Le dicton du peuple

LES MIRACLES SONT IMPOSSIBLES

et la réponse de Jésus-Christ

 


 

Les miracles sont impossibles, dit-on ; moi je demande : Pourquoi ?

-- Parce que, me répond-on, un miracle est le renversement des lois de la nature, supposition absurde, puisque ces lois sont immuables.

Voilà, j'en conviens, une de ces belles phrases qui ont le privilège de jeter de la poudre aux yeux de ceux qui se contentent de parler sans se comprendre. Mais, comme je veux savoir ce que signifient ces paroles, je demande la permission de les examiner de près.

D'abord vous dites que le miracle est un renversement ; je ne le crois pas. Celui qui a créé la loi a pu prévoir le miracle et y donner place dans la loi même. La loi s'accomplit tous les jours d'une manière incessante, comme le miracle peut arriver au bout d'un certain temps fixé. Il est telle plante qui donne des feuilles chaque année et qui ne fleurit que beaucoup plus rarement. Dira-t-on que la fleur qui, pendant de longues années, n'a pas paru, ne peut pas sortir l'année suivante parce que ce serait un renversement de la loi suivie pendant un si long temps ? Non, mais on dit, avec raison : Cet arbre donne des feuilles tous les ans et des fleurs moins souvent ; l'exception de l'année de la floraison a été prévue et voulue. 

Prenons un autre exemple. Le retour de telle comète, qui peut être annoncée à jour fixe, a cependant été une fois retardé. On en a conclu que durant cette course elle avait passé plus près d'autres astres qui, sous l'influence de l'attraction universelle, avaient ralenti sa marche. C'est ce qu'on appelle en astronomie une perturbation. Ce phénomène sidéral est une juste image du surnaturel sur la terre. Le miracle est une perturbation voulue et prévue par le Créateur.

Ensuite, voudriez-vous me dire ce que c'est qu'une loi de la nature ?
Est-ce une loi que la nature subit ou que la nature impose ?
Cette loi est-elle faite ou fatale ?
A-t-elle un Créateur, ou bien est-elle éternelle, aveugle, matérielle ?

Si cette loi a été établie, comment celui qui l'a posée ne pourrait-il pas la suspendre ?
Si, au contraire, cette loi est fatale, ce n'est pas une loi : ce n'est qu'une succession de faits qui s'est produite jusqu'à ce jour. Vous n'avez pas le droit d'affirmer qu'elle se produira encore, car vous ne connaissez pas la nature des choses. Tout ce que vous pouvez dire, c'est que vous avez toujours vu les choses ainsi ; vous ne savez pas, de science certaine, qu'elles ne sauraient être autrement.

Ainsi, vous dites : La terre a toujours tourné autour du soleil d'une marche régulière, elle ne peut donc pas être arrêtée... Ce qui revient à dire que rien, dans l'univers, ne saurait être changé, que notre globe a toujours existé et qu'il existera toujours. Mais vous ne savez donc pas que la science moderne (non pas la Bible, mais la science) a reconnu qu'il y avait dans les espaces non seulement des mondes en voie de formation, mais encore des mondes tombés en ruines qui se promènent dans le vide où d'autres ont déjà complètement disparu ? Cela prouve que quelques changements ont pu intervenir dans l'état des choses jusqu'alors maintenu.

Soit donc que vous disiez que les lois de l'univers ont été établies ou qu'elles sont fatales, je vous réponds, non plus par des raisonnements, mais par des faits : ces lois ont été plus d'une fois renversées.

Enfin, qu'est-ce donc que la nature dont vous parlez avec tant d'assurance ? le savez-vous ? Est-ce une volonté ou la fatalité ? Est-ce un Dieu ou de la matière ?

Moi je vais vous dire ce que c'est que votre nature : c'est un mot ! rien de plus. Remplacez ce mot par la chose, et vous sentirez mieux la vérité de ce qui précède. Au lieu du mot nature, qui est équivoque, mettez le mot Dieu ou matière, Dieu volontaire ou matière sans volonté ; et alors votre fameuse phrase deviendra celle ci, qui a du moins l'avantage d'être claire : Le miracle est impossible, parce qu'il est un renversement des lois de Dieu ou des lois de la matière.

Si vous choisissez Dieu, je dis : Dieu peut changer ou suspendre les lois qu'il a établies. Si vous préférez la matière, je réponds que vous ne connaissez pas cette matière pour affirmer ce qui adviendra, et que vous avez d'autant moins le droit de déclarer que ces mouvements sont immuables, que l'astronomie vous montre des mondes qui commencent et des mondes qui finissent ; il y a donc dans les lois de l'univers quelque chose qui peut changer.

Mais donnons à ces vérités une forme plus frappante. Dire que le miracle est impossible, c'est dire même que Dieu n'existe pas.
Si ce Dieu a une volonté, à quoi lui sert-elle ? A rien ; les lois de la nature le lient ; elles sont immuables ; il faut que lui-même les suive. Il s'est donné un maître dans une force aveugle ; il a lancé la terre et ne peut plus l'arrêter. S'il lui opposait un obstacle, la terre l'emporterait dans sa course, car sa course ne saurait être suspendue.
Il a pu créer, mais il ne peut détruire ni modifier ; il a abdiqué son pouvoir sur l'énergie de la matière.

Nous l'avions cru bon en voyant sur la terre nos moissons, nos amis, nos joies ; c'était une erreur ; les choses sont ainsi, parce qu'elles sont ainsi ; Dieu, qui ne les conserve pas, n'a pas pu les créer.

L'eau rafraîchit, les fruits nourrissent, parce que l'eau rafraîchit et parce que les fruits nourrissent ; Dieu n'y avait pas pense. Que dis-je ? un Dieu qui ne peut rien changer à son \9Cuvre n'a pas fait cette \9Cuvre ; l'\9Cuvre existe, mais sans Créateur ; alors pourquoi donc imaginer un Dieu inutile dans le passé comme dans le présent ? La matière seule existe, elle a toujours existé ; il n'y pas de Créateur ; il n'y a pas de Dieu ! Voilà la conclusion forcée de cette assertion : Le miracle est impossible.

Mais il est une preuve qui vaut mieux que les raisonnements : ce sont les faits. Au lieu de dire : Le miracle est-il possible ? beaucoup mieux vaudrait dire : Qui a vu un miracle ? A cette question, je réponds : C'est vous, vous qui l'avez vu ! Ecoutez.

Je pourrais vous faire remarquer que la Bible a prédit, il y a quatre mille ans, que le peuple juif serait dispersé, persécuté, et, toutefois, conservé sans jamais se confondre avec les autres nations ; vous savez qu'en désignant Jérusalem, debout, Jésus-Christ a dit : Il n'y restera pas pierre sur pierre ; qu'en parlant de son Evangile, il a déclaré qu'il serait prêché sur toute la terre habitable et que le ciel et la terre passeraient plutôt que ses paroles.

En même temps que vous savez cela avec certitude, vous voyez de vos yeux avec évidence qu'en effet, aujourd'hui, les juifs sont dispersés sur tous les points de la terre, qu'ils ont été seuls conservés de toutes les nations antiques, qu'ils ont été persécutés, méprisés, tourmentés dans tous les siècles, et qu'on les reconnaît entre mille aux traits de leur visage.

Vous voyez aussi de vos yeux, et avec non moins d'évidence, que l'Evangile est porté sur toute la terre habitable par des missionnaires, que la parole de Jésus-Christ est plus répandue, plus vivante que jamais ; qu'on la trouve par millions d'exemplaires dans les maisons, dans les c\9Curs, dans les bouches, dans la vie des chrétiens ; vous savez par les témoignages de l'histoire et des voyageurs, que la Jérusalem ancienne a été détruite, qu'il n'y est pas resté pierre sur pierre.

 Je pourrai donc vous dire : Voilà des prophéties nombreuses, éclatantes, vastes comme le monde, accomplies sous vos yeux ; ce sont bien autant de miracles que vous-mêmes voyez et touchez ; mais non je ne veux pas insister sur tous ces points. J'aime mieux vous montrer un prodige d'un autre genre, si grand qu'il enveloppe le globe ; si puissant qu'il dirige les peuples ; si beau, qu'il engendre la seule civilisation morale qui ait jamais paru sur terre. Ce miracle, le voici.

A l'époque où Jésus-Christ vint dans ce monde, les peuples les plus policés se distinguaient des nations barbares par leur courage militaire, leurs arts, leurs sciences ; mais remarquez le bien, ces mêmes peuples, guerriers, artistes, philosophes, savants, n'étaient pas des peuples moraux, tant s'en faut. La corruption des m\9Curs, au contraire, s'était développée avec les succès guerriers, artistiques et littéraires.

C'est quand les Romains eurent vaincu l'univers, amoncelé en Italie toutes les richesses des peuples, réuni toutes les délices du luxe et de la bonne chère, c'est alors que fut à son comble l'immoralité : adultère et divorce, dans la famille ; esclavage pour la moitié de la nation ; jeux meurtriers où l'on jetait des hommes vivants par centaines à des bêtes féroces, ou mieux encore à d'autres hommes non moins féroces, pour divertir les spectateurs.

En Grèce la femme confinée dans le gynécée, comme aujourd'hui chez le Turc, dans le harem ; cette femme traitée en servante, assimilée à un meuble, à la matière propre à satisfaire les caprices de l'homme, et puis rejetée..., l'homme devenu femme...; mais je m'arrête et me résume : ces peuples venus avant Jésus-Christ pouvaient bien se dire courageux, artistes, philosophes ; mais, certes, ils n'étaient pas moraux !

Qu'a fait Jésus-Christ de ces mêmes peuples ? Il les a transformés par son Evangile : non par la force des armes, la séduction des richesses ou les voluptés, mais par la simple parole de son Evangile.

Il leur a dit : Chargez ma croix et me suivez ; comme moi vous serez persécutés ; on vous jugera, on vous condamnera, on vous fera mourir. N'importe, soyez saints, comme je suis saint ; dévouez-vous à vos frères, aimez vos ennemis ; respectez la femme ; plus d'esclaves parmi vous : vous êtes tous frères ; que les premiers se fassent les derniers !

Il dit et bientôt les peuples dociles obéissent à sa simple parole : les idolâtres tombent, les cirques se ferment, les gynécées s'ouvrent, la femme devient l'égale de l'homme ; on la respecte ; l'esclave est affranchi par le maître chrétien ; des institutions de charité s'élèvent, des chaires de moralisation se dressent à la place des autels où se pratiquait l'impudicité : écoles, hospices, asiles pour les malades, les vieillards, les pauvres, les enfants, se multiplient, et aujourd'hui dans les contrées où règne cet Evangile, il n'est plus possible à l'indigent de rester dans l'ignorance, au malade de mourir dans la rue, au vieillard dans l'abandon. La famille est honorée, la morale respectée de ceux mêmes qui ne la suivent pas toujours.

Non contents de vivre selon la piété, ces chrétiens envoient jusqu'au bout de la terre des hommes dévoués porter la foi et la pureté des m\9Curs... Je le répète à dessein, cette civilisation ne ressemble à aucune autre, ni de l'antiquité grecque ou romaine, ni des temps modernes dans la Chine et les Indes. Seule cette civilisation est essentiellement morale. Or je le demande, une transformation morale accomplie par la simple parole, chez tous les peuples, dans tous les siècles, une transformation morale universelle, n'est-elle pas un fait unique, admirable, divin ? N'est-ce pas un prodige, un vrai miracle ? Ce miracle, ne le voyez-vous pas ? ne vous enveloppe-t-il pas ? n'est-ce pas une atmosphère spirituelle que vous respirez et qui vous fait vivre sans que vous y songiez ?

Remarquez combien cette civilisation morale est supérieure à toutes les autres. Quand il ne s'agit que d'aguerrir des soldats, de former des artistes, des savants, on a pour soi toute l'énergie des maîtres et des élèves : l'amour de la gloire, le goût de la musique, de la peinture, le stimulant de la richesse et du bien-être ; une telle civilisation flatte tous les penchants de l'homme ; il suffit d'être égoïste, vaniteux, voluptueux, pour s'y livrer. Mais une civilisation morale soulève contre elle ceux mêmes qu'elle a pour mission de dompter. Pour qu'elle réussisse, il lui faut donc d'autres agents que l'homme. Pour former des c\9Curs humbles, aimants, dévoués, il ne faut pas une puissance moindre que pour former un corps.

Ce sont deux créations : l'une spirituelle, l'autre physique. Je n'admire pas moins un monde moral qu'un monde matériel, et c'est un monde matériel que Jésus-Christ a fait naître du sein même de la corruption. Si ce n'est pas là un miracle faites-en donc autant, vous et tous vos incrédules ! Et, si vous en êtes incapables, comme vous l'avez laissé voir depuis Platon jusqu'à Voltaire, convenez donc que l'Evangile a produit ce que tous les livres et tous les hommes ensemble n'avaient pas même soupçonné.

Voilà le miracle en fait ; maintenant niez le si bon vous semble en théorie. Dites le miracle est impossible ; je vous répondrai toujours : le miracle est sous vous yeux.

Peut-être me direz-vous que ce n'est pas de semblables miracles que vous parlez ; mais que vous avez en vue ces guérisons de malades, ces résurrections des morts, mentionnées dans l'Evangile. Je le sais bien ; aussi j'y vais venir.

Puisque vous ne niez pas la révolution spirituelle, grand miracle moral accompli sur le genre humain par Jésus-Christ, vous reconnaissez par cela même que Jésus-Christ n'est pas un homme ordinaire ; que c'est un envoyé spécial de Dieu et un envoyé plus grand qu'aucun de ceux qui ont jamais paru. Jésus est tout simplement ce qu'il a dit lui-même, la lumière du monde, le Fils unique de Dieu, le Sauveur des croyants.

Mais si Jésus-Christ est cet être extraordinaire, est-il étrange que pendant sa présence sur la terre il ait accompli des prodiges ? Ces miracles n'étaient-ils pas à la fois en harmonie avec sa grandeur, avec le besoin de se faire reconnaître pour un messager céleste, et enfin avec la nature du peuple auquel il avait affaire ? La génération qui vivait alors devait-elle attendre pour preuve le développement moral, accompli de nos jours, pour croire en Jésus-Christ ? Etait-elle seulement capable d'apprécier le caractère moral de l'Envoyé divin ? Ne lui fallait-il pas des signes frappants, indubitables, visibles, que Jésus-Christ venait des cieux ?

Cela est si vrai, qu'aujourd'hui, comme jadis, l'incrédule qu'on exhorte à la foi répond volontiers : Qu'on me montre un miracle, et je croirai. Eh bien ! les Juifs de jadis, comme les hommes d'aujourd'hui, ont obtenu, chacun de son côté, des miracles appropriés à leur temps, leurs besoins, leurs lumières : aux Juifs Jésus a multiplié les pains ; à notre génération raisonneuse, il donne le miracle d'une régénération morale transformant les peuples.

Les miracles sont divers, mais ce sont toujours des miracles. Tous se tiennent ; le dernier de la chaîne prouve l'existence des premiers. Il faut tous les rejeter ou tous les admettre.

En effet , les prodiges et les faits ordinaires sont tellement liés dans l'Evangile, qu'il est impossible de retrancher les uns sans anéantir les autres. Quand même la critique parviendrait à effacer des récits apostoliques tel ou tel miracle, et, si vous voulez, dix miracles, vingt miracles, il en resterait toujours plus qu'il n'en faut pour constater que le miracle est possible.

 

Napoléon ROUSSEL
(1805-1878)


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