Matthieu   26.31  à  26.56

31. Alors Jésus leur dit : Pour vous tous, je serai cette nuit une occasion de chute ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. 32. Mais après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. 33. Mais Pierre répondant, lui dit : Quand tu serais pour tous une occasion de chute, tu ne le seras jamais pour moi. 34. Jésus lui dit : En vérité je te dis que cette nuit même, avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. 35. Pierre lui dit : Quand même il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai point. Et tous les disciples dirent la même chose.

36. Alors Jésus se rend avec eux dans un lieu appelé Gethsémané, et il dit aux disciples : Asseyez-vous ici, jusqu'à ce que m'en étant allé là, j'aie prié. 37. Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être attristé et dans l'angoisse. 38. Alors il leur dit : Mon âme est triste jusqu'à la mort, demeurez ici et veillez avec moi. 39. Et étant allé un peu plus avant, il se prosterna, priant et disant : Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux. 40. Et il vient vers les disciples et les trouve endormis ; et il dit à Pierre : Ainsi, vous n'avez pas pu veiller une heure avec moi ! 41. Veillez et priez, afin que vous n'entriez pas en tentation ; l'esprit est prompt, mais la chair est faible. 42. Il s'en alla encore pour la seconde fois, et pria, disant : Mon Père, s'il n'est pas possible que cette coupe passe sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! 43. Et étant revenu, il les trouva encore endormis ; car leurs yeux étaient appesantis. 44. Et les ayant laissés, il s'en alla encore, et pria pour la troisième fois, disant la même parole. 45. Alors il vient vers les disciples, et leur dit : Dormez désormais et reposez-vous ! Voici, l'heure approche, et le fils de l'homme est livré entre les mains des pécheurs. 46. Levez-vous, allons ! voici, il approche celui qui me livre !

47. Et comme il parlait encore, voici, Judas, l'un des douze, vint, et avec lui une grande foule armée d'épées et de bâtons, de la part des principaux sacrificateurs et des anciens du peuple. 48. Or celui qui le livrait leur avait donné un signe, disant : Celui que j'embrasserai, c'est lui ; saisissez-le. 49. Et aussitôt, s'approchant de Jésus, il lui dit : Salut, Rabbi ! Et il l'embrassa. 50. Mais Jésus lui dit : Ami, pour quel sujet es-tu ici ? Alors, s'étant approchés, ils mirent les mains sur Jésus et le saisirent. 51. Et voici l'un de ceux qui étaient avec Jésus, ayant étendu la main, tira son épée, et, ayant frappé le serviteur du souverain sacrificateur, lui emporta l'oreille. 52. Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée. 53. Ou bien, penses-tu que je ne puisse pas maintenant prier mon Père, et il me fournira plus de douze légions d'anges ? 54. Comment donc s'accompliraient les Ecritures, qui disent qu'il doit en être ainsi ? 55. En ce moment-là, Jésus dit à la foule : Vous êtes sortis comme après un brigand avec des épées et des bâtons pour me prendre. Chaque jour j'étais assis enseignant dans le temple, et vous ne m'avez point saisi. 56. Mais tout ceci est arrivé afin que les écrits des prophètes fussent accomplis. Alors tous les disciples, l'abandonnant, s'enfuirent.

PLAN
  1. Entretien sur le chemin
    Jésus déclare à ses disciples que cette nuit même il sera pour eux une occasion de chute, conformément à la prophétie, mais qu'après sa résurrection, il les précédera en Galilée. Pierre proteste de son inébranlable fidélité. Jésus lui prédit le triple reniement dont il se rendra coupable avant que le coq chante. Pierre se dit prêt à mourir, plutôt que de renier Jésus. Tous disent de même. (31-35.)
  2. L'agonie de Jésus
    Arrivé en Gethsémané, Jésus prend avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée. Il leur confie sa tristesse et ses angoisses, et leur demande de veiller avec lui. Il s'avance un peu et, se prosternant, il demande à son Père d'éloigner la coupe, tout en se soumettant à sa volonté. Revenu vers les disciples, il les trouve endormis ; il leur reproche leur insensibilité et les exhorte à veiller et à prier, vu la faiblesse de la chair. Il s'en va une seconde fois et dit à son Père que s'il n'est pas possible que la coupe passe loin de lui, sa volonté soit faite. A son retour vers les disciples, il les trouve encore endormis. Il s'éloigne une troisième fois, répétant la même prière. Puis il dit aux disciples qu'ils peuvent dormir désormais. Il les avertit que son heure est venue, que celui qui le livre approche. (36-46.)
  3. L'arrestation de Jésus
    Comme Jésus parle encore, Judas arrive, suivi d'une grande troupe armée. Il désigne Jésus à cette troupe en le saluant par un baiser. Jésus lui demande pourquoi il est îà. A ce moment, l'un des disciples fait une tentative de résistance. Jésus la réprime, condamnant l'emploi de la violence. Il rappelle le secours puissant que son Père est toujours prêt à lui accorder, mais qu'il ne réclamera pas, parce qu'il faut que les Ecritures s'accomplissent. Puis se tournant vers ses adversaires, il constate qu'ils sont venus après lui comme après un brigand, alors qu'il enseignait tous les jours dans le temple ; il montre dans tout ceci l'accomplissement des Ecritures. Les disciples abandonnent Jésus et s'enfuient. (47-56.)
NOTES
26.31 Alors Jésus leur dit : Pour vous tous, je serai cette nuit une occasion de chute ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées.
  31 à 56 Gethsémané.

Comparer Marc 14.26-52 ; Luc 22.31-53.

- Grec : Tous, vous serez scandalisés en moi...Tous !

Ce mot, expressément placé en tête de la phrase, dut faire sur les disciples une impression profonde. (verset 33)

- Sur ce mot être scandalisé, voir Matthieu 11.6, note ; comparez Matthieu 5.29, note.

D'après Luc 22.31 et suivants, Jean 13.36 et suivants, cet entretien eut lieu encore dans la chambre haute.

Zacharie 13.7, librement cité et appliqué par Jésus à la mort qu'il allait souffrir, et à ses disciples qui seraient dispersés comme des brebis n'ayant plus de berger.

26.32 Mais après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée.
  Après une parole si propre à attrister les disciples, (verset 31) Jésus en prononce une autre qui les aurait remplis de consolation et de courage s'ils l'avaient comprise.

La Galilée avait été le principal théâtre du ministère de Jésus, c'était la patrie des disciples, où ils comptaient retourner après la fête qu'ils étaient venus célébrer à Jérusalem, et c'est là que Jésus leur promet de les réunir après leur dispersion.

C'est comme s'il leur avait dit : "Avant même que vous soyez retournés en Galilée, je serai ressuscité et je vous y précéderai." Cette promesse fut en effet accomplie. (Matthieu 28.16 ; Jean 21.1 ; 1Corinthiens 15.6)

26.33 Mais Pierre répondant, lui dit : Quand tu serais pour tous une occasion de chute, tu ne le seras jamais pour moi.
  Grec : Si tous se scandalisent en toi, moi, je ne me scandaliserai jamais.

- Le Seigneur vient de dire : Tous. Pierre répond : Si tous, moi jamais.

Le texte reçu lui faisait dire : Si même tous. Sa pensée est bien assez absolue sans ce mot non authentique. Il était sincère, plein de courage et d'amour pour son Maître, en parlant ainsi ; mais il ne songe pas à sa faiblesse. Plus il s'élève au-dessus de ses condisciples, plus sa chute sera profonde.

26.34 Jésus lui dit : En vérité je te dis que cette nuit même, avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois.
  Pierre dit : jamais.

Jésus répond : cette nuit même, avec cette affirmation solennelle : En vérité. Il indique même à son disciple le temps précis que les anciens appelaient : le chant du coq, c'est-à-dire la troisième veille de la nuit, entre minuit et trois heures, vers le point du jour. (Comparer versets 74,75)

26.35 Pierre lui dit : Quand même il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai point. Et tous les disciples dirent la même chose.
  Pierre porte son assurance jusqu'à se croire prêt à mourir, sans s'apercevoir qu'il contredit formellement son Maître. Il méprise son avertissement deux fois répété, et entraîne ses condisciples (tous) dans sa présomption. Jésus lui laisse le dernier mot et se contente de prier pour lui. (Luc 22.32)

Ce que le disciple n'a pas voulu croire, il devra l'apprendre par une amère expérience.

26.36 Alors Jésus se rend avec eux dans un lieu appelé Gethsémané, et il dit aux disciples : Asseyez-vous ici, jusqu'à ce que m'en étant allé là, j'aie prié.
  D'après les plus anciens manuscrits Gethsemanei ; ce nom correspond très probablement à l'hébreu Gath-schemen qui signifie pressoir à l'huile.

C'était un enclos situé au pied du mont des Oliviers au delà du Cédron et de la vallée de Josaphat, au fond de laquelle coulait ce torrent, à très peu de distance de Jérusalem.

Matthieu dit que Jésus s'y rend, reprenant ainsi son récit, (verset 30) interrompu par les entretiens qui ont eu lieu en chemin entre Jésus et ses disciples.

Le Sauveur ne parle encore à tous ses disciples que de sa prière : il leur tait ses combats, son amère souffrance.

"Il les épargne et a égard à leur infirmité." Calvin.

Il les conduit ainsi par degrés, avec une sagesse pleine d'amour, sur le chemin de la croix.

26.37 Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être attristé et dans l'angoisse.
  Jacques et Jean. Ces trois disciples furent les témoins de ce qu'il y eut de plus intime, de plus mystérieux, dans la vie du Sauveur. (Matthieu 17.1 ; Luc 8.51)

Grec : A être attristé et angoissé. Il y a progression de l'un à l'autre de ces deux mots, dont le dernier désigne cette souffrance morale causée par l'agitation intérieure, le découragement, en un mot l'angoisse.

26.38 Alors il leur dit : Mon âme est triste jusqu'à la mort, demeurez ici et veillez avec moi.
  Maintenant que Jésus est seul avec ses trois disciples les plus intimes, il leur fait part avec confiance de ce qui se passe en lui. C'est dans son âme qu'il souffre, sa douleur est exclusivement morale ; mais sa tristesse est si profonde, qu'elle va jusqu'à la mort, c'est-à-dire qu'il éprouve la douleur et l'angoisse de celui qui lutte avec la mort, qui est à l'agonie. (Luc 22.44)

"Dans les grandes tentations, on aime à être seul, mais cependant à avoir des amis à sa portée." Bengel.

Jésus demande à ses disciples de veiller, non de prier avec lui, bien qu'ils dussent prier pour eux-mêmes, (verset 41) mais même ce qu'il leur demande, il ne peut l'obtenir d'eux. (verset 40) Dans son dernier combat, le Médiateur dut souffrir seul, (Jean 16.32) et cela aussi contribua à rendre sa coupe plus amère.

26.39 Et étant allé un peu plus avant, il se prosterna, priant et disant : Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux.
  Grec : Il tomba sur son visage.

"Sur son visage, non seulement sur ses genoux : abaissement suprême !" Bengel.

Malgré sa terrible souffrance, Jésus conserve toute sa communion de confiance et d'amour avec Dieu ; mon Père. (Quelques manuscrits et des Pères omettent mon.)

Les mots : s'il est possible, ne doivent s'entendre que d'une possibilité morale : si cela est compatible avec le dessein de ta miséricorde pour le salut du monde, si l'humanité déchue peut être sauvée sans ce moyen de la croix.

- La coupe, image très fréquente dans les Ecritures, (Matthieu 20.22, note) exprime ici l'immense sacrifice, les souffrances, la mort du Sauveur, avec toutes les craintes qu'il en éprouvait dans ce moment. (Comparer verset 46, note.) Ces paroles de Jésus ne sont point seulement une plainte, un cri de douleur, mais une véritable prière, une ardente supplication.

Jésus a prié ; mais il fait immédiatement à Dieu le sacrifice de toute sa volonté. (Jean 6.38 ; comparez Matthieu 12.27) En ceci, comme dans toute sa vie, Jésus est à la fois notre Sauveur et notre modèle ; car, comme c'est surtout dans la volonté de l'homme que réside le péché, cette volonté devait être offerte en sacrifice à la volonté souveraine de Dieu.

Ce sacrifice Jésus l'a fait comme représentant de notre humanité. Il est de plus notre modèle dans toutes nos épreuves, car nous aussi, nous pouvons demander à Dieu de nous en épargner l'amertume, pourvu qu'il nous accorde la grâce de renoncer à toute volonté propre, ce qui est l'essentiel du sacrifice et déjà une victoire.

26.40 Et il vient vers les disciples et les trouve endormis ; et il dit à Pierre : Ainsi, vous n'avez pas pu veiller une heure avec moi !
  Ce sommeil des trois disciples, dans un tel moment, ne s'explique que comme celui dont il est parlé dans Luc 9.32. Il est un degré de joie ou de tristesse que la nature humaine ne peut supporter sans en être accablée.

Aussi Luc (Luc 22.45) observe-t-il expressément qu'ils étaient "endormis de tristesse." Cependant les disciples restaient responsables de cet abattement, puisque Jésus leur en fait un reproche.

- Ces verbes au présent : il vient, il les trouve, aussi bien que le mot et trois fois répété, rendent très vivement cette scène et le douloureux étonnement que Jésus éprouve et qu'il va exprimer lui-même.

C'est à Pierre que Jésus adresse avec tristesse ce reproche ; n'est-ce pas lui qui avait fait les plus grandes protestations de fidélité ?

26.41 Veillez et priez, afin que vous n'entriez pas en tentation ; l'esprit est prompt, mais la chair est faible.
  Comparer Matthieu 6.13, note. Il y a dans toute grande épreuve une tentation, un danger moral qui ne peut être écarté que par la vigilance et la prière.

C'est là une sentence générale que Jésus applique à la position actuelle des disciples. L'esprit, ou ce que Paul appelle "l'homme intérieur," (Romains 7.22) la faculté spirituelle et morale, est prompt, ou, comme d'autres traduisent, plein de courage, d'ardeur ; mais la chair, la nature inférieure, sensuelle de l'homme, est faible, n'a aucun moyen de résister à la tentation, conspire plutôt avec elle. (Romains 7.18-25)

Pierre, à qui s'adressent ces paroles, en fera bientôt la plus triste expérience.

26.42 Il s'en alla encore pour la seconde fois, et pria, disant : Mon Père, s'il n'est pas possible que cette coupe passe sans que je la boive, que ta volonté soit faite !
  Le texte reçu porte comme au verset 39 : loin de moi.

- Il y a, entre la première et la seconde prière de Jésus, une différence notable : il parait admettre maintenant qu'il n'est pas possible ; la volonté divine pénètre, domine plus complètement la volonté humaine ; et nous pressentons que dans le troisième combat (verset 44) la victoire sera complète.

26.43 Et étant revenu, il les trouva encore endormis ; car leurs yeux étaient appesantis.
  verset 40, note.
26.44 Et les ayant laissés, il s'en alla encore, et pria pour la troisième fois, disant la même parole.
  La même parole peut être prononcée avec un sentiment très différent. Cette triple reprise dans la prière, dont Matthieu seul nous a conservé le récit complet, montre combien le combat du Médiateur fut prolongé et terrible. (Comparer Luc 22.43)

L'apôtre Paul nous décrit une expérience analogue de sa vie. (2Corinthiens 12.8)

26.45 Alors il vient vers les disciples, et leur dit : Dormez désormais et reposez-vous ! Voici, l'heure approche, et le fils de l'homme est livré entre les mains des pécheurs.
  Grec : Dormez le reste (du temps) ou désormais, et reposez-vous.

Ces paroles ont été très diversement interprétées. Traduites par l'impératif, elles peuvent exprimer une douloureuse ironie, ou avoir le sens d'une permission, comme si Jésus disait : "Il est trop tard, je n'ai plus besoin de vous, vous pouvez dormir."

Cette dernière interprétation est en contradiction avec les paroles qui suivent dans ce verset même. D'autres, rendant ces verbes par l'indicatif, traduisent : Vous dormez encore ! Mais, bien qu'à la rigueur on puisse adopter l'indicatif, le mot grec que nous traduisons par désormais ne peut pas signifier encore.

La même objection s'oppose à l'idée de ceux qui ont voulu rendre cette phrase par une question : Dormez-vous encore ? qui se rapprocherait de l'expression toute différente employée par Luc : (Luc 22.46) "Pourquoi dormez-vous ?" Il ne reste donc, pour expliquer le texte de Matthieu, qu'à admettre, avec les meilleurs interprètes, depuis Calvin jusqu'à nos jours, la première signification donnée à ces paroles.

On a objecté que l'ironie n'était pas en harmonie avec les sentiments qui remplissaient l'âme de Jésus. C'est une erreur. Cette forme de langage peut exprimer une profonde tristesse et une vive douleur sans aucune amertume ni aucune dérision.

D'ailleurs l'ironie est dans la situation beaucoup plus que dans les paroles. Jésus a demandé à ses disciples de veiller avec lui ; (verset 38) il leur a reproché leur assoupissement, (verset 40) il les a exhortés en vue de la tentation qui les menaçait ; (verset 41) et pendant que leur Maître souffre et prie, ils dorment ! Les ennemis s'approchent, et ils dorment !

L'heure ! l'heure suprême décisive. (Comparer Jean 17.1)

- Le fils de l'homme (Matthieu 8.20, note) est livré ! verbe au présent comme si Jésus était déjà entre les mains des pécheurs.

Par ces pécheurs, les uns entendent les membres du sanhédrin, ou, en général, les Juifs qui vont rejeter leur Sauveur ; d'autres, les Romains, qui le mettront à mort. Pourquoi ne pas appliquer ce mot aux uns et aux autres ?

26.46 Levez-vous, allons ! voici, il approche celui qui me livre !
  Quel contraste entre ces vives paroles, qui signalent un péril imminent, et le sommeil des disciples ! Maintenant le Sauveur, relevé de son abattement, s'avance plein de calme et de courage au-devant de ses ennemis.

- Au terme de ce récit, nous devons nous demander quelles ont été dans l'âme de Jésus les causes de cette souffrance cruelle qu'il a endurée. Il faut bien avouer que cette question nous met en présence du mystère "sur lequel les anges se penchent, désirant de voir jusqu'au fond." (1Pierre 1.12)

On a répondu que c'était le sentiment profond de la perversité humaine, de l'ingratitude de son peuple, de l'abandon de ses disciples, en un mot, ce poids immense d'iniquités qui s'accumulaient sur lui. On a répondu surtout que c'était le frémissement de la nature en présence des souffrances les plus atroces, de la mort la plus ignominieuse.

Tout cela peut être vrai. Mais cette mort qu'il avait prévue et si souvent annoncée, pour laquelle il savait qu'il était venu, (Jean 12.27) qu'il avait préfigurée dans la cène, quelques heures auparavant, dont il avait parlé avec un calme si sublime (voir les discours dans saint Jean et la prière sacerdotale), cette mort qui de sa part était libre et volontaire, était-elle bien la cause unique de ses angoisses, de sa défaillance ? ne nous paraîtrait-il pas alors moins courageux que tant de martyrs qui ont affronté avec héroïsme des supplices pareils ?

Une certaine critique, pour laquelle rien n'est sacré, n'a pas manqué de lui en faire un reproche ; elle a même trouvé une contradiction entre le calme majestueux des derniers entretiens de Jésus avec ses disciples et les profondes angoisses de Gethsémané ; et cette contradiction, elle s'en est armée pour contester la vérité historique du quatrième évangile.

Il faut regarder plus avant. La mort, dans le sens que l'Ecriture donne à ce mot, n'est pas seulement la destruction du corps, "salaire du péché," elle atteint tout notre être ; elle devient, sous le jugement de Dieu, "la mort seconde," la condamnation. Or Jésus, nous le savons de sa propre bouche, allait payer de sa vie la rançon des pécheurs ; (Matthieu 20.28) il allait "répandre son sang pour les péchés de plusieurs" (verset 28 : comparer Jean 1.29 ; 1Jean 2.2 ; 2Corinthiens 5 ; 21 ; Galates 3.13) ; en un mot, chef et représentant de notre humanité, il se mettait à la place du pécheur, sous le jugement de Dieu.

De là ces angoisses, ce poids de souffrance morale sous lequel il craint de succomber. (Comparer Matthieu 27.46) Il s'agit donc ici d'une tentation spéciale, terrible, d'une lutte contre la puissance des ténèbres. (Luc 22.53 ; Jean 14.30)

Jésus invoque son Père, dont il n'a point perdu l'amour et la faveur, il prie. (versets 36,39,42)

Que demande-t-il en ces mots : "Que cette coupe passe loin de moi ?" De ne pas accomplir son sacrifice ? On peut à peine le penser ; et s'il fallait l'admettre, ce ne serait là qu'un cri de douleur arraché par l'angoisse et aussitôt réprimé par cette expression d'entier abandon : "comme tu le veux." Il demande avant tout avec ardeur la délivrance de cette angoisse même, de sa crainte.

C'est là ce que nous apprend la parole profonde d'un auteur sacré qui ajoute qu'il fut exaucé, et que, "bien qu'il fût Fils, il apprit ainsi l'obéissance par les choses qu'il a souffertes ; et qu'ayant été consommé (rendu parfait dans l'obéissance), il est devenu l'auteur d'un salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent." (Hébreux 5.7-9 ; comparez ci-dessus verset 39, 2e note.)

26.47 Et comme il parlait encore, voici, Judas, l'un des douze, vint, et avec lui une grande foule armée d'épées et de bâtons, de la part des principaux sacrificateurs et des anciens du peuple.
  Ici se trouvent désignés trois ordres de personnes : en tête Judas, l'un des douze ; puis ce que Matthieu appelle une foule armée d'épées et de bâtons, et qui se composait, comme nous l'apprend Jean, (Jean 18.3, note) d'une "cohorte," par où il faut entendre un détachement de la garnison romaine, et non la garde juive du temple ; et enfin "d'huissiers," accompagnés par des serviteurs des sacrificateurs et des anciens, membres du sanhédrin et instigateurs de cette arrestation.

- Il faut compléter la scène qui suit par les autres évangiles.

26.49 Et aussitôt, s'approchant de Jésus, il lui dit : Salut, Rabbi ! Et il l'embrassa.
  C'était, chez les Juifs, une manière de s'aborder et de se saluer avec intimité. Il y a même ici un verbe composé qui signifie baiser avec affection.

M. Rilliet traduit : "il lui donna un tendre baiser."

Ce baiser de Judas, devenu proverbial, comme l'acte de la plus noire hypocrisie, devait d'abord désigner la victime à ses persécuteurs, mais probablement Judas pensait-il aussi pouvoir cacher sa trahison à Jésus lui-même, en lui faisant croire que son arrivée était fortuite.

26.50 Mais Jésus lui dit : Ami, pour quel sujet es-tu ici ? Alors, s'étant approchés, ils mirent les mains sur Jésus et le saisirent.
  Cette question, plus directe dans Luc, (Luc 22.48) devait faire rentrer Judas en lui-même, en lui montrant que son dessein était découvert.

Le terme original rendu par ami n'exprime point un sentiment d'affection, mais signifie plutôt compagnon, camarade, comme Matthieu 20.13 ; 22.12.

26.51 Et voici l'un de ceux qui étaient avec Jésus, ayant étendu la main, tira son épée, et, ayant frappé le serviteur du souverain sacrificateur, lui emporta l'oreille.
  C'était Pierre, dont les trois premiers évangiles taisent le nom par prudence, parce que cet apôtre vivait encore.

Jean (Jean 18.10) le nomme, parce que, Pierre étant mort, il n'y avait plus aucun danger à le faire.

26.52 Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée.
  Par ces paroles, le Seigneur condamne de la manière la plus expresse et la plus sévère toute violence et toute persécution en faveur de sa cause. Son règne, tout spirituel, ne saurait s'étendre par des armes charnelles. (2Corinthiens 10.3,4)

Que de sang, de souffrances et de scandales épargnés à l'Eglise et au monde, si ces paroles avaient été comprises et mises en pratique !

- C'est abuser de l'Ecriture que de faire de cette déclaration un argument en faveur de la peine de mort. Beaucoup plutôt pourrait-on y voir une condamnation de la guerre, de toute guerre injuste ; mais il est probable que Jésus n'a pensé ici qu'aux moyens d'étendre son règne.

26.53 Ou bien, penses-tu que je ne puisse pas maintenant prier mon Père, et il me fournira plus de douze légions d'anges ?
  Douze légions d'anges, au lieu de ces pauvres douze disciples, dont l'un croit devoir défendre son Maître par l'épée. Ces paroles nous montrent quelle était la confiance absolue du Sauveur en son Père et combien sa mort était volontaire. Sin., B, la Vulgate, les versions égypt. placent le mot maintenant (grec à l'instant) après me fournira.

La plupart des critiques et des traducteurs adoptent cette leçon.

26.54 Comment donc s'accompliraient les Ecritures, qui disent qu'il doit en être ainsi ?
  Car, selon les Ecritures, le Messie ne peut sauver le monde et arriver à la gloire que par la voie des souffrances. (Psaumes 22 ; Esaïe 53 ; comparez Luc 24.26,46)
26.55 En ce moment-là, Jésus dit à la foule : Vous êtes sortis comme après un brigand avec des épées et des bâtons pour me prendre. Chaque jour j'étais assis enseignant dans le temple, et vous ne m'avez point saisi.
  verset 53, note.

Jésus reproche à la foule (verset 47, note) et à ses chefs le traitement indigne qu'elle lui infligeait en le saisissant comme un malfaiteur ; mais il lui déclare en même temps que ses ennemis ont été impuissants à lui faire aucun mal avant que fût arrivé le temps de la volonté de Dieu, révélée dans les Ecritures. (verset 56)

26.56 Mais tout ceci est arrivé afin que les écrits des prophètes fussent accomplis. Alors tous les disciples, l'abandonnant, s'enfuirent.
  Tous l'abandonnent, bien que tous eussent promis de lui rester fidèles. (verset 35)

Accomplissement de la prédiction que Jésus venait de faire. (verset 31)