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Le dicton du peuple

JESUS-CHRIST ETAIT UN GRAND PHILOSOPHE

et la réponse de Jésus-Christ

 


 

Jésus-Christ est-il un envoyé spécial, tout spécial de Dieu ? Avait-il une mission divine, unique dans l'histoire ? Est-il un être à part ? Ou bien est-il un philosophe plus ou moins grand, plus ou moins sage ? Voilà la question. Il ne faut pas équivoquer. Avant tout la franchise. Est-ce ainsi que vous l'entendez ?

- Oui, et je répète : Jésus-Christ était un grand philosophe, mais après tout, un philosophe comme on en a vu d'autres, par exemple Socrate et Platon.

- Voilà cette fois votre opinion clairement exprimée. Maintenant, vous qui m'apprenez ce qu'était Jésus-Christ, comment le savez-vous ?

- En lisant son histoire.

- Très bien. Son histoire est contenue dans l'Evangile. Nous allons l'étudier, et nous verrons si l'on peut penser que Jésus-Christ fût un simple philosophe. D'abord Jésus-Christ se déclare descendu du ciel ; il se prétend appelé à juger le monde au dernier jour ; il affirme qu'il ressuscitera les morts, et enfin il se vante d'accomplir des miracles. Je ne vous dis pas que tout cela soit vrai ; j'affirme seulement que Jésus-Christ le dit de lui-même. Si son affirmation est fondée, Jésus est plus qu'un philosophe. Si elle ne l'est pas, c'est un menteur... Il n'y a pas de milieu entre ces deux suppositions. Jésus-Christ se prétend le Fils unique de Dieu, le juge suprême des hommes, le Sauveur des croyants, le dispensateur de la vie éternelle. Si cela est vrai, Jésus-Christ est le Fils unique de Dieu. Si cela est faux, Jésus-Christ était un imposteur ; et dans ce cas ce n'est pas un philosophe. Il est beaucoup plus ou beaucoup moins.

- Vous êtes trop absolu. Jésus-Christ, pour faire accepter des préceptes qui devaient faire le bonheur du genre humain, ne pouvait-il pas les donner au nom du Ciel ?

- C'est-à-dire que vous faites maintenant de Jésus-Christ un hypocrite. Vous qui désirez être obéi de vos enfants, pourquoi ne leur dites-vous pas que vous avez un trésor caché qui leur sera remis après votre mort s'ils sont sages pendant votre vie ? Pourquoi ne feignez-vous pas de leur laisser par testament des biens imaginaires ?

- Ce serait, de ma part, une indignité !

- Pourquoi donc décorez-vous du beau nom de philosophe et de bienfaiteur de l'humanité ce Jésus qui, selon vous, a fait un testament mensonger, qui a convoqué ses disciples dans un ciel supposé ?

- Mais, si Jésus-Christ n'a pas compté rendre heureux les hommes dans le ciel, il a pensé les rendre heureux sur terre par la foi, par l'espérance, enfin par la pratique même des vertus qu'il leur a recommandées.

- Ce ne serait pas moins de l'hypocrisie, et de plus de la sottise.

- Comment ?

- Vous supposez, n'est-ce pas, que Jésus-Christ a voulu rendre les hommes heureux sur terre par l'attente d'une vie céleste dont il ne disposait pas ?

- Oui.

- Vous pensez que, si Jésus-Christ persuade les hommes d'un bonheur fictif dans l'avenir, cela suffit pour les rendre heureux dans le présent ?

- Oui.

- Et pour leur faire pratiquer les vertus chrétiennes, utiles à la société ?

- Précisément.

- Que diriez-vous si Jésus-Christ, avec toute cette habileté de philosophe, ne persuadait personne ? Que penseriez-vous si, au lieu de faire pratiquer les vertus chrétiennes, il ne parvenait qu'à propager leur vain simulacre ?

- Ce n'est pas le cas ; Jésus-Christ est un grand philosophe, précisément parce qu'il est parvenu à persuader les hommes.

- Vous voyez bien que non, puisqu'il ne vous a pas persuadé vous-même ! ... Il se donne pour le Fils de Dieu, et vous avez découvert qu'il ne l'était pas ! Il promet le ciel, et vous avez reconnu qu'il n'en dispose pas ! Il prétend faire des miracles auxquels vous ne croyez pas. Ainsi, auprès de vous, Jésus-Christ n'a pas réussi, non plus qu'auprès de la masse d'incrédules que vous fréquentez tous les jours.
Si Jésus-Christ n'a pas été assez habile pour vous persuader, vous qui n'êtes pourtant pas un génie, qui donc trompera-t-il ? Personne, excepté quelques imbéciles ! C'était bien la peine de supposer un grand philosophe pour un tel résultat ! Non, je vous le répète : si Jésus a prétendu faussement être le Fils de Dieu, ce n'est pas un philosophe : c'est un imposteur. S'il a voulu faire le bonheur du genre humain par une fraude pieuse, ce n'est pas un génie, car il n'a pas même réussi à tromper un homme tel que vous.
Il faut donc choisir : Jésus-Christ est beaucoup plus ou beaucoup moins qu'un philosophe ; beaucoup plus, s'il a dit vrai, beaucoup moins, s'il a dit faux. Choisissez.

- Mais on peut se tromper soi-même et enseigner l'erreur de bonne foi.

- Oui : mais, parce qu'on se trompe soi-même en même temps qu'on égare ses disciples, cela ne fait pas que ce qu'on enseigne devienne la vérité. La bonne foi ne change pas l'erreur en philosophie : et c'est précisément parce que vous le supposez dupe de lui-même que Jésus ne peut pas être un grand philosophe.

- On peut se tromper sur un point sans se tromper sur tous.

- C'est vrai, on peut mêler l'erreur et la vérité en philosophie, comme en histoire, comme dans les sciences. Mais croyez-vous qu'on puisse se tromper quand il s'agit de dire qui l'on est ? Par exemple, comment vous appelez-vous ?

- Durand.

- D'où êtes-vous ?

- De Lyon.

- Quelle est la profession de votre père ?

- Teinturier.

- Eh bien ! pensez-vous pouvoir jamais vous tromper assez pour dire un jour : Je m'appelle Raymond, je suis de Paris, mon père est un banquier ?

- Non.

- Pensez-vous pouvoir jamais vous abuser jusqu'à dire : c'est moi qui ai inventé la poudre à canon et la machine à vapeur ?

- Plaisanterie !

- Non, c'est très sérieux. Sur des sujets si simples, on ne se trompe pas ; on dit vrai, ou l'on ment. Ainsi, quand Jésus a dit : " Je suis le Fils unique de Dieu, je suis descendu du ciel, mon père est le Créateur du monde, " il n'a pu se tromper ; il a dit vrai, ou il a menti. Et si vous voulez absolument en faire un philosophe, traitez-le donc comme un philosophe.
Socrate, Platon, Aristote ont dit : Nous sommes des hommes ; Jésus a dit : Je suis le Fils de Dieu. Si vous croyez les premiers, pourquoi ne pas croire le dernier ? Vous y refuser, c'est le traiter non pas en sage mais en menteur.
Maintenant, étudions ses actes.

Je ne m'arrêterai pas à vous faire admirer la morale de Jésus-Christ, car je sais que vous l'admirez déjà et que vous êtes prêts à dire comme les incrédules de tout les temps : " Jamais homme ne parla comme cet homme. " Je ne veux pas non plus vous parler de ses miracles, car ils sont en question entre vous et moi. Mais je veux vous parler de sa conduite et la comparer à celle des philosophes anciens et modernes.
Jésus-Christ a donné des préceptes excellents ; les philosophes aussi. Jésus-Christ a dit : Soyez justes, chastes, charitables ; les philosophes aussi. Jusques là, ressemblance ; mais voici l'opposition : les vertus que Jésus-Christ a recommandées aux autres, il les a pratiquées lui-même ; tandis que celles que les philosophes ont conseillées, pas un d'eux ne les a mises en action.

Sénèque a écrit sur la pauvreté, appuyé sur une table d'or. Cicéron a parlé contre les fausses divinité sous la robe d'un augure. Socrate a recommandé la chasteté, et l'on n'ose pas nommer ses plaisirs. Jean-Jacques a publié un beau livre pour recommander l'éducation des enfants, et il a mis les siens aux enfants trouvés. Voltaire s'est moqué de la messe, ce qui ne l'a pas empêché de communier pour se vanter ensuite de son hypocrisie.
Je m'arrête dans cette énumération ; mais je ne crains pas d'affirmer que les philosophes ont en général bien dit et mal fait. En est-il un seul qui pût interpeller les témoins de sa vie : " Qui de vous me convaincra de péché ? "

Eh bien ! cette parole, que pas un philosophe n'oserait répéter, Jésus l'a prononcée sans être démenti. Les quatre évangélistes, qui ont raconté sa vie, ont un accent de véracité tel qu'après les avoir lus, on reste convaincu que leur héros a vécu, et vécu tel qu'il est représenté, à la fois humble et sublime ; débonnaire et courageux ; ami du pauvre, censeur des orgueilleux, mangeant à la table du péager, faisant la leçon aux Pharisiens, vivant d'aumônes, sans un lieu pour reposer sa tête : instruisant tout à tour la multitude et une pauvre veuve ; n'estimant aucun homme assez petit pour le dédaigner, ni assez grand pour le craindre.

Aux Sadducéens qui lui tendent des pièges, il répond avec calme, non pour les confondre, mais pour les instruire ; aux prêtres qui le jugent, il oppose, non le désaccord des faux témoins, ce qui pourrait le sauver, mais la prétention d'être le Fils de Dieu, ce qui doit le perdre.
Jadis, il avait donné ce précepte : " Si on te frappe sur une joue, présente l'autre "; aujourd'hui, il donne l'exemple, en disant avec calme à l'huissier qui le soufflette : " Fais voir ce que j'ai dit de mal. " Le même Jésus qui répond à Pilate : "Mon règne n'est pas de ce monde, " refuse la couronne des mains du peuple et censure son disciple tirant l'épée pour le défendre. Sur la montagne, il avait dit à la foule : " Pardonnez à vos ennemis " ; sur le Golgotha, il prie pour ses bourreaux : " Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ! " Jérusalem a refusé ses instructions, repoussé sa personne ; Lui, en face de la ville ingrate, pleure et s'écrie : "Jérusalem ! Jérusalem, combien de fois n'ai-je pas voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins ; mais vous ne l'avez pas voulu ! "

Si je ne puis, à vous incrédule, présenter sa mort comme expiatoire, je puis la présenter comme volontaire. A ne tenir compte dans l'Evangile que de la partie historique, vous ne sauriez nier que jésus n'ait instruit le peuple au péril de sa vie, et qu'à l'heure du danger il n'ait refusé de la conserver par une rétractation.

Comparez à cet égard Jésus et Socrate. Le philosophe ne pouvait, sans mentir, nier sa foi en un Dieu unique ; si Jésus n'eût été qu'un philosophe, il pouvait sans mentir, renier le nom de Fils de Dieu. Socrate n'avait pour le défendre, ni le peuple, ni des amis puissants. Jésus refuse pour soutien de sa cause le glaive de ses disciples et le patriotisme du peuple, désireux de le faire roi et impatient du joug des Romains. Toutefois Jésus n'a voulu s'appuyer ni sur ses disciples, ni sur le peuple ; il est allé comme une brebis muette se livrer au boucher ! Un écrivain incrédule l'a mieux dit que je ne saurais le faire ; écoutez Jean-Jacques Rousseau comparant Socrate et Jésus-Christ :

" Se peut-il que celui dont l'Evangile fait l'histoire ne soit qu'un homme ? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire ? Quelle douceur, quelle pureté dans ses mœurs ! quelle grâce touchante dans ses instructions ! quelle élévation dans ses maximes ! quelle profonde sagesse dans ses discours ! quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses ! quel empire sur ses passions ! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans faiblesse et sans ostentation ? quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronique au Fils de Dieu ? Quelle distance de l'un à l'autre ! Socrate, mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu'au bout son personnage et, si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son esprit, fût autre chose qu'un sophiste. Mais où Jésus avait-il pris chez les siens cette morale élevée et pure, dont lui seul a donné les leçons et l'exemple ? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce que l'on puisse désirer ; celle de Jésus, expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible que l'on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui la lui présente et qui pleure ; Jésus, au milieu d'un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. "

Mais si l'histoire ne vous suffit pas pour prononcer s'il est un philosophe ou l'envoyé de Dieu, il vous reste un moyen de trancher la question : c'est de comparer les résultats de son œuvre aux résultats des œuvres des plus grands génies. Quels sont aujourd'hui les fruits de la sagesse de Socrate et de Platon ? Où trouverez-vous, je ne dis pas une nation, mais une ville, une famille se disant socratiste ou platonicienne ? Connaissez-vous un homme qui se conduise d'après les principes d'Aristote ? Epicure a-t-il moralisé un seul païen ? Sénèque consolé un seul pauvre ? Rousseau édifié un seul malade ? Voltaire rassuré un seul mourant ? On a bien ouvert des écoles, des académies, pour discuter leurs théories ; mais en sortant de la salle, qui donc s'est inquiété de mettre en pratique leurs philosophies ? On rirait au nez d'un homme qui viendrait à exhorter à la patience, à la charité, au nom de Marc-Aurèle ou de Cicéron ; et si on le tentait au nom de Voltaire ou de Rousseau, moralistes les plus goûtés en France, l'auditoire crierait au scandale !

Aujourd'hui, on invoque chez le peuple la philosophie, non pour recommander les vertus, mais pour s'en affranchir ; on en déduit, non la morale, mais la liberté ou plutôt la licence : tandis que le seul mot d'Evangile porte avec lui un tel parfum de sainteté, qu'on évite de le prononcer. On sent qu'il oblige. On sent que Jésus-Christ est un moraliste sérieux. Si sérieux en effet, qu'il a changé la face du monde...

Voilà les résultats obtenus par Jésus-Christ. Est-ce œuvre d'un homme ou d'un Dieu ? Si maintenant nous pouvions étudier ce Jésus, non plus dans sa vie visible et son action sur le monde civilisé, mais dans sa tendresse pour ses amis, son dévouement pour ses apôtres, son obéissance envers son Père ; si nous pouvions pénétrer dans le cœur aimant qui a dit:

" Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là devient mon frère, ma sœur, ma mère. Je suis un berger qui donne sa vie pour ses brebis ; mon commandement, c'est de vous aimer les uns les autres. Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père. "

Si nous savions sonder des paroles telles que celles-ci :

" Quiconque voudra faire la volonté de mon Père connaîtra si ma doctrine vient de Dieu, " ou comme celles-là : " La lumière est venue dans le monde, mais les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises, " oh ! alors loin de prétendre juger Jésus-Christ, nous le laisserions nous juger nous-mêmes ; nous prendrions pour nous cette parole de condamnation, afin de pouvoir ensuite, repentant, prendre aussi cette parole de salut : " Je ne mettrai pas dehors quiconque viendra vers moi. Je le ressusciterai au dernier jour. "

Lecteur, les pages que vous venez de parcourir peuvent bien rester impuissantes à vous persuader une vérité qui ne prétend à rien moins qu'à diriger votre vie. Mais peut-être aussi vous suffiront-elles pour vous faire étudier ce sujet. Il ne s'agit pas ici d'une science qu'on puisse, à volonté, poursuivre ou négliger ; mais d'une affaire capitale, nécessaire pour chacun : du salut de son âme. Faites connaissance plus intime avec Jésus-Christ en lisant et relisant son Evangile, et vous vous convaincrez que Celui qui naquit obscur, vécut pauvre, mourut crucifié, n'a pas pu changer le monde sans l'intervention du Créateur ; ce n'est pas un philosophe, c'est l'envoyé de Dieu.

 

Napoléon ROUSSEL
(1805-1878)


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