Le dicton du peuple

QUI  TRAVAILLE   PRIE

et la réponse de Jésus-Christ

 


 

Dans une échoppe formée par un angle de mur et une devanture de planches, un savetier frappait et refrappait son cuir, un dimanche matin.

Un passant, un livre à la main, s'arrête en face du réparateur de chaussures et lit ces mots à voix haute :

Tu travailleras six jours et feras toute ton œuvre, mais le septième jour est le jour du repos.

Et sans attendre de réplique, il continue son chemin.

Le dimanche suivant, le savetier frappait comme le dernier dimanche, et le même passant, s'arrêtant encore, lui lut cette parole :

Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s'il faisait la perte de son âme ?

Et il passa outre.

Enfin, huit jours après, le même cordonnier frappait encore, et le même passant s'arrêtait pour lire : Combien gagnez-vous par jour ? Le cordonnier, surpris, répondit d'un ton de mauvaise humeur :

- Je gagne juste de quoi ne pas mourir de faim.

- Et combien vous faut-il pour vivre ?

- Juste ce que je gagne.

- Si vous le voulez, je vous indiquerai un moyen de gagner en une minute de quoi vivre toujours.

Le cordonnier soupçonnant un piège sous ces paroles, garda le silence et tapa plus fort.

- Vous feriez bien mieux, lui dit le passant, de prier Dieu, aujourd'hui dimanche, et de travailler sous sa bénédiction pendant la semaine.

- Bah ! répartit l'ouvrier, Qui travaille prie, comme dit l'Evangile.

- Comment dites-vous ?

- Je dis : Qui travaille prie, comme dit l'Evangile.

- Voudriez-vous m'apprendre dans quel passage l'Evangile dit cela.

Et le passant mit son livre entre les mains du savetier.

- Oh ! dit l'artisan pour moi, je ne suis pas si savant.

- Pour moi, reprit l'étranger, sans être savant, je puis vous affirmer que ces paroles : Qui travaille prie, ne sont dans aucun des Evangiles.

- C'est peut-être dans les épîtres !

- Pas plus dans les épîtres que dans l'Evangile ; et, pour couper court, je vous garantis que ces paroles ne sont ni dans l'Ancien, ni dans le Nouveau Testament.

- C'est étonnant…

- C'est bien plutôt votre dicton qui est absurde !

- Comment ! Absurde !

- Oui. Et je vais vous le faire sentir. Si moi, je vous disais : Qui prie travaille, qu'en penseriez-vous ?

- Que c'est une bêtise.

- Cette bêtise est la vôtre. Dire: Qui travaille prie ou dire : Qui prie travaille, c'est de la même force. On pourrait, de cette manière, faire une foule de proverbes tout aussi raisonnables les uns que les autres ; et dire par exemple :

Qui Dort dîne, et qui dîne dort. Ou bien : Qui boit mange, et qui mange boit. Ou bien : Se reposer c'est travailler, et travailler c'est se reposer. Ou bien : Dire vrai c'est dire faux, et dire faux c'est dire vrai.

Vous voyez que la recette est facile. Aussi j'aimerais beaucoup mieux des vérités à La Palisse, comme celles-ci :

Qui travaille, travaille ; ou, Qui prie, prie ; Celui qui dort, dort ; celui qui dîne, dîne. Si ces dictons ne sont pas aussi piquants, du moins, sont-ils parfaitement vrais.

- Moi, je vous répète ce que j'ai toujours entendu dire : Qui travaille, prie…

- Soit, mais au lieu d'ajouter : comme dit l'Evangile, ajoutez plutôt : comme dit l'incrédule.

- Bien.

- Et que demande ce travailleur dans une telle prière ?

- C'est bien clair, il demande son pain.

- Rien de plus ?

- Le vêtement.

- Encore quoi ?

- Un logis plus chaud que cette échoppe.

- Et ensuite ?

- La santé.

- Après ?…Quelques épargnes.

- Allez toujours.

- Enfin si possible des rentes.

- Est-ce tout ?

- C'est bien assez ! Moi, je m'en contenterais bien, d'avoir des rentes et la santé !

- Mais avec des rentes et la santé, on finit toujours par mourir.

- C'est vrai ; mais plus tard !

- A quel âge mourrez-vous avec plaisir ?

- Oh ! jamais !

- Il me parait que le travail-prière qui donne des rentes ne vous guérit pas de la peur de mourir. Et quand vous serez mort, où irez-vous ?

- En terre.

- Mais votre âme ?

- On dit que l'âme retourne à Dieu.

- Quoi ! elle retournerait dans le sein de Dieu toute dégoûtante de souillures ?

- Oh ! quant à ça....

- Je comprends : ce sujet vous ennuie, ce qui me prouve que ce travail-prière ne vous donne pas l'assurance de votre pardon.

- Dites plutôt que les pauvres gens n'ont pas le temps de songer à mal faire le mal : il faut travailler du matin au soir, sept jours par semaine ; bien heureux encore de pouvoir dormir.

- Puisque vous pensez n'avoir jamais fait le mal, il est probable que dans votre travail-prière, vous ne demanderez pas à Dieu de vous rendre meilleur.

Ainsi, en résumé, dans vos prières à coups de marteau, vous ne demandez ni d'être guéri de la peur de la mort, ni d'être pardonné de vos péchés, ni de devenir meilleur. En un mot, vous oubliez de demander d'être sauvé dans l'éternité ! vous qui n'oubliez pas les rentes et la santé pour quelques jours !

Votre œuvre-oraison n'est donc pas une prière, c'est tout simplement du travail, bonne chose sans doute ; car, comme le dit cette Bible :

Qui ne travaille pas ne doit pas manger. Tu mangeras le pain à la sueur de ton visage.

Mais cette bonne chose n'est pas tout; elle n'est pas même l'essentiel; à coup sur, elle n'est pas la prière; car la prière n'est pas faite en vue des choses temporelles, mais pour les éternelles auxquelles vous n'avez pas même songé.

- Ainsi, selon vous, au lieu de travailler, nous devrions prier du matin au soir ?

- Non ; mais selon moi, nous devrions travailler pour ce monde et prier pour l'autre. Quand Dieu nous aurait exaucés nous trouverions assez de temps dans cette vie pour travailler dans la semaine, nous reposer le dimanche, prier tous les jours, faire du bien et acquérir des vertus chrétiennes.

- Ta, ta, ta, ta ! Et où le prendriez-vous le temps de faire tout cela ?

- Rien de plus simple : tout le temps que je donnerai à la prière, je le retrancherai aux bavardages, aux médisances, aux conversations légères. Tout le temps que je donnerais à lire la bible, je le prendrais sur celui que l'on donne à la lecture des romans et des journaux. Tout le temps que je donnerais à mes frères malheureux, je le supprimerais de mes parties de billard, de pêche, de chasse, de bal et ainsi, sans retrancher un seul instant à mon travail, j'aurais du temps pour prier, pour rendre service, surveiller mes paroles et ma conduite. Je ne vous dis donc pas : Cessez de travailler, mais : Travaillez et priez ; travaillez, pour avoir du pain, priez pour être pardonné, sauvé et sanctifié.

- Moi, je vous répète qu'il n'y a pas de temps pour cela ; tandis que je prie dans ma chambre mon travail ne se fait pas dans mon échoppe.

- Combien travaillez-vous d'heures par jour ?

- Douze heures.

- Cela fait 720 minutes. Et sur 720 minutes vous n'en pouvez pas prendre cinq pour prier ?

- Non.

- Soit. En travaillant, à quoi pensez-vous ?

- Oh ! à mille choses ! On se rappelle le temps d'autrefois ; on fait des projets pour plus tard.

- Et à quoi vous servent ces pensées de jadis et ces projets d'avenir ?

- Cela fait passer le temps.

- Eh bien ! puisque vous ne pouvez absolument pas retrancher cinq minutes de prières sur 720 de travail, travaillez donc sans cesse ; mais au lieu de penser a des balivernes, priez votre Dieu. Laissez-lui prendre, non vos bras occupés, mais votre tête libre ; et tout en travaillant des mains, priez du cœur. Alors, vous pourrez dire avec vérité : Qui travaille prie.

- Nous voilà d'accord : vous aussi, vous venez de dire : Qui travaille prie. Seulement chacun de nous l'entend à sa manière.

- Dites donc plutôt que vous ne croyez pas que Dieu exauce celui qui prie, car, si vous aviez cette persuasion, vous ne marchanderiez pas cinq minutes à Dieu !

- Dieu n'a pas besoin de mes prières.

- Non, mais c'est vous qui en avez besoin, d'autant plus que tout me montre que vous ne croyez pas.

- Chacun a sa foi.

- Oui ; et chacun met sa foi en ce qu'il aime. Alors même que vous croiriez que Dieu exauce, vous ne le prieriez pas.

- Pourquoi ?

- Parce que vous désirez ce qu'il n'offre pas et ne lui demandez pas ce qu'il offre. Vous souhaitez la santé de votre corps et Lui il vous offre celle de votre âme. Vous ambitionnez les trésors que les voleurs peuvent dérober, et Lui il vous offre ceux du ciel, où les larrons ne peuvent rien prendre. Ainsi, même avec la foi que vous dites avoir, et que vous n'avez pas, vous ne pourriez pas prier.

Je vais plus loin. j'affirme que vous ne l'oseriez pas!

Voyons : oseriez-vous dire : Mon Dieu, donne-moi des rentes ?Non, vous auriez honte de ces paroles !

Dites-vous d'avantage : Mon Dieu, donne-moi ton Saint-Esprit ? Non, parce que vous n'en voulez pas. Ainsi, soit par la honte qui vous empêche de demander les choses terrestres, soit par votre indifférence pour les célestes, vous ne priez ni pour les unes ni pour les autres.

Tout en un mot, vous travaillez, mais vous ne priez pas. Et cependant vous en avez plus besoin qu'un autre.

- Pourquoi plus qu'un autre ?

- La raison en est bien simple : puisque vous n'avez jamais demandé le pardon de vos péchés, vous ne l'avez pas reçu : puisque vous n'avez jamais demandé la force de faire le bien, vous ne le faites pas. Jamais vous n'avez demandé la foi ; aussi ne croyez-vous pas. Le païen qui lui, prie Dieu sans connaître Jésus-Christ, vaut mieux que vous, qui connaissez le nom de Jésus-Christ sans prier Dieu.

- Moi, je vous dis que je ne suis pas pire que les autres !

- Non pas pire que ceux qui sont comme vous. Mais vous me permettrez de vous dire, que vous n'avez pas ce que vous n'avez pas demandé : votre pardon, le ciel, le Saint-Esprit.

- Et vous voudriez me faire croire que si je le demandais, Dieu me donnerait son Saint-Esprit ?

- Ce n'est pas moi qui veux vous le faire croire, c'est Jésus-Christ. Mais avant de vous répéter ses paroles, permettez-moi de vous faire une question : Avez-vous des enfants ?

- Oui, j'ai un garçon.

- Et quand ce garçon vous a dit : Mon père, donne-moi du pain, lui avez-vous donné un caillou ?

- Pas de moquerie.

- Répondez seulement : Quand votre fils vous a demandé un oeuf, lui avez-vous mis dans la main un scorpion ?

- Ah ! c'est encore pire ! Où donc en voulez-vous venir ?

- Le voici : Si vous, homme qui êtes comme tout homme, plus ou moins mauvais, donnez cependant de bonnes choses à votre enfant, comment Dieu, le Père céleste, ne donnerait-il pas aussi de bonnes choses, c'est-à-dire son Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent.

- Votre raisonnement est bien juste, mais ...

- Ne dites pas mon raisonnement; dites celui de Jésus-Christ, car cette parole n'est pas de moi, mais de Jésus-Christ.

- Faut-il vous dire toute ma pensée ?

- Parlez.

- La voici : Je me dis : Mon garçon peut bien me prier, moi qui suis là et qui l'entends, mais...

- Je comprends et je vous donne encore une réponse de la Bible :

Comment Celui qui a fait l'oreille n'entendrait-il pas, comment Celui qui a formé l'œil ne verrait-il pas ?

- Mais Dieu est au ciel et moi sur la terre ?

- Ne suis-je Dieu que de près, vous répond le Conducteur de l'univers, ne le suis-je pas aussi de loin ?

- Mais comment voulez-vous que Dieu s'inquiète des prières de tant de créatures ?

- Il a bien pris la peine de les créer ! Etait-ce pour les abandonner à elles-mêmes, et y a-t-il quelque chose de plus naturel, pour des enfants, que de prier leur père ?

- Non, mais pères et mères ne sont pas toujours disposés à nous entendre... Il en est même qui campent là leurs enfants...

- Eh bien ! Lors même que père et mère vous abandonneraient, dit encore Dieu lui-même, moi, je ne vous abandonnerais pas !

- Et vous croyez que Dieu va faire tomber des cailles toutes rôties sur ma table, sans que je travaille ?

- Cher ami, ne me faites dire ni plus ni autre chose que ce que j'ai dit. Dieu vous donnera votre pain quotidien, à la condition du travail ; mais le pardon ? Le ciel, l'éternel bonheur, sans condition. Il vous suffira de les demander pour les obtenir gratuitement, et, pour me servir encore d'une parole de Jésus-Christ, je vous dirai :

Cherchez premièrement le royaume des cieux et sa justice, et tout le reste (c'est-à-dire le nécessaire pour la vie) vous sera donné par-dessus.

- Oh ! je ne demanderais pas mieux ; mais quand je songe que mon travail seul doit nourrir avec moi femme et enfants, je vous avoue que je ne suis pas sans inquiétude...

- Ne soyez point en souci, vous dit Jésus-Christ, pour ce que vous mangerez ou boirez, ni pour votre corps de ce dont vous serez vêtus. Regardez les oiseaux des airs, ils ne sèment, ni ne moissonnent, et cependant votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ? Quant au vêtement, voyez les lis des champs : ils ne travaillent, ni ne filent; et toutefois Salomon, dans sa magnificence, n'a jamais été vêtu comme 1'un d'eux ? Si donc Dieu revêt ainsi l'herbe des champs, qui demain sera jetée au feu, combien plus ne vous vêtira-t-il pas, vous, gens de petite foi ?

- Et si le pain venait à me manquer ?

- Quoi ! le pain vous manquerait parce que vous prieriez Dieu ?

- Non, mais si je ne travaillais pas ?

- Vous le voyez ; vous m'attribuez toujours des pensées que je n'ai pas exprimées. Je ne vous ai pas exhorté à ne pas travailler; au contraire, je vous ai cité ces mots de la Bible: Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Ce que je vous conseille, le voici : Ne vous mettez pas en souci ; on peut travailler des mains, sans se mettre en peine de l'esprit. Travaillez donc, tant que vous voudrez ; mais ne vous inquiétez pas ! Ayez foi et confiance en Dieu et le priez.

- Avec leurs prières, il y a des saints qui meurent de faim !

- En connaissez-vous ? Lors même que vous pourriez m'en citer, je vous rappellerais que ce ne sont pas les biens de ce monde, la santé, la guérison, qui sont promis à la prière de l'Evangile. S'il en était ainsi, le chrétien ne devrait jamais ni souffrir ni mourir. Mais ce que la prière donne à coup sûr, ce sont les biens spirituels : la foi, la charité, et le salut éternel de l'âme. Aussi Job, dit-il de son Dieu : Quand même il me tuerait, je ne cesserais pas d'espérer en LUI.

- Mais je ne sais point de prière.

- Tant mieux !

- Comment ! Tant mieux !

- Oui, car si vous en saviez une vous seriez tenté de la réciter. Or une prière, mise dans la mémoire et répétée des lèvres, n'est qu'un vain bavardage : N'usez pas de vaines répétitions, vous dit Jésus, comme les hypocrites, qui s'imaginent être exaucés en parlant beaucoup.

- Mais alors que faut-il dire

- Que vous dit votre garçon quand il désire du pain ?

- Il me dit comme cela : Père, donne-moi, s'il te plaît, du pain.

- Et quand vous avez besoin d'un peu d'argent ou de toute autre chose qu'un voisin peut vous procurer, que faites-vous ?

- J'y vais et je lui dis : l'ami, rends-moi donc un service.

- Eh bien ! faites envers Dieu ce que votre garçon fait envers vous et ce que vous-même faites auprès de vos amis ; allez et dites tout simplement : Mon Dieu, pardonne-moi mes péchés, donne-moi ton Saint-Esprit ; et ainsi du reste.

Demandez ce que vous sentez-vous manquer, et non ce qui est écrit dans telle ou telle prière. Pensez-vous que Dieu exige qu'on s'exprime en bon français ? A ce compte, les paysans, qui parlent patois, ne pourraient pas prier !

- C'est vrai ; mais ne pourriez-vous pas prier pour moi ?

- Oui sans doute, et je l ai déjà fait.

- Vraiment, vous avez prié pour moi, que vous ne connaissiez pas ?

- Hélas ! en vous voyant travailler tous les dimanches, j'avais appris à vous reconnaître, et ce matin, en pensant que j'allais vous rencontrer comme d'habitude, le marteau à la main, j'ai prié Dieu tout en marchant de donner à moi le courage de vous parler, à vous la patience pour m'écouter. Vous voyez qu'il a exaucé ces deux prières.

- Alors priez-le encore à mon intention.

- Volontiers ; cependant il y aurait quelque chose de mieux à faire.

- Quoi ?

- Ce serait de le prier ensemble.

- Je le veux bien, dit le cordonnier en hésitant.

- Quand cela, répondit le passant, enhardi.

- Quand vous voudrez.

- Eh bien, maintenant. Venez chez moi.

- Attendez, je vais fermer mon magasin.

 

Napoléon ROUSSEL
(1805-1878)


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