Le dicton du peuple

ON NE DOIT PAS CHANGER DE RELIGION MAIS GARDER LA RELIGION DE SES Pères

et la réponse de Jésus-Christ

 


 
"Et moi je vous dis qu'on ne doit pas changer de religion."

Et moi je vous réponds que, pour en changer, il faudrait en avoir une, tandis que vous n'en avez pas.

"Qu'en savez-vous?"

J'en sais ce que vous en dites vous-même; quelqu'un qui dit vouloir rester dans la religion de ses pères prouve par cela même qu'il n'en a point dans le cœur. Sans cela, il ne dirait pas: Je veux garder la religion de mes pères, mais bien: Je veux garder ma religion.

"Mais ne voyez-vous pas que la mienne c'est la leur?"

Non, je vois seulement que vous avez les même habitudes, les mêmes pratiques, les mêmes cérémonies; mais tout cela n'est pas la religion.

"Qu'est-ce donc?"

C'est un corps mort, un cadavre. La religion est esprit et vie. Or, je vous demande: Avez-vous dans le cœur une religion vivante, active, dévouée?

"Oh! Moi je n'ai pas la prétention d'être dévot comme..."

Comme qui? ... Vous ne répondez pas? Eh bien! Je vais compléter votre pensée: un dévot comme moi, n'est-ce pas?

"Je ne dis pas cela."

Comme qui donc enfin?

"Eh bien! Comme les gens d'autrefois."

C'est précisément ce que je vous disais: les gens d'autrefois, vos pères par exemple, étaient dévots; ils avaient une religion; mais vous-même, comparé à eux, vous n'en avez qu'une vaine apparence, un fantôme. Vous allez à l'église deux ou trois fois par an, vous avez été baptisé malgré vous, vous avez fait une première communion par obéissance, et probablement pas une seconde de votre propre mouvement.  Peut-être avez-vous été marié à l'église; et peut-être y serez vous enterré. Voilà votre religion. Eh bien! Laissez-moi vous dire que la cloche de mon village a été baptisée comme vous! J'ai vu au bagne trois mille galériens, qui avaient fait leur première communion comme vous. Il n'est pas un scélérat, pas un voleur, pas un adultère qui ne puisse aussi bien que vous, s'il est riche, se faire enterrer par un prêtre. Me direz-vous que cette cloche baptisée, ces galériens communiants, ce voleur enseveli en terre sainte; me direz vous que tous ces gens, qui ont PRATIQUES comme vous, aient une religion? Et quant à vous, pour en changer, je le répète, il faudrait commencer par en avoir une.

"Soit!  Je ne veux pas disputer; Je vous accorde tout ce que vous avez dit pour finir. Mais je maintiens que, lors même que je n'aurais que la même église que mes pères, je ne dois pas en changer."

Pourquoi?

"Parce que ce serait avoir honte de mes aïeux et les déshonorer. Moi, je veux par respect pour la mémoire de mon père, garder sa croyance."

Eh bien! Parlons d'autre chose; dites-moi: où êtes-vous né?

"A Brive-la-Gaillarde."

Comment se fait-il que vous soyez à Paris?

"Nous y sommes venus faire un peu de commerce. Mon père était maçon; j'ai appris le dessin linéaire à l'école primaire, et maintenant je suis chez un architecte."

Quoi! Votre père était maçon, et vous prétendez être architecte? Votre père portait le mortier et vous voulez ériger des palais? Votre père était à la campagne, et vous à la ville; lui un paysan, et vous un monsieur; il est resté pauvre, et vous aspirez à devenir riche? Mais ne voyez-vous pas que vous déshonorez vos ancêtres, en ne gardant ni leur village, ni leur ignorance, ni leur pauvreté? Si vous avez tant de respect pour vos aïeux que vous gardiez leur religion uniquement parce qu'ils l'avaient, pourquoi ne gardez-vous pas leurs guenilles parce qu'ils en portaient? Ah! Quand il est question de fortune vous ne raisonnez plus aussi mal que lorsqu'il s'agit de religion.  C'est que vous tenez plus à l'argent qu'au ciel, et qu'en définitive, votre dieu c'est l'or. Pour cette religion, je suis sûr que vous n'en voulez pas changer, bien que ce ne soit pas celle de vos pères.

"Mais ce n'est pas la même chose. Paris vaut mieux qu'un village; l'architecture est moins fatigante, plus productive et plus honorable que la truelle et le mortier; la fortune est préférable à la misère."

Bien, bien; mais alors avouez qu'il faut en toutes choses choisir le mieux, et que, si nos pères avaient une religion mauvaise, nous devons la laisser, comme nous laissons leur baraque pour habiter un palais; leurs haillons pour revêtir un habit propre et chaud, comme enfin nous secouons leur ignorance et cherchons le savoir.  Notre religion est-elle bonne? Y en a-t-il une meilleure? Voilà la vraie question.

"Moi je suis content comme ça, et je veux garder la religion de mes pères."

Ce n'est pas vrai.

"Comment! Ce n'est pas vrai?"

Vos premiers pères étaient juifs ou païens, et ce sont leurs enfants qui se sont faits chrétiens. Ainsi vous ne faites pas comme vos aïeux, car les plus nobles, les plus anciens ont changé de religion.

"Oh! Je ne parle pas de ceux-là."

Mais moi j'en parle, et je vous dis encore, que selon ce principe, il faut garder la religion de ses pères; vous déshonorez vos aïeux, en blâmant leur changement. Si vous me dites vouloir faire comme eux, je vous réponds: Donc examinez; et s'il le faut, pour être dans la vérité, changez de religion.

"Du tout, du tout. Je ne m'inquiète pas des païens; je suis chrétien, et je veux reste dans la religion où je suis né, j'ai vécu et je veux mourir en chrétien."

Comme les apôtres, sans doute?

"Oui, comme les apôtres."

Et comme Jésus-Christ certainement?

"Oui, comme Jésus-Christ."

Eh bien! Permettez-moi de vous dire encore: ce n'est pas vrai, car les apôtres et Jésus-Christ lui-même ont tous changé de religion: ils sont nés juifs et sont morts chrétiens. Oseriez-vous les blâmer? Prétendriez-vous faire mieux que les apôtres et que Jésus-Christ, en ne changeant pas de religion? Eh! Ne voyez-vous pas que, si votre règle était bonne, il faudrait blâmer tous les saints qui se sont convertis à l'Evangile; il faudrait blâmer nos pères, nos grands-pères, nos aïeux, et remonter jusqu'à la première génération, pour prendre la religion d'Adam et de Caïn? Or quelle fut la religion d'Adam? La révolte! Et la religion de Caïn? Le meurtre! Laissons donc ce principe absurde, et acceptons celui-ci: Si notre religion est bonne, gardons-la; sil elle et mauvaise, ayons le courage d'en embrasser une meilleure.

"Oh! Je ne remonte pas si haut! Je ne m'inquiète ni d'Eve ni d'Adam; mais je parle de mes ancêtres à moi, et je dis: Ce serait leur manquer de respect que d'abandonner leur religion. Je n'ai pas l'orgueil de me croire plus d'esprit, de savoir ou d'intelligence qu'eux."

Dites plutôt que vous avez l'orgueil de ne pas vous condamner vous-même en reniant votre propre passé. Changer, c'est dire que jusque là on s'était trompé; or reconnaître son erreur, c'est de l'humilité. L'orgueil n'est pas dans le changement, il est dans l'obstination. Si vos parents, aujourd'hui dans l'autre monde, pouvaient vous exprimer un désir, certes ce ne serait pas que vous conservassiez leurs erreurs, quelques vieilles qu'elles fussent, mais bien que vous prissiez la vérité, quelque nouvelle qu'elle fût pour vous. Des enfants assez courageux pour faire ce qui est bien, approuvé ou blâmé, voilà ce qui peut honorer la mémoire de nos parents.

"Oui, mais estime-t-on beaucoup dans ce monde ceux qui changent de religion?"

Ainsi pour ne pas paraître hypocrite en changeant de religion, il faudra le devenir en cachant sa pensée! Voilà le beau résultat de votre respect pour l'opinion! Ne croyez-vous pas que vous n'êtes qu'un pantin? L'opinion tire la ficelle, et votre langue dit: je crois ceci, je crois cela, ou plutôt je ne crois rien. Voilà ce qui est méprisable! Moi j'estime avoir plus de noblesse de sentiment en disant: montrez-moi la vérité, et je l'embrasse, approuvée ou blâmée. Vous, vous craignez le mépris des hommes; moi je méprise leur mépris et j'obéis à ma conscience. Qui de nous a le plus de dignité? S'il y a des hypocrites qui changent de religion par intérêt, tant pis pour eux! La crainte d'être mis dans leur nombre ne me fera pas renoncer à la vérité que j'entrevois et que je veux acquérir.

"Moi je ne suis pas un philosophe. Je suis seulement chrétien, et je vous répète encore qu'on ne doit pas changer de religion. Je ne connais que ça."

Dans ce cas, moi je fais bien de garder la mienne?

"Oui."

Et les juifs la leur?

"Aussi."

Les mahométans font bien d'obéir au Coran et d'avoir quatre ou cinq femmes?

"C'est leur religion."

Et les Chinois, les Hindous, les idolâtres, les cannibales, qui adorent un serpent et mangent un homme, tous ces gens-là font bien de ne pas changer de religion?

"Pourvu qu'on soit honnête homme, toutes les religions sont bonnes."

Vous voulez dire que toutes sont mauvaises?

"Non, je dis qu'elles sont toutes bonnes, parce que toutes prêchent la morale."

Alors, il faut toutes les garder; toutes sont bonnes, toutes sont vraies, toutes sont divines, même celles qui sont opposées, celles qui disent blanc et celles qui disent noir: celle qui proclame Jésus Dieu, et celle qui affirme qu'il n'est qu'un homme. Mahomet a raison en se posant comme prophète; le Pape a raison en déclarant Mahomet un imposteur! Votre principe: il ne faut pas changer de religion, me rappelle ce faune de la fable qui, d'une même bouche soufflait le chaud et le froid.  On plutôt votre principe est une grande hypocrisie: ses partisans disent toutes les religions sont bonnes, afin que chacun garde la sienne et respecte ainsi leur vie et leurs biens, tandis qu'eux, ne croyant à aucune, font semblant de garder celle de leurs pères pour n'avoir pas à s'en occuper.

"Alors selon vous, il faudrait que tout le monde changeât de religion?"

Non; il faudrait seulement que chacun examinât si la sienne est bonne ou mauvaise.  Dans le premier cas, il n'aurait pas perdu son temps, car il aurait fortifié sa foi; dans le second, il aurait sauvé son âme en changeant de croyance.

"Mais quel travail pour celui qui s'aperçoit que la foi de son église n'est pas très raisonnable! Sera-t-il donc obligé d'examiner toutes les communions chrétiennes? Toutes les religions du monde idolâtre et païen? Car enfin, pour savoir si telle religion est meilleure que toutes les autres, il faut toutes les examiner."

Il y a un moyen plus court et qui, dans tous les cas, doit précéder les autres.

"Lequel?"

L'examen de soi-même.

"Que voulez-vous dire?"

Je vais m'expliquer. Je vous prends vous-même pour exemple. Qu'auriez-vous à faire? Le voici. D'après tout ce que vous m'avez dit, il est clair que pour vous la vraie religion c'est d'être honnête homme?

"J'en conviens."

Eh bien, examinez si vous l'êtes en effet; je sais bien que vous n'avez commis aucun crime et que le code à la main on ne pourrait pas vous envoyer en prison. Mais il ne s'agit pas du code; il s'agit de la conscience. Il n'est pas question des juges humains, mais du Juge suprême, de Dieu, de Celui qui sonde les cœurs, qui tient compte des intentions, qui connaît les secrets de toute la vie, qui voit dans les ténèbres, qui condamne la calomnie, le mensonge, la médisance, l'impureté de langage et d'action, toutes les fautes dont les tribunaux ne tiennent aucun compte.  Vous comprenez, je pense qu'examiné sur cette règle sévère, je ne prétends pas être meilleur que vous; peut-être aussi ne suis-je pas pire.  Eh bien! Si je vous juge d'après moi-même, vous ne sauriez dire, en conscience, que vous n'avez rien à vous reprocher. Vous ne voudriez dévoiler les secrets de votre vie ni à votre ami, ni à votre pasteur, ni à aucun être vivant!  Vous tâchez même de les oublier. Vous vous sentez donc coupable. Que serait-ce si vous rappelez tout votre passé? Que serait-ce si au lieu de vous juger vous-même (on est toujours indulgent pour soi), vous étiez jugé par un ange?  Que serait-ce enfin si vous étiez jugé par le Dieu DONT LES YEUX SONT TROP PURS POUR VOIR LE MAL?  Je ne puis le dire au juste; mais à peu près, en me mettant à votre place.  Je sens que je fais le mal chaque jour, et cela depuis bien des années: le mal en pensées, le mal en secret, le mal aux yeux de tous ceux qui m'ont fait des reproches, le mal aux yeux de ceux qui n'osent pas m'en faire... Suis-je donc meilleur juge dans ma propre cause que cette foule de témoins? Non, non; ma conscience me dit que j'aime le bien, mais que je suis loin de l'accomplir toujours; que je m'efforce de donner de moi une bonne opinion que je n'ai pas, et qu'enfin votre religion, qui n'exige que l'honnêteté, me condamne et vous condamne aussi.

"Que faire alors?"

C'est moi qui vous le demande, que faire?

"Mieux se conduire à l'avenir."

Si j'en juge par le passé nous n'y réussirons guère.  D'ailleurs, notre avenir, fût-il parfait, cela détruirait-il nos fautes déjà accomplies?

"Non; mais, pour celles-là on peut-être pardonné."

Pardonné? Mais pourquoi? Serait-ce pour nous encourager au mal?  Serait-ce pour montrer que la loi n'est rien? Pourquoi notre conduite passée serait-elle jugée autrement que notre conduite à venir?  Dieu a-t-il deux poids et deux mesures?  Non, tout cela ne me satisfait pas.

"Alors que faites-vous donc?"

Le voici: je me confie en Jésus-Christ, qui par sa mort volontaire, dévouée, m'a obtenu ce pardon.  Ce que je n'ai pas mérité, lui l'a mérité pour moi.  Sa vie sainte, sa mort expiatoire, son œuvre dans le monde depuis deux mille ans, tout me prouve qu'il est, comme il le dit, le Fils de Dieu, et, dès lors, je crois à ses paroles.

"Et que vous dit-il?"

Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Qui croit au fils a la vie. Mon sang est versé pour la rémission des péchés de plusieurs. Je suis venu chercher et sauver ce qui était perdu. Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés, et vous trouverez le repos de vos âmes.

Voilà les paroles qui me soulagent. Si ma conscience repousse le pardon demandé, sans droit de ma part, mon cœur comprend le pardon obtenu par le dévouement et l'obéissance d'un ami.  Je me confie donc à Celui qui s'est donné pour moi, qui, à cette heure, prie en ma faveur, et qui, au dernier jour, se plaçant entrer moi et mon Juge, se présentera comme mon avocat, ma défense écrite dans les plaies de ses mains.  Voilà la religion que j'ai choisie.  Vous voyez qu'elle est bien simple.  Pardonné, je prie mon Dieu de me donner la force de faire le bien, et je sens qu'il agit en moi.  Le Père m'a créé, le Fils sauvé, et l'Esprit me sanctifie.

"Mais comment savez-vous que c'est la vraie religion?"

Un témoignage intérieur me le dit; l'Evangile me le confirme, et les chrétiens de tous les temps viennent à l'appui de ce témoignage et de l'Evangile.  Je ne prétends pas vous imposer ma foi; mais en frère, je vous dis: Essayez de lire cet Evangile, de prier Dieu, et, sentant vos péchés, confiez-vous en Jésus-Christ.  Personne ne naît dans cette religion, mais tout le monde peut y entrer. Quiconque n'y est pas doit changer de religion.

Napoléon ROUSSEL
(1805-1878)


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