les désignant à haute voix comme des serviteurs du Dieu très haut. Ce terme de ὕψιστος, employé par elle pour désigner le vrai Dieu, rappelle exactement celui du démoniaque légion. (Marc 5.7). Ces hommes, ajoute-t-elle encore, vous annoncent la voie du salut. Les manuscrits A, G, G remplacent par ἡμῖν le ὑμῖν donné par א, B, D ; mais cette dernière leçon paraît préférable. La devineresse, psychologiquement, doit se croire chargée d'avertir les autres et non pas elle-même ; elle ne se doutait pas qu'un appel lui fût réservé.

16.18   Paul supporte pendant plusieurs jours ce gênant accompagnement. Il en est à la fin excédé15, et se décide à y mettre un terme. Car il ne veut en aucune façon l'appui ni la recommandation des puissances du mal. Jésus aussi les avait toujours repoussés. (Marc 3.11-12) Il suffit à l'apôtre d'un nom tout-puissant, celui du Christ : Je te commande en nom de Jésus-Christ de sortir d'elle.... Ce même nom, prononcé par Pierre, avait suffi pour guérir un impotent ; prononcé par Paul aujourd'hui, il délivre une possédée d'un honteux esclavage. L'effet produit est instantané : l'esprit sortit d'elle sur l'heure.

16.19   Autre chose sortit en même temps, et le rapprochement des deux ἐξῆλθεν n'est apparemment pas fortuit. L'espoir du gain s'en allait de chez les maîtres de la pauvre fille. Des intérêts lésés ne pardonnent pas. La jalousie des Juifs avait jusqu'ici soulevé la persécution ; l'avarice de quelques païens va maintenant en faire autant ; elle suscitera dans la foule une colère assez prompte, assez aveugle pour étouffer momentanément toutes les réclamations de la justice. Les maîtres de la devineresse font saisir, peut-être saisissent eux-mêmes Paul et Silas, les traînent sur la place publique, les livrent aux magistrats et les accusent de fomenter une sédition. -- Mais pourquoi Paul et Silas seulement ? Pourquoi ni Timothée ni le quatrième voyageur, l'auteur du récit, compris pourtant dans le ἡμῖν du verset 17 ? On a répondu : Parce qu'ils étaient Grecs et dès lors moins suspects. C'est inexact ; Timothée était devenu Juif par le fait de sa circoncision, et d'ailleurs Silas était probablement Grec ; cela n'empêche pas son arrestation. Une autre réponse semble plus admissible. Les quatre évangélistes ne travaillaient pas toujours réunis ; à l'exemple des premiers envoyés du Maître, ils se partageaient la tâche et faisaient leur œuvre deux à deux. Au moment de l'arrestation de Paul et de Silas, Timothée et son compagnon se seront trouvés ailleurs16. Pendant un certain temps nous les voyons disparaître de nos récits.

Les premiers magistrats devant lesquels on traîne Paul et Silas sont des ἄρχοντες, désignation générale et un peu vague ; peut-être de simples officiers municipaux (comparez Luc 12.58) ; nous ne les retrouverons plus jusqu'à la fin du chapitre. Nous sommes placés, en revanche, en présence des στρατηγοί . A la rigueur, on les pourrait confondre avec les ἄρχοντες  ; cela ne nous semble pourtant pas indiqué. Les ἄρχοντες paraissent plutôt avoir pris la tête du mouvement, pour en remettre bien vite la direction aux στρατηγοί, c'est-à-dire aux magistrats politiques, dans le cas présent aux préteurs. Leur vrai nom dans une colonie romaine eût été « duumviri » ou « quatuorviri. » Mais ils aimaient, par gloriole, à prendre le titre de préteurs.

Il fallait au moins une apparence de culpabilité pour pouvoir arrêter les missionnaires. On indispose d'abord l'autorité contre eux en faisant connaître leur nationalité : ce sont des Juifs. On les inculpe ensuite de prétendues menées révolutionnaires ; le seul motif véritable (la perte du gain) est passé sous silence ; un prétexte religieux n'est pas même invoqué, et l'on abrite l'accusation derrière des considérations politiques : impossibilité pour des Romains de tolérer des coutumes prêchées par les étrangers. Ces hommes n'ont-ils pas annoncé, en effet, un royaume de Dieu ? Cela ne saurait être supporté au sein de l'empire ; des agitateurs peuvent seuls entrer dans cette voie ; l'ordre de la rue oblige de les arrêter. Juifs, ils osent enseigner la révolte à des Romains17 !---Peut-être l'arrêt de Claude,dont parlera 18.2, était-il déjà promulgué ; il suppose en tout cas une animadversion marquée contre les Hébreux. Or la haine, toujours aveugle, ne va point examiner si l'accusation formulée est fausse, si les doctrines prêchées par Paul s'opposent réellement aux lois romaines et aux coutumes de l'empire. Elle veut poursuivre et frapper. Un sentiment instinctif lui a révélé dans l'Evangile une force capable de détruire un jour le colosse païen.

16.22   Il n'était pas difficile, en ces conjonctures, d'exciter la foule contre les nouveaux venus. Les prédications entendues avaient remué plus d'une conscience ; ceux qui ne voulaient pas se convertir en étaient réduits à frapper. La multitude est promptement soulevée18, et les préteurs débordés, ne songeant plus à défendre la justice, déchirent de leurs mains les vêtements des prétendus coupables en ordonnant de les battre de verges19...

Pourquoi donc, demandera-t-on, Paul n'a-t-il pas aussitôt protesté en faisant valoir ses droits de citoyen romain ? Il saura bien le faire plus tard (v. 3720) ; pourquoi pas maintenant, pourquoi pas dans deux autres circonstances au moins ? (2 Corinthiens 11.25) De ces derniers cas nous ne savons rien et ne pouvons rien dire ; dans le cas actuel bien des considérations répondent et expliquent. Paul, d'abord, peut s'être volontairement soumis à la flagellation en se rappelant les nombreuses souffrances prédites à son ministère (9.16) ; s'il a vu dans ce supplice un moyen nécessaire de glorifier son Maître, il n'aura point essayé de s'y soustraire. Mais il peut aussi avoir protesté, crié même, sans parvenir à se faire entendre de la foule enragée, ou sans obtenir créance auprès d'un seul de ses bourreaux. Quand le peuple veut du sang, quelle réclamation l'arrête ? Les préteurs ou bien n'ont pas entendu ou bien-n'ont pas osé ; et cette dernière supposition me paraît appuyée précisément par leur conduite subséquente envers leurs prisonniers.

16.23   Le supplice a donc libre cours. La loi juive n'a point, ici à intervenir pour régler le nombre des coups ; les deux missionnaires en reçoivent un grand nombre. On a, semble-t-il, frappé sans compter. Puis on jette les suppliciés en prison et l'on ordonne au geôlier de les garder sûrement. -- Fidèle à ce mandat de ses chefs, ce fonctionnaire enferme Paul et Silas « dans la prison intérieure, » le donjon, a-t-on supposé, peut-être tout simplement le cachot le plus, éloigné de l'extérieur et le moins favorable à une évasion. Cela ne suffit pas. Il assujettit leurs pieds dans le bois ; ce ξύλον est un bloc de bois percé de deux trous où l'on passait les pieds des condamnés ; ceux-ci restant alors couchés sur le dos étaient forcément immobiles. On perçait parfois encore dans le ξύλον deux ouvertures pour les poignets et une pour le cou21. L'abondance des précautions prises fera mieux ressortir le caractère miraculeux de la délivrance.

16.25   Quant à cette délivrance même, elle va nous rappeler -- non sans beaucoup de différences -- celle de Pierre arraché soudain des mains d'Hérode. Dans les deux occasions, il y a intervention directe de Dieu en faveur de ses serviteurs. A Jérusalem, il a employé le ministère d'un ange. Ici, en plein monde païen, il va se servir d'un phénomène cosmique, un de ses messagers aussi. Les tremblements de terre ne seraient-ils pas ses anges, comme le sont les vents et les flammes ? (Hébreux 1.7) Partout ses yeux sont ouverts sur les souffrances de ses enfants ; il leur a assigné un terme au delà duquel elles ne se prolongeront pas un instant ; il a mille moyens de les faire cesser. Et n'étaient-ils pas déjà une victoire magnifique sur la force brutale, ces chants accompagnés de prières, entonnés durant la nuit par les deux martyrs en apparence épuisés ? Le sommeil de Pierre à la veille du supplice n'avait pas été plus glorieux. Paul et Silas sont heureux, comme lui, d'avoir été jugés dignes de souffrir quelque chose pour le nom du Sauveur. (5.41) Dites après cela, au nom de la science positive et infaillible, que le miracle raconté par notre auteur est une invention de son esprit, qu'il n'a pas le plus petit lien avec l'ensemble des événements, qu'il reproduit maladroitement et sans plus de vraisemblance celui du chapitre 12, ou encore qu'un tremblement de terre, s'il avait détaché les chaînes des prisonniers n'aurait pas manqué de briser aussi leurs membres (toutes ces objections ont été avancées), nous ne réfuterons pas vos arguments, car ils sont tout simplement les échos multiples d'un axiome qui n'en est pas un : le miracle est impossible22 !

Rarement, pensons-nous, le miracle a été plus directement réclamé par un plus fort ensemble de circonstances. Les représentants du pouvoir romain ont usé et abusé de la force sans se préoccuper de la justice. Deux missionnaires, prédicateurs du salut, sont jetés au fond d'un cachot, et leur supplice se prolonge par les minutieuses précautions du geôlier. Au lieu de murmurer et de gémir, ils prient. Bien plus, ils chantent. Leurs chants extraordinaires, entendus des autres prisonniers, les maintiennent immobiles et silencieux. Dieu ne les entendra-t-il point aussi ? La voix du sang d'Abel était montée jusqu'à lui. Restera-t-il sourd à celles du sang et des cantiques de ses témoins ? Maître de l'univers, dominateur de toutes les énergies de la nature, serait-il donc lié par ses lois au point de ne pouvoir répondre à l'attente de ses enfants ? Sa majesté et sa miséricorde ne sont-elles pas (oserons-nous le dire ?) également tenues à se montrer aux païens tout ensemble et aux chrétiens de Philippes ? « Plus d'une fois -- répéterons-nous volontiers avec Reuss -- on a recours à des tremblements de terre pour expliquer d'une manière prétendue naturelle des événements présentés comme des miracles par les récits bibliques. Le morceau qu'on vient de lire semble écrit tout exprès pour démontrer l'absurdité de pareilles explications...L'événement restera donc miraculeux, malgré la cause purement physique assignée à la délivrance des prisonniers ; et il rentre dans la catégorie de ceux qui représentent l'établissement premier du christianisme comme un effet tout spécial de l'intervention directe et permanente de la Providence. »

16.26   Ce tremblement de terre en lui-même n'a rien de particulièrement étrange dans le milieu où il se produit. L'histoire profane a beau ne pas en mentionner un à cette date précise dans Philippes, ce n'est point une raison suffisante d'en douter. Il n'a peut-être pas été ressenti en dehors de la ville ; mais il l'a été dans la ville même et les préteurs s'en sont bien doutés. (Vers. 35.) Sans ruiner la prison, il en a ouvert toutes les portes, et il a « relâché » les liens de tous les prisonniers. Le miracle donc n'avait pas pour but exclusif la libération de Paul et de Silas, ou plutôt, il en introduisait un plus grand encore, un miracle de l'ordre moral : la victoire remportée sur les prisonniers païens par l'influence de leurs compagnons chrétiens.

16.27   Un seul homme, à ce moment, pouvait se trouver compromis : le geôlier, responsable sur sa tête des prévenus ou des condamnés remis à sa garde. Réveillé en sursaut, il voit les portes ouvertes ; il suppose la prison vidée ; il s'attend à être traîné au supplice. Dans son désespoir il préfère le suicide, il tire son épée pour se donner la mort. Mais Paul ne chantait plus ; il écoutait. Il entend le bruit du glaive sortant du fourreau, il surprend peut-être un cri du malheureux, et d'un mot il l'arrête : Ne te fais aucun mal, car nous sommes tous ici -- « Impossible ! objecte Holtzmann ; tous les prisonniers avaient dû s'enfuir.... » Ces sentences-là nous ont toujours paru étranges. Etiez-vous donc présent pour affirmer si superbement : ceci a , cela n'a pas se produire ? L'émotion causée par les chants, la terreur inspirée par le tremblement de terre n'auraient-elles pas pu obtenir l'obéissance des prisonniers à un ordre de l'apôtre, devenu pour eux quelque chose comme une divinité ?

16.29   Le geôlier ne peut pas croire Paul tout de suite ; cela, c'est parfaitement naturel. Il demande de la lumière, s'élance (εἰσεπήδησεν) dans les cellules,...en effet, chaque prisonnier est à sa place. Et alors il se met à frissonner. Non plus par crainte de ses juges naturels, les préteurs de Philippes ; ni par suite du tremblement de terre, maintenant terminé ; mais dans le sentiment irraisonné et juste d'être en face d'une manifestation des pouvoirs célestes. Ne mériterait-il point d'être puni pour avoir traité si durement des hommes ainsi protégés par les dieux et en relation visible avec eux ? Mis aux ceps, ils sont tout à coup débarrassés de leurs chaînes. Délivrés, ils ne profitent pas de leur liberté ! C'est surnaturel tout cela. Des prisonniers tenant dans leurs mains le sort de toute une prison ! Seraient-ils vraiment, comme le criait la pythonisse, des serviteurs du Dieu très haut ? Connaîtraient-ils une « voie de salut ?... » Il faut le savoir. Mais il faut d'abord rétablir les vraies relations, troublées par les violences de la veille. Le geôlier tombe aux pieds des deux missionnaires ; il les fait sortir du cachot ; ce ne sont plus ses victimes, mais ses maîtres ; il les appelle Κύριοι, seigneurs ! Il laisse enfin échapper de son cœur -- mais plus complète encore, plus intimement personnelle -- la question déjà prononcée par les trois mille de la Pentecôte : Que me faut-il faire afin d'être sauvé ? (Comparez 2.37.) Le salut, assurément, ne lui apparaît encore ni dans toutes ses exigences ni dans toute son étendue. Néanmoins il ne le borne plus à la délivrance de ses inquiétudes vis-à-vis de ses supérieurs. Sa conscience vient de s'éveiller ; il cherche la paix avec Dieu.

16.31   Crois, lui disent aussitôt les missionnaires : Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé toi et ta maison. Ils se gardent de l'arrêter à aucun intermédiaire humain ; ils l'adressent droit au Sauveur ; ils lui posent pour seule condition une foi réelle en sa personne, et ils enveloppent dans son salut sa maison entière, comme l'avait été la maison de Lydie dans le baptême de sa maîtresse. La famille du geôlier n'est certainement pas demeurée étrangère à la scène qui vient de se passer. Dans l'élan de leur propre foi et de leur joie, les évangélistes ont vu cette famille conviée aussi à la possession du salut. Ils viennent d'être appelés « seigneurs ; » ils se hâtent de conduire leur néophyte au seul Seigneur, à Jésus-Christ23. On s'est trop hâté dans certains milieux de réduire, par le fait de cette brève réponse, toutes les conditions du salut à une adhésion à l'historicité de la personne du Christ. Deux réflexions veulent être ici présentées, et combattent cette déduction. D'abord la réponse de Paul et de Silas s'adresse à un païen encore dépourvu de préparations évangéliques ; il importait fort de ne pas embarrasser sa route dès les premiers pas. Ensuite, cette réponse elle-même est suivie d'une instruction prolongée. Le geôlier et sa famille24 sont transformés pour quelques heures en catéchumènes. Avec de tels disciples et un maître comme Paul, peu de temps suffit pour apprendre beaucoup. La réponse de Pierre à la multitude, celle de Paul et de Silas au geôlier de Philippes reviennent, pour le fond, au même. Le discours de Pierre avait précédé la question ; l'enseignement de Paul l'a suivie ; le but atteint n'a point changé. Le mot de repentance ne se lit pas ici dans notre texte ; supprimer le fait du repentir, ce serait nier le récit. Quant aux œuvres, fruits de la foi, elles se sont manifestées immédiatement. Le nouveau converti semble avoir deviné la parole de Jésus au moment où il a lavé les pieds des apôtres : « ...afin que vous fassiez comme je vous ai fait. » (Jean 13.15) Il lave les plaies des missionnaires25, à ce même instant de la nuit, sans se préoccuper des ordres reçus la veille. L'autorité pourra bien lui demander compte d'une telle désobéissance, n'importe ; sa foi est agissante par la charité. Le récit, d'ailleurs très rapide, ne dit pas où il a conduit ses prisonniers et les a rafraîchis de la sorte ; peut-être dans une cour intérieure où se serait trouvé un bassin pour recueillir l'eau de pluie. Ce réservoir aurait servi également pour le baptême, placé immédiatement après ces soins donnés aux deux martyrs, comme un bienfait spirituel suivant aussitôt un service matériel ; παραχρῆμα dit notre auteur, presque sans laisser d'intervalle.

16.34   Après cela seulement, le geôlier amène les prisonniers chez lui, leur prépare un repas pour refaire leurs forces épuisées et se réjouit avec toute sa maison26 ayant cru en Dieu. Son allégresse est mise ainsi en relation intime avec sa foi. Que les deux amis ensuite aient réintégré leur cachot, c'est bien peu vraisemblable, et cela ne ressort pas nécessairement du verset 37 : Qu'ils nous fassent eux-mêmes sortir. La prison, y compris la demeure du geôlier, formait un corps de bâtiment dont les portes avaient dû être refermées la nuit même ; il fallut de nouveau les ouvrir pour laisser passer Paul et Silas.

Une hypothèse fort peu probable et fort mal appuyée identifie le geôlier de Philippes avec le Stéphanas mentionné 1 Corinthiens 1.16 ; 16.15,17. Ce denier est selon toute apparence un Achéen, le geôlier est un Macédonien. Sa nationalité, du reste, n'a pas grande importance. Signalons seulement, par sa conversion et par celle de sa famille, l'ouverture dans Philippes d'une seconde maison chrétienne ; l'Eglise est solidement établie dans cette ville d'Europe. Et certes, ici encore Dieu a manifesté la richesse et la diversité de ses moyens. Lydie est amenée à la foi par la prédication de la Parole et par l'action de l'Esprit sans l'intervention d'un miracle ; le geôlier, par les prières et les chants de ses prisonniers, puis par un redoutable phénomène cosmique. La vue du martyre d'Etienne et de celui de Jacques n'avait pas ému de la sorte les Juifs de Jérusalem.





16.35   Le jour venu, les magistrats de Philippes envoient leurs licteurs à la prison et donnent l'ordre d'en faire sortir Paul et Silas. Leur conscience de préteurs, nous l'avons dit, ne peut pas les avoir laissés tranquilles ; ils ont outrageusement violé la loi, et le tremblement de terre n'était pas fait pour apaiser leurs craintes27. Ils soupçonnent quelque courroux des dieux ; ils veulent le détourner. Et comme ils entendent probablement encore les protestations élevées la veille par les deux étrangers, ils appréhendent ce courroux sous la forme très sérieuse d'un châtiment infligé par l'autorité impériale, si leur conduite imprudente vient à s'ébruiter. Bref, ils voient venir une méchante affaire, et l'on comprend leur désir de s'en débarrasser au plus tôt avec le moins de bruit possible. « Ces hommes » (ἀνθρώποι ἐκείνοι) ne sont pas encore pour eux des innocents ; mais ils sont gênants, et il y a tout avantage à les renvoyer.

16.36   Le geôlier, n'y entendant point malice, s'empresse de transmettre aux missionnaires la bonne nouvelle de leur élargissement. Les licteurs sont là (comparez Παῦλος ἔφη πρὸς αὐτούς, 37), témoins de l'exactitude de sa parole. Comment hésiter ? Maintenant donc sortez, et allez en paix !... Mais Paul ne sort point ; et sa conduite en cette circonstance nous fournit une intéressante exégèse de l'exhortation du Christ : « Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre. » (Matthieu 5.39) Des droits positifs ont été violés en sa personne ; son ministère en pourrait être atteint ; il doit être officiellement et publiquement lavé de l'injure reçue. On a frappé de verges, sans jugement préalable, deux hommes dont leurs accusateurs criaient Ἰουδαῖοι ὑπάρχοντες, et qui se trouvent être des Ῥωμαῖοι . Or la loi Porcia de l'an 506, et la loi Valeria de 254 interdisaient de frapper de verges un citoyen romain ; et Cicéron avait déclaré : « Facinus est vinciri civem romanum, scelus verberari, prope parricidium necari28. » Paul avait cette bourgeoisie par sa naissance (22.28) ; non par le fait d'être citoyen de Tarse, simple ville libre, mais par héritage de son père ou déjà de ses ascendants, devenus romains pour un motif à nous inconnu. Les événements de la nuit ont achevé de prouver à l'apôtre qu'une réparation lui est due. Il est en mesure de la réclamer ; il la réclame, sans ostentation, et pour l'honneur du troupeau chrétien de Philippes. Il ne s'échappera pas en secret ; il ne laissera pas à son Eglise la tache non effacée d'avoir été fondée par un malfaiteur. De là l'énergie de sa réponse : Et maintenant c'est en cachette qu'ils nous chassent ? Non pas29. Mais qu'ils viennent eux-mêmes et qu'ils nous conduisent dehors ! Ainsi par une direction providentielle, la première mission évangélique en Europe a dû pour un temps sa liberté d'action à ce cri presque magique : « Civis Romanus sum ! »

16.38   En effet : les licteurs se retirent sans emmener les prisonniers : ils rapportent la réponse reçue, et les préteurs, sans émettre un doute, saisis d'une terreur croissante, se soumettent tout de suite à la démarche un peu humiliante dont leur faiblesse de la veille est la seule cause. Ils viennent en personne à la prison. Ils adressent aux étrangers des invitations (παρεκάλεσαν) et presque des prières (ἠρώτων) : avant tout sortir de prison ; mais aussi sortir de la ville ; les magistrats ne seront pas rassurés à moins. Toutefois il n'est pas question d'ordres ; ces préteurs se font petits devant leurs victimes ; ils se contentent de demandes respectueuses. Paul et Silas n'insistent pas davantage. Ils sortent de la prison. Avant de quitter Philippes, toutefois, ils ont une dette de reconnaissance à payer. Ils se rendent chez Lydie, où les frères étaient réunis, sans doute en prières ; ils leur adressent quelques exhortations ; après cela seulement ils s'éloignent.

L'Eglise à laquelle ils disent adieu est une de celles dont Paul conservera les plus vivants et les plus chers souvenirs. Il en donnera une dernière preuve en lui écrivant sa touchante épître datée d'une prison romaine. Il n'y a, dans cette lettre, aucun blâme adressé aux Philippiens ; seulement une amicale exhortation pour Evodie et pour Syntiche. (Philippiens 4.2) L'apôtre rappelle ailleurs (1 Thessaloniciens 2.2), mais sans indiquer aucun détail, ses souffrances endurées à Philippes.

Paul, en partant, laisse derrière lui deux pasteurs : Timothée pour quelques semaines ; nous le retrouverons à Bérée (17.14) ; le second pour un temps beaucoup plus long. Le récit va reprendre à la troisième personne, pour revenir à la première du pluriel à partir de 20.5. L'apôtre, passant à Philippes au retour de son troisième voyage, reprendra son ancien compagnon de route.

Holtzmann croit pouvoir infirmer en partie la crédibilité de tout ce récit, en le rapprochant d'un autre, plus ou moins légendaire. Aux environs de l'an 100, dans la ville d'Alexandrie, des prisonniers injustement arrêtés auraient refusé de profiter d'une possibilité de s'enfuir, et obtenu des autorités une reconnaissance formelle de leur innocence. Cela se peut ; mais comment et pourquoi en conclure au caractère fabuleux de la scène de Philippes ?

 

 


1
Ἐβούλετο, donné par A, B, C, E, indiquerait une volonté bien arrêtée. D lit ἐβουλεύετο . א ἐβουλεύσατο .
2
Hébreux 10.24 avec le régime ἀγάπης  ; de παροξύνω, aiguiser.
3
Καταντάω, parvenir à atteindre, est un terme très spécial au livre des Actes.
4
Ajoutons que, dans notre texte, εἰς doit probablement être reproduit devant Λύστραν . Au verset 2, Timothée possède des témoignages de Lystre et d'Iconie, mais non de Derbe qui était plus éloignée.
5
Cité par Baumgarten. I, p. 485.
6
...Οἰς μηδέ ἀλόγων ζῴων αἴμα φάγειν ἐξον . Eusèbe, Hist. eccl., V, 1, 26.
7
Comparez Lechler, Apostol. Zeitalter, p. 181.
1
Vulgate : Transeuntes aulem,...vetati sunt.
2
Πρότερον  : le premier en parlant de deux.
3
Comparez Winer, Real Wörterbuch, III, p. 735.
4
Sur συνβιβάζοντες, comparez 9.22.
5
Cité par Farrar, Saint Paul, I, p. 481, note 2.
6
Pour le Dr Ramsay, le personnage apparu à Paul en vision serait l'auteur des Actes, Macédonien domicilié à Philippes ! L'hypothèse est nouvelle, mais me paraît bien romanesque (p. 200).
7
Comparez Conybeare et Howson, The Life and Epistles of Saint Paul, people's édition, I, 265-267. De Broglie, L'Eglise et l'empire, I, 192, rappelle que Constantin, partant de Nico-médie pour aller rejoindre Constance en Gaule, emmena ou mutila tous les chevaux des maisons de poste.
8
Blass lit, pour des raisons que je ne puis pas trouver assez fortes, ἤτις ἐστὶν πρώτης μερίδος τῆς Μακεδονίας πόλις κολωνία .
9
Lightfoot, Hor. hebr., in Matthieu 4.23.
10
Δέδοκται ...τὰς προσευχὰς πρὸς τῇ θαλάσσῃ κατὰ τὸ πάτριον ἔθος, Jos., Antiq. 14, 10, 23. א, A, B, C lisent ici : οὗ ἐνομίζομεν προσευχὴν εἶναι . Recepta: οὗ ἐνομίζετο προσευχὴν εἶναι . Vulg. : « Ubi videbatur oratio esse. » -- Blass, fidèle à ses hardiesses, déclare le texte « sine dubio corruptus, » et propose : οὗ ἐνομίζον ἐν προσευχὴῇ εἶναι, ce qui ne me paraît pas très heureux.
11
Saint Paul, p. 148. Cette idée semble pourtant en partie appuyée par Eusèbe, Hist. eccl., III, 30.
12
Πύθωνα est appuyé par א, A, B, D contre πύθωνος de la Recepta et doit être maintenu.
13
De defectu oraculorum, 9. Au reste, les Septante connaissent aussi le terme ἐγγαστρίμυθος .
14
Le pluriel κυρίοις permet ces deux interprétations. Comparez Luc 19.33.
15
Διαπονέω  : opérer à force de peine ; puis : supporter difficilement. La comparaison avec 4.2 n'appuie pas la traduction de Meyer : « Mit Aufbietung seiner ganzen inneren Kraft. »
16
Cela ne ressortirait-il pas des termes : Παύλῳ καὶ ἡμῖν  ? Elle accompagnait Paul, et les autres aussi quand elle les rencontrait.
17
On relèvera la fière opposition entre Ἰουδαῖοι ὐπάρχοντες et ’Ρωμαίοις οὐσιν .... Et tout aussitôt la foule se jette sur les Juifs.... Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
18
Συνεπέστη de συνεφίστημι, se soulever ensemble.
19
On pourrait donner à ῥαβδιζεν un régime ἀυτούς compris dans ἀυτῶν .
20
Et encore 22.25.
21
C'est le ַד de Job 13.27 ; 33.11 ; le nervus des Latins ; les Grecs l'appellent aussi ποδοκάπη et ξυλοπέδη .
22
Le Dr Ramsay présente, p. 220 et 221, des remarques très intéressantes, avec preuves à l'appui, sur les effets possibles du tremblement de terre.
23
La leçon Χρίστον après Ἰησοῦν n'est pas suffisamment appuyée.
24
Σὺν πᾶσι τοῖς à préférer à ἐν πᾶσι τοῖς .
25
Le texte dit ἐλουσεν, lavage entier, et non ἐνιψεν, lavage partiel ; comparez Matthieu 6.17 ; Jean 23.5 ; Actes 9.37 ; Hébreux 10.22. Le choix de λοῦειν semble préparer le ἐβαπτίσθη .
26
Πανοικεὶ chez les classiques. πανοικεὶ ou πανοικησίᾳ .
27
D développe longuement ce verset : « Les préteurs se réunirent sur la place publique et, se rappelant le tremblement de terre survenu, ils eurent peur....
28
In Verr., 5, 66 ; lire du reste les chapitres 54 à 66 de ce superbe discours.
29
Le γὰρ indique : Non, car cela ne doit pas être. Mais qu'ils viennent !...