Matthieu   23.13  à  23.39

13. Mais malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous fermez devant les hommes le royaume des cieux ; car vous-mêmes, vous n'y entrez point, et vous n'y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer. 14. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous dévorez les maisons des veuves sous prétexte de faire de longues prières ; c'est pourquoi vous subirez un jugement plus rigoureux. 15. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous parcourez la mer et la terre pour faire un seul prosélyte, et quand il l'est devenu, vous le rendez fils de la géhenne deux fois plus que vous. 16. Malheur à vous, conducteurs aveugles ! qui dites : Si quelqu'un a juré par le temple, cela n'est rien ; mais celui qui a juré par l'or du temple est obligé. 17. Insensés et aveugles ! car lequel est le plus grand, l'or, ou le temple qui a sanctifié l'or ? 18. Et si quelqu'un, dites-vous, a juré par l'autel, cela n'est rien ; mais celui qui a juré par l'offrande qui est dessus, est obligé. 19. Aveugles ! car lequel est le plus grand, l'offrande, ou l'autel qui sanctifie l'offrande ? 20. Celui donc qui a juré par l'autel, jure par l'autel et par tout ce qui est dessus ; 21. et celui qui a juré par le temple, jure par le temple et par celui qui l'habite. 22. Et celui qui a juré par le ciel, jure par le trône de Dieu et par celui qui est assis dessus. 23. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous payez la dîme de la menthe, et de l'aneth, et du cumin, et vous avez laissé de côté les charges plus lourdes de la loi, le jugement, et la miséricorde, et la fidélité. Voilà les choses qu'il fallait faire, et ne pas laisser de côté les autres. 24. Conducteurs aveugles, qui coulez le moucheron, mais qui avalez le chameau. 25. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, mais au dedans ils sont pleins de rapine et d'intempérance. 26. Pharisien aveugle, nettoie premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors aussi devienne net. 27. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux par dehors, mais qui, au dedans sont remplis d'ossements de morts et de toute impureté. 28. De même vous aussi, au dehors vous paraissez justes aux hommes, mais au dedans vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité. 29. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes et ornez les sépulcres des justes, 30. et que vous dites : Si nous eussions été du temps de nos pères, nous n'eussions pas été leurs complices dans le meurtre des prophètes. 31. Ainsi vous témoignez contre vous-mêmes que vous êtes fils de ceux qui ont tué les prophètes. 32. Et vous, comblez la mesure de vos pères ! 33. Serpents ! race de vipères ! comment pourrez-vous échapper au jugement de la géhenne ? 34. C'est pourquoi, voici, je vous envoie des prophètes, et des sages, et des scribes ; il en est que vous ferez mourir et que vous crucifierez ; et il en est que vous fouetterez dans vos synagogues et que vous chasserez de ville en ville ; 35. afin que vienne sur vous tout le sang juste répandu sur la terre, depuis le sang d'Abel, le juste, jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l'autel. 36. En vérité, je vous dis que tout cela viendra sur cette génération.

37. Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu ? 38. Voici, votre maison vous est laissée déserte. 39. Car je vous le dis : vous ne me verrez plus, dès maintenant, jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.

PLAN
  1. _
    Apostrophant directement les scribes et les pharisiens et leur criant sept fois : Malheur à vous ! Jésus censure toute l'hypocrisie de leur conduite :
    a) L'hypocrisie de leur position de conducteurs du peuple : ils n'entrent pas eux-mêmes dans le royaume des cieux et en ferment l'accès aux autres. (13.)
    b) L'hypocrisie de leur prosélytisme, qui aboutit à perdre les âmes plus sûrement. (15.)
    c) L'hypocrisie de la casuistique qu'ils appliquent aux serments. (16-22.)
    d) L'hypocrisie de leur formalisme, qui observe les minuties de la loi et néglige les devoirs les plus importants. (23, 24.)
    e) L'hypocrisie qui consiste à nettoyer le dehors, et à laisser souillé le dedans. (25, 26.)
    e) Toute cette hypocrisie les rend semblables à des sépulcres blanchis. (27, 28.)
    f) Elle les amène à bâtir les tombeaux des prophètes. Ils voudraient par là se donner l'air de protester contre les crimes de leurs pères, mais ils ne réussissent qu'à se proclamer leurs fils. Jésus les invite à parfaire ce qui manque à la culpabilité de leurs pères et à attirer sur eux le jugement auquel ils ne sauraient échapper. Pour leur en fournir l'occasion, il leur enverra encore des témoins de la vérité, qu'ils persécuteront, afin que tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis Abel jusqu'au dernier des prophètes, retombe sur cette génération. (29-36.)
  2. Complainte sur Jérusalem
    Jésus exhale en des accents douloureux la profonde pitié qu'il ressent pour cette Jérusalem qui tue les prophètes. Il rappelle les efforts inutiles qu'il a faits pour l'attirer à lui ; il lui annonce sa ruine et lui déclare qu'elle ne le reverra plus jusqu'au jour où elle saluera son retour dans la gloire. (37-39.)
NOTES
23.13 Mais malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous fermez devant les hommes le royaume des cieux ; car vous-mêmes, vous n'y entrez point, et vous n'y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer.
  13 à 39 Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Complainte sur Jérusalem.

Tel est le premier des sept redoutables malheur à vous ! qui vont suivre.

Jésus appelle les scribes et les pharisiens hypocrites, parce qu'ils font le contraire de ce qu'ils disent (verset 3) et de ce qu'ils prétendent faire.

Les reproches qu'il leur adresse se concentrent dans l'hypocrisie, qu'il signale dans toute leur manière d'agir. La particule mais montre le contraste criant entre les dernières paroles de Jésus (versets 8-12) et tout ce qui va suivre.

- Les pharisiens sont hypocrites en ce qu'ils empêchent les hommes de parvenir au salut, tandis qu'ils ont la prétention de les y conduire. Le royaume des cieux que Jésus annonçait et fondait alors est représenté par l'image d'un palais ou d'un temple que les pharisiens fermaient devant les hommes en les empêchant de croire en Jésus. Ils le faisaient par leur opposition, leur inimitié, et toute leur action contraire à la sienne. (Comparer Luc 11.52)

- A la suite de ce verset 13, le texte reçu a un verset 14 ainsi conçu : Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous dévorez les maisons des veuves sous prétexte de faire de longues prières ; c'est pourquoi vous subirez un jugement plus rigoureux.

La plupart des manuscrits où se trouvent ces paroles les placent avant le verset 13. Mais, se fondant sur Sin., B, D, et d'autres, sur des versions anciennes et des Pères, les meilleurs critiques suppriment ce verset 14, emprunté par des copistes à Marc 12.40 ; Luc 20.47, où ces paroles du Sauveur sont authentiques. (Voir les notes.)

23.15 Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous parcourez la mer et la terre pour faire un seul prosélyte, et quand il l'est devenu, vous le rendez fils de la géhenne deux fois plus que vous.
  Second reproche.

- Même hypocrisie dans leur prosélytisme. Celui-ci, dans son zèle dévorant, paraissait n'avoir d'autre but que le salut des âmes, mais n'était destiné en réalité qu'à étendre l'influence de leur parti.

- Parcourir la mer et la terre (grec le sec) est une expression proverbiale qui signifie faire les plus grands efforts. Et quand les pharisiens avaient gagné un seul païen à leur croyance, ils l'amenaient à un état moral pire que le leur propre, et que Jésus désigne par cet hébraïsme énergique : fils de la géhenne, c'est-à-dire qui appartient à la géhenne.

(Comparer pour l'expression fils de, Matthieu 8.12 ; Jean 17.12, et pour le mot de géhenne Matthieu 5.22)

Mais en quoi ce prosélyte devenait-il pire que les pharisiens eux-mêmes ? Probablement parce qu'il ne faisait qu'ajouter à son paganisme la mauvaise influence morale de ses nouveaux maîtres et en particulier leur hypocrisie.

Dépendant d'eux à tous égards, il s'imprégnait de leur esprit et devenait d'autant plus incapable de recevoir la vérité. On sait par expérience que, en toutes choses, les disciples vont plus loin que les maîtres.

23.17 Insensés et aveugles ! car lequel est le plus grand, l'or, ou le temple qui a sanctifié l'or ?
  Troisième reproche.

- Ils ne conduisent pas le peuple au salut, non seulement parce qu'ils ne se soucient pas de son salut, (versets 13,15) mais parce qu'ils ignorent même le chemin qui conduit à ce salut.

Preuve en soit la casuistique qu'ils appliquent à l'acte sacré entre tous, le serment. Prétendre qu'un serment fait par l'or du temple était plus sacré, plus obligatoire qu'un serment fait par le temple même, parait une doctrine bien absurde et insensée.

Mais les pharisiens avaient leurs raisons. L'or du temple, c'étaient les ornements ou les vases sacrés, ou même les pièces d'or déposées en offrande dans le trésor : or, enseigner que ces richesses étaient plus sacrées que le temple même, c'était le moyen de les augmenter. Ici donc, la cupidité s'unissait à l'hypocrisie. Jésus réfute ce mensonge (verset 17) par la pensée que cet or n'était sanctifié que par le temple, auquel il avait été consacré par la piété des fidèles. (verset 21)

23.18 Et si quelqu'un, dites-vous, a juré par l'autel, cela n'est rien ; mais celui qui a juré par l'offrande qui est dessus, est obligé.
  Voir la note précédente. Ici se retrouve la même doctrine par les mêmes motifs. Aussi la réfutation (verset 19) est-elle la même que dans le cas précédent.

L'autel sanctifie l'offrande parce qu'il était une institution divine et l'image de toutes les grandes et saintes vérités relatives au sacrifice. (Voir Romains 12.1, troisième note.)

23.21 et celui qui a juré par le temple, jure par le temple et par celui qui l'habite.
  Jésus résume par ces mots (verset 20 et 21) les deux cas qui précèdent, et il s'élève jusqu'à Dieu, au nom duquel on a juré, et dont la présence sanctifie et l'autel et le temple, aussi bien que tout serment prêté par l'un ou par l'autre.

- Il faut remarquer ce changement du temps des verbes : deux fois a juré (aoriste) et deux fois jure (présent). Dans le premier cas, le serment est un fait accompli, mais son obligation subsiste et s'étend de l'autel à ce qui est dessus, du temple à Dieu qui l'habile. Ainsi encore au verset 22.

23.22 Et celui qui a juré par le ciel, jure par le trône de Dieu et par celui qui est assis dessus.
  Voir Matthieu 5.34.

Ici encore, c'est la présence de Dieu régnant dans le ciel qui donne à ce serment toute sa sainteté.

- Il faut remarquer, du reste, que dans ce discours Jésus ne fait que blâmer la doctrine mensongère appliquée par les pharisiens à ces divers serments, tandis qu'ailleurs (Matthieu 5.34-37) il interdit les serments eux-mêmes.

23.23 Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous payez la dîme de la menthe, et de l'aneth, et du cumin, et vous avez laissé de côté les charges plus lourdes de la loi, le jugement, et la miséricorde, et la fidélité. Voilà les choses qu'il fallait faire, et ne pas laisser de côté les autres.
  Quatrième reproche.

- D'après Lévitique 27.30 ; Deutéronome 14.22, les Israélites devaient donner aux sacrificateurs la dîme de tous les produits de la terre.

Les pharisiens, pour faire des œuvres méritoires, étendaient cette dîme aux plus petites plantes des jardins qui sont nommées ici. Mais en même temps ils négligeaient (grec) les choses plus pesantes, difficiles à faire (verset 4) dans la loi : le jugement, mot qu'on ne doit pas traduire par justice, mais qui signifie le devoir de juger selon la justice ; la miséricorde envers les malheureux et les coupables ; (Michée 6.8) la fidélité ou la foi : le mot grec a les deux sens, mais le premier est plus naturel ici, puisqu'il s'agit des relations humaines. (Romains 3.3 ; Galates 5.22) En ceci encore, ils se montraient hypocrites. Comparer Luc 11.42, où l'amour de Dieu est ajouté comme étant l'âme et l'accomplissement de tous ces devoirs.

Les choses qu'il fallait faire étaient les grands devoirs que Jésus vient de rappeler ; les autres (grec celles-là), c'était le paiement exact de la dîme. Ainsi les plus grandes obligations de la vie morale ne doivent jamais nous faire perdre de vue les plus insignifiantes en apparence.

23.24 Conducteurs aveugles, qui coulez le moucheron, mais qui avalez le chameau.
  Expression proverbiale par laquelle Jésus résume l'instruction qui précède et qui signifie : Vous vous montrez scrupuleux dans les plus petites choses et vous êtes sans conscience pour les grandes. L'image est tirée de l'usage de filtrer les liquides pour les purifier des insectes qui pouvaient y être tombés.

Ce qui forme ici le contraste, c'est le moucheron et le chameau. Ce dernier n'est pas seulement cité à cause de sa grandeur, mais parce qu'il était réputé impur. (Lévitique 11.4)

23.25 Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, mais au dedans ils sont pleins de rapine et d'intempérance.
  Cinquième reproche.

Le Seigneur assimile les scribes et les pharisiens, dans leur conduite envers Dieu, à ces hommes qui tiennent au brillant de leur vaisselle, tandis qu'ils la remplissent du fruit de la rapine et usent de son contenu avec intempérance.

Pour ce dernier mot, quelques manuscrits et des versions anciennes présentent deux variantes : injustice et impureté ; mais la leçon du texte reçu est la plus autorisée. Ces paroles sévères du Sauveur peuvent s'entendre dans leur sens propre (de ce qui est dans le plat), et dans un sens spirituel (de ce qui est dans le cœur).

Par l'un comme par l'autre, il condamne l'hypocrisie ajoutée à la corruption. (Comparer Luc 11.39, note.)

23.26 Pharisien aveugle, nettoie premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors aussi devienne net.
  L'authenticité des mots et du plat est douteuse ; ils paraissent avoir été copiés du verset 25. Il s'agit avant tout (premièrement) de purifier l'intérieur de ces vases (comparez verset 25. note), et alors l'extérieur sera pur aussi ; sans cela le dehors le plus brillant reste impur.

Le sens de ces paroles, appliquées au cœur de l'homme, est évident.

23.28 De même vous aussi, au dehors vous paraissez justes aux hommes, mais au dedans vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité.
  Sixième reproche.

Les sépulcres, chez les Israélites, étaient ordinairement des grottes naturelles ou taillées dans le roc et dont l'entrée était fermée par une pierre.

Chaque année, au mois d'Adar (mars), ces sépulcres étaient blanchis à la chaux, soit pour leur donner une belle apparence, soit pour que nul ne s'en approchât par mégarde à cause de la souillure légale.

Cela n'empêchait pas ces sépulcres d'être au dedans pleins d'ossements de morts et d'impureté ; triste mais énergique image de l'hypocrisie et de l'iniquité que Jésus reproche à ses adversaires. (Voir, sur ces sépulcres, F. Bovet, Voyage en Terre sainte, 7e édit. p. 378 et suivants)

23.29 Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes et ornez les sépulcres des justes,
  Septième reproche.

Il s'agit des prophètes et des justes de l'ancienne alliance, dont les Juifs entretenaient et embellissaient les tombeaux qu'on voit encore autour de Jérusalem (F. Bovet, Voyage en Terre sainte, 7é édit., p. l67 et suivants ; Ph. Bridel, Palestine illustrée, I) ; et, par cette œuvre pieuse, ils montraient avec ostentation comme du reste ils le disaient expressément, (verset 30) qu'ils répudiaient les actes de leurs pères, actes qu'ils se seraient bien gardés d'accomplir.

23.32 Et vous, comblez la mesure de vos pères !
  Ainsi donc, en nommant vos pères ceux qui ont tué les prophètes, vous reconnaissez que vous êtes leurs fils ; et vous l'êtes dans un sens beaucoup plus complet que vous ne pensez, non seulement par la descendance, mais par la disposition de vos cœurs.

Et, ni vos démonstrations hypocrites à l'égard des tombeaux sacrés, (verset 29) ni vos protestations peu sincères, (verset 30) ne sauraient vous faire autres que vous n'êtes.

Il ne vous reste donc qu'à combler la mesure de la culpabilité de vos pères. Comblez-la ! Il y a dans cet impératif, que quelques manuscrits cherchent à corriger par une autre forme du verbe, une sévère ironie.

(Comparer Matthieu 26.45, note et Luc 11.47,48, note.)

23.33 Serpents ! race de vipères ! comment pourrez-vous échapper au jugement de la géhenne ?
  C'est-à-dire, au jugement qui vous condamnera à la géhenne. (Voir, sur ce dernier mot, Matthieu 5.22, note.)

- Les appellations sévères dont le Seigneur se sert s'étaient rencontrées déjà dans la bouche de Jean-Baptiste. (Matthieu 3.7 ; Luc 3.7)

Depuis Genèse 3.1, le serpent a toujours été le symbole d'un esprit diabolique. (Apocalypse 20.2) Jésus prouve par ces paroles que la charité n exclut point la vérité, ni la miséricorde la justice.

23.34 C'est pourquoi, voici, je vous envoie des prophètes, et des sages, et des scribes ; il en est que vous ferez mourir et que vous crucifierez ; et il en est que vous fouetterez dans vos synagogues et que vous chasserez de ville en ville ;
  Les mots c'est pourquoi indiquent le motif de l'envoi des prophètes.

Ils se rapportent, d'après Weiss, au verset 32 : pour vous donner occasion de combler la mesure de vos pères ; d'après Meyer, au verset 33 : pour que vous n'échappiez pas au jugement, et cette idée serait reprise par le afin que...du verset 35.

La relation établie par Weiss est plus naturelle. La pensée reste au fond la même : et elle domine toute cette dernière partie du discours : Puisqu'ils se montrent les vrais fils de ceux qui ont tué les prophètes ; (verset 31) puisqu'ils vont combler la mesure de l'iniquité de leurs pères ; (verset 32) puisqu'ils ne pourront fuir le jugement de la géhenne (v.33), le Seigneur va leur envoyer ses serviteurs qu'ils maltraiteront, afin que retombe sur eux tout le sang juste répandu sur la terre.

Redoutable révélation de la justice divine ! Il est bien évident qu'en envoyant aux pécheurs des messagers de paix, l'intention du Seigneur est de les sauver, non de les condamner ; mais si son Evangile n'est pas pour eux "une odeur de vie pour la vie, il devient une odeur de mort pour la mort.." (2Corinthiens 2.16)

- Ceux que Jésus appelle des prophètes, des sages, des scribes, (comparez Matthieu 13.52) ce sont toutes les diverses classes de ses serviteurs qu'il enverra dans son règne pour continuer son œuvre ; (Ephésiens 4.11) Il se sert de termes empruntés à l'Ancien Testament pour être mieux compris de ses auditeurs et surtout pour leur faire sentir que ce seront là les vrais prophètes, les vrais sages, les vrais scribes, par opposition à tous ceux qui, alors, prétendaient à ces titres.

- Parmi les supplices que la haine des hommes infligera à ses envoyés, Jésus désigne celui-ci : vous les crucifierez, qui a paru étonnant à quelques interprètes, parce que c'était là un genre de mort usité chez les Romains et non chez les Juifs, et ces mêmes interprètes en ont conclu que Jésus pensait à sa propre mort.

Mais les Juifs pouvaient faire infliger ce supplice par les Romains, comme ils le firent pour Jésus. La tradition rapporte que l'apôtre Pierre mourut sur une croix ; Eusèbe (H. E. 3, 32) raconte qu'un frère de Jésus, Siméon, fut crucifié ; et combien d'autres disciples l'ont été dans l'empire romain !

- Selon notre évangile, c'est le Seigneur Jésus lui-même qui s'attribue l'envoi de ses serviteurs, et cela par ces mots solennels : voici, je vous envoie...Rien de plus clair et de plus vrai que cette pensée. D'après Luc, (Luc 11.49) ces paroles semblent être une citation : "la sagesse de Dieu dit," et de là chez les commentateurs force hypothèses sur le livre d'où cette citation peut être tirée. (Voir la note sur ce passage.)

23.35 afin que vienne sur vous tout le sang juste répandu sur la terre, depuis le sang d'Abel, le juste, jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l'autel.
  Le sang juste ou sang innocent, c'est-à-dire le châtiment qu'ont mérite ces crimes. (Comparer Matthieu 27.25)

Le sang d'Abel est mentionné comme le premier qui ait été répandu sur la terre dans la lutte de l'injustice contre la vérité.

- Zacharie était un prophète dont le meurtre nous est raconté dans le second livre des Chroniques. (2Chroniques 24.20-22) Il fut en effet lapidé "dans les parvis de la maison de l'Eternel," ce qui ajoutait encore à l'horreur du crime. Il mourut en disant : "Que l'Eternel voie et recherche !" Jésus parait faire allusion à ces paroles.

- Il est difficile de dire pourquoi ce Zacharie est ici nommé fils de Barachie ; car, d'après le livre des Chroniques que nous venons de citer, son père s'appelait Jehojada. On a eu recours à diverses suppositions pour expliquer cette inexactitude. Ainsi, on a pensé que le père de Zacharie pouvait avoir eu deux noms, ce qui était assez fréquent chez les Juifs, ou que Jésus parle d'un autre Zacharie. Mais il s'agit bien du prophète dont la mort est racontée à la fin du second livre des Chroniques. Celui-ci, dans le canon des Juifs, était le dernier des livres de l'Ancien Testament.

Le meurtre de Zacharie terminait ainsi la série des meurtres racontés dans les saints livres, comme celui d'Abel l'ouvrait. Il est probable que la fausse indication de fils de Barachie a été introduite dans notre évangile par une confusion facile à faire entre ce prophète et le prophète Zacharie dont nous possédons le livre et dont le père s'appelait effectivement Barachie. (Zacharie 1.1)

Luc 11.51 ne nomme pas le père de Zacharie. Dans notre passage même, ce nom est omis par le Sin.

Enfin l'Evangile des Hébreux, au témoignage de Jérôme, portait l'indication exacte de : fils de Jehojada.

23.36 En vérité, je vous dis que tout cela viendra sur cette génération.
  Tout cela (grec toutes ces choses, c'est-à-dire tout ce sang répandu et le terrible châtiment qui s'ensuivra) viendra avec une irrésistible certitude sur cette génération, qui sera témoin et victime de la ruine de Jérusalem.

C'est ainsi que très souvent dans la vie des peuples, en vertu de leur solidarité morale, on voit telle génération souffrir sous les jugements de Dieu pour les crimes des générations qui l'ont précédée. (Romains 2.3-5 ; 1Thessaloniciens 2.15,16)

23.37 Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu ?
  Emouvante parole, cri de douleur qui s'échappe de l'âme de Jésus en prenant congé de ce peuple qu'il aimait et qui l'a rejeté !

Après avoir fait entendre aux chefs du peuple de sévères vérités, le Sauveur s'adresse à Jérusalem, à cette ville coupable qu'il visitait pour la dernière fois et qui, dans quelques jours, allait le mettre à mort. Mais sous ce nom de la capitale de la théocratie, il comprend certainement le peuple tout entier, pour autant qu'il a rejeté ses offres de grâce et qu'il portera la responsabilité du crime qui va être commis à Jérusalem.

De là ces verbes au présent : qui tues les prophètes, qui lapides ceux qui te sont envoyés. Ce qui cause la poignante douleur de Jésus, c'est le contraste entre son tendre amour, qu'il représente par une image si touchante, et l'ingratitude de son peuple.

Ce contraste est rendu encore par les termes qui suivent : combien de fois ai-je voulu et vous n'avez pas voulu.

- Le pluriel, vous n'avez pas voulu, s'adresse évidemment aux habitants de Jérusalem.

- Les mots : combien de fois prouvent que Jésus avait fréquemment séjourné dans cette ville, et que les évangélistes synoptiques ne l'ignoraient pas, bien qu'ils ne racontent pas ces séjours. (Comparer le témoignage de Pierre dans Actes 10.39).

23.38 Voici, votre maison vous est laissée déserte.
  Votre maison ne signifie pas seulement le temple, comme l'ont pensé Calvin et d'autres, mais Jérusalem, capitale de toute la théocratie.

Cette demeure, favorisée par l'offre de tant de grâces de Dieu et par la présence du Sauveur, sera laissée déserte, vide, dévastée, désolée, comme toute ville, toute maison, toute âme d'où Dieu s'est retiré.

Lachmann, Westcott et Hort, suivant B, et quelques autres témoignages, omettent le mot déserte.

23.39 Car je vous le dis : vous ne me verrez plus, dès maintenant, jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.
  Par cette expression solennelle et douloureuse, le Messie sauveur prend congé de son peuple, jusqu'au moment de son second avènement, où il sera reçu avec joie par cette acclamation qui a retenti autour de lui lors de son entrée à Jérusalem (Matthieu 21.9 ; Psaumes 118.26) et qui retentira de nouveau lorsque le peuple d'Israël converti saluera le Sauveur revenant dans la gloire. (Romains 11.25 et suivants)

Tel est le sens de ces paroles qui se présente le plus naturellement à l'esprit.

D'autres interprètes (Calvin, Meyer) considèrent ces paroles comme adressées exclusivement à la ville de Jérusalem qui devait être détruite, ce qui ne laissait guère lieu à la repentance et à la conversion de ses habitants. Jésus affirmerait simplement que même ses ennemis le reconnaîtront comme Messie quand il viendra dans sa gloire, mais avec terreur en présence du jugement suprême.

Cette interprétation est inadmissible, car l'acclamation : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, ne peut être qu'un cri d'adoration et d'amour dans la bouche de ceux qui ont cru. Et d'ailleurs combien des habitants de Jérusalem furent convertis au Seigneur, déjà dans les quarante années de la patience de Dieu qui leur furent laissées encore, et devinrent ainsi les prémices de leur peuple !

- Ces grandes pensées, par lesquelles Jésus prend un solennel congé de Jérusalem et de son peuple, préparent la prophétie qui va suivre. (Chap. 24.)