28 à 34 Les démoniaques de Gadara.
Comparer Marc 5.1-20,Luc 8.26-39.
- Le nom des habitants de cette localité varie dans les manuscrits et les Pères entre Gergéséniens Géraséniens et Gadaréniens. Le texte reçu a conservé ce dernier nom dans Marc et Luc, tandis que dans Matthieu il porte Gergéséniens. Tischendorf varie dans son texte d'un évangile à l'autre, et d'une édition à l'autre, consultant les manuscrits et non. la géographie, très obscure sur ce point. (voir M. F. Godet, Commentaire sur Luc 8.26 ; 3e édition.)
Gadara, l'une des villes de la Décapole, était située au sud-est du lac de Génézareth. Son territoire s'étendait jusqu'à ce lac. (Josèphe, Guerre des Juifs, IV, 7, 3.)
Gerasa était une grande ville à vingt lieues au sud-est du lac, vers les frontières de l'Arabie. Enfin les Pères mentionnent une ville de Gergesa qui topographiquement conviendrait à notre récit.
Ces malheureux, dont la maladie, quelle qu'en fut d'ailleurs la cause, parait avoir été une folie furieuse, se tenaient dans des sépulcres, c'est-à-dire dans ces grottes creusées au flanc d'une montagne, et où l'on ensevelissait les morts. Ils en sortaient quand la vue de quelque passant excitait leur fureur. De là le danger qui faisait éviter ce chemin. Ils sont appelés ici et souvent ailleurs démoniaques (grec démonisés), c'est-à-dire qu'ils étaient sous l'influence d'êtres mystérieux appelés esprits ou démons. (Matthieu 8.16 ; Luc 9.37 et suivants)
Bien qu'ils soient distincts du diable, l'Evangile les met dans une relation étroite avec le royaume des ténèbres et avec Satan qui en est le chef. (Matthieu 12.34-29 ; Luc 13.16) De là le caractère d'esprits impurs (Matthieu 10.1 ; Marc 1.23 ; Luc 4.33, etc.) ou méchants (Matthieu 12.45 ; Luc 8.2 ; Ephésiens 6.12 ; etc.) qui leur est attribué, indépendamment de l'état moral de ceux qui se trouvaient sous leur influence.
Souvent, en effet, ceux-ci étaient des êtres jeunes encore et irresponsables. (Matthieu 15.22 ; 17.15) Toutefois, bien que la méchanceté des démons ne soit jamais attribuée à leurs victimes, on peut supposer qu'en général c'était par leurs péchés et leur désordre moral que ces malheureux s'étaient livrés à l'influence des esprits impurs.
- Quels étaient ces esprits ? L'Evangile ne le dit nulle part clairement. L'opinion de quelques Pères de l'Eglise, qui se trouve déjà dans l'historien Josèphe, est que c'étaient les âmes d'hommes impies et méchants, tombées après la mort sous le pouvoir du prince des ténèbres, et qui cherchaient à nuire aux vivants. Mais la relation que les écrivains du Nouveau Testament établissent entre ces esprits et Satan, porte plutôt à croire qu'ils voyaient en eux des anges déchus comme lui.
- Plus importante est la considération des effets produits sur les malheureux qui se trouvaient sous cette ténébreuse influence. Ces effets paraissent être à la fois physiques et psychologiques. Dans notre passage et ailleurs (Marc 5.3 et suivants, Luc 8.29), on ne peut méconnaître les symptômes de l'aliénation mentale portée jusqu'à la fureur.
En d'autres cas, on reconnaît les symptômes évidents de diverses maladies : l'épilepsie, (Matthieu 17.15,Luc 9.39,Marc 9.22) le mutisme (Matthieu 9.32, comparez Marc 9.17) ; la paralysie Luc 13.11 la cécité jointe au mutisme. (Matthieu 12.22) Aussi l'action libératrice du Sauveur sur ces malades est-elle exprimée, tantôt par chasser (grec jeter dehors) les esprits (verset 16) etc., tantôt par le mot guérir, qui se rapporte à la maladie. (Matthieu 15.28 ; Luc 6.18)
- Tels sont les faits que les évangélistes nous présentent. Quelle idée pouvons-nous nous en faire aujourd'hui ?
Ce n'est pas seulement le rationalisme qui cherche à expliquer ces faits d'une manière toute naturelle, des interprètes pleins de foi et de piété, ne veulent voir dans les démoniaques du temps de Jésus que des malades ordinaires, malades d'esprit ou de corps, qu'il guérissait par sa parole puissante, et dont la croyance populaire du temps attribuait les souffrances à une influence satanique.
Ils fondent cette opinion sur les raisons suivantes (voir Meyer sur Matthieu 4.24) :
1° l'absence de démoniaques dans l'Ancien Testament ;
2° la pratique de l'exorcisme chez les Juifs, (Matthieu 12.27)
3° l'absence de démoniaques constatée de nos jours,
4° le silence absolu de l'Evangile de Jean sur ces Guérisons, bien que cet apôtre reconnaisse clairement l'action de Satan sur les méchants (Jean 13.2,27 ; 8.44) et les idées de son temps sur les démoniaques ; (Jean 7.20)
5° le fait que ces démoniaques ne manifestent aucune des dispositions diaboliques que ferait attendre leur possession par un esprit impur et méchant.
Quelques-unes de ces raisons ne sont pas sans poids, d'autres ont peu de valeur. Mais là n'est pas la question En présence de faits psychologiques qui appartiennent à ce domaine si obscur du monde des esprits, la seule chose qu'ait à se demander l'exégèse est celle-ci : Qu'est-ce que les évangélistes ont voulu raconter ? et surtout quelle est, au sujet des démoniaques, la pensée du Sauveur qui les guérissait ? A la première de ces questions, il ne peut y avoir qu'une seule réponse : évidemment les écrivains du Nouveau Testament ont rapporté des faits, à leurs yeux d'une parfaite réalité.
Les théologiens dont on vient de citer l'opinion l'admettent sans hésiter ; seulement ils supposent que ces disciples de Jésus ont écrit sous l'empire des idées universellement répandues en leur temps, et sans les discuter. Mais ces idées, Si elles eussent été fausses, n'auraient-elles pas été rectifiées par les paroles et par l'action de leur Maître dans les nombreuses guérisons de ce genre qu'il opérait ? Or qu'ont ils pu apprendre de lui ? Le voici : Jésus déclare publiquement qu'il "chasse les démons par l'Esprit de Dieu." (Matthieu 12.28 ; Luc 11.20, comparez Matthieu 13.32)
Il donne solennellement à ses disciples l'ordre et le pouvoir de chasser les esprits impurs. (Matthieu 10.1,8 ; Marc 3.15) Il leur explique pourquoi ils n'ont pu le faire en un certain cas. (Matthieu 17.21 ; Marc 9.29)
Il leur donne un enseignement sur l'action de tel esprit impur. (Matthieu 12.43 et suivants ; Luc 11.24) Quand les démons sont soumis aux disciples, il voit Satan, leur chef, précipité de son pouvoir. (Luc 10.17,18)
En présence de ces affirmations, il ne reste plus que cette alternative : Jésus s'est permis une accommodation, indigne de lui, aux erreurs de son temps, ou il a été lui-même dans l'erreur. De telles conséquences décident la question pour tous ceux qui croient au Fils de Dieu.
- Seulement il faut se garder d'abuser de ces faits pour nourrir une dangereuse superstition. Un pouvoir ténébreux a pu régner à l'époque de dégradation religieuse et morale où parut le Sauveur, mais ce pouvoir, il venait le briser, comme le prouve le dernier passage cité, Luc 10.18 et plus encore 1Jean 3.8. (Comparer la dissertation de M. F. Godet, Commentaire sur Luc 4.33-37, tome 1, p. 335 de la troisième édition.) |