Matthieu   13.1  à  13.23

1. Ce jour-là, Jésus étant sorti de la maison, s'assit au bord de la mer. 2. Et de grandes foules s'assemblèrent auprès de lui, de sorte que, montant dans la barque, il s'y assit ; et toute la foule se tenait sur le rivage. 3. Et il leur parla en paraboles sur beaucoup de choses, disant : Voici, le semeur sortit pour semer ; 4. et comme il semait, une partie tomba le long du chemin, et les oiseaux vinrent et la mangèrent toute. 5. Une autre tomba sur des endroits rocailleux, où elle n'avait pas beaucoup de terre, et aussitôt elle leva, parce qu'elle n'avait pas une terre profonde. 6. Mais le soleil s'étant levé, elle fut brûlée, et parce qu'elle n'avait pas de racine, elle sécha. 7. Une autre tomba parmi les épines, et les épines montèrent et l'étouffèrent. 8. Et une autre tomba dans la bonne terre, et donna du fruit ; un grain cent, un autre soixante, et un autre trente. 9. Que celui qui a des oreilles, entende !

10. Et les disciples s'étant approchés, lui dirent : Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? 11. Et, répondant, il leur dit : Parce qu'il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux ; mais à eux, cela ne leur a pas été donné. 12. Car à celui qui a, il sera donné, et il aura en abondance ; mais pour celui qui n'a pas, cela même qu'il a lui sera ôté. 13. C'est pourquoi je leur parle en paraboles : parce qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils n'entendent ni ne comprennent. 14. Et pour eux s'accomplit la prophétie d'Esaïe, qui dit : Vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez point ; et en regardant, vous regarderez, et vous ne verrez point. 15. Car le cœur de ce peuple s'est engraissé ; et ils ont ouï dur de leurs oreilles, et ils ont fermé leurs yeux, de peur qu'ils ne voient des yeux, et qu'ils n'entendent des oreilles, et qu'ils ne comprennent du cœur, et qu'ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse. 16. Mais pour vous, heureux sont vos yeux, parce qu'ils voient, et vos oreilles, parce qu'elles entendent. 17. Car en vérité je vous dis que beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu, et entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu.

18. Vous donc, écoutez la parabole du semeur. 19. Quiconque entend la parole du royaume, et ne la comprend pas, le malin vient, et ravit ce qui a été semé dans son cœur ; c'est celui qui a reçu la semence le long du chemin. 20. Et celui qui a reçu la semence dans des endroits rocailleux, c'est celui qui entendant la parole, et la recevant aussitôt avec joie, 21. n'a cependant point de racine en lui-même, mais n'est que pour un temps ; et lorsque l'affliction ou la persécution survient à cause de la parole, il y trouve aussitôt une occasion de chute. 22. Et celui qui a reçu la semence parmi les épines, c'est celui qui entend la parole ; mais les soucis du siècle et la séduction des richesses étouffent la parole ; et elle devient infructueuse. 23. Et celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c'est celui qui entend et comprend la parole, qui, par conséquent, porte du fruit, et un grain en produit cent, l'autre soixante, l'autre trente.

PLAN
  1. L'occasion
    Jésus étant sur le bord de la mer, pressé par la foule avide de l'entendre, monte sur une barque, s'y assied, tandis que le peuple est debout sur le rivage, et il enseigne par des paraboles. (1-3.)
  2. Le semeur répandant sa semence,
    Une partie tombe sur le chemin, où elle est enlevée par les oiseaux ; sur des endroits rocailleux, où elle lève aussitôt, mais est brûlée par l'ardeur du soleil ; parmi les épines, où elle est étouffée ; enfin dans la bonne terre, et elle y produit un fruit abondant. (4-9.)
  3. Raison de l'enseignement en paraboles
    Alors les disciples demandent à Jésus pourquoi il enseigne par des paraboles. A quoi il répond : C'est parce qu'il n'a pas été donné à la foule de comprendre les mystères du royaume des cieux ; et c'est ainsi que s'accomplit en eux la prophétie d'Esaïe concernant l'inintelligence et l'endurcissement de leur cœur. Mais vous, vous êtes heureux de voir et d'entendre ce que tant de prophètes et de justes ont si longtemps désiré d'entendre et de voir. (10-17.)
  4. Explication de la parabole
    La semence, c'est la Parole divine, que le malin enlève du cœur de ceux qui ne la comprennent pas ; c'est là le chemin. Les endroits rocailleux représentent l'homme qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie, mais qui, dès les premières difficultés, retombe. Les épines, ce sont les soucis du monde, les séductions des richesses, qui étouffent la Parole et la rendent infructueuse. La bonne terre enfin, ce sont ceux qui entendent la Parole, qui la comprennent et produisent du fruit dans des proportions diverses. (18-23.)
NOTES
13.1 Ce jour-là, Jésus étant sorti de la maison, s'assit au bord de la mer.
  Chapitre 13. La retraite du Messie

Les paraboles du Royaume de Cieux

1 à 23 La fondation du Royaume. La parabole du semeur et son explication.

Comparer Marc 4.1-20 ; Luc 8.1-15.

- Ce jour-là était celui où Jésus avait prononcé les discours rapportés au chapitre précèdent et où il avait été interrompu par la visite de sa famille. (Matthieu 12.46) Tel est aussi l'ordre du récit de Marc. (Marc 3.31 ; comparez Marc 4.1 et suivants)

Luc place ces faits dans une autre suite, et rapporte la parabole du semeur sans indiquer le temps et le lieu où elle fut prononcée.

La maison d'où il sortit est celle où il était quand ses parents vinrent à lui. (Matthieu 12.46)

13.2 Et de grandes foules s'assemblèrent auprès de lui, de sorte que, montant dans la barque, il s'y assit ; et toute la foule se tenait sur le rivage.
  Quelle scène et quel culte ! Pour cathédrale, la voûte étincelante d'un ciel d'Orient ; pour auditoire, ces grandes foules, debout, couvrant au loin le rivage ; une barque de pêcheur sert de chaire, le prédicateur c'est Jésus !

- Les manuscrits varient entre la barque et une barque. S'il faut conserver l'article, cela signifierait une barque connue, peut-être appartenant à l'un des disciples.

13.3 Et il leur parla en paraboles sur beaucoup de choses, disant : Voici, le semeur sortit pour semer ;
  Ou par des paraboles.

Le mot grec parabole désigne l'action de mettre à coté l'un de l'autre deux objets dans le but de les comparer. L'un de ces objets, c'est le récit fictif d'un événement emprunté à la vie ordinaire ou à la nature, et qui n'a d'autre but que de présenter à l'esprit une vérité religieuse ou morale qui est comparée, assimilée à cet événement.

De là le mot similitude qu'affectionnent nos anciennes versions.

"La parabole a deux parties, le corps et l'âme : le corps est le récit de l'histoire qu'on a imaginée, et l'âme, le sens moral ou mystique caché sous les paroles ou le récit." Littré.

Il faut remarquer toutefois que dans le Nouveau Testament le mot de paraboles ne s'applique pas seulement à ces récits allégoriques prolongés qu'employait si souvent le Sauveur, mais aussi à toute comparaison ou image dessinée à illustrer la pensée. (Ainsi Matthieu 15.15 ; 24.32 ; Marc 3.23 et suivants ; Luc 4.23 ; etc.)

Il est important de remarquer encore la différence notable qu'il y a entre la parabole et un autre genre analogue d'enseignement, la fable. Dans celle-ci le récit fictif n'est pas nécessairement emprunté au domaine du possible et du vrai, elle fait penser et parler les animaux, les plantes, etc.

Jamais Jésus ne se permet rien de pareil dans ses paraboles. Tout dans son récit est tellement naturel et vrai, que souvent on se demande si c'est un fait réel ou une fiction. Ainsi, le semeur, le bon Samaritain, l'enfant prodigue, etc. Et ces histoires sont, au point de vue de la forme, d'une telle beauté, d'une si grande perfection, qu'on s'arrêterait beaucoup plus à les admirer à cet égard, si les imposantes vérités religieuses qu'elles renferment ne s'emparaient de toute notre attention.

Au fond, la parabole du Nouveau Testament est une création de Jésus-Christ. Ni les mythes des anciens, ni la fable qu'on lit au chapitre 9 du livre des Juges Juges 9, ni les maschals du prophète Ezéchiel (Ezéchiel 17.2 ; 24.3) n'en pouvaient donner l'idée.

Grec : Il leur dit beaucoup de choses.

Ceux qui nient la vraisemblance historique d'un long discours compose d'une série de paraboles, et qui attribuent à Matthieu ce recueil de similitudes prononcées par Jésus en divers temps, ne peuvent voir dans ces paroles d'introduction, comme dans celles qui servent de conclusion au récit (v.53), qu'une invention de l'évangéliste de même, la mise en scène qui se trouve aux versets 1 et 2, ne serait qu'un cadre fictif donné à ce grand tableau.

A cette opinion on peut opposer les remarques qui suivent :

1° Matthieu ne prétend nullement rapporter un discours soutenu, composé de sept paraboles et de l'explication de deux d'entre elles. Il marque lui-même, dès le verset 10, une première interruption provoquée par une question des disciples et la réponse de Jésus ; il en marque une seconde, par une réflexion sur ce genre d'enseignement, (verset 34) et enfin une troisième, avec changement complet de lieu et de temps, (verset 36) alors que Jésus n'avait encore prononcé que deux paraboles, sans doute avec des développements et des applications sérieuses à son grand auditoire.

2° Il est très possible, probable même, que Matthieu, selon sa méthode de grouper les enseignements et les faits homogènes, ait volontairement consigné ici telles paraboles de moindre étendue que Jésus avait prononcées ailleurs, et auxquelles Luc assigne une autre place. (Luc 13.18-21)

3° Que Jésus ait fait, au bord de la mer, un discours prolongé dans lequel à plusieurs reprises, sa parole revêtit la forme de la parabole, c'est ce que témoigne positivement le récit de Marc. (Marc 4.1,2) Cet évangéliste rapporte quelques-unes de ces paraboles, une même, que Matthieu n'a pas, puis il ajoute : (verset 33) "Et par beaucoup de paraboles semblables, il leur annonçait la parole."

4° On peut faire observer avec Meyer que "l'assemblage de ces sept paraboles présente aussi peu d'invraisemblance historique que le sermon sur la montagne, cette prédication en paraboles est le prolongement de ce dernier, comme l'édifice s'élève sur le fondement."

13.4 et comme il semait, une partie tomba le long du chemin, et les oiseaux vinrent et la mangèrent toute.
  Jésus dira lui-même (verset 19) ce qu'il entend par ces oiseaux.

Ici, nous nous en tenons exclusivement à la lettre du récit.

Le semeur (grec le semant ou celui qui sème) n'a pas l'intention de jeter aucune partie de sa semence sur un chemin ; mais comme ce chemin longe son champ et qu'il sème abondamment, vivement plus d'un grain tombe le long du chemin (grec : auprès du chemin, sur le bord). Ces grains n'étant pas recouverts par la terre sont mangés par les oiseaux.

13.6 Mais le soleil s'étant levé, elle fut brûlée, et parce qu'elle n'avait pas de racine, elle sécha.
  Ces endroits rocailleux ne sont pas une partie du champ couverte de pierres, qu'on aurait pu ôter ; mais bien, comme on peut le voir dans toutes les contrées montagneuses et arides, des endroits où une légère couche de terre recouvre le roc.

Là, la semence peut lever, elle leva même aussitôt, poussa en dehors, précisément parce qu'elle ne pouvait pas enfoncer ses racines dans une terre profonde. Mais aux premières ardeurs du soleil du printemps, elle fut brûlée, desséchée parce qu'elle n'avait pas de racines qui pussent la nourrir des sucs de la terre. Luc dit : "pas d'humidité."

13.7 Une autre tomba parmi les épines, et les épines montèrent et l'étouffèrent.
  Pourquoi des épines dans un champ ensemencé ?

C'est que si, d'un côté, le champ est bordé par un chemin, (verset 4) il l'est, de l'autre, par une haie vive.

Les grains de la semence tombent aux abords de la haie, parmi (grec sur) les épines, au moment où elles germent encore dans la terre. La semence lève, mais les épines montent avec plus de vigueur encore et l'étouffent.

Ici, la plante du blé ne périt pas, elle subsiste, mais elle est trop épuisée pour produire des épis fertiles. (Comparez verset 22)

13.8 Et une autre tomba dans la bonne terre, et donna du fruit ; un grain cent, un autre soixante, et un autre trente.
  La bonne terre est une terre rendue fertile par la culture, l'engrais, etc.

Cette grande productivité, s'élevant jusqu'à cent pour un, était très ordinaire dans les pays de l'Orient.

(Comparer Genèse 26.12) Pour le sens religieux de cette parabole, voir verset 18 et suivants

13.9 Que celui qui a des oreilles, entende !
  Comparer Matthieu 11.15, note.

- Le texte reçu ajoute les mots pour entendre, retranchés d'après les meilleures autorités.

13.10 Et les disciples s'étant approchés, lui dirent : Pourquoi leur parles-tu en paraboles ?
  D'après Marc et Luc, les disciples auraient demandé simplement l'explication de la parabole. Mais ils firent certainement aussi la question que Matthieu leur attribue, comme le prouve la réponse immédiate de Jésus. (verset 11) L'autre demande, loin d'être exclue, est au contraire supposée par notre évangile, puisque l'explication désirée suit bientôt après. (verset 18)

- Cet entretien entre Jésus et les disciples eut-il lieu aussitôt après l'énoncé de la parabole, sur la barque même, (verset 2) interrompant ainsi l'enseignement de Jésus aux foules, comme le récit de Matthieu le ferait supposer, ou bien après le discours, quand Jésus fut seul avec les disciples, comme le rapporte Marc ? (Marc 4.10) La place que ce dernier lui assigne paraît plus naturelle.

13.11 Et, répondant, il leur dit : Parce qu'il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux ; mais à eux, cela ne leur a pas été donné.
  Donné ou pas donné par Dieu, qui seul ouvre, par son Esprit, l'intelligence et le cœur, et qui est souverain dans la dispensation de ses dons.

C'est à la volonté de Dieu que Jésus en appelle ; c'est dans le décret insondable de la sagesse divine qu'il montre la raison dernière pour laquelle les mystères du royaume des cieux sont révélés aux uns, cachés aux autres. Mais les paroles d'Esaïe qui suivent (verset 15) prouvent que, soit dans la possession, soit dans la privation de la lumière divine, l'action et la responsabilité de l'homme ont leur part.

Ce qu'il s'agit de connaître, d'une manière vivante, expérimentale, ce sont les mystères du royaume des cieux, c'est-à-dire les vérités divines de ce royaume, qui restent mystères tant qu'elles ne sont pas révélées à l'homme par la Parole et l'Esprit de Dieu.

D'après le contexte cette expression désigne peut-être d'une manière plus spéciale les desseins de Dieu pour le salut des hommes, le plan divin suivant lequel le royaume doit s'établir, les conditions de son développement, que Jésus indique précisément dans les paraboles de ce chapitre. (Comparer Romains 16.25 ; 1Corinthiens 4.1 ; Ephésiens 3.3 et suivants, notes.)

Or c'est là ce qui a été donné aux disciples déjà alors dans une certaine mesure, et qui leur sera donné beaucoup plus encore par l'Esprit de la Pentecôte, en sorte que Jésus peut leur parler sans paraboles.

Mais pour d'autres, il doit employer cette forme d'enseignement, et il en dit la raison au verset 13 et suivants

13.12 Car à celui qui a, il sera donné, et il aura en abondance ; mais pour celui qui n'a pas, cela même qu'il a lui sera ôté.
  Avant d'énoncer directement (vers. 13) la raison pour laquelle il parle en paraboles, Jésus la fait pressentir en citant un proverbe qui exprime ce que l'on constate souvent dans les affaires ordinaires de la vie : celui qui est riche le devient toujours plus, et l'inverse. Cela est dans la nature des choses. Et cela n'est pas moins vrai dans le domaine de la vie religieuse.

Le développement moral de l'homme obéit à une double loi, selon que l'Esprit ou la chair dominent. Dans le premier cas, il a, et il reçoit toujours davantage, et il abonde : dans le second, il perd nécessairement même ce qu'il a, c'est-à-dire ce qui lui restait encore de vie religieuse et morale.

Luc dit : ce qu'il croit avoir. Luc 8.18 Cela lui est ôté, et par la force des choses, et par un jugement de Dieu.

Jésus montre l'application du même principe, dans la parabole des talents, (Matthieu 25.29) qui nous en fait très bien saisir le sens.

13.13 C'est pourquoi je leur parle en paraboles : parce qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils n'entendent ni ne comprennent.
  C'est pourquoi, en raison du fait affirmé verset 11, et conformément au principes énoncés verset 12, Jésus leur parle en paraboles, leur présente "les mystères du royaume des cieux" (verset 11) sous ce voile à demi transparent, parce que (cette conjonction introduit un motif qui explique et justifie celui qu'indique le c'est pourquoi) alors même que la vérité s'offre à eux (voyant, entendant), ils ne voient, n'entendent, ni ne comprennent.

Leur réceptivité est en défaut. Ils ne veulent pas voir, aussi attirent-ils sur eux un jugement. Ce jugement n'est pas définitif sans doute ; il a pour but de les épargner et d'empêcher que leur culpabilité ne devienne plus grande ; mais il les exclut du nombre de ceux qui ont part les premiers au royaume et en deviennent les fondateurs.

La parabole, en effet, est destinée à opérer un triage dans la masse indécise ; les simples curieux, les irrésolus, les cœurs impénitents n'emportent qu'un récit gracieux dont le sens leur échappe. Mais ceux qui ont soif de la vérité la découvrent sous le voile de la parabole (v.11. 12), témoins ces disciples qui, n'ayant pas eux-mêmes tout compris, demandent des explications. Matthieu 13.36 ; Marc 4.10

Cette dispensation divine envers les hommes, selon leurs dispositions diverses, est donc pleine de sagesse et de miséricorde.

"Ainsi, voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère sa connaissance, en sorte qu'il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent, et obscures à ceux qui ne le cherchent pas. Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire." Pascal.

- Cette règle, qui est une loi générale du royaume de Dieu dans tous les temps, Jésus commence maintenant à l'appliquer à ses concitoyens. Dans les premiers mois de son ministère en Galilée, il leur a annoncé la vérité sans réticence. Ils ne l'ont pas reçue. Dès ce moment ils attirent sur eux un jugement de Dieu.

Le Sauveur se dérobe à eux tout d'abord en enveloppant son enseignement du voile de la parabole. Un peu plus tard il s'éloignera lui-même en se retirant dans d'autres contrées.

C'est pourquoi nous considérons cette collection de paraboles (versets 1-52) comme le premier chapitre de cette portion de l'histoire évangélique qui peut s'intituler : "la retraite du Messie."

13.15 Car le cœur de ce peuple s'est engraissé ; et ils ont ouï dur de leurs oreilles, et ils ont fermé leurs yeux, de peur qu'ils ne voient des yeux, et qu'ils n'entendent des oreilles, et qu'ils ne comprennent du cœur, et qu'ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.
  Esaïe 6.9,10, cité exactement d'après les Septante.

Ce texte diffère de l'hébreu, qui a tous les verbes du verset 10 à l'impératif : Engraisse le cœur de ce peuple, alourdis ses oreilles, enduis ses yeux, de peur...

C'est-à-dire que le prophète doit exécuter, par sa prédication même, ce jugement de Dieu : l'endurcissement puni par un endurcissement plus grand.

Dans le texte grec, cette action parait attribuée au peuple lui-même : "son cœur s'est engraissé." Telle est l'interprétation de Meyer et de M. Godet. (dans Jean 12.40) B. Weiss, insistant sur le passif du verbe : a été engraissé, attribue cette action au décret divin.

Quelque sens qu'on adopte, la cause première de cet endurcissement est bien la volonté rebelle du peuple, car le but de la prédication seul conforme à l'amour divin est de sauver, et Dieu n'endurcit que ceux qui se sont déjà endurcis. Mais tel est, sous cette réserve, l'effet de la parole de la grâce : "Odeur de vie, ou odeur de mort.." (2Corinthiens 2.16)

- Quant aux expressions du texte, il faut remarquer d'abord que la cause de l'inintelligence et de l'aveuglement (v.14) est placée dans le cœur (car, verset 15), qui est engraissé (sens de l'hébreu, le grec signifie aussi épaissi), rendu insensible par la prospérité.

Les effets de cette insensibilité sont exprimés par les images qui suivent : l'ouïe dure (grec lourde), les yeux à demi fermés, comme dans la somnolence, ou lorsqu'on craint la lumière ; et tout cela de peur qu'ils ne voient, n'entendent, ne comprennent, ne se convertissent, et que je ne les guérisse.

Il faut remarquer dans ce dernier verbe le changement de personne ; Dieu parle directement comme celui d'où procède toute guérison.

Quelle gradation profonde dans l'ordre où ces organes sont énumérés, et l'ordre inverse serait également vrai, car il y a action et réaction : d'abord le cœur, l'ouïe, les yeux ; puis les yeux, l'ouïe, le cœur.

Tout part du cœur et tout y aboutit dans l'œuvre du salut ou de l'endurcissement.

13.16 Mais pour vous, heureux sont vos yeux, parce qu'ils voient, et vos oreilles, parce qu'elles entendent.
  Bien que ce soit une manière inusitée de s'exprimer, que de déclarer heureux les organes de la vue et de l'ouïe, au lieu de l'homme qui les possède, nous traduisons littéralement, afin de conserver le contraste voulu entre ces paroles et celles des versets 13-15.
13.17 Car en vérité je vous dis que beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu, et entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu.
  Raison des paroles qui précèdent (car).

Que de justes, que de prophètes de l'Ancien Testament ont soupiré après ces temps de l'Evangile, qui n'étaient pas accomplis, selon les desseins de Dieu ! Quel motif de reconnaissance pour les disciples et pour nous !

13.18 Vous donc, écoutez la parabole du semeur.
  Vous donc qui pouvez comprendre, écoutez ! (vers. 16.)

Les disciples et d'autres auditeurs avaient demandé l'explication de cette parabole. (Marc 4.10) Jésus avait de son côté exprimé son étonnement de ce qu'ils ne l'eussent pas comprise (Marc 4.13) et pourtant il la leur explique.

Cette interprétation que Jésus a donnée d'un petit nombre de paraboles (verset 37 et suivants ; verset 49) est pour nous d'un prix infini, car par là il nous a donné la clef de toutes les autres.

13.19 Quiconque entend la parole du royaume, et ne la comprend pas, le malin vient, et ravit ce qui a été semé dans son cœur ; c'est celui qui a reçu la semence le long du chemin.
  La parole du royaume (Matthieu 4.23 ; 24.14) ou, selon Luc, la parole de Dieu, et, d'après Marc, simplement la parole, telle est la semence de la parabole.

Il y a une analogie profonde entre l'image et la réalité. Dieu a voulu qu'il y eut en chaque grain de semence un principe de vie qui se développe avec une irrésistible puissance, dès que la semence se trouve dans des conditions favorables. Ainsi la parole du Dieu vivant renferme et produit la vie, une vie divine ; elle est créatrice.

Mais, pour cela, il faut que la parole, comme la semence, tombe dans une terre bien préparée. Or ce sont précisément quatre espèces de terrain, représentant des dispositions morales diverses, qui forment les traits caractéristiques de la parabole.

Et d'abord ; le chemin. Là, le Seigneur avait dit, selon Luc, que la semence fut foulée par les passants. Dans son explication il ne relève pas ce trait, qui a pourtant évidemment un sens moral. La semence foulée par les passants, c'est la parole rendue infructueuse par les distractions et les pensées terrestres de cette classe d'auditeurs.

En outre, sur ce sol durci et sans culture, la semence n'était point recouverte de terre et ne pouvait germer.

L'auditeur ne comprend pas la parole ; explication propre à Matthieu et qui indique une seconde cause de stérilité, l'inintelligence et l'endurcissement du cœur, qui n'a pas été rendu attentif et n'a pas été amolli par une sérieuse repentance.

Enfin il y a une troisième cause. L'image de ces oiseaux (v.4), à laquelle nous aurions à peine songé à donner un sens spirituel, en a un très important : Jésus nous y montre l'action du malin (Marc dit Satan, Luc le diable) qui ravit ce qui a été semé. Cela lui est d'autant plus facile que la parole n'a point été comprise et que le cœur n'arrive point à la foi. (Romains 10.10)

Il n'est pas nécessaire de voir là une action immédiate et magique du malin. Les moyens par lesquels il agit abondent, et dans l'homme même et en dehors, dans le monde.

(Comparer sur cet enseignement verset 39, note.)

13.21 n'a cependant point de racine en lui-même, mais n'est que pour un temps ; et lorsque l'affliction ou la persécution survient à cause de la parole, il y trouve aussitôt une occasion de chute.
  Ici, il y a progrès. Non seulement cet auditeur entend la parole, mais il en reçoit aussitôt des impressions qui le remplissent de joie.

La parole divine est si puissante, la vérité si belle, l'Evangile si plein de charmes ! Mais ce sont là des impressions superficielles, point de racines profondes en lui-même c'est-à-dire dans la conscience par la repentance, dans le cœur par la foi, tout cela est passager pour un temps.

Et comme le soleil brûle et dessèche la semence verdoyante, (verset 6) il suffit de quelque affliction ou de quelque persécution qu'il faudrait endurer à cause de la parole, pour que ce caractère faible et léger (grec) se scandalise aussitôt, c'est-à-dire y trouve une occasion de chute. Il se retire, dit Luc.

Il faut remarquer comment ce dernier aussitôt correspond bien au premier. (verset 20)

13.22 Et celui qui a reçu la semence parmi les épines, c'est celui qui entend la parole ; mais les soucis du siècle et la séduction des richesses étouffent la parole ; et elle devient infructueuse.
  Sur ce troisième terrain, il y a progrès encore. (Comparer verset 7, note.)

La parole entendue n'est ni enlevée ni reniée, comme dans les deux cas qui précèdent elle persiste ; mais d'autres forces, figurées par les épines, agissent avec elle et lui disputent le cœur de l'homme. Ces forces sont, d'une part, les soucis du siècle, c'est-à-dire de ce monde qui en est rempli, soit pour le pauvre, soit pour le riche ; d'autre part, la séduction qu'exerce la richesse, ici personnifiée, et qui trompe ses dupes en leur promettant le bonheur. (Comparer Matthieu 6.19 ; 1Timothée 6.9)

La parole est ainsi étouffée au dedans du cœur et ne peut produire ses fruits de régénération et de vie.

Mais ce n'est qu'au jour de la moisson qu'apparaîtra cette triste stérilité. Jusque-là, que d'illusions possibles !

13.23 Et celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c'est celui qui entend et comprend la parole, qui, par conséquent, porte du fruit, et un grain en produit cent, l'autre soixante, l'autre trente.
  La bonne terre n'est ici caractérisée que par les résultats, comme les autres espèces de terrain qui précèdent.

D'après Luc, Jésus l'aurait interprétée par un cœur honnête et bon, qui retient la parole et la rend fructueuse.

Matthieu indique les mêmes effets par ces trois degrés : entendre, comprendre, porter du fruit.

Ce dernier résultat montre assez que comprendre n'est pas une action purement intellectuelle, mais que, puisqu'il y a du fruit dans la vie morale, la parole a du pénétrer dans la conscience, où elle produit la repentance, et dans le cœur, où elle crée l'amour.

C'est ce qui est finement indiqué dans le texte original par une particule que nos versions ordinaires, même celle de Lausanne, ne traduisent pas du tout, mais que Rilliet n'a pas négligée. Celui qui entend et comprend comme il faut porte du fruit par une conséquence toute naturelle, en porte certainement.

Quant à l'abondance de ce fruit, elle est exprimée simplement par ces termes employés dans l'image (verset 8) et qui n'ont pas besoin d'explication : cent, soixante, trente. Et ainsi la fin de l'interprétation se confond, d'une manière gracieuse, avec la fin de la parabole même.