Matthieu   27.32  à  27.56

32. Et comme ils sortaient, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, qu'ils contraignirent de porter la croix de Jésus. 33. Et étant arrivés au lieu appelé Golgotha, ce qui signifie le lieu du Crâne, 34. ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel ; et quand il en eut goûté, il n'en voulut pas boire. 35. Et après l'avoir crucifié, ils partagèrent ses vêtements, en jetant le sort. 36. Et s'étant assis, ils le gardaient là. 37. Et l'on mit au-dessus de sa tête le sujet de sa condamnation écrit : Celui-ci Est Jésus, Le Roi Des Juifs.

38. Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l'un à droite, et l'autre à gauche. 39. Et ceux qui passaient l'injuriaient, secouant la tête, 40. et disant : Toi qui détruis le temple, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! 41. De même aussi les principaux sacrificateurs, avec les scribes et les anciens, disaient en se moquant : 42. Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ! Il est le roi d'Israël ! qu'il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui ! 43. Il s'est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime ! car il a dit : Je suis le Fils de Dieu. 44. Et les brigands aussi qui étaient avec lui l'outrageaient de la même manière.

45. Or depuis la sixième heure il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure. 46. Et environ la neuvième heure, Jésus s'écria d'une voix forte, disant : Eli, Eli, lamma sabachthani ? C'est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? 47. Et quelques-uns de ceux qui étaient présents, l'ayant entendu, disaient : Il appelle Elie, celui-ci ! 48. Et aussitôt l'un d'entre eux courut et prit une éponge, et l'ayant remplie de vinaigre et mise au bout d'un roseau, il lui donna à boire. 49. Et les autres disaient : Laisse ; voyons si Elie vient le délivrer. 50. Et Jésus ayant de nouveau poussé un grand cri, rendit l'esprit.

51. Et voici, le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu'en bas ; et la terre trembla, et les rochers se fendirent, 52. et les sépulcres s'ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent ; 53. et étant sortis de leurs sépulcres, ils entrèrent dans la sainte cité, après sa résurrection, et ils apparurent à plusieurs personnes. 54. Et le centenier et ceux qui gardaient Jésus avec lui, ayant vu le tremblement de terre et ce qui arrivait, furent fort effrayés, et dirent : Véritablement cet homme était Fils de Dieu.

55. Or il y avait là plusieurs femmes, regardant de loin, qui avaient suivi Jésus de la Galilée, en le servant ; 56. entre lesquelles étaient Marie de Magdala, et Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.

PLAN
  1. Avant le supplice
    Les soldats contraignent Simon de Cyrène de porter la croix de Jésus. Arrivés en Golgotha, ils offrent à Jésus du vin mêlé de fiel. Jésus le refuse. (32-34.)
  2. Le crucifiement
    Après l'avoir cloué sur la croix, les soldats jettent le sort sur ses vêtements. L'écriteau placé au-dessus de sa tête le désigne comme le roi des Juifs. Deux brigands sont crucifiés avec lui. (33-38.)
  3. Les injures
    Elles lui sont prodiguées par les passants, les membres du sanhédrin, les brigands, ses compagnons de supplice. (39-44.)
  4. La mort
    Dès la sixième heure des ténèbres régnent. A la neuvième heure, Jésus s'écrie : Eli, Eli, lamma sabachthani ? Quelques-uns interprètent, par ironie, ce cri comme un appel adressé au prophète Elie. L'un d'eux lui tend une éponge imbibée de vinaigre. Jésus rend l'esprit en jetant un grand cri. (45-50.)
  5. Après la mort
    Le voile du temple se déchire, la terre tremble, les sépulcres s'ouvrent, les morts ressuscitent. Le centenier et les gardiens de Jésus le reconnaissent pour le Fils de Dieu. L'évangéliste nomme quelques femmes, venues de Galilée, qui ont assisté au supplice. (51-56.)
NOTES
27.32 Et comme ils sortaient, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, qu'ils contraignirent de porter la croix de Jésus.
  Jésus crucifié

32 à 56 Crucifiement et mort du Sauveur.

Comme ils sortaient de la ville, hors de laquelle devaient se faire les exécutions, (Nombres 15.35,36 ; 1Rois 21.13 ; Actes 7.58) ils rencontrèrent un nommé Simon, originaire de Cyrène, en Afrique, où se trouvait une nombreuse colonie juive. (Actes 6.9)

Simon revenait des champs, (Marc 15.21) ils le chargèrent de la croix de Jésus. Jésus l'avait jusque-là portée lui-même ; (Jean 19.17) mais il parait qu'épuisé par ses souffrances et surtout par le supplice sanglant de la flagellation, il succombait.

Aucun soldat romain n'aurait voulu porter la croix, à cause de l'infamie qui s'y attachait ; ils y contraignirent cet étranger de médiocre condition. (Grec : le mirent en réquisition pour cela.) Ce terme n'indique pas, comme on l'a supposé, que Simon de Cyrène fût disciple de Jésus ; mais, qu'il le soit devenu après cette participation involontaire à la mort du Sauveur et tout ce dont il fut témoin sur le Calvaire, c'est ce qu'on peut conclure de Marc 15.21 ; comparez Romains 16.13.

27.33 Et étant arrivés au lieu appelé Golgotha, ce qui signifie le lieu du Crâne,
  On a supposé que ce théâtre des exécutions criminelles s'appelait ainsi à cause des crânes privés de sépulture qu'on pouvait y voir ; mais il est plus probable que ce nom venait de la forme arrondie de la colline dont il s'agit. On n'a pas encore aujourd'hui, malgré toutes les recherches, acquis de certitude sur la situation topographique de Golgotha.

L'emplacement traditionnel, marqué par l'église du Saint-Sépulcre que l'impératrice Hélène fit construire au commencement du quatrième siècle, est actuellement dans la ville.

Ceux qui défendent cette donnée de la tradition pensent qu'au temps de Jésus le mur d'enceinte suivait du nord au sud le tracé de la rue de Damas pour tourner brusquement à l'ouest dans la direction de la porte de Jaffa. Le Calvaire aurait été situé dans cet angle rentrant (F. Bovet, Voy. en Terre-Sainte, p. 209 et suivants).

27.34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel ; et quand il en eut goûté, il n'en voulut pas boire.
  Matthieu nomme la boisson offerte à Jésus du vin mêlé avec du fiel, ce qui semble indiquer une intention malveillante. (Psaumes 69.22 ; comparez Marc 15.23 note.)

- Le texte reçu porte du vinaigre au lieu de vin. Si ce mot était authentique, il ne changerait rien au sens, car aujourd'hui encore, en Orient, on laisse aigrir le vin pour le rendre plus rafraîchissant en le mêlant avec de l'eau.

Ce qu'on appelait "vin doux" (Actes 2.13) n'était autre chose que du vin non aigri. (Voir F. Bovet, Voy. en Terre-Sainte, 7e éd. p. 218.)

27.35 Et après l'avoir crucifié, ils partagèrent ses vêtements, en jetant le sort.
  Il faut s'arrêter en présence de ce mot crucifié, si vite prononcé, qui caractérise le supplice le plus horrible qu'ait inventé la cruauté humaine, et que la législation pénale des Romains réservait d'ordinaire aux esclaves et aux plus grands criminels.

La croix se composait de deux pièces : l'une verticale, plantée dans le sol, l'autre horizontale, fixée tantôt au sommet de la première (de sorte que l'instrument avait la forme d'un T), tantôt un peu au-dessous de ce sommet. Cette dernière forme fut probablement celle de la croix de Jésus, car elle s'accorde le mieux avec le fait qu'une inscription fut placée au-dessus de sa tête. Quand la croix était dressée, on hissait le condamné, au moyen de cordes, à la hauteur de la poutre transversale, sur laquelle on lui fixait les mains avec des clous.

A mi-hauteur de la pièce verticale, il y avait une cheville de bois sur laquelle on mettait le supplicié à cheval, pour empêcher que le poids du corps ne déchirât les mains. Les pieds enfin étaient cloués, soit l'un sur l'autre avec un clou unique, soit l'un à côté de l'autre.

- Il arrivait, mais plus rarement, que l'on fixait le condamné sur la croix encore couchée par terre pour la redresser ensuite.

- Les crucifiés vivaient ordinairement une douzaine d'heures, quelquefois jusqu'au second ou au troisième jour. L'inflammation des blessures provoquait la fièvre et une soif ardente ; l'immobilité forcée du corps occasionnait des crampes douloureuses ; l'afflux du sang au cœur et au cerveau causait de cruelles souffrances et des angoisses indicibles.

Ce partage des vêtements du supplicié entre ses exécuteurs était alors d'un usage général. Pour Jésus, ce fut l'accomplissement d'une prophétie. (Psaumes 22.19)

Aussi le texte reçu ajoute-t-il à ce verset cette remarque : afin que fût accompli ce qui a été dit par le prophète : Ils ont partagé mes vêtements, ils ont jeté le sort sur ma robe. Ces paroles ne sont point authentiques ; mais cette application de la prophétie est faite par Jean, qui raconte ce trait plus en détail. (Jean 19.23,24)

27.36 Et s'étant assis, ils le gardaient là.
  Comme le supplice de la croix n'était mortel qu'après un temps très long, on gardait les crucifiés, afin que nul ne pût venir les enlever.
27.37 Et l'on mit au-dessus de sa tête le sujet de sa condamnation écrit : Celui-ci Est Jésus, Le Roi Des Juifs.
  Cette inscription fut placée au-dessus de sa tête, c'est-à-dire sur le haut du poteau perpendiculaire de la croix qui dépassait la tête du crucifié.

C'est Pilate qui avait choisi ce titre ironique pour se moquer et se venger des Juifs, et il refusa de le changer à leur demande ; (Jean 19.22) en sorte que Jésus porta en sa mort son titre véritable, dont les Juifs avaient fait contre lui un sujet d'accusation.

27.38 Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l'un à droite, et l'autre à gauche.
  Alors, c'est-à-dire après que Jésus fut attaché à la croix.

Ce crucifiement des deux brigands eut lieu probablement par d'autres exécuteurs, qui les placèrent à droite et à gauche de Jésus, infligeant ainsi à la sainte victime une nouvelle humiliation. De la sorte fut accomplie la parole d'Esaïe (Esaïe 53.12) et du Seigneur lui-même., (Luc 22.37 ; Marc 15.28) (selon le texte reçu.)

27.39 Et ceux qui passaient l'injuriaient, secouant la tête,
  En signe de moquerie, de mépris. (Comparer Psaumes 22.8 ; Esaïe 37.22 ; Job 16.4)
27.40 et disant : Toi qui détruis le temple, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix !
  Voir Matthieu 26.61, note

Le vrai texte de ces paroles injurieuses est ici rétabli. Elles tournent en dérision le double fait que Jésus avait eu la prétention de sauver les autres (verset 42) et d'être le Fils de Dieu.

On le sommait de prouver l'un et l'autre en descendant de la croix.

27.43 Il s'est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime ! car il a dit : Je suis le Fils de Dieu.
  Ce qu'il y a d'inouï dans ce récit, c'est que toutes les classes d'hommes qui composaient le conseil suprême de la nation, sacrificateurs, scribes, anciens (une variante ajoute les pharisiens), étaient représentées dans cette scène et s'unissaient à la populace pour injurier le Sauveur.

Quand tout ce qu'il y a de plus éclairé et de plus élevé dans une nation descend à ce degré de bassesse morale, que peut-on attendre encore ? Il faut remarquer cette série de courtes phrases outrageantes qu'ils jettent à la face du Crucifié.

Il ne faut pas lire, (verset 42) avec le texte reçu, s'il est le Roi d'Israël, mais il est le roi d'Israël, ce qui est d'une ironie bien plus poignante. Ces hommes qui savent par cœur l'Ecriture, la profanent en y cherchant l'expression de leur raillerie. (verset 43 ; comparez Psaumes 22.8)

Les plus beaux titres de Jésus-Christ sont, dans la bouche de ces aveugles, convertis en injures contre lui : Sauveur, Roi d'Israël, Fils de Dieu.

27.44 Et les brigands aussi qui étaient avec lui l'outrageaient de la même manière.
  De la même manière, c'est-à-dire par des paroles semblables. (Luc 23.39 et suivants)

Matthieu et Marc attribuent ces outrages indistinctement aux deux brigands, tandis que Luc ne les met que dans la bouche de l'un d'eux, qui est même repris par son compagnon d'infortune.

Plusieurs interprètes, depuis les Pères jusqu'à nos jours, ont admis, pour rendre compte de cette différence, qu'au commencement de cette scène, qui dura plusieurs heures, les deux brigands outragèrent Jésus ; mais que l'un d'eux (comme le centenier verset 54), frappé de tout ce qui se passait sous ses yeux, avait reconnu en Jésus le Messie d'Israël. Il n'y a rien là d'impossible (voir l'exemple du geôlier de Philippes, Actes 16.27 et suivants) ; mais cela est peu probable.

Voir Luc 23.42 note.

27.45 Or depuis la sixième heure il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure.
  La sixième heure, à compter de six heures du matin, c'était midi ; la neuvième heure, trois heures.

Les trois premiers évangélistes s'accordent sur ce moment où se produisirent les ténèbres. Si elles avaient eu lieu dès le commencement du supplice de Jésus, il ne serait pas difficile de concilier ce récit avec celui de Jean Jean 19.14 qui nous apprend que ce fut environ la sixième heure (midi) que Pilate livra Jésus pour être crucifié.

Mais la difficulté gît dans le récit de Marc (Marc 15.25) (voir la note), qui place le crucifiement dès la troisième heure (neuf heures du matin), en sorte que, selon lui, Jésus avait déjà souffert trois heures le supplice de la croix au moment des ténèbres. Tout ce qui a été dit pour concilier cette différence est insuffisant. Ne vaut-il pas mieux se résigner à ce que quelque obscurité plane sur un point de détail, que de vouloir l'éclaircir à tout prix, par des raisons sans valeur ?

- Quant aux ténèbres qui s'étendirent sur toute la terre (ou selon un hébraïsme, sur tout le pays), et que les premiers évangélistes mentionnent d'un commun accord, la critique s'est efforcée de les expliquer comme un phénomène naturel. Ce ne pouvait pas être une éclipse de soleil, puisqu'au quinze du mois de nisan la lune était pleine. Ce n'était probablement pas non plus un obscurcissement causé par un orage ou par le tremblement de terre mentionné ci-après. (verset 51)

Evidemment les évangélistes entendent raconter un miracle. Sa réalité est attestée par l'impression profonde qu'en reçurent les assistants. (verset 54) Ce miracle fut une manifestation de la puissance de Dieu, dans ce moment unique de l'histoire de notre humanité.

Le sentiment religieux ne s'y est pas trompé ; il a toujours reconnu les harmonies profondes qui existent entre le monde visible et le monde des esprits ; quand le soleil de justice s'éteint au sein de la perversité humaine, le soleil de la nature se voile de ténèbres. La poésie religieuse est ici le meilleur commentaire :

A ta mort la nature entière Se répand en cris de douleur Le soleil cache sa lumière ; Les élus pleurent leur Sauveur.

27.46 Et environ la neuvième heure, Jésus s'écria d'une voix forte, disant : Eli, Eli, lamma sabachthani ? C'est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
  Mystérieuse exclamation s'élevant des profondeurs de l'âme de Jésus !

Retour momentané des indicibles souffrances morales de Gethsémané (Matthieu 26.36 et suivants, notes) au sein de l'agonie physique !

Jésus emprunte à la Parole sainte (Psaumes 22.1) des termes qui puissent exprimer ce qu'il éprouve, et l'évangéliste les conserve dans la langue originale, afin de n'y rien changer.

Ce qui cause l'angoisse du Sauveur, il le dit lui-même, c'est le sentiment momentané de l'abandon de Dieu ! Il n'y a rien de plus redoutable dans les expériences de l'âme.

- Pourquoi ? Jésus le demande. Le Saint et le Juste sait bien qu'il ne peut trouver en lui la cause de cette mystérieuse et insondable souffrance. Ce qui lui voile la face de son Père et trouble sa communion avec lui, c'est le sombre nuage du péché de notre humanité, ce péché pour lequel il souffre et meurt.

Il ne dit plus : mon Père, comme en Gethsémané, mais : mon Dieu ! Et pourtant : mon Dieu ! S'il souffre tout ce qu'avait souffert le psalmiste dans l'abandon de Dieu, il persiste à crier à son Dieu ; et comme ce psaume que Jésus avait vivant dans son âme, après avoir commence par ce cri d'épouvante, se termine par un chant de délivrance, ainsi Jésus, bientôt après, fait entendre ce cri du triomphe : Tout est accompli ! et cette douce parole de confiance et d'amour : Mon Père, je remets mon esprit entre tes mains !

- Avons-nous par là sondé et expliqué ce mouvement de l'âme de Jésus ? Nullement. Nous redoutons par-dessus tout les commentaires qui s'exposent à profaner ce cri de douleur en voulant en faire ressortir toute la dogmatique des hommes. Il faut l'écouter, le recueillir dans son cœur, et en retirer cette consolante assurance : Il se sent un moment abandonné, afin que je ne le sois jamais !

27.47 Et quelques-uns de ceux qui étaient présents, l'ayant entendu, disaient : Il appelle Elie, celui-ci !
  Celui-ci, terme de mépris par lequel ceux qui parlent désignent Jésus parmi les trois crucifiés.

Ils ne pouvaient pas, par ignorance, prendre le mot Eli (ou selon d'autres manuscrits Eloï, mon Dieu) pour le nom d'Elie qui se dit en hébreu Eliiahou.

C'était donc un mauvais jeu de mots qu'ils faisaient volontairement sur la douloureuse prière de Jésus.

27.48 Et aussitôt l'un d'entre eux courut et prit une éponge, et l'ayant remplie de vinaigre et mise au bout d'un roseau, il lui donna à boire.
  Du vinaigre mêlé d'eau était la boisson des soldats romains : l'un d'eux en donne à Jésus par humanité, car le Sauveur venait de s'écrier : j'ai soif, et il accepta ce dernier secours. (Comparer Jean 19.28-30)

Il ne faut donc pas confondre ce trait avec celui du verset 34.

27.49 Et les autres disaient : Laisse ; voyons si Elie vient le délivrer.
  Paroles ironiques par lesquelles les mêmes moqueurs qui venaient de parler (verset 47) voulaient détourner le soldat romain de son acte d'humanité. D'après Marc, (Marc 15.36) ces paroles auraient été prononcées par le même homme qui venait d'offrir à Jésus du vinaigre.

Le récit de Matthieu est évidemment le plus exact.

27.50 Et Jésus ayant de nouveau poussé un grand cri, rendit l'esprit.
  Le mot de nouveau se rapporte au verset 46.

Matthieu ne nous dit pas quelles paroles Jésus prononça dans ce cri suprême, mais Luc (Luc 23.46) et Jean (Jean 19.30) nous les ont conservées.

Il est possible aussi, et cela paraît plus naturel, que ces paroles aient été proférées avant le cri suprême.

- Il rendit l'esprit, il mourut.

"L'histoire sainte rapporte en un seul mot la mort du Sauveur ; mais les discours et les épîtres des apôtres prêchent abondamment les fruits de cette mort. Jamais il n'est dit de lui il s'endormit, mais il mourut, verbe par lequel l'Ecriture révèle la vérité, l'importance et la puissance de la mort de Christ." Bengel.

27.51 Et voici, le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu'en bas ; et la terre trembla, et les rochers se fendirent,
  Ce mot et voici, ainsi que la particule et répétée avant chaque phrase de ce récit, en relève la solennité. Tous les miracles ici racontés pouvaient réveiller l'attention et la crainte du peuple qui assistait à ces scènes ; (verset 54) mais en outre ils ont une profonde signification symbolique.

Ainsi ce voile du temple qui séparait le lieu saint du lieu très saint et en défendait l'entrée, (Exode 26.31-33 ; Lévitique 16.2) au delà duquel le souverain sacrificateur seul pénétrait une fois l'an, au grand jour des expiations, (Exode 30.10) indiquait que la demeure du Dieu saint était inaccessible à l'homme, jusqu'à l'accomplissement des temps.

Mais ce voile déchiré au moment ou se consommait sur la croix le vrai sacrifice d'expiation pour le péché proclamait, aux yeux de tout le peuple assemblé dans le temple pour l'oblation du soir (trois heures, verset 45), que désormais l'accès au trône de la grâce (figuré sur l'arche de l'alliance dans le lieu très saint) était rouvert, et que l'homme pécheur, banni du ciel, pouvait tourner ses regards et ses espérances vers les demeures éternelles, vers la maison du Père. (Comparer Hébreux 6.19 ; 9.6 et suivants ; Hébreux 10.19 et suivants).

- Les trois premiers évangélistes rapportent ce trait ; les miracles qui suivent sont dans Matthieu seul.

27.53 et étant sortis de leurs sépulcres, ils entrèrent dans la sainte cité, après sa résurrection, et ils apparurent à plusieurs personnes.
  Tous ces miracles ont aussi leur signification symbolique. Cette terre qui tremble semble dénoncer les jugements de Dieu sur le peuple qui rejette son Sauveur ; ces rochers qui se fendent n'accomplissent-ils pas à la lettre la parole de Jésus : "Si ceux-ci se taisent, les pierres mêmes crieront ?" (Luc 19.40)

Par la rupture de ces rochers, plusieurs des sépulcres qui y étaient taillés, selon l'usage d'alors, (verset 60) et qui se voient encore en grand nombre autour de Jérusalem, s'ouvrirent.

Ces saints qui étaient morts (grec endormis) dans l'espérance de la rédemption et qui renaissent à la vie, proclament la victoire du Sauveur sur la mort.

Les mots après sa résurrection ne se rapportent pas à ce qui précède : étant sortis de leurs sépulcres, ce qui supposerait qu'ils y restèrent vivants jusqu'au troisième jour ; mais à ce qui suit : ils entrèrent dans la sainte cité, (Matthieu 4.5) dans la ville de Jérusalem, et apparurent à plusieurs personnes dans les temps qui suivirent la résurrection de Jésus.

Malgré les obscurités de ce récit, nous ne saurions y voir seulement une tradition sans fondement historique.

27.54 Et le centenier et ceux qui gardaient Jésus avec lui, ayant vu le tremblement de terre et ce qui arrivait, furent fort effrayés, et dirent : Véritablement cet homme était Fils de Dieu.
  Le centenier, capitaine romain qui commandait la cohorte (verset 27) préposée à l'exécution, reçut, ainsi que ceux qui l'entouraient, cette impression profonde, non seulement par le tremblement de terre, et les autres miracles, mais par tout ce qui arrivait alors.

En effet, le centenier avait été témoin de tout ce qui s'était passé dans cette exécution, à partir du palais de Pilate jusqu'au dernier moment. Il avait entendu les paroles de Jésus sur la croix, vu son inaltérable résignation. Quoi de plus propre à produire l'impression décrite sur un homme qui n'était pas aveuglé par la passion comme les Juifs !

Mais d'où ce soldat païen prenait-il le terme de Fils de Dieu ?

Non seulement il pouvait savoir que tel avait été le motif de la condamnation de Jésus, mais il venait d'entendre les Juifs tourner ce titre en raillerie. (versets 40,43) Or sa parole : véritablement Fils de Dieu, est une allusion évidente aux négations qu'il venait d'entendre.

Cela ne veut point dire qu'il eût des idées bien claires ni très élevées sur le sens religieux de ce nom divin ; mais l'exégèse n'est pas non plus autorisée à affirmer, comme elle l'a fait souvent, que le centenier donnait à ce nom une signification toute païenne : un fils des dieux, un être surnaturel. (Voir Luc 23.47, note.)

27.55 Or il y avait là plusieurs femmes, regardant de loin, qui avaient suivi Jésus de la Galilée, en le servant ;
  En le servant signifie aussi, comme le dit Luc Luc 8.2,3, en l'assistant de leurs biens.
27.56 entre lesquelles étaient Marie de Magdala, et Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.
  La sépulture de Jésus

57 à 66 Jésus mis dans le tombeau.

Marie de Magdala ou Marie-Magdelaine, (Luc 8.2) ne doit être confondue ni avec la pécheresse dont parle Luc, (Luc 7.36 et suivants) ni avec Marie, sœur de Lazare, qui oignit les pieds du Sauveur. (Jean 12.3) Elle est nommée ici la première, elle fut aussi la première à qui Jésus apparut après sa résurrection. (Marc 16.9 ; Jean 20.1 et suivants)

- Marie, mère de Jacques et de Joseph (Sin. D, et la plupart des versions ont Joseph, les autres ont Josè) était la femme d'Alphée ou Cléopas. (Jean 19.25 ; Marc 15.47)

- La mère des fils de Zébédée s'appelait Salomé. (Marc 15.40 ; comparez Matthieu 20.20)

- Matthieu ni Marc ne nomment ici Marie, mère de Jésus, quoique nous sachions par Jean (Jean 19.25 et suivants) que d'abord elle était présente avec ce disciple.

"Il faut donc probablement prendre à la lettre cette expression : dès cette heure-là ce disciple la prit chez lui. (Jean 19.27) Le cœur de Marie s'était brisé à l'ouïe de la parole pleine de tendresse que lui avait adressée Jésus, et elle s'était retirée à l'heure même, de sorte qu'elle n'était plus présente à la fin du supplice." Godet, Commentaire sur Luc 23.47-49.