« Madame, je viens d'entendre l'homme de mon royaume qui parle le mieux. » C'est ce que faisait remarquer Louis XIV à la reine, juste après avoir écouté une plaidoirie du ministre protestant Pierre Du Bosc qui l'avait fortement ébranlé, en faveur du maintien des prérogatives de l'Édit de Nantes. Dès 1668, ce pasteur respecté et admiré même des catholiques pour son éloquence, avertissait prophétiquement le despote :
«L'Édit est maintenant regardé par eux comme une digue faite pour leur sûreté. Mais quand ils verront faire à cette digue une si large ouverture, ils ne concevront plus rien qu'une chute de torrents et qu'une inondation générale. Tellement que dans ce trouble et dans ces appréhensions, chacun d'eux tâchera sans doute à se sauver par la fuite, ce qui dépeuplerait votre royaume de plus d'un million de personnes, dont la retraite ferait, un insigne préjudice au négoce, aux manufactures, au labourage, aux arts et aux métiers, et même en toutes façons au bien de l'État.»
Ce qui n'empêcha pas Louis XIV, comme chacun sait, de révoquer cet Édit plusieurs années plus tard (1685) ; il est vrai qu'à sa décharge, le roi était fort mal conseillé, et sous l'emprise superstitieuse des Jésuites. Du Bosc dut s'exiler comme les autres.
Relisant les sermons des réformés du grand siècle, on ne peut qu'être étonné de l'extrême déférence dont ils faisaient preuve vis-à-vis d'un monarque que l'Histoire a jugé si négativement quant au bien de la France, l'accablant souvent de louanges qui nous mettent mal à l'aise. C'est que l'idée de la royauté absolue, incarnée par Louis XIV, et qui dans la réalité humaine pécheresse n'a pu que dégénérer en tyrannie, porte en elle-même un caractère biblique et divin. Du Bosc terminait ainsi sa harangue au roi : «Je ne donne rien à mon caractère ni à ma religion ; je dis les choses comme elles sont. Vous tenez la place de Dieu, et j'agis devant Votre Majesté comme si je voyais Dieu lui-même, dont vous êtes l'image. Je proteste saintement en votre présence que je dis la vérité telle qu'elle est. » Il n'y a nul doute qu'il le pensait vraiment. Car il est pertinent de parler d'un Roi Soleil, dont le lever glorieux rappelle tous les jours à la nature et aux hommes la Résurrection. Seulement, ce n'est pas Louis. Il y a bien un Roi dont la devise peut dire avec vérité, Nec Pluribus Impar, à nul autre pareil, mais c'est Jésus-Christ, le plus beau des fils de l'homme. Et comme il n'est pas possible qu'une idée vraie (c-à-d une idée qui existe en Dieu), n'affecte pas ce que les hommes écrivent ou composent, lorsqu'elle les habite, la majesté du grand siècle a imprégné jusqu'à ses sermons et ses clairons. Quand bien même ils nous paraissent surannés, l'image du grand Roi flotte encore au-dessus d'eux : les quelques phrases musicales qui précédent et suivent ce merveilleux sermon de Pâques de Du Bosc en témoignent.
Ceci rend d'autant plus intéressant le second sermon que nous rééditons, La Condition de l'Église, dans lequel il conclut que contrairement à l'opinion, les vrais nobles et les vrais sages ne sont pas ceux que le monde honore de ces titres, mais ceux qui appartiennent à Christ. Du Bosc a exercé la plus grande partie de son ministère à Caen ; contraint de s'exiler, il mourut à Rotterdam. Un résumé de sa vie et une pertinente analyse de son homilétique peuvent se lire dans l'ouvrage de Vinet : Histoire de la Prédication parmi les Réformés de France au dix-septième XVIIe siècle.