PREMIÈRE PARTIE

1. PREMIER MIRACLE DES APÔTRES

§ 1.
L'impotent guéri : 3.1 à 3.11
§ 2.
Second discours public de Pierre : 3.12 à 3.36

§ 1. L'impotent guéri

3.1   Nous arrivons avec ce récit au premier « acte des apôtres, » suivant l'envoi du Saint-Esprit. Le pouvoir d'accomplir des prodiges et des signes leur a été conféré (2.43) ; l'auteur en choisit un pour le raconter, peut-être comme type des autres.

Aucune indication de date. Des semaines, probablement, sont intervenues depuis la Pentecôte : temps d'instruction religieuse suivie et paisible, dont les nouveaux membres de l'Eglise avaient le plus grand besoin. Il fallait leur faire connaître plus exactement le Christ, sa vie, ses enseignements ; des croissances trop hâtives nuisent à la maturité du fruit. Mais aux leçons de la parole devaient se joindre aussi celles de l'activité pratique, celles surtout de la bienfaisance. Les apôtres vont s'y employer, au nom et à l'exemple de leur Maître.

Pierre et Jean, un jour, montaient au temple, vers l'heure de la prière. Les voilà sur cette montagne sainte dont Joël, cité par Pierre à la Pentecôte, a fait le refuge des nations. Les disciples aiment à prier là où leurs frères israélites prient aussi. Ils voudraient ne pas rompre avec leur peuple, et le choix fait par l'écrivain de l'imparfait ἀνέβαινον montre bien une habitude pieusement conservée par eux. L'auteur nomme dans ce cas particulier la neuvième heure du jour, donc trois heures après-midi, moment fixé pour la troisième prière quotidienne.

3.2   Comme les deux apôtres approchaient du temple, un impotent était porté dans la même direction. Boiteux dès sa naissance, incapable de se mouvoir, il était exposé chaque jour devant une des portes du sanctuaire, celle qu'on surnommait « la Belle, » et là il demandait l'aumône. La plupart des commentateurs s'accordent pour voir dans cette porte celle dite de Nicanor, faite, selon Josèphe, « en airain de Corinthe, et beaucoup plus riche que celles qui étaient tout ornées d'argent et d'or1. » Elle conduisait du parvis des Gentils dans celui des femmes, où commençaient déjà certains actes extérieurs du culte. L'auteur a donc raison de la nommer : θύρα τοῦ ἱεροῦ .

3.3   Voyant arriver Pierre et Jean, l'impotent leur demande l'aumône, comme il le faisait pour tous les fidèles. (3.4  ) Un regard répond à cette requête ; celui de Pierre. Jean a certainement regardé aussi ; mais il y a dans le coup d'œil de son compagnon une pénétration, une acuité exceptionnelles. L'apôtre voudrait sonder les dispositions intimes du mendiant, car il souhaite déjà de le guérir et la guérison dépend de ces dispositions mêmes. Il commence par un ordre : « Jette les yeux sur nous ! » (3.5  ) Le malade obéit ; il observe attentivement2 ces deux hommes, comptant bien recevoir d'eux quelque chose, une aumône peut-être exceptionnellement riche. Il ne se trompait pas. Seulement, ce ne sera ni de l'or ni de l'argent ; Pierre n'en a point. -- Mais il a autre chose, et il le donnera. Il a dans le Seigneur Jésus une foi assez puissante pour croire à la guérison, même instantanée, de cet homme. Cette foi, il va la lui communiquer. Et comment ? Par le moyen d'un ordre, car croire, c'est obéir. Révélant tout ensemble l'objet de la foi et l'auteur du commandement, l'apôtre crie à l'impotent : Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, marche ! Si le malheureux croit à la puissance de ce nom, il obéira. S'il obéit, il sera sauvé.... Début solennel de l'œuvre apostolique ; enseignement supérieur à toutes les leçons. Point d'aumône ; mais un nom, maudit naguère par les autorités de la nation ; le nom d'un mort, assez vivant pour opérer des miracles.... Que va faire l'impotent ? 3.7   Pierre l'assiste dans la mesure du possible. Il lui tend la main pour saisir la sienne. Le malade ne la refuse pas ; il est soulevé et il se lève ; les deux actes n'en font qu'un. La foi de l'apôtre a bien été donnée au boiteux ; elle s'est montrée assez puissante pour le guérir. (Comparez v. 16.) Les termes dont l'auteur se sert pour noter cette guérison sont brefs, mais précis ; ils trahissent certaines connaissances médicales. Il y a eu redressement ou raffermissement, d'abord des βάσεις, littéralement des « bases » ou des « marches » (βαίνω, βάω), c'est-à-dire des pieds, puis des σφυρά, des os dont le pied est formé, et particulièrement des chevilles3. Tout cela, d'ailleurs, est instantané. L'impotent saute tout d'un coup (ἐξαλλόμενος, exiliens) ; il se tient droit, puis il se met à marcher, à « se promener, » dit le texte, comme pour s'assurer à chaque pas de la réalité de sa guérison. Jésus n'avait-il pas dit précisément : χωλοί περιπατοῦσι  ? (Luc 7.22.) Tout est si primesautier, si frais dirions-nous, dans ce récit, que nous ne saurions comment y découvrir, avec Holtzmann, une maladroite répétition de Luc 5.18-26. Les quelques ressemblances entre ces deux récits sont bien dépassées par les divergences.

3.9   Le malade guéri ne se contente pourtant pas de se promener et de sauter. Il entre dans le temple pour louer Dieu. Il lui semble naturel d'employer tout d'abord ainsi ses forces rétablies. Le miracle, dès lors, tombe dans le domaine public ; la foule entière voit et entend cet homme ; et son témoignage involontaire, mais unanime, ne laissera pas, tout à l'heure, que d'embarrasser fort le sanhédrin. Chacun le reconnaît ; c'est bien lui qui mendiait cet après-midi, à la Belle-Porte. Tout le monde est rempli de stupéfaction et d'extase (ἐκτάσεως) ; on est hors de soi, mais cela n'empêche pas le fait d'être arrivé. Les deux apôtres se sont emparés de l'impotent guéri, comme s'il leur appartenait ; ils entrent avec lui dans le parvis des hommes, et la foule se masse autour d'eux, vers le portique de Salomon. Josèphe4 place ce portique au côté est du temple. Jésus s'y est promené un jour d'hiver, lors de la fête dite « de la dédicace » (Jean 10.23) ; bien probablement, ce souvenir est présent maintenant à l'esprit des deux apôtres. Pour la critique avancée, ce premier miracle apostolique se réduit à une fable mêlée d'hypocrisie. La maladie aurait été simulée. Mais, vaincu par le regard pénétrant de Pierre, le prétendu malade aurait avoué sa supercherie, puis se serait attaché aux pas de l'apôtre, afin de ne pas être maltraité par le peuple indigné. Nous plaignons, sans trop espérer de les convaincre, ceux qui trouvent cette explication scientifique et appuyée par le texte. Acceptant pour notre part la parfaite historicité du récit, nous ne faisons nulle difficulté d'en relever le caractère typique. (Oui, l'humanité était depuis longtemps pauvre, infirme, mendiante même, comme l'impotent de la Belle-Porte. Elle n'avait trouvé nulle part ni pitié ni soulagement. Elle ignore d'où le salut lui viendra, elle le cherche en tâtonnant. Ses mains tendues en ont enfin rencontré d'autres, vaillantes et charitables ; la voilà soulevée ; elle peut marcher. Et peut-être, instruits par une admirable expérience contemporaine, nous avons quelque droit de voir dans la guérison de l'impotent un encouragement aux missions médicales.

§ 2. Second discours public de Pierre

Il faut parler à cette multitude elle attend une explication. Pierre se charge de la donner ; c'est son rôle et son devoir. Deux parties, analogues à celles de sa première allocution, se reconnaissent aisément dans ce discours :

  • a) explication sommaire du fait, directement rattaché au Christ
  • b) exhortation à la repentance

a) Explications au sujet du miracle. Versets 12-18.
3.12   Pierre « répondit, » écrit notre texte. Il y a eu probablement des questions, des demandes, des exclamations tout au moins, partant des rangs de la foule. Le discours de l'apôtre peut donc bien passer pour une réponse. Or, dans sa pensée, il n'y a pas lieu de s'étonner si fort au sujet de cet événement (ou peut-être de cet homme : ἐπὶ τούτῳ). Il n'y a pas même à lancer sur Pierre et sur Jean des regards si surpris. Ni leur puissance personnelle, ni leur piété n'ont fait marcher l'impotent ; si le miracle est incontestable, ils n'en sont pourtant point les agents. D'autres énergies ont été en jeu, celle de Dieu même. Oui, dans et par cette action extraordinaire, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob a voulu glorifier son Fils, ce Jésus que, pour vous, vous avez livré et renié à la face de Pilate, lequel avait décrété de le relâcher. On remarquera le terme de παῖς, employé ici pour désigner le Fils de Dieu ; Pierre traduit ainsi l'expression prophétique עֶבֵד יְהָוֹה  ; il en sera de même au verset 26 et 4.27,30. (Les apôtres ne se sont jamais attribué ce titre ; ils se contentent d'être les δοῦλοι θεοῦ ou κυρίου). Dieu, dès les temps des patriarches, avait voulu se révéler par son serviteur d'humble apparence, mais néanmoins glorieux et puissant. Les hommes l'ont repoussé ; et Pierre, comme au jour de la Pentecôte, ose déclarer à ses auditeurs qu'ils portent leur part de responsabilité dans ce rejet violent du serviteur de Jahveh1. Ils l'ont renié, et ce terme ἠρνήσασθε, choisi sans doute avec intention, fait vibrer dans la conscience de l'orateur d'amers souvenirs. Leur reniement a éclaté en face d'un juge païen, plus équitable qu'eux, et dont la bouche avait proclamé l'innocence de l'accusé. Pierre insiste encore ; nulle crainte ne l'arrête plus. (3.14  .) C'est, dit-il, le Saint et le Juste, dès longtemps prédit comme tel, que vous avez renié. Et vous avez demandé une faveur : celle d'obtenir la vie d'un meurtrier afin de pouvoir tuer le Prince de la vie. Impossible de nier ce double contraste, cherché et voulu : un assassin préféré à un saint ; le Maître et la source de la vie mis à mort par ses frères ! (Hébreux 2.10 nomme Jésus ἀρχηγὸν τῆς σωτηρίας  ; Hébreux 12.2 ἀρχηγὸν τῆς πίστεως  ; il est donc aussi le Prince et le principe de la vie spirituelle. Jean 1.4 étend encore cette notion en disant : ἐν ἀυτῷ ζωὴ ἦν 3.16   Mais en face de l'œuvre humaine éclate l'œuvre divine : vous avez tué ; Dieu a ressuscité et nous en sommes témoins. Eh bien, la foi en ce ressuscité (en son nom, donc en sa personne2), communiquée par nous à cet infirme, a été assez puissante en lui pour que ce nom, objet de sa foi, le redressât et le guérît. Tel est le sens évident de la phrase un peu chargée : Par la foi en son nom, son nom a raffermi celui-ci, que vous contemplez et connaissez, et la foi qui vient par lui, lui a donné vis-à-vis de vous tous cette intégrité [de son corps]. Le mot ὁλοκληρία signifie littéralement « la totalité de l'héritage obtenu par le sort ; » ici, la plénitude de l'usage de ses membres, considérés comme don de Dieu. -- Trois remarques sont suggérées par ce verset.
  1. La foi du malade a été, dans sa guérison, un agent indispensable.
  2. La foi, d'abord introduite comme ayant pour objet le nom du Christ, est présentée ensuite comme formée par son moyen et presque à travers lui : πίστις ἡ δι’ αὐτοῦ .
  3. Les miracles accomplis par les apôtres dépendent de leur invocation par la foi du nom de leur Maître, Jésus opérait les siens directement, en son propre nom et par sa seule autorité ; rappelons, par exemple, la guérison de l'impotent de Béthesda.
3.17   Mais la franchise sévère de l'orateur n'a point étouffé en lui la charité. Il se hâte d'en faire entendre les accents. Ses auditeurs ont péché, sans doute ; pourtant, ils ont agi par ignorance. Pierre en convient, en leur donnant cette fois le titre de frères. Certes, il a suffisamment éprouvé en lui-même la valeur du pardon du Christ, pour avoir le droit de les y adresser.

3.18   Dans leur ignorance3, eux et leurs chefs n'en ont pas moins accompli les décrets de Dieu. Ils attendaient la délivrance du joug des Romains ; ils ne l'ont point obtenue ; mais ils peuvent désormais être délivrés, s'ils le veulent, du joug du péché. Du reste, s'ils ont ignoré, c'est en bonne partie leur faute. Dès longtemps les prophètes avaient annoncé les souffrances du Christ ; Dieu, maintenant, a réalisé leurs prédictions. Tous les oracles prophétiques, ainsi l'entend notre apôtre, avaient pour fin dernière l'œuvre de la rédemption.

b) Exhortation à la repentance. Versets 19-26.

3.19
. L'erreur et l'ignorance une fois dévoilées, y demeurer plus longtemps serait un péché. Repentez-vous donc, continue Pierre, et retournez (convertissez-vous) pour que soient effacés vos péchés, afin que viennent d'auprès de la face du Seigneur les temps de rafraîchissement, et qu'il envoie Christ-Jésus déjà prédéterminé pour vous, lequel (Jésus) le ciel doit recevoir jusqu'au temps du rétablissement de toutes choses dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes dès l'âge [ancien]. La phrase est longue ; en voici, croyons-nous, les éléments essentiels.

Maintenant, remarque l'apôtre, vous vous savez sur une route mauvaise ; sortez-en sans plus tarder. Vos péchés alors seront enlevés4. Alors aussi, le Seigneur pourra vous envoyer des temps de paix succédant au tumulte des combats. Ces temps, mis en rapport direct avec un second envoi de Jésus sur la terre, désignent évidemment la Parousie. Pierre nous paraît l'envisager encore comme devant suivre immédiatement la conversion des Juifs. Il comprendra seulement plus tard que la conversion des Gentils doit précéder cette immense transformation. La Parousie, second envoi du Christ dans l'humanité, sera l'accomplissement d'un décret de Dieu5, résolu pour le bien des hommes.

En attendant cette époque, le ciel doit recevoir et posséder Jésus ; il sera sa véritable demeure, jusqu'au temps du rétablissement, de la restauration universelle, où la justice et la piété seront victorieuses. Tel est le sens naturel de ὅν δεῖ οὐρανόν δέξασθαι . Plusieurs interprètes cependant font de ὅν le sujet, et traduisent : « Lequel (Jésus) doit occuper le ciel. » Ce sens a paru quelquefois favoriser l'idée de l'ubiquité du Christ : « Christus cœlum debuit occupare ceu regiam suam. » Il suffit pour le repousser d'observer que δέξεσηαι ne signifie pas : occuper, contenir ; cette notion est rendue par κατέχειν .

Enfin le terme de cette habitation temporaire du Christ dans le ciel est marqué par ἄρχι χρόνοων ἀποκαταστάσεως πάντων ὧν ἐλάλησεν ὁ θὲος . Nous prenons πάντων au neutre et non au masculin, et rattachons ὧν à χρόνων, non à πάντων  ; d'où la traduction : « Jusques aux temps du rétablissement de toutes choses, temps dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes dès les âges les plus anciens. » Celui de ces prophètes qui nous paraît ici le plus visé, c'est Daniel ; il a longuement parlé, en effet, des χρόνοι, des grandes époques de l'histoire après lesquelles Dieu rétablira toutes choses...comme il vient de rétablir la santé d'un impotent. A cette heure seront redressées en particulier les relations normales de l'homme avec Dieu, cette paix, longtemps détruite par le péché et entrevue par Esaïe 11.6-106.

3.22   Entre tous ces prophètes, Pierre en nomme un, le plus grand, Moïse. Il cite, de mémoire, Deutéronome 18.15-19, ce passage classique où le Messie est annoncé comme un Nabi, semblable au législateur d'Israël et digne comme lui d'être entendu. Il étendra son règne non par l'épée, mais par la parole...Dès lors, refuser de l'écouter, c'est une révolte dont le châtiment sera une destruction totale. L'apôtre accentue même ici la menace. Les Septante, traduisant bien l'original, disaient : ἐκδικήσω ἐξ αὐτοῦ . Pierre s'écrie : ἐξολεθρευθήσεται 7, comme s'il y avait eu dans le texte : נִכְרְתָה
הַנֶּפֶשׁ  ; l'âme (la vie) est retranchée, c'est-à-dire exclue du royaume messianique.

3.23   Ainsi s'est préparé et se prépare encore, à travers une longue marche, le rétablissement d'Israël. Pierre semble déjà comprendre la réponse en quelque sorte dilatoire, naguère donnée par le Maître, à une question sur ce sujet même. (1.7) Quand ces jours de triomphe viendront-ils ? Nul ne le sait, mais ils viendront. Et notre apôtre fait remonter jusqu'à Samuel l'imposante série des prédicateurs d'autrefois dont les oracles visent cette époque bienheureuse. Le prophétisme proprement dit n'a-t-il pas eu pour père cet homme, illustre entre tous ? Samuel eut l'honneur d'oindre David, et par là même il est devenu un ancêtre spirituel du Messie. -- Deux constructions, quelque peu enchevêtrées, semblent se rencontrer dans ce verset, dont la traduction littérale serait : Et tous les prophètes, depuis Samuel et ceux qui ont suivi, tous ceux qui ont parlé, ont aussi annoncé ces jours-ci. L'idée me paraît être celle-ci : « Dès les temps de Samuel, toute prophétie parlée (celles d'Elie, par exemple, ne l'étaient guère) et dont les paroles nous sont parvenues, renferment un oracle relatif à ces jours. »

3.25   Là-dessus vient l'exhortation finale. Pour vous, conclut Pierre, vous êtes fils des prophètes, et de l'alliance conclue par Dieu avec vos pères, lorsqu'il a dit à Abraham : Et en la semence seront bénies toutes les familles de la terre. C'est là comme une citation condensée de Genèse 12.3 ; 18.18 ; 22.18. Le terme ὑιοὶ doit se prendre au propre et non comme synonyme de « disciples ; » en vertu même de cette filiation, les Israélites sont membres de l'Alliance. Leur privilège est donc bien unique ; et il ressort encore plus de ce fait qu'ils ont été, si nous osons ainsi dire, les premiers destinataires de l'envoi du Christ dans le monde. Le participe ἀναστήσας n'étant pas suivi de ἐκ νεκρῶν, nous traduisons : ayant suscité, et non pas : « ayant ressuscité. » Mais même s'il était ici question de la résurrection, on la pourrait encore considérer comme destinée en premier lieu aux enfants d'Abraham. Nous le savons, du reste, Jésus a certifié aussi ce privilège d'Israël (Jean 4.22) ; et Paul ne l'a pas moins nettement relevé : Romains 1.16 ; 2.9.

Le dernier mot de notre apôtre sera une espérance, basée sur un devoir. Il a rappelé très nettement à ses auditeurs leur péché. Jésus, néanmoins, n'a pas été suscité pour les châtier, mais pour les bénir. A une condition : c'est qu'ils se convertissent de leurs méchancetés. Dans le Nouveau Testament ἀποστρέφειν a toujours le sens actif et non le sens réfléchi. Il faut donc traduire : Dieu l'a envoyé vous bénissant, en vous convertissant chacun de ses iniquités. Et c'est bien cela : Christ convertit ; la puissance du pécheur, c'est qu'il peut lui résister.

2. PREMIÈRE PERSÉCUTION

§ 1.
Les apôtres devant le sanhédrin : 4.1 à 4.22
§ 2.
Puissance et charité de l'Église : 4.23 à 4.27

§ 1. Les apôtres devant le sanhédrin

4.1   Les conditions du salut viennent d'être clairement exposées. Israël les acceptera-t-il ? Voudra-t-il se laisser convertir ? Que vont faire en particulier ses chefs, dont nous voyons soudain paraître les principaux au moment où Pierre achève son discours ? C'est, depuis l'Ascension, la première rencontre entre les apôtres et les autorités juives. Quelle en sera l'issue ?

Voici d'abord, tombant en quelque sorte sur l'orateur et sur Jean1, les grands prêtres ; les ἱερεῖς seulement, lisent quelques-uns ; mais cette différence importe peu. Dès les jours du précurseur, les prêtres suspectaient fort tout enseignement inofficiel. Leurs préventions ne sont pas tombées...Voici, ensuite, le « capitaine du temple, » un des leurs, du reste, prêtre commandant à une escouade de Lévites (les ὐπηρέται de 5.26), et chargé avec eux du maintien de l'ordre autour du sanctuaire. Il surveillait en particulier les différents postes qu'il fallait relever durant la nuit : « Caput erat, dit Lightfoot omnium capitum excubiarum2. » Voici enfin les sadducéens. Une prédication au nom d'un ressuscité ne pouvait manquer de les irriter, puisqu'elle heurtait de front une de leurs principales négations. (23.8) -- Dès ce moment, observent quelques commentateurs, les principaux adversaires de l'Evangile paraissent être les sadducéens et non plus les pharisiens. Ces derniers voient les chrétiens attachés encore aux prescriptions de la loi, et ne sont pas pressés de se séparer d'avec eux. Les sadducéens, au contraire, ont discerné d'emblée dans la prédication apostolique le plus dangereux ennemi de leur scepticisme ; ils s'efforcent de l'étouffer, et leur haine même est un fort argument en faveur de la résurrection du Christ. -- Ces remarques sont vraies, mais demandent à n'être pas trop pressées. D'une part les sadducéens n'avaient pas attendu jusqu'à ce moment pour tendre leurs pièges à Jésus (Matthieu 22.23 et suiv.), et le Seigneur avait été condamné par le sanhédrin tout entier, où siégeaient plusieurs sadducéens3. De l'autre, les pharisiens ne manqueront pas d'exciter eux aussi le peuple contre les chrétiens. Et si le participe διαπονούμενοι (s'étant donné de la peine, ou plutôt : étant vexés et mécontents) paraît se rapporter principalement au terme Σαδδουκαῖοι, nous devons pourtant le rattacher aussi aux deux autres sujets.

4.2   Il faut, au surplus, en convenir. En accourant de la sorte et en venant chercher sur place des informations, les mandataires de l'autorité juive obéissent à leur devoir. Un enseignement nouveau est donné au peuple, et cela dans l'enceinte même du temple : les chefs sont tenus par la loi de le contrôler4. Dès leur arrivée, et sans doute par des rapports plus ou moins impartiaux parvenus à leur connaissance, ils savent déjà de quoi parlent ces nouveaux docteurs : ils annoncent « en Jésus, » c'est-à-dire « en sa propre personne, » ou « grâce à son pouvoir5, » la résurrection des morts ; ainsi : la résurrection dont Jésus est à la fois la preuve et l'auteur.

4.3   Avant tout jugement, on arrête les apôtres et on les met « en garde, » en prison donc, comme la suite le prouve. (Comparez 5.18) C'est déjà dépasser un peu la légalité. D'autre part, l'heure est avancée ; il est trop tard pour convoquer ce soir même une séance de tribunal ; il faut la renvoyer au lendemain. Et pendant que les chefs du peuple prennent anxieusement leurs précautions pour sauver leur prestige, Dieu donne efficace à la parole qui vient d'être prêchée ; la foi gagne de nouveaux adhérents ; le nombre des croyants est porté à cinq mille environ. Ce chiffre comprend-il les trois-mille premiers convertis ? C'est assez probable, d'après les mots du texte : Le chiffre devint. D'autre part, l'emploi du mot ἄνδρες semble le borner aux hommes seuls, à l'exclusion des femmes et des enfants. (Cependant Luc 11.31 donne à ce même mot un sens bien plus étendu.)

4.5   Le lendemain, sans doute dès le matin, l'assemblée officielle prend séance. Nous y voyons siéger des chefs, des anciens, des scribes, et ces trois titres nous font penser à une réunion plénière du sanhédrin. Si avec Tischendorf nous adoptons la leçon du Sinaïticus εἰς Ἰερουσαλήμ (contre ἐν), nous nous représenterons aisément une convocation envoyée aux membres habitant la banlieue ou la campagne, et les amenant de bonne heure dans la capitale. Les chefs, entre autres, sont présents, et l'auteur a soin de les nommer6 : Anne, déposé par les Romains, il est vrai, mais conservant encore son titre de grand prêtre comme au moment du procès de Jésus ; Caïphe, son gendre, revêtu nominalement des fonctions du souverain sacrificateur ; il laissait du reste l'influence à son beau-père (comparez Luc 3.2 ; Jean 11.49) ; Jean (d'après D Ἰωνάθας) inconnu pour nous, aussi bien que le quatrième personnage, Alexandre, dont on a voulu faire, sans raisons plausibles, un frère de Philon. Notre historien ajoute à ces quatre noms, mais sans préciser davantage, tous ceux qui étaient de la famille grand-sacerdotale ; peut-être les vingt-quatre chefs de classes institués par David7.

4.7   Les prisonniers sont introduits ; l'interrogatoire commence. Aucun des prévenus, d'ailleurs, ne songe à récuser ses juges, et aucun des juges n'essaie de révoquer en doute le miracle. Les témoins immédiats du fait, plus autorisés que les critiques de notre siècle, sont aussi beaucoup plus réservés. (Comparez v. 14.) Ils voudraient seulement discréditer, si possible, les instruments de ce miracle, en faisant d'eux les agents d'une puissance ou d'un nom inavouable. De là leur question initiale : « En quelle puissance ou en quel nom avez-vous agi ? » Jésus avait été soumis à une enquête analogue. Et certes, si l'on avait pu signaler dans son œuvre ou dans celle de ses disciples quelque influence malfaisante, il eût été juste de les arrêter, même de les condamner. Ici le cas est particulièrement grave. Les deux apôtres prétendent avoir agi au nom de Jésus le Nazaréen, c'est-à-dire d'un homme déclaré digne de mort par la première autorité de la nation. Oseront-ils répéter cette audacieuse affirmation, pareille à un défi ? S'ils vont jusque-là, ne pourra-t-on pas établir une opposition fondamentale entre le nom du Nazaréen et le שֶׁם יְהָוֹה le nom de l'Eternel ? Leur cause, alors, serait perdue et nul ne prendrait leur défense. Le ὐμεὶς, jeté à la fin de l'interrogation, semble déjà désigner les accusés à l'animadversion de tous...A vues humaines, rien de plus habile ; en fait, rien de plus maladroit. C'était fournir à Pierre l'occasion de proclamer en plein sanhédrin le nom de son Maître ; il n'y manquera pas.

4.8   Il ne sera, du reste, pas seul à parler : il est rempli du Saint-Esprit. Jésus a tenu sa promesse ; il a fourni à son témoin le πῶς et le τί, le « comment » et le « quoi » (Matthieu 10.19), et, conduit par cette inspiration, l'apôtre peut aller de l'avant. -- Il se sait en face de juges compétents, au moins de par la loi. Mais il sait aussi que sa réponse les dépasse et va s'adresser à son peuple entier ; il lui donnera donc une ampleur et une solennité particulières, tout en la commençant par une légère ironie : Si8 nous sommes aujourd'hui jugés au sujet d'un bienfait accordé à un homme malade9 [pour savoir] en qui (ou : en quoi) cet homme a été sauvé...Ainsi l'impotent guéri est dans l'assemblée ; il peut y avoir été cité comme témoin ; Pierre le désigne par οὗτος en le montrant de la main.... (Comparez v. 14.) -- (4.10  ) Qui l'a rétabli, cet homme ? Vous allez le savoir : tout Israël aussi le saura. C'est le nom de Jésus-Christ le Nazaréen, crucifié par vous, ressuscité par Dieu. Dans son discours de la Pentecôte, Pierre avait ramené les conditions du salut à la seule invocation du nom de Jésus ; devant le sanhédrin, il fait dépendre de la foi en ce même nom la guérison d'un infirme de naissance. Il oppose pour la seconde fois, et avec la même énergie, la conduite du peuple envers le Christ -- Vous l'avez crucifié -- à l'œuvre de Dieu : Il l'a ressuscité des morts ! Nous maintenons ici à ἐν son sens primitif et constant de dans. Dans ce nom, dans la personne représentée par lui, dans l'atmosphère de vie et de vivification dont elle est le centre, cet homme se présente maintenant en santé devant les juges.

4.11   De cet homme, donc, Pierre se hâte de passer au Sauveur ; lui seul est important. Jésus est la pierre tout ensemble méprisée et glorieuse dont parlait la prophétie, par exemple Psaume 118.22. Vous, constructeurs aveugles, à l'égal de vos pères vous avez tenu pour rien10 cette pierre ; elle n'en est pas moins devenue la pierre principale des fondements.

Le Seigneur, on s'en souvient, avait fait à un auditoire très analogue une application pareille de la même citation11. Pierre l'avait alors entendue ; il reproduit maintenant les paroles de son Maître, et les jugera assez importantes pour y revenir encore dans sa lettre : 1 Pierre 2.4-7. Pour le moment, il conclut son apologie en insistant sur la puissance unique de salut qui réside en Jésus-Christ. Il n'y a pas, sous la voûte du ciel, un autre nom à côté de celui-là pour sauver les hommes. Cherchez dans la société humaine tout entière (ἀνθρώποις) vous n'en trouverez pas un second revêtu d'un tel pouvoir. Ne dirait-on pas la réponse directe enfin donnée à la question du précurseur : « En attendrons-nous un second ? » (Matthieu 11.3 ἕτερον, comme ici.) Non, il n'y en aura jamais un second. Vous pouvez renoncer au salut ; mais, si vous voulez être sauvés, il faut -- δεῖ -- l'être en lui.

4.13   L'embarras des juges est maintenant énorme. Une double évidence est là, devant eux ; impossible d'y échapper : d'une part les prévenus, de l'autre leur témoin. Les membres du sanhédrin « contemplent » (θεωροῦντες) avec une sorte de stupéfaction le libre parler des apôtres ; ils n'y étaient point encore accoutumés. Ils les connaissent bien, au fond ; ils « perçoivent » en eux (καταλαβόμενοι) des disciples semblables à leur maître. On avait dit de Jésus : γράμματα μὴ μεμαθηκώς (Jean 7.15) ; Pierre et Jean sont très certainement des ἀγράμματοι  ; ils n'ont pas passé par les écoles rabbiniques. Ils sont même des ἰδιῶται  ; non pas seulement de simples laïques, mais des laïques simples, de ceux dont on voyait souvent, dit Paul, dans les assemblées de Corinthe (1 Corinthiens 14.16) ; des « viri privati, » sans distinction d'aucune sorte. D'où leur vient donc leur soudaine hardiesse ? Les juges en doivent convenir, bien malgré eux : elle a pour source et pour cause un commerce journalier avec Jésus. Non pas seulement un commerce passé, mais des entretiens encore actuels ; ἦσαν est un imparfait ; il ne faut pas traduire : « ils avaient été, » mais : « ils étaient ; » l'action dure encore. Leur témoin, d'autre part, -- nous allions dire la pièce de conviction -- ne saurait être écarté. L'ex-impotent est là, debout avec eux, parfaitement guéri. Que répondre ? Sur quoi baser une accusation de supercherie, d'œuvre démoniaque ou de faux prophétisme ? Il faut se rendre. Mais c'est dur, pour les sadducéens d'alors et pour la critique négative d'aujourd'hui ; car le témoignage involontaire accordé à l'acte inspiré des apôtres servira certes à confirmer leur inspiration d'écrivains. Nous devons à ces ἀγράμματοι le quatrième évangile et quatre épîtres.

4.15   Un sanhédrin, pourtant, ne se rend jamais complètement. Si les arguments font défaut, on les remplacera par un peu de violence ; quand on a la force et qu'on ne peut pas réfuter les adversaires, on leur défend de parler.

Les juges font sortir de l'enceinte les prévenus. Ils délibèrent,...car il faut bien un certain temps pour étouffer une conviction. Depuis la sentence rendue contre le Christ, jamais délibération plus importante n'a occupé les conseillers d'Israël ; pour la seconde fois, l'avenir du peuple est entre leurs mains. Le narrateur a conscience de la valeur exceptionnelle de cette discussion. Peut-être en a-t-il reçu les détails de la bouche de Saul de Tarse. Car ce disciple de Gamaliel pouvait, en cette seule qualité, assister à la séance (comparez Stokes) ; peut-être même son âge et son savoir l'avaient-ils déjà fait membre de la haute assemblée. (Comparez Hackett.)

4.16   Confesser la vérité était, à coup sûr, le seul moyen honnête de conclure. La conséquence immédiate eût été le renvoi des apôtres. Mais non ; il faut absolument leur « faire quelque chose. » Quoi ?...Par leur moyen s'est produit un signe connu, manifeste à tous les habitants de Jérusalem, et nous ne pouvons pas le nier. Eh bien, reconnaissez-le publiquement et louez le Seigneur !...Oh ! non ! des menaces d'abord. Et comme c'est l'entrée dans la voie des persécutions, le sanhédrin s'y trouvera toujours plus poussé, par la redoutable logique de l'injustice. Un mot de Pierre va bientôt poser le dilemme dans toute sa rigueur : ou la volonté de Dieu, ou celle des hommes. Les juges ont déjà choisi la seconde. Un premier but doit être atteint à tout prix. Il faut empêcher la « diffusion 12 » de l'événement au milieu du peuple. Le silence, voilà l'allié du conseil. Il faut l'imposer aux apôtres ; interdiction, avec menaces13, de parler davantage au nom de Jésus ! S'entretenir du miracle, encore passe ; l'essentiel est de taire le nom du Christ ; il n'est permis d'adresser à aucun individu (μηδενὶ ἀνθρώπων) aucun enseignement, aucune parole en ce nom-là.

4.18   L'accord se fait sur cette résolution. On rappelle les accusés et on leur intime, comme verdict du tribunal, la défense absolue14 de faire entendre la moindre phrase, presque le moindre son (φθέγγεσθαι), en tout cas de proférer un enseignement quelconque (διδάσκειν) au nom de Jésus. C'était vraiment faire la partie belle aux apôtres, les contraindre à ne pas obéir, et placer leur désobéissance sous la sauvegarde des ordres divins. Pierre n'est plus seul à répondre, cette fois ; Jean répond avec lui, et du même courage. Au nom d'un parti, on leur interdit de faire connaître Jésus. Au nom de la conscience éclairée par le Saint-Esprit, ils vont prononcer un « non possumus » qui préparera ceux de Polycarpe, de Luther et de tous les confesseurs du Nazaréen. Ils essaient encore un appel à la loyauté de leurs juges : Jugez vous-mêmes devant Dieu s'il est juste de vous écouter plutôt que Dieu. Peu après, expérience faite, ils ne s'en remettront plus à ce jugement et se contenteront d'un simple δεῖ, il faut. (5.29) -- Mais aujourd'hui déjà l'arrêt du sanhédrin ne saurait les lier. Nous ne pouvons pas ! s'écrient-ils. Car, si vous refusez de vous placer devant Dieu, -- ἐνώπιον τοῦ θεοῦ -- nous n'oublions pas, nous, ce juge de tous. Une autorité humaine quelconque est déchue ipso facto dès qu'elle prétend imposer des ordres contraires à ceux de l'Eternel. Doctrine révolutionnaire ! a-t-on dit. Non ; mais bien plutôt principe de l'ordre et fondement de la liberté. C'est par obéissance à Dieu que nous rendons à César ce qui est à César.

4.21   Le sanhédrin, là-dessus, a beau enfler la voix, ajouter menaces sur menaces (προς απειλησάμενοι) : ce déploiement de puissance est un témoignage de faiblesse. Il a cherché quel châtiment il pourrait bien infliger à ces accusés incommodes ; il n'en a point trouvé 15. Il n'est pas même possible de renvoyer Pierre et Jean dans la prison. Il faut les relâcher. Car enfin le peuple est là, à la porte du tribunal ; il a l'inconvenance de louer Dieu au lieu de glorifier le conseil, et l'on ne peut pas faire disparaître l'impotent...comme une petite bergère de Lourdes ! Cet homme a plus de quarante ans ; il n'y aurait pas moyen de lui suggérer une leçon à répéter bénévolement ; il n'est pas non plus assez vieux pour n'avoir plus conscience des faits...Non ; le miracle est patent ; les accusés sortent vainqueurs ; la journée est perdue !

§ 2. Puissance et charité de l'Église

4.33   Les apôtres libérés se rendent aussitôt auprès de leurs frères, leurs ἰδιοῖ, assemblés peut-être dans quelque salle voisine. Ils leur racontent la séance du sanhédrin. Ils répètent les paroles tout à l'heure prononcées contre eux par les grands prêtres et par les anciens, et d'où résultait, à n'en pas douter, la rupture entre l'Eglise chrétienne et les autorités juives. Y avait-il un traitement meilleur à attendre des autorités païennes ? La question se posait comme d'elle-même ; elle se présente à l'esprit des disciples. Mais au lieu de se laisser aller à l'inquiétude, ils vont prier. N'est-ce pas le seul parti vraiment sûr ? Parfois, observe avec raison Baumgarten, l'arbre secoué par le vent enfonce plus profondément ses racines dans la terre. Ainsi va faire la jeune Eglise, ébranlée un instant, mais nullement abattue ; elle se rappellera les promesses de son Dieu et le pressera de les accomplir.

4.24   Comment cette prière a-t-elle été prononcée ? Lentement, par Pierre ou par un autre apôtre, chaque phrase étant répétée par l'assemblée ? Lechler paraît incliner vers cette explication. Holtzmann voit dans le terme ὁμοθυμαδόν la marque d'une formule liturgique, récitée par tous les assistants ; ce savant pense même en pouvoir trouver l'origine dans la prière d'Ezéchias menacé par Sanchérib. (Esaïe 37.16-20) Cela me semble moins probable. Suivant Baumgarten, les disciples auraient alors « prié » le Psaume 2, en le chantant, et Pierre en aurait fait l'application. C'est possible ; je préfère cependant la première hypothèse. L'apparition du Psaume 2 dans cette circonstance se justifie, en tout cas, sans difficulté. L'hostilité des représentants d'Israël contre les chrétiens rappelle, presque à s'y méprendre, celle des nations contre l'Eternel et contre son Oint ; la réponse foudroyante de Jahveh à ses ennemis n'a-t-elle pas aujourd'hui encore son entière valeur ? L'Oint du Seigneur, mis à mort par son peuple, est ressuscité ! N'est-ce pas une garantie de victoire sur les adversaires actuels ? Entre les portions messianiques de l'Ecriture, le Psaume 2 devait s'offrir comme de lui-même à la mémoire de l'Eglise en prière.

4.25   Il est au nombre des Psaumes anonymes ; mais les Hébreux, au temps des apôtres, l'attribuaient à David. Delitzsch y voit un écho des prophéties relatives à Emmanuel renfermées dans Esaïe ch. 7 à 12. Nous reconnaîtrons plus loin encore, dans un discours de saint Paul, quelle place il occupait chez les Juifs pieux et chez les premiers chrétiens. Les disciples viennent d'invoquer Dieu, le Maître, le Créateur ; aussitôt après ces premiers mots, ils célèbrent en lui le vainqueur des peuples, et ils laissent parler David1. Encore une fois, rien de plus naturel. L'assemblée répète la question du psalmiste : Pour quel but les nations ont-elles frémi ?... La citation est conforme aux Septante et se borne, du reste, aux deux premiers versets, après quoi vient l'application : Ils se sont effectivement (ἐπ’ ἀληθείας, sur le fondement de la vérité ; comparez 10.34 ; Luc 4.25) assemblés... Qui donc ? Des rois d'abord, représentés par Hérode, puis des ἄρχοντες, des chefs, dont le principal a été Pilate. Dans la ville même de Jérusalem, la cité de Dieu, ils se sont unis contre le Fils de Dieu aux nations païennes (les Romains) et aux « peuples d'Israël. » Ce pluriel λαοῖ Ἰσραήλ est amené probablement par la considération des Juifs de la diaspora, venus de toutes les nations de l'empire à la Pâque où le Christ fut mis à mort ; au reste la simple allusion aux douze tribus expliquerait déjà ce λαοῖ . Observons, en passant, que l'évangile de Luc2 a seul mentionné d'une façon spéciale l'union temporaire de Pilate et d'Hérode contre Jésus-Christ. -- Qu'ont-ils fait, au surplus, ces deux alliés et tous les peuples conjurés ? Ils n'ont point, malgré les apparences, accompli leur propre volonté. Ils ont exécuté le plan de Dieu, arrêté par son conseil et tracé par sa main. (Le substantif χείρ s'associe admirablement ici à βουλἡ comme sujet de προώρισεν) « Tes desseins conçus à l'avance, lisons-nous dans Esaïe 25.1, se sont fidèlement accomplis. » En voici la preuve : les ennemis de Jahveh sont devenus, sans le savoir, ses instruments pour avancer son œuvre. En deux mots, quelle contribution à la philosophie de l'histoire !

4.29   Est-ce une raison pour s'endormir et n'avoir plus rien à demander à Dieu ? Bien au contraire : c'est un motif pour supplier le Maître de l'histoire de continuer à en surveiller le cours. Deux grâces sont nécessaires à la petite Eglise : des paroles courageuses et des signes convaincants. Elle les demande à son Chef, en le priant de jeter les yeux sur les menaces dirigées contre elle3. Remarquons-le : les disciples ne réclament point maintenant le don des langues, mais la faveur de parler τὸν λόγον τοῦ θεοῦ  ; et c'est aussi ce qui va leur être accordé. Seulement cela ne suffira pas ; il y faudra joindre des miracles, entre autres des guérisons. Ils seront opérés par la main de Dieu étendue du ciel, et par l'intermédiaire du nom de Jésus, comme hier à la Belle-Porte du temple. Cette prière très précise, l'exaucement non moins net dont elle est suivie paraîtront à tout esprit impartial une forte preuve en faveur de la valeur apologétique du miracle. (4.31  ) La réponse est en effet immédiate ; un premier signe est accordé avant même l'achèvement de la prière ; le lieu où les frères sont assemblés est ébranlé, comme ce fut le cas au matin de la Pentecôte. Est-ce un tremblement de terre ? Rien dans le texte ne l'indique. Ne serait-ce pas plutôt un symbole de l'ébranlement, par l'Esprit, et de tout appui humain et de toute citadelle ennemie ? Les païens mêmes ont eu des intuitions analogues, et Virgile a chanté :

Da, Pater, augurium, atque animis illabere nostris.
Vix ea fatus eram, tremere omnia visa repente4....
.

La prière devient maintenant une sorte de discours continu. Sous l'action de l'Esprit5 tous parlaient avec hardiesse la Parole de Dieu.

4.32   Un miracle moral et spirituel est donc associé au miracle physique ; plus important, il est aussi plus longuement exposé par notre auteur et développé en quatre traits principaux.

a)
Une union fraternelle intense : un seul cœur, une seule âme ; signe bien propre à frapper des païens.
b)
La communauté des biens, d'abord brièvement énoncée dans le verset 32, montrée ensuite avec détails dans les versets 34 à 37.
c)
4.33   La puissance du témoignage rendu à la résurrection du Christ. Elle est grande, cette puissance ; les menaces ne l'ont point diminuée ; elles l'ont augmentée plutôt.
d)
Une faveur, grande aussi, accordée à eux tous. Faveur (χάρις) de Dieu ou faveur des hommes ? Les deux sens sont permis. Holtzmann traduit par « faveur populaire. » Toutefois, l'absence d'un régime après χάρις fait plutôt penser à la grâce de Dieu, ce que je n'hésite pas à admettre.
4.34   L'auteur, maintenant, reprend le second de ces quatre traits et s'y arrête avec une complaisance évidente. Il avait écrit : Nul ne disait que quelque chose de ses biens fût à lui en propre. (Vers. 32.) Il ajoute : Il n'y avait chez eux point d'indigent, et le γὰρ en tête de cette phrase prouve la χάρις indiquée au verset précédent : Car tous ceux qui étaient propriétaires6 de biens-fonds ou d'habitations, les vendant, apportaient les prix des choses vendues... On s'étonne de ne trouver dans ce second tableau de la vie de l'Eglise aucune allusion, pas même par un seul mot, au premier, 2.44-47. L'explication est donnée par la façon ordinaire d'écrire des Orientaux. Ils procèdent par répétitions et non par références ; l'auteur ne renvoie pas volontiers à ce qu'il a déjà dit ; il le dira plutôt une seconde fois, avec tel retranchement ou telle addition. Dans le cas actuel, la répétition accentue un progrès manifeste et magnifique, et les imparfaits accumulés par l'écrivain signalent des actes d'une certaine durée. Pour un temps, il n'y a plus d'indigents dans l'Eglise ; elle reproduit l'état idéal d'Israël (Deutéronome 15.4), déjà néanmoins représenté par Jésus comme ne pouvant plus être l'état ordinaire de son peuple. (Jean 12.8) Les propriétaires se dépouillent de leurs biens par des ventes volontaires. L'argent obtenu de la sorte n'est point gardé par eux ; ils le déposent aux pieds des apôtres, assis, en leur qualité de διδασκαλοί, sur des sièges un peu plus hauts dans l'assemblée ; et les sommes recueillies sont réparties suivant les besoins de chacun. Peut-être ces dépôts faits devant les apôtres rappelaient-ils, en une certaine mesure, la coutume orientale d'apporter le tribut aux pieds du monarque.

4.36   Entre tous ces vendeurs bénévoles, l'auteur en cite un, digne d'une mention spéciale et dont le rôle sera grand dans l'histoire évangélique. C'est un certain Joseph (ainsi nommé dans A, B, D, E ; José, d'après d'autres manuscrits) surnommé par les apôtres Barnabas, בַר־נְבוּאָא c'est-à-dire « fils d'exhortation, » et, d'après le sens de ces noms composés avec « fils, » homme particulièrement doué pour la parole, peut-être même pour la prophétie. Il était donc au premier rang de ceux dont la voix se faisait hardiment entendre. (Vers. 31.) Il avait pour patrie la Chypre, cette île dont les riches mines de cuivre, données à Hérode par Auguste, avaient attiré un fort grand nombre de Juifs. Une tradition fait de Barnabas un disciple de Gamaliel. Cela n'est pas certain ; mais, d'après notre texte, il était Lévite. En cette qualité, il n'avait pas le droit légal de posséder une terre en Palestine. (Nombres 18.20-24) La sienne, peut-être, était en Chypre. Au surplus, les Lévites possédaient en propre quarante-huit villes avec leurs banlieues (Nombres 35.1-8), et Jérémie le prêtre opère, sur l'ordre de l'Eternel, un achat de terrain attenant à la ville d'Anatoth. (Jérémie 32.6-16) La propriété de Barnabas pouvait se trouver dans une condition analogue.

N'insistons pas trop, d'ailleurs ; les anciennes prescriptions de la loi n'étaient plus toutes en vigueur à l'époque où nous sommes arrivés. Relevons plutôt, avec notre historien, la charité, le désintéressement de Barnabas. Son amour est le véritable accomplissement de la loi, en face des injustices dont les représentants du légalisme continuent à se charger7. Ce trait particulier relatif à Barnabas est sans doute raconté pour préparer le terrible contraste avec la conduite d'Ananias. Il confirme, en outre, la remarque déjà faite sur le caractère très spontané, et aussi très isolé, de la communauté des biens dans Jérusalem. L'Eglise de Corinthe, riche de beaucoup de dons spirituels, ne nous en présentera nulle trace. En la pratiquant, les premiers chrétiens ont obéi certainement aux très nobles impulsions de leur union fraternelle. Ils ont cédé, en outre, aux conséquences de leur foi dans un prochain retour du Christ. Ont-ils, avec cela, pris les meilleurs moyens pour empêcher la pauvreté de se glisser parmi eux ? En vérité cela ne ressort pas des événements subséquents. Et quand, bientôt, nous verrons la mère de Marc posséder sa maison à elle (12.12), nous n'aurons pas de peine à reconnaître l'utilité dont cette demeure fut pour l'Eglise. L'apôtre Paul recommandera enfin à tous les croyants, moins de vendre leurs biens, que de travailler de leurs mains.

3. PREMIÈRE INFIDÉLITÉ ; SECONDE PERSÉCUTION

§ 1.
Ananias et Saphira : 5.1 à 5.16
§ 2.
Deuxième comparution devant le sanhédrin : 5.17 à 5.42

§ 1. Ananias et Saphira

Le brusque passage d'une scène de charité et de vie à un tableau d'hypocrisie et de mort est déjà, au point de vue purement littéraire, un coup de maître dans l'art de la narration. Nous avons cependant autre chose encore à voir dans les débuts de notre chapitre 5. Ne sont-ils pas une application saisissante de la parabole de l'ivraie ? Barnabas était un bel épi de pur froment ; Ananias et Saphira sont de dangereuses tiges d'ivraie, commentaire effrayant des déclarations d'un apôtre sur le danger des richesses. (1 Timothée 6.10) La persécution n'a point été pour l'Eglise le péril le plus redoutable. Les Cananéens, de même, avaient fait jadis moins de mal à Israël que la convoitise de Hacan. L'opposition du sanhédrin fortifie, en réalité, la communauté naissante ; la cupidité de deux de ses membres pourrait la faire périr, car cet amour de l'or est enveloppé dans le levain empoisonné de la fausseté. (Comparez Luc 12.1) Le Saint-Esprit, heureusement, a été donné aux disciples, et avec lui la force nécessaire pour extirper le mal de leur sein.

5.1   Les deux époux dont la fin lugubre va nous être racontée sont assurément d'origine juive. Ananias est l'hébreu חֲנַנְיָה c'est-à-dire : « Dieudonné ; » Saphira est l'araméen ְפִירָא belle ; ou l'hébreu צְפוֹרָה « oiseau. » Nous ne savons rien de leurs antécédents. Atteints l'un et l'autre du désir, de la passion peut-être de paraître, ils ne respectent plus la vérité, et l'amour de posséder le dispute chez eux à l'amour d'être loué. N'y aurait-il pas moyen de concilier les deux besoins, en les recouvrant d'un vernis chrétien ?...Hélas ! l'esprit de Judas n'était pas mort avec le traître !

Nous ignorons si Ananias s'est longtemps préparé à sa tromperie. Au point de vue psychologique, le contraire semble plus probable. Gagné plus ou moins malgré lui par la contagion de la charité, Ananias a voulu donner un peu de sa bourse sans rien livrer de son cœur. L'initiative lui est attribuée, mais la connivence de sa femme n'est pas moins nettement établie. -- Ils ont vendu leur possession. Ils mettent de côté, et pour eux, une certaine portion du prix payé1. Ananias apporte le reste aux apôtres. Jusqu'ici, rien de coupable en apparence. Seulement, il y a déjà duplicité. Dès le premier instant, Ananias, comme plus tard Saphira, fait passer la partie pour le tout ; quelques paroles, non conservées dans notre texte, auront suffi pour cela.

5.3   Les apôtres sont réunis. Pierre, suivant l'habitude, répond en leur nom. Sa réponse n'est point l'éloge, pas même le remerciement attendu. C'est une question, un coup de foudre : Ananias, à cause de quoi Satan a-t-il rempli ton cœur pour que tu trompes l'Esprit-Saint2 et pour que tu retiennes une portion du prix du champ ? Si l'apôtre a découvert instantanément la supercherie, c'est sans doute par l'action du même Esprit dont il a été rempli devant le sanhédrin (4.8), et contre lequel Ananias a directement péché. Pierre voudrait amener Ananias à confesser à quel mobile il a bien pu obéir. C'est inutile, le coupable n'avouera pas. Seulement, trois leçons de grande importance découlent de la question posée.

En premier lieu, l'œuvre mauvaise accomplie par Ananias est attribuée à l'influence de Satan. Cette manière de voir est en conformité avec celle du Christ : il a nommé Satan menteur et meurtrier dès le commencement. (Jean 8.44)

Ensuite, cette terrible puissance du diable sur les âmes n'est pourtant point irrésistible. Ananias aurait pu n'y point céder ; autrement la question de l'apôtre n'aurait plus de sens. Aussi dit-il aux croyants : « Résistez-lui, étant fermes dans la foi. » (1 Pierre 5.9) L'idée d'êtres humains fatalement assujettis à un pouvoir méchant, cette notion essentielle du dualisme païen, est étrangère à l'Ecriture.

Ce texte, enfin, est un de ceux qu'on peut invoquer avec une certaine force en faveur de la personnalité du Saint-Esprit. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans cette question dogmatique. Notons un fait seulement : Pierre accuse d'abord Ananias d'avoir trompé le Saint-Esprit ; l'instant d'après il lui reproche d'avoir menti à Dieu. D'où semble ressortir la divinité du Saint-Esprit.

5.4  . Mais l'apôtre poursuit ses questions, et les précipite sous une forme serrée où nous sentons son émotion : Restant, ne te restait-il pas (ton champ) ? Et, vendu, [le prix] ne demeurait-il pas en ton pouvoir ? Qu'est-ce pourquoi (quel est le but pour lequel3) tu as mis en ton cœur cette affaire ? Ainsi, affirmation publique de la liberté d'un chacun au sujet de la communauté des biens. Ananias gardait son champ, son terrain lui restait ; il le vendait, il en conservait le prix ; nul n'avait rien à lui dire. Une chose lui était interdite, le mensonge ; pourquoi lui a-t-il ouvert une place dans son cœur ? Or, ce mensonge n'a pas été fait aux hommes ; il visait Dieu lui-même...Là-dessus, Pierre s'arrête. Il n'ajoute aucune menace, ne prédit aucun châtiment. L'accuser d'avoir alors demandé la mort d'Ananias, c'est une supposition gratuite et injuste. Dans le cas de Saphira, il y aura prophétie, tout naturellement amenée par le cas précédent. Aller plus loin, voir chez l'apôtre une colère toute personnelle, c'est fausser le texte.

5.5   Un silence profond règne dans l'assemblée ; on peut le dire : silence de mort. L'accusé ne trouve pas un mot à répondre ; au moins n'en entendons-nous pas un seul sortir de sa bouche. Les assistants restent muets. Ils ont appris le péché par les paroles mêmes de l'apôtre ; nul ne prend la défense du coupable. Ananias tombe soudain sur le sol, et rend l'âme. La mort est instantanée. Un bouleversement complet, à la fois moral et physique, en est la cause. L'Esprit, agent de vie, se retire de ce malheureux qui, tout à l'heure, l'insultait par son mensonge ; les puissances de destruction sont maintenant seules à l'œuvre ; leur travail est vite fait. Parmi les assistants, crainte confinant à la terreur. -- Des jeunes gens se lèvent, ploient le cadavre dans un linceul et l'emportent pour l'inhumer. Ces νεώτεροι formaient déjà, peut-être, une classe particulière de serviteurs ou d'employés de l'Eglise ; 1 Pierre 5.5 les oppose aux πρεσβυτέροι  ; Luc 22.26 paraît les rapprocher des διακόνοι . Dans la circonstance présente, on leur laisse la charge de συστέλλειν τό σῶμα, d'arranger les membres du corps, donc de l'ensevelir, puis de le déposer dans une grotte sépulcrale. Sauf pour des personnages de distinction, l'inhumation se faisait hors de ville, et très vite après le décès.

5.7   L'Eglise n'est pas encore au bout de son œuvre. La forme employée ici par l'auteur : ἐγένετο δὲ καὶ (comparez Luc 5.12) indique la continuation de la première scène. Trois heures s'écoulent, peut-être l'intervalle entre deux moments de prière. Saphira survient, ne sachant rien des événements du matin, assurée, par conséquent, de l'impunité. A-t-elle fait un geste, prononcé une parole ?...On le dirait, car Pierre lui répond, ἀπεκρίθη). Sa réponse, au reste, est une question, destinée à ouvrir à Saphira une dernière porte de salut. Montrant de la main la somme encore étalée sur la table : Dis-moi, interroge l'apôtre, est-ce pour autant que vous avez vendu le terrain ?... Et, sans broncher, elle réplique par l'affirmative. Alors vient une seconde question de Pierre, suivie comme en un seul jet de la sentence de condamnation : Qu'est-ce pourquoi (même forme qu'au v. 4) il a été convenu entre vous de tenter l'Esprit du Seigneur ? Voici les pieds de ceux qui ont enterré ton mari sont devant la porte... On entend probablement, en cet instant, les jeunes gens indiqués plus haut, revenant de leur funèbre besogne ; et sur l'assemblée épouvantée retentit comme l'écho d'une prophétie de Jésus : « Le Saint-Esprit convaincra le monde de péché, de justice et de jugement. » (Jean 16.8) -- (5.10  ) Aussitôt Saphira tombe à son tour, expirante. Les jeunes gens s'approchent : ils la trouvent déjà morte ; ils enlèvent ce corps et vont le déposer à côté de celui d'Ananias -- Quelle scène, et quelle merveilleuse puissance de narration ! Quelle sobriété aussi ! Nulle exclamation ; une seule remarque générale pour conclure : Une grande crainte survint sur toute l'Eglise4 , et sur tous ceux qui entendaient ces choses.

L'Eglise, peut-être, ne s'était pas rendu jusqu'ici un compte exact des inflexibles exigences de la sainteté, dont elle devait être l'asile. La voilà avertie. Nadab et Abihu étaient morts pour avoir apporté devant l'Eternel du feu étranger. (Lévitique 10.1-2) Uzza était mort pour avoir touché à l'arche de l'alliance. (2 Samuel 6.6-9) Ananias et Saphira viennent de mourir pour avoir essayé d'introduire dans l'Eglise du Seigneur le mensonge et l'avarice. « Notre Dieu est aussi un feu consumant. » (Hébreux 12.29)

Cette leçon, pourtant, n'est point acceptée par la critique moderne dans les termes où elle nous est présentée. Holtzmann, entre autres, nie pour des raisons morales la crédibilité du récit. Il y voit surtout un parallèle didactique, mais non strictement historique, de l'épisode de Hacan devant Jéricho. Le larcin de cet Israélite contribua fortement à exalter Josué aux yeux du peuple ; il fallait de même grossir l'autorité des apôtres au sein de l'Eglise : voilà tout. Or les disciples connaissaient, à coup sûr, l'avarice et la déloyauté d'Ananias et de Saphira ; ce couple avait fini par se rendre odieux. On apprend un beau jour qu'ils ont été emportés tous les deux par une mort subite. L'idée vient à tous d'attribuer ce double décès à l'effet d'un châtiment divin. Il n'y a pas autre chose à chercher dans notre récit, d'où s'efface dès lors tout élément surnaturel.

Vraiment ? Et la science devra trouver naturelle cette mort subite de deux époux, à trois heures d'intervalle, pour une cause identique et également imprévue ? Apoplexie foudroyante, dites-vous. C'est probable ; mais la cause de cette apoplexie ? Etes-vous scientifiquement certains qu'elle n'ait rien à faire avec la découverte soudaine, publique et dès lors confondante, d'une double honte ? Et cette découverte, enfin, au nom de quel principe nous interdirez-vous de la faire remonter au Dieu qui sonde les cœurs et les reins ? Votre explication est une des mille conséquences de votre axiome : Il n'y a pas de miracles. Mais cette affirmation même n'est rien moins qu'évidente. -- Au surplus, dès les versets suivants, nous allons retrouver les mêmes attaques, auxquelles nous pourrons opposer la même défense.

5.12   Le sentiment d'effroi ne doit ni dominer ni persister trop longtemps dans l'Eglise et autour d'elle. Les apôtres ne servent pas d'instruments au Seigneur pour châtier seulement ; ils ont aussi le pouvoir de distribuer ses bienfaits, entre autres des guérisons. L'auteur va nous en raconter un magnifique résumé. L'imagination de la foule en sera frappée et le prestige des apôtres augmentera. Le peuple est l'objet de ces prodiges ; ils sont accomplis chez lui et pour lui. L'autorité, pour le moment, n'ose pas sévir ; tous les chrétiens (πάντες) s'assemblent librement dans le portique de Salomon, où déjà le premier miracle avait amené grand concours. Quant aux autres, les non-chrétiens5, ils n'osent pas s'attacher à eux. La guérison de l'impotent les avait rapprochés des disciples ; les miracles actuels commencent par les éloigner.

5.14  . Cela n'empêche pourtant pas la multitude de célébrer leurs louanges ; surtout, cela n'empêche pas l'Esprit-Saint d'ajouter à l'ensemble des croyants un nombre considérable d'hommes et de femmes, amenés par lui à la foi. (τῷ κυρίῳ) pourrait être le régime de προστίηεντο, aussi bien que de πιστεύοντες, les chrétiens étant considérés comme « ajoutés au corps de Christ ; » (comparez 11.24 ; 1 Corinthiens 12.27.) L'auteur n'articule ici aucun chiffre, ce qu'il avait fait 1.15 ; 2.41 ; 4.4. Il signale seulement une preuve extraordinaire de la confiance dont le peuple, même non chrétien, honorait alors les apôtres.

5.15   Pendant un certain temps, -- nous n'en savons pas la durée, -- on attribua au moins à l'un d'eux la puissance de guérir les malades même sans les toucher. On déposait6 les infirmes sur de petits lits (κλινάρια, simples matelas ou simples couvertures) et sur des grabats, dans les rues où Pierre devait passer, afin que l'ombre de l'apôtre pût les couvrir un instant.

Des guérisons se sont-elles réellement opérées de la sorte ? Le narrateur ne le dit pas en propres termes ; néanmoins cela nous paraît évident. Tous attendaient des guérisons matérielles et non pas seulement des grâces spirituelles. Dieu aurait-il trompé cette attente ? Cela semble infiniment peu probable. Les habitants de la campagne n'auraient pas imité ceux de la capitale, si ceux-ci avaient remporté leurs malades tels qu'ils les avaient amenés. Zeller et Holtzmann restent conséquents avec leur théorie en faisant du récit entier un conte apocryphe et légendaire. Restons fidèles à notre position, en protestant contre tout parti pris. Nous croyons à l'exaucement de la prière par un Dieu qui nous commande de prier. Les apôtres ont demandé au Seigneur d'étendre sa main -- non pas la leur -- pour opérer des guérisons. (Actes 4.30) Ils n'ont pas osé déterminer la façon dont elles s'opéreraient. Si Dieu exauce, il se réserve le choix des moyens. Or, en guérissant des malades sur lesquels a passé seulement l'ombre d'un apôtre, ne réduit-il pas à ses plus faibles proportions l'intermédiaire humain ? Nous ne savons si l'assentiment de Pierre a expressément encouragé ces tentatives. S'il l'a donné, il s'est contenté de prendre à la lettre les promesses faites à la foi par son Maître. (Matthieu 17.20 ; Marc 9.23 ; Jean 15.7) Jésus aussi avait guéri sans contact personnel avec le malade, et il avait dit, parlant de ses miracles. « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. » (Jean 14.12) Il y avait, enfin, dans ces croyants naïfs et convaincus qui apportaient leurs malades, plus d'un Juif pieux dont la mémoire se rappelait le pouvoir de délivrance reconnu à l'ombre de Jahveh : Psaume 17.8 ; 91.1, etc. N'y en aurait-il pas un pareil dans l'ombre d'un apôtre ? Et la sagesse de Dieu devait-elle se montrer en trompant cette croyance ?

Que ces faits miraculeux aient été l'exception, non la règle, nous l'admettons sans hésiter, et notre récit même le donne à entendre. Le verset 12 indiquait des signes accomplis par les mains des apôtres, c'est-à-dire avec leur participation consciente. Le verset 15 signale des cas spéciaux et rares, mais nécessaires, sans doute, pour étendre l'influence de l'Eglise au delà des murs de Jérusalem. -- Des villes voisines, en effet, accourt dans la capitale7 une multitude nouvelle, apportant ses propres malades et ses démoniaques. La distinction faite entre ces deux catégories d'êtres souffrants trahirait-elle la plume d'un médecin ? L'auteur, en tout cas, sait que les uns et les autres ont été guéris.

§ 2. Deuxième comparution devant le sanhédrin

5.17   De tels succès redoublent la jalousie du sanhédrin. On n'a pas obéi à ses ordres ; le peuple ne revient pas à lui ; il faut recourir à la force. Le grand prêtre se lève1, et se met en mouvement pour procéder à des mesures énergiques. Avec lui se lèvent aussi -- non sa société ordinaire et presque sa garde, comme Zelhr voudrait traduire οἰ σὺν αὐτῷ, -- mais plutôt ses collègues, les autres membres du sanhédrin, formant, dit l'historien, la secte des sadducéens, ou, du moins, lui appartenant. Anne, le grand prêtre, était pharisien. Mais dans cette occasion, où il s'agit d'arrêter des prédicateurs de la résurrection, il est surtout entouré par des sadducéens. Encore un trait de fidélité historique chez notre auteur.

5.18   Une première mesure s'impose à leur zèle fanatique : saisir de nouveau les apôtres et les enfermer dans une prison, cette fois qualifiée de « prison publique. » Aggravation de peine avant le jugement ; on les avait plus ménagés dans la première occasion, en ne les confondant pas avec les malfaiteurs ordinaires. (5.19  ) Pourtant la liberté leur est bientôt rendue ; un ange du Seigneur leur ouvre pendant la nuit les portes, les fait sortir et leur dit : (5.20) Allez et, vous tenant debout (comparez σταθεις, appliqué à Pierre seul, 2.14), prononcez au peuple dans le temple toutes les paroles de cette vie, c'est-à-dire à la fois les paroles de la vie du Christ et celles de la vie en Christ, car il a « des paroles de vie éternelle. » (Jean 6.68) « Verba, dit Lightfoot, quæ astruerant hanc vitam (resurrectionem scilicet) quam sadducæi negant. »

Nous ne cherchons pas à expliquer ce miracle. L'auteur ne l'explique pas ; ni par un tremblement de terre (comme au ch. 16) ; ni par un mouvement de pitié du geôlier ; ni par un enlèvement opéré en pleine nuit. Si l'on veut à tout prix du symbolisme, nous pouvons reconnaître dans l'intervention d'un ange une protestation contre les doctrines anti-spiritualistes des sadducéens, sous la réserve expresse, toutefois, de maintenir l'historicité du fait.

Mais voici une question plus sérieuse. A quoi bon ce miracle ? a-t-on demandé. Les apôtres vont être repris dès le lendemain, et cette fois aucun ange n'interviendra, pas même pour les empêcher d'être battus de verges. (Vers. 40.) Dès lors l'intervention actuelle n'est-elle pas sans but ? Nullement. Ce miracle est un signe, et ce signe nous apparaît avec deux fins bien nettes. L'une vise les apôtres et l'Eglise. C'est un encouragement de premier ordre à persévérer dans la voie déjà suivie. Le Seigneur est là, il délivrera quand il le faudra ; en attendant, et toujours, il commande de prêcher la vie. L'autre fin vise les ennemis. Les voilà dûment avertis. S'attaquer aux apôtres, c'est s'en prendre aux puissances célestes. Les préventions et les haines du sanhédrin ne lui donneront pas la victoire dernière. L'Eternel a sauvé des mains de Nébucadnetsar les trois amis de Daniel. Jésus saura, quand il le voudra, arracher ses apôtres à leurs-persécuteurs, et frapper ces derniers comme leurs pères l'ont été jadis dans leur endurcissement : aux autorités, donc, de prendre garde.

Il est vrai : au cours de la prochaine audience nous n'entendrons ni les juges ni les prévenus faire allusion à ce miracle. Est-ce très extraordinaire ? Le sanhédrin ne devait pas tenir beaucoup à rappeler ce témoignage irrécusable de son injustice et de son impuissance. Les apôtres, de leur côté, n'avaient pas à invoquer une intervention dont le retour ne leur avait pas été promis ; la proclamation de leur foi suffisait. Et si, dans l'arrestation exécutée le lendemain matin, l'ordre est donné de s'abstenir de violence (v. 26), n'est-ce point en raison même des événements de la nuit ? Cet ordre renfermait un aveu ; dans la soumission des apôtres, il y a tout ensemble un souvenir et une espérance.

5.21   Pour eux, ils se contentent d'obéir. Ils ont été délivrés non pour se cacher, mais pour prêcher. Ils rentrent donc dès le premier matin dans l'enceinte du temple, et ils y reprennent leur enseignement. Le grand prêtre, pendant ce temps, et ses acolytes convoquent avec le sanhédrin toute la γερουσία d'Israël. Ce terme correspond à notre mot sénat. Meyer entend par là une réunion plénière des anciens, comprenant même ceux qui ne font pas partie du sanhédrin. Lechler donnant au καὶ un sens explicatif, interprète : le sanhédrin, c'est-à-dire tout le collège des anciens. Nous trouvons plus probable l'opinion de Meyer. Le grand conseil, n'ayant guère eu de succès par sa première audience, désire s'entourer cette fois d'un plus grand nombre de conseillers (Rilliet : le sanhédrin et toute l'assemblée sénatorienne). Cette assemblée envoie maintenant à la prison pour en amener les prévenus. -- Les huissiers officiels obéissent à leur mandat ; ils ne trouvent personne. Sans perdre de temps, nous pouvons le croire, ils reviennent vers leurs supérieurs et racontent : Il n'y a point de reproche à faire au geôlier ; la prison était bien gardée ; les portes fermées à clef ; les sentinelles à leur poste ; nous avons ouvert ; à l'intérieur, personne.... On dirait d'un procès-verbal, tant le récit est exact et bref. Ces allées et ces venues, cette ignorance où le sanhédrin est d'abord laissé de l'évasion de ses prisonniers, tout cela semble bien démontrer que le conseil ne siégeait pas alors dans le temple. Autrement, en arrivant au local de ses séances, il aurait entendu les apôtres, appris, tout au moins, qu'ils recommençaient leur enseignement, et il n'eût pas envoyé ses hommes les chercher. Or, nous le savons par divers témoignages : le sanhédrin, depuis quelques années, tenait ses séances dans un autre quartier de la ville. L'auteur, comme d'habitude, est exactement renseigné.

5.24   Il dépeint d'un trait bref l'extrême embarras de la haute assemblée. Au sujet du rapport de ses envoyés, au sujet de ses prisonniers2, elle ne peut comprendre ce que cela deviendra. Un messager survient soudain. Il nous semble avoir entendu lui-même les apôtres discourant dans le temple, et son rapport, probablement rendu d'une façon textuelle, n'est pas exempt d'une certaine ironie ; les subordonnés ne craignent pas trop de trouver leurs chefs en faute. Voici, dit le nouveau venu, ces hommes que vous avez mis en prison, ils sont dans le temple ; ils y sont debout et enseignant le peuple. Pour des prisonniers, ce sont des gens bien libres !...(5.26  ) Là-dessus, nouveau départ des sergents conduits par le capitaine du temple. Le sanhédrin pourrait-il avoir même l'apparence d'être vaincu par des « illettrés ? » Jamais. Et pourtant, il est bien un peu battu, car ses agents ont peur. Point de violence ; il faut contenir son dépit ; autrement le peuple pourrait se fâcher et jeter des pierres à la force publique. Pour l'instant, il est manifestement du côté des accusés ; leur ascendant moral dépasse de beaucoup celui de l'autorité légale. Sans doute les apôtres n'en useront jamais pour soulever une émeute en leur faveur. On le sait ; cela n'empêche pas de craindre le peuple ; un mouvement est si vite déchaîné !

5.27   Les apôtres comparaissent donc une seconde fois devant leurs juges. Pierre et Jean ne sont pourtant plus seuls comme en la première circonstance. Cela ressort du verset 29, où nous lisons : Pierre et les apôtres. -- Le grand prêtre préside le tribunal, il commence l'interrogatoire. Par injonction nous vous avions enjoint de ne point enseigner en ce nom3...

Il ne le prononce pas lui-même, ce nom détesté ; chacun sait duquel il s'agit.... Et voici, vous avez rempli Jérusalem de votre enseignement, dans lequel précisément ce nom occupe la place principale. C'est un beau témoignage, si involontaire soit-il, rendu au ministère apostolique. Et la conscience inquiète des conseillers, se rappelant vaguement leur imprécation dans une scène vieille seulement de trois ou quatre mois, ajoute, sans pouvoir s'en défendre : Vous voulez faire venir sur nous le sang de cet homme. (Comparez Matthieu 27.25) Jésus l'avait d'ailleurs prédit : « Sur vous viendra tout le sang juste répandu sur la terre, depuis le sang d'Abel. » (Matthieu 23.35)

Le président, au reste, ne conclut pas. Il constate la violation d'une défense ; le fait est patent ; une excuse peut-elle être donnée ?...Oui, une seule, mais valable ; et c'est Pierre avec tous ses collègues4 qui la fait connaître. Lui aussi il veut bien s'en référer au précédent procès. Il reprend sa réponse d'alors, seulement en l'accentuant plus encore. Il avait dit (4.19) : « Jugez vous-mêmes. » Or, les Juifs ont mal jugé ; ils ont fait passer leur volonté avant celle de Dieu. Les apôtres ne consentent plus à les prendre pour arbitres ; il faut, disent-ils maintenant, il faut obéir5 à Dieu plutôt qu'aux hommes, ces hommes fussent-ils les représentants attitrés de la nation juive. Ce n'est point, répétons-le, une protestation de révolutionnaire ; c'est la déclaration des croyants de tous les âges. Ce n'est point s'insurger contre l'autorité établie, c'est se soumettre à la seule autorité légitime.

5.30   Pierre, dès ce moment, continue seul. Il vient de nommer Dieu ; il va raconter à nouveau ce que Dieu a fait pour ce Jésus dont on voudrait proscrire le nom. Oui, lui-même, le Dieu des pères, notre Dieu, avait suscité Jésus d'entre les hommes et pour eux. Le mot ἤγειρεν sans le régime ἐκ νεκρῶν ne désigne pas la résurrection (comparez ἀναστήσας, 3.26) et Calvin traduit bien : « Deus patrum nostroruni excitavit Jesum. » (Comparez Bengel et Luc 1.69) Pour vous, vous avez tué ce même Jésus de vos propres mains (διαχειζόμαι), en lui infligeant la mort ignominieuse de la croix. (Comparez Galates 3.13 ; 1 Pierre 2.24) -- (5.31  ) Mais ce supplicié « pendu au bois » était un chef et en même temps un Sauveur. Dieu est intervenu de nouveau pour le glorifier en cette double qualité, en l'élevant par sa droite. Déjà dans son discours au temple (3.15), Pierre avait donné au Christ ce titre de ἀρχηγὸς, en y joignant le régime τῆς ζωῆσ . Il le reprend maintenant, pour opposer ce chef et ce Sauveur à l'œuvre homicide de son peuple. Puis il ajoute aussitôt : Le but de cette élévation du Fils auprès du Père, ce n'était pas seulement sa propre gloire ; c'était aussi, c'était surtout le don à son peuple coupable de la repentance et de la rémission des péchés. Admirable exégèse de la Résurrection et de l'Ascension !

5.32   Pierre, on l'observera, se borne à mentionner Israël dans ce plan du salut ; il lui faudra des révélations nouvelles pour y faire entrer aussi l'ensemble des peuples. En cet instant, il lui importe d'établir la valeur de ses affirmations. Or, elles reposent sur un double témoignage : celui des apôtres et celui du Saint-Esprit6. Nous sommes, dit l'orateur, témoins de ces paroles. On pourrait, à la rigueur, donner à ῥημάτα le sens large de דְבָרִימ, paroles et faits. Cela n'est pas nécessaire ; les disciples ont bien été témoins auriculaires des paroles de leur Maître précisément relatives aux événements actuels.

5.33   Ici, l'apôtre s'arrête ; son apologie est très suffisante. Le sanhédrin la comprend bien assez pour en être comme enragé ; ne trouvant rien à répondre, ses membres sont disséqués, suivant l'énergique expression de l'original. On a traduit διεπρίοντο par : « Ils grinçaient les dents ; » mais cela se dirait διέπριον ou mieux ἔβρυχον τοὺς ὀδοντας (7.54) ; διαπρίω signifie couper en deux, disséquer ; au moyen, avec ou sans régime, être disséqué, déchiré par ses sentiments, et surtout par la colère. Les juges ne se possèdent plus : ils voulaient les faire périr (les apôtres) sans même attendre une sentence régulièrement rendue. Tel est, du moins, le sens du texte si, avec A, B, nous lisons ἐβούλοντο . Tischendorf adopte la leçon du Sinaïticus, ἐβουλεύοντο, et traduit : « Ils délibéraient de les faire périr. » Nous demandons seulement, malgré l'autorité de ce manuscrit et celle de ce savant, si les dispositions de l'assemblée, révélées par le διεπρίοντο, sont bien de celles dont on peut attendre une délibération. On allait, croyons-nous, procéder à une exécution, comme on l'a fait pour Etienne. L'intervention de Gamaliel parvint seule à produire au moins un semblant de délibération.

5.34   Cet homme, en effet, s'est levé au sein du sanhédrin affolé. Petit-fils de Hillel et illustre comme lui, Gamaliel jouissait chez ses contemporains d'une légitime influence, due à son caractère et à son savoir. Ses avis, toujours écoutés, étaient habituellement remarqués pour leur modération. On lui attribue, il est vrai, une formule de malédiction dont la synagogue finit par faire usage contre les chrétiens. Sa réputation, néanmoins, a toujours été celle d'un homme juste. S'est-il, plus tard, converti au christianisme ? A-t-il, avec son fils et avec Nicodème, reçu le baptême des mains de Pierre et de Jean ? La tradition ecclésiastique l'affirme, sans en donner des preuves solides7. Notre texte se contente de le désigner par ses trois principales dignités : pharisien, docteur de la loi, honoré de tout le peuple.

Il commence par proposer une mesure d'ordre : faire sortir un moment les prévenus. Il ne convient pas de discuter leur sort en leur présence ; et puis, cela calmera peut-être un peu les juges de ne pas les voir. -- Gamaliel reprend ensuite la parole pour faire entendre un garde-à-vous très sérieusement motivé : Réfléchissez avant d'agir. Veillez à vous-mêmes au sujet de ces hommes sur ce que vous allez faire (ou : sur ce que vous allez faire au sujet de ces hommes8 ! Ne rejetez pas brusquement l'Eglise en dehors d'Israël, sans avoir examiné s'il ne serait pas beaucoup plus politique de l'associer à notre peuple. Ecoutez au moins les avertissements de l'histoire...Et là-dessus, le savant docteur en rappelle deux, montrant deux séducteurs pris dans leurs propres filets, sans aucune intervention du sanhédrin.

5.36   D'abord l'exemple de Theudas. Josèphe nous parle de cet aventurier comme d'un goète, chef de partisans, assez habile pour entraîner à sa suite une troupe de révolutionnaires. Brusquement attaqué par le procurateur romain Fadus, il fut décapité sur son ordre9. Ce Theudas est-il celui dont parle notre auteur ? Il se serait, d'après le texte, fait passer pour un personnage ; environ quatre mille hommes se seraient joints à lui, puis il aurait été mis à mort et tous ses partisans auraient été dispersés. Jusqu'ici tout concorde. Voici cependant deux difficultés assez graves. D'abord, Josèphe place ces événements au temps du procurateur Cuspius Fadus : ce magistrat exerça ses fonctions sous l'empereur Claude, entre 42 et 44, une dizaine d'années après la comparution des apôtres devant le sanhédrin. Ensuite, Gamaliel fait suivre l'épisode de Theudas par celui de Judas le Galiléen (μετὰ τοῦτον, v. 37). Mais ce dernier, au dire même de l'orateur, fut contemporain du dénombrement, sans doute de celui dont parle Luc 2.1-2. Cela nous ramène d'une quarantaine d'années en arrière. Comment le Theudas des Actes et celui de Josèphe seraient-ils un seul personnage ?

Ed. Zeller, nous pouvions nous y attendre, nie l'authenticité du discours de Gamaliel : jamais, suivant lui, il n'a été prononcé. Meyer, Lechler, d'autres encore admettent une prolepse, une sorte d'anachronisme plus ou moins volontaire, dont l'écrivain seul, et non Gamaliel, serait responsable. L'exemple de Judas le Galiléen aurait bien été cité devant le sanhédrin ; notre auteur l'aurait trouvé dans ses documents ; puis, entraîné par ses souvenirs personnels, il y aurait associé l'exemple de Theudas, dont il avait une connaissance exacte.... Est-ce vraiment une solution ? Cela me semble plutôt un expédient, car jusqu'ici notre écrivain ne nous a pas habitués à de pareilles inexactitudes ni à de telles confusions.

Faut-il admettre alors l'existence de deux Theudas, celui de Josèphe et celui de Gamaliel ? C'était déjà l'opinion de Bengel : « Alius ergo Theudas fuerit opportet, quem Josephus Judse postponit. » Je ne vois pas de raisons décisives pour la repousser. Au contraire : dans les temps très agités qui ont suivi la mort d'Hérode, Josèphe mentionne, comme ayant joué certains rôles, quatre Simons dans l'espace de quarante ans et trois Judas en dix ans. Qu'il y ait eu deux Theudas en cinquante années, ce n'est donc point chose impossible. Nombre d'exemples analogues sont admis sans réclamations dans l'histoire, ecclésiastique ou profane. N'avons-nous pas vu, aux temps de l'hérésie novatienne, un Novatus à Carthage et un Novatien à Rome soutenant la même doctrine ? Parce que la révolte irlandaise de 1848 et celle de 1891 ont eu chacune pour chef un William O'Brien, soutiendra-t-on que le mouvement anti-britannique de l'île sœur est une pure invention10 ?

Après cela, nous l'avouerons, il est fort difficile de déterminer le Theudas dont Gamaliel a voulu parler. Il peut avoir été un des Simons ou des Judas mentionnés par Josèphe, ou l'un des nombreux émeutiers indiqués sans noms propres par cet historien. Il s'agirait, suivant Baumgarten, d'un certain Matthias, dont Josèphe décrit le fanatisme peu avant la mort d'Hérode. (Antiq., 17, 6, 2 et 3.) En fait, Matthias est le nom hébreu, מַתִּיהָ, de θεόδωρος et θεοδᾶς (ou Theudas) en est la forme abrégée. Hackett penche plutôt pour un Simon, ancien esclave d'Hérode, exécuté comme usurpateur après la mort de ce roi11. Sans pouvoir décider, bornons-nous à constater comme très admissible l'existence de deux Theudas.

5.37   Le second exemple narré par Gamaliel n'offre pas de difficultés. Josèphe (Antiq., 18, 1, 1) raconte la tentative d'un Judas le Gaulanite, pour empêcher le peuple de se prêter au recensement de Quirinus ; plus loin (20, 5, 2), parlant de ce même personnage, il nomme ses enfants παῖδες Ἰουδα τοῦ Γαλιλαίου . C'est bien celui de Gamaliel, et Josèphe note le même avortement de sa tentative. Ses deux fils, ajoute-t-il, furent mis en croix. Quelques adhérents lui auraient survécu sous le nom de Zélotes.





5.38   Voilà donc deux traits bien connus du sanhédrin. Gamaliel en déduit un conseil de modération, un avis de prudence : « N'ayez rien à faire avec ces hommes et laissez-les aller. » Si leur projet -- les apôtres en avaient un sans doute -- ou leur œuvre (exécution de ce projet) vient des hommes, tout cela sera détruit (littéralement « délié »). -- (5.39  ) Si, au contraire, cela vient de Dieu, vous ne pourrez pas le détruire. Prenez garde seulement à ne pas être confondus comme ayant lutté contre Dieu. En résumé, ne jugez pas encore ; laissez le temps agir et les événements vous apporter la preuve aujourd'hui cachée.

Quelques remarques intéressantes nous sont encore fournies par ces deux versets.

  1. Gamaliel semble déjà rejeter l'hypothèse d'une origine humaine pour la βουλὴ des apôtres ; il introduit en effet cette supposition par ἐὰν ἦ, indication d'un doute ; la seconde par εἰ ἐστίν, quasi-certitude.
  2. Le futur οὐ δύνησεσθε, employé par l'orateur dans sa sentence prophétique, signifie ou bien : vous n'en aurez pas la puissance, ou bien : vous n'en aurez pas le droit. Le premier sens est de beaucoup le plus probable ; le sanhédrin se fiait à sa force ; Gamaliel la déclare impuissante, malgré toutes les violences. (Le simple présent οὐ δύνασθε est très insuffisamment appuyé.)
  3. C'est bien une sentence de mort que ce pharisien veut empêcher ; il l'a sentie en quelque sorte dans l'air. Il nous faut maintenir pour régime à καταλῦσαι αὐτους, le pluriel masculin αὐτούς, au lieu du singulier neutre αὐτό donné par la Recepta et rapporté à ἔργον .
  4. Les mots ὅτι ἐὰν jusqu'à καταλῦσαι αὐτούς ne forment pas une parenthèse ; ils sont l'explication logique du ἄφετε αὐτούς  ; et le μήποτε ...εὑρεθῆτε est ou bien dépendant de ὀυ δυνήσεσθε (vous ne pourrez pas les détruire ! de peur qu'en l'essayant vous ne soyez trouvés lutteurs contre Dieu, et dès lors détruits vous-mêmes), ou bien la conclusion d'une aposiopêsis (vous ne pourrez, pas !...Et ne l'essayez pas, de peur que...).
5.40   Persuadée par ces paroles si sages, la haute assemblée ne peut pourtant pas se refuser la satisfaction d'établir le tort des apôtres et de leur infliger un châtiment. Un acquittement pur et simple la déjugerait trop. La désobéissance des prévenus est d'ailleurs patente. On les rappelle dans la salle. On n'examine point si les ordres auxquels ils ont manqué étaient justes ou non. On décrète contre eux un des châtiments les plus durs, la flagellation, et on le fait exécuter séance tenante. Aucun ange ne les délivre ; ils servent, comme Paul plus tard, de θέατρον τῷ κόσμῳ (1 Corinthiens 4.9) Après cela, renouvellement de la même injonction insensée : défense de parler au nom de Jésus. Enfin, on les relâche.

5.41   Et, tandis qu'ils remontent vers leur chambre haute en donnant libre essor à leur joie, les croyants peuvent comprendre en partie pourquoi Dieu les a laissés souffrir : il a manifesté en eux et par eux la puissance extraordinaire du Saint-Esprit. Déchirés par les verges, les apôtres se sentent privilégiés et heureux. Ils s'en allaient joyeux de devant le sanhédrin, parce qu'ils avaient été jugés dignes d'être outragés pour le nom... Quel nom ? Inutile de le désigner plus clairement. Dans l'ancienne alliance שֵׁמ était déjà le nom par excellence, celui de Jahveh (comparez Lévitique 24.11, dans le texte hébreu ; ὀνόμα, dans la nouvelle, sera aussi le nom excellent, celui de Jésus. Comparez 3 Jean 7, dans le grec.) Châtiments iniques, défenses injustes aboutissent toujours, d'ailleurs, au même résultat : ils fortifient la résistance. Ces battus victorieux portent chaque jour dans le temple et de maison en maison leur enseignement et leur Evangile, savoir Jésus-Christ. Ils ne cessaient pas, dit triomphalement notre historien.

4. PREMIÈRE INSTITUTION ECCLÉSIASTIQUE ; PREMIER MARTYRE

§ 1.
Institution des diacres : 6.1 à 6.7
§ 2.
Martyre d'Étienne : 6.8 à 7.60

§ 1. Institution des diacres

Un très grave danger, sorti des entrailles même de l'Eglise, l'avait menacée dans son existence, au moment de ses plus grandes victoires. Un second, sérieux aussi, et rattaché comme le premier à l'influence de Mamon, naît maintenant, à l'heure d'un développement non moins marqué de la communauté chrétienne. Les violences du sanhédrin n'ont pas arrêté cet essor ; des plaintes, des jalousies, des négligences aussi, y parviendraient-elles ? La pratique de l'aumône sera, si Dieu n'intervient pas, plus efficace que la flagellation pour ruiner l'œuvre des apôtres. L'égoïsme a reparu, donnant la main à la pauvreté ; l'un et l'autre n'avaient pas été domptés pour longtemps par la communauté des biens.

Nous avons vu, n'est-ce pas, nombre de crises analogues, et nous avons le droit de répéter ici la parole de l'Ecclésiaste : « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. » Maintes fois l'exercice de la charité a donné lieu aux manifestations les moins charitables. L'histoire de l'Eglise primitive, encore placée sous les bénédictions de la Pentecôte, peut nous être, à ce propos, d'un réel encouragement. Elle a traversé sans s'affaiblir cette épreuve redoutable. Conduite par l'Esprit-Saint, obéissant à ses ordres, elle s'est fortifiée au contraire, en se donnant une institution dont les bienfaits se font sentir jusqu'à nous. A suivre le même guide, nous serons sûrs de ne pas périr en chemin.

On demandera peut-être comment les chrétiens ont pu se gouverner si librement, administrer leurs propres affaires, créer parmi eux une charge nouvelle, après les actes d'hostilité déclarée des autorités juives. La réponse est facile. Ces autorités, pour un temps, n'étaient plus libres. Elles étaient, du moins, préoccupées d'autres soins. Le parti nationaliste étroit, avec les prêtres à sa tête, était tenu constamment en haleine par les agissements de Pilate. Ce procurateur, en effet (déposé seulement en l'an 36), tâchait de détourner des contributions pour le culte une notable proportion des dîmes, et d'employer cet argent à la construction d'un aqueduc. Il avait osé introduire dans Jérusalem des étendards portant l'image de l'empereur, véritable idolâtrie aux yeux des Israélites, et son but était bien, observe Josèphe : καταλύσις τῶν νόμων τῶν Ἰουδαικῶν 1. En face de telles énormités, sadducéens et pharisiens oubliaient momentanément les apôtres et les chrétiens. Leurs haines n'auront pas su empêcher l'institution des diacres ; elles se réveilleront assez tôt pour faire mourir Etienne.





6.1   L'auteur n'énonce aucune date précise : En ces jours-là, dit-il seulement ; il tient cependant, par l'introduction d'un δέ, à accentuer le contraste entre l'état précédent et celui-ci. Les apôtres annonçaient le Christ. Mais, dans ce même temps, un murmure s'éleva.... Les disciples, au reste, devenaient toujours plus nombreux (πληθύνω au sens neutre : augmenter, croître) ; naturellement, les besoins aussi ; et il n'était pas aisé de pourvoir à toutes les demandes d'une façon strictement équitable. Jusqu'alors, les apôtres avaient porté seuls les charges matérielles et les charges spirituelles de la communauté. Ils présidaient aux distributions de secours, rendues nécessaires par le nombre croissant des indigents. Ils ont pu suffire pour un temps ; aujourd'hui les voilà complètement débordés. Des plaintes se font entendre ; il faut aviser au plus tôt.

Notre auteur, toujours épris d'exactitude, a noté le point de départ de ces murmures : ils partent des Hellénistes et sont dirigés contre2 les Hébreux. Qui sont au juste ces deux classes de personnages ?

Les uns et les autres sont des Juifs. Mais les Hellénistes, par suite de leur résidence prolongée à l'étranger, -- donc au milieu des Hellènes, -- ont adopté les usages, la langue et parfois la nationalité des Grecs. On les tient, dès lors, pour entachés plus ou moins de paganisme ; le Talmud va jusqu'à maudire celui qui enseigne à son fils la science des Grecs. Les Hébreux, en revanche, ont conservé la nationalité palestinienne, la langue et les usages de la patrie. Dans un milieu israélite, les Hébreux sont naturellement estimés fort au-dessus des Hellénistes ; à leur sens il en devrait être ainsi, même dans un milieu judéo-chrétien. Et il en est bien ainsi en effet : dans la distribution quotidienne des aumônes les veuves hellénistes étaient plus ou moins laissées de côté (littéralement : vues en passant ; prætervidebantur ; sie wurden übergesehen3). Le mot « aumône » n'est, du reste, pas prononcé, il est question seulement de διακονία  ; mais le sens est clairement donné par le contexte.

6.2   Il y avait bien dans ces plaintes quelque chose de vrai : les apôtres ne le contestent point. Moins connues ou plus timides, arrivant moins aisément à faire savoir leurs besoins, les veuves hellénistes n'étaient vraiment pas traitées à l'égal des veuves hébreues. Et c'était un mal, et il fallait le faire disparaître. Les douze, sans hésiter, vont s'y employer, pourtant pas en augmentant leur charge déjà trop lourde. Le temps leur paraît venu d'introduire dans l'Eglise la division du travail. Nous ignorons s'ils avaient déjà cherché des aides pour l'accomplissement de leur tâche journalière. C'est fort possible. Ces secours, s'il y en a eu, auront été occasionnels, irréguliers. Il faut aujourd'hui autre chose ; le moment est arrivé d'instituer des fonctions nouvelles. Fait important au point de vue de la psychologie de l'Eglise. Ses conducteurs possèdent le Saint-Esprit ; ils ne croient point pour cela à l'inutilité de l'organisation. Mieux éclairés que beaucoup d'illuminés, ils voient dans cet Esprit un agent d'ordre, capable de créer des organes et des organismes et de s'en servir ; à des besoins nouveaux, il faut de nouveaux instruments.

Comme la matière est grave, les douze convoquent la multitude des disciples, une assemblée plénière des chrétiens alors présents dans Jérusalem ; nous ignorons d'ailleurs où ils ont pu la réunir. Leur plan est arrêté déjà, mais ils se garderont de l'imposer. En quelques mots, ils font connaître l'état de la question : les besoins des pauvres sont réels ; ceux des veuves, en particulier, dignes de toute notre attention. Abandonner la Parole -- c'est-à-dire la prédication et l'enseignement -- pour servir aux tables, cela ne serait ni pour nous ni pour l'Eglise chose convenable (littéralement « plaisante, ἀρεστόν  ; » comparez 12.3). Ce « service des tables, » pour le dire en passant, nous montre la façon dont les aumônes étaient recueillies et partagées : on les apportait à l'heure du culte, en espèces ou en nature ; on les déposait sur la table de la communion ; les apôtres les répartissaient ensuite au mieux de leurs informations4. Eh bien, ce service-là doit continuer, et pourtant les apôtres ne peuvent ni ne veulent plus en avoir la responsabilité ; ils y devraient sacrifier en partie le ministère de la Parole ; ils n'y consentiront jamais. Sur ce point pas de discussion.

6.3   Reste donc à trouver des hommes de confiance, auxquels toute l'administration des aumônes sera commise. Ici, c'est à l'Eglise d'intervenir. A elle de chercher et d'établir5 dans son sein des hommes de cette sorte, jouissant d'un [bon] témoignage, remplis du [Saint] Esprit et de sagesse. Les apôtres en demandent sept. Un par quartier, a-t-on dit ; rien ne prouve la division de Jérusalem à cette époque en sept quartiers. L'allusion aux sept branches du chandelier d'or me semble encore moins indiquée. Le chiffre des diacres n'a-t-il pas dû, bien plutôt, correspondre à celui des jours de la semaine ? Chacun d'eux avait à son tour la responsabilité d'un jour entier. Nous les verrons du reste désignés couramment comme « les sept, » οἵ ἕπτα (21.8), en parallèle avec « les douze. » Le chiffre de sept a été longtemps maintenu pour les diacres de l'ancienne Eglise ; le Concile de Néo-Césarée, en 314, interdit de le dépasser.

Le terme de diacre n'est, au reste, pas écrit dans notre texte, et nous ne savons pas si Pierre l'a maintenant employé. Paul le mentionne au début de l'épître aux Philippiens, et nomme une diaconesse Phœbé, à la fin de l'épître aux Romains (16.1). Ce mot ressort naturellement de διακονεῖν et de διακοναί, fréquents dans le Nouveau Testament. Clément Romain, dans sa première lettre aux Corinthiens (chap. 43), montre des diacres établis par les apôtres dans les Eglises où ils ont prêché. Pline, dans une lettre à Trajan, dit avoir rencontré jusqu'en Bithynie de jeunes chrétiennes qu'il appelle « ministrae, » traduction latine du grec diaconesses6. Suivant Justin Martyr (Apolog., I), les diacres étaient spécialement chargés de distribuer le pain et le vin de la sainte cène. Reste à noter une différence entre alors et maintenant. Dans les premiers siècles de l'Eglise, le diaconat paraît avoir été considéré comme conféré à vie. Il est dans l'Eglise romaine aujourd'hui le second des ordres majeurs 7.

6.4   Délivrés du pesant fardeau des aumônes, les apôtres pourront dorénavant se consacrer avec plus de constance à leur œuvre propre : la prière et le diaconat de la Parole ; car, assurément, prêcher et instruire c'est un service aussi, et pour le moins égal à celui « des tables. » Ils se réservent encore un droit : Ces hommes, disent-ils, nous les établirons sur ce besoin (v. 3), pour présider aux travaux exigés par ce besoin. Il n'en résulte aucune interdiction aux diacres d'annoncer, eux aussi, la Parole de Dieu. Etienne va bientôt la prêcher admirablement devant le conseil de son peuple ; Philippe sera surnommé « l'évangéliste. » Mais cela ne constituera pas leurs fonctions immédiates.

6.5   L'assemblée entière approuve la proposition. Elle procède donc aussitôt au choix des sept, dont l'auteur énumère les noms. Les deux premiers seuls nous sont connus : Etienne, présenté d'emblée comme rempli8 de foi et d'Esprit-Saint ; Philippe, dont l'histoire viendra au chapitre 8, avec une addition 21.8-9. On a présenté Nicolas comme le chef de la secte des nicolaïtes : Apocalypse 2.6,15 ; simple hypothèse sans preuves ; il en faut dire autant de celle de Clément d'Alexandrie, d'après laquelle Nicolas aurait été un ascète extraordinaire et même dangereux. Nicolas est plus intéressant par son titre de prosélyte antiochien ; nous comprenons un peu par là les progrès de l'Evangile en Orient, particulièrement en Syrie. Hypothèse encore l'idée de Gieseler que trois diacres auraient été hellénistes, trois hébreux, le prosélyte servant en quelque sorte de trait d'union entre eux. Nicolas est le seul dont la nationalité soit indiquée. Ces sept hommes, une fois choisis par l'Eglise, sont présentés par elle aux apôtres. Ceux-ci les reçoivent en quelque sorte de sa main ; elle restera personnellement intéressée à cette institution du diaconat. Elle n'imposera pas elle-même les mains à ses élus : c'est le ministère réservé aux apôtres ; ils s'en acquittent après avoir prié. Nous le reconnaissons pourtant : les termes du verset 6 permettraient d'admettre une part prise par l'Eglise à l'imposition des mains. Mais dans l'ancienne alliance, à qui cette cérémonie est empruntée, le peuple en foule ne fonctionnait pas ; les prêtres agissaient comme ses représentants.

6.7   Et, conclut notre historien, la Parole de Dieu augmentait. Ce nouveau progrès réalisé dans l'Eglise a contribué au développement de la prédication et par conséquent de la foi. Le nombre des disciples croissait dans Jérusalem d'une façon considérable. Bien plus : une grande foule de prêtres obéissaient à la foi. Notre auteur semble considérer ce résultat comme très particulièrement digne d'être relevé, et il le rattache à la nomination des diacres, sans mentionner l'apaisement des murmures soulevés naguère dans l'Eglise.

§ 2. Martyre d'Étienne

Les apôtres n'avaient pas craint de diminuer un peu leur prestige, au moins en apparence. Au lieu de persévérer à vouloir exercer toutes les fonctions dans le sein du troupeau, ils ont demandé des associés. Cette sage conduite a préparé déjà des progrès extraordinaires. Elle va pourtant aussi avoir pour conséquence un martyre, le premier parmi les confesseurs du Christ.

6.8   L'historien distingue entre les sept diacres un homme particulièrement rempli de grâce et de puissance. La χάρις 1 ici nommée est évidemment la grâce de Dieu, devenant la source de la δύναμις, et ces deux dons apparaissent comme la conséquence de la πιστίς et du πνεῦμα dont Etienne était aussi rempli. (Vers. 5.) Ils se manifestent par des prodiges et par des signes considérables accomplis au milieu du peuple ; très probablement, en premier lieu, par des guérisons extraordinaires. Elevé ainsi en peu de temps à la hauteur des apôtres, ce diacre, dans son discours, les dépassera quant à l'intelligence du pouvoir expansif de l'Evangile et du caractère transitoire du mosaïsme. Sa puissance, au reste, ne devait pas seulement contribuer au plus grand bien de l'Eglise ; elle ne pouvait manquer de soulever la jalousie des ennemis et, qui sait ? de certains chrétiens aussi, encore esclaves des formes anciennes.

6.9   Les Hellénistes vont se trouver au premier rang de ces contradicteurs. Espèrent-ils par là regagner la confiance des Hébreux ? Cela n'est pas impossible. Nous les voyons en tout cas sortir de synagogues non palestiniennes. Nous disons « synagogues » au pluriel, et nous en comptons au moins deux, peut-être cinq, n'admettant ni l'hypothèse d'une synagogue unique partagée en cinq groupes, ni la traduction de Wieseler qui donne au premier καὶ un sens explicatif : « des affranchis, c'est-à-dire des Cyrénéens et des Alexandrins, » etc. Si l'on sous-entend un τίνες devant les quatre génitifs qui suivent Λιβερτίνων, on compte cinq synagogues ; si l'on se laisse guider seulement par la répétition unique de l'article τῶν, on se contente de deux groupes : une synagogue formée par les affranchis, les Cyrénéens et les Alexandrins ; un autre par les Giliciens et les Asiatiques. La mention dans le Talmud d'une synagogue d'Alexandrins, l'indication (fort exagérée probablement) de quatre cent quatre-vingts synagogues dans Jérusalem, au dire des rabbins, nous engagent plutôt à compter dans notre texte cinq synagogues différentes. Les « affranchis » paraissent désigner des prisonniers de guerre, faits entre autres par Pompée en l'an 63, libérés par lui ou par ses successeurs, et demeurant en majorité à Rome. Dans la Cyrénaïque un quart, à Alexandrie les deux cinquièmes de la population étaient juifs ; les Alexandrins et les Cyrénéens étaient assez nombreux et assez riches pour entretenir deux synagogues dans la métropole. Celle des Ciliciens comptait sans doute Saul de Tarse au nombre de ses membres. L'Asie, entendue au sens restreint, comme c'est le cas dans le livre des Actes, avait Ephèse pour capitale et devait bien aussi posséder sa synagogue.

6.10   Les Juifs de ces assemblées recherchaient la discussion avec Etienne et disputaient contre lui2. Mais ils n'avaient pas le dessus et cela suffisait pour les irriter : impossible de résister à la sagesse et à l'Esprit dont ses paroles étaient inspirées. Jésus l'avait promis : « Je vous donnerai une bouche et une sagesse à laquelle ils ne pourront pas résister. » (Luc 21.15) L'enseignement d'Etienne, au fond, ne devait point différer de celui de Pierre à la Pentecôte et devant le sanhédrin ; un conflit devenait inévitable, et la violence des adversaires se montrera d'autant plus grande qu'ils seront cette fois en présence non plus d'un apôtre, personnage revêtu d'une certaine distinction, mais d'un simple diacre, tout nouveau venu.

6.11  . Comme on veut aller vite, il faut avoir d'entrée à formuler une accusation précise et de nature à passionner le peuple. On s'en procurera1 3, exactement comme pour le procès de Jésus-Christ, au moyen de faux témoins. Nous l'avons entendu, affirment ces derniers, prononçant des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu. Il n'était pas difficile, assurément, en y mettant un peu de haine et de mensonge, de donner ce sens à telle ou telle des exhortations de ce diacre inspiré. -- Et il n'en faut pas davantage pour remuer la multitude avec ses chefs, anciens et scribes ; elle abandonnera le disciple comme elle abandonna le Christ, car elle n'était point convertie. La situation est devenue beaucoup plus menaçante pour les chrétiens. Le conseil se voit appuyé par la foule ; il osera davantage ; le procès, cette fois, ne se terminera plus par une flagellation.

6.13   On s'est jeté sur Etienne ; on l'a arraché à ses fonctions, au troupeau (συνήρπασαν) ; on l'a traduit devant le sanhédrin ; les faux témoins sont là, prêts à répéter emphatiquement leur première déposition, tout en variant quelque peu les termes : Cet homme-ci ne cesse pas de parler contre ce lieu saint et contre la loi. On précise aussi :...Nous l'avons entendu dire, en effet, que Jésus le Nazaréen, celui-là même, renverserait ce lieu-ci (le temple) et changerait les coutumes que Moïse nous a léguées.

Ainsi l'accusation s'est modifiée quelque peu. La résurrection n'est plus expressément mentionnée et, parmi les juges, les sadducéens ne semblent plus se mettre en avant. Le terrain du débat n'est donc plus tout à fait le même : au lieu de la personne du Christ, celle de Moïse ; au lieu de l'Evangile, la loi. Et quant à la personne même du prévenu, elle semble en train de se transformer. Car les membres du sanhédrin, arrêtant leurs regards sur Etienne, voient soudain son visage pareil à celui d'un ange. La communion avec Jésus pourrait-elle donc, comme la communion avec Jahveh, transfigurer une physionomie ? (comparez Exode 34.29-35) Il aurait valu la peine de se le demander. Mais il aurait fallu pour cela plus de calme et moins d'impatience, moins de résolution à se débarrasser d'un adversaire gênant.

Avant d'entrer dans ce mémorable procès, écartons une objection de Zeller. A en croire ce savant et son école, les accusateurs d'Etienne auraient dit la vérité ; le diacre aurait bien proféré les paroles imprudentes dont ils le chargent, et il se serait, de la sorte, ouvertement opposé au mosaïsme.

Est-ce probable ? Etienne n'était pas seulement fort attaché aux institutions nationales d'Israël ; il était aussi, et surtout, rempli du Saint-Esprit et de sagesse. Eût-il été sage, conforme aux directions de l'Esprit, de s'attaquer si légèrement aux pratiques du mosaïsme et au culte légal ? C'eût été vraiment choisir, pour amener son peuple au Christ, les moyens les plus propres à le détourner de lui. Allons plus, loin : Etienne était-il alors certain que le Seigneur voulût renverser le temple et supprimer les pratiques dites lévitiques ? Nous n'en avons nulle preuve. Certes, il a vu dans le christianisme une économie supérieure à celle de Moïse. Il aura sans doute insisté sur la nécessité de la repentance et de la foi pour le salut. Il aura déclaré le sanctuaire insuffisant, malgré sa gloire, pour sauver une seule âme au « jour du Seigneur. » Mais il ne pouvait guère aller plus loin. Sa position est à peu près celle de Michée quand les chefs du peuple lui demandaient insidieusement : « L'Eternel n'est-il pas au milieu de nous ? » (Michée 3.11) ou celle de Jérémie assailli par ce cri de ses contemporains : « Le temple de l'Eternel ! le temple de l'Eternel ! » (Jérémie 7.4) Aujourd'hui encore Israël met sa confiance dans des bâtiments et dans des institutions, et il se détourne du vrai sanctuaire. Etienne, comme les prophètes, sépare la cause du peuple de Dieu de celle d'un code et même d'un temple. Pour les gardiens attitrés de ce temple et de ce code, une telle prétention est un blasphème, et la loi dont ils sont les acharnés soutiens punit de mort les blasphémateurs. Nous ne devons pas perdre de vue cet état de la question, si nous voulons comprendre et le débat maintenant pendant et l'issue tragique à laquelle il aboutit.

7.1   Le jugement va donc suivre son cours. Le grand prêtre, président du sanhédrin, donne la parole au prévenu par une question officielle : Est-ce que ces choses se comportent ainsi ? En d'autres termes : As-tu fait, as-tu dit ce dont tu es accusé ? Il y a dans la brièveté de l'interrogation comme une intention de brusquer la réponse, et de contraindre cet homme à face d'ange à faire entendre sa voix. Etienne, au surplus, est tout prêt ; il réclame seulement l'attention : Hommes frères et pères, écoutez-moi !

Arrêtons-nous un moment au seuil de cette apologie, et essayons de résoudre deux questions préliminaires, l'une portant plutôt sur la forme, l'autre sur le fond même.

Comment, a-t-on demandé, l'auteur du livre des Actes a-t-il eu connaissance de ce discours ? La réponse me paraît fournie par les précédentes comparutions des apôtres devant le sanhédrin. Saul de Tarse, avons-nous vu, pouvait assister à la séance, ou comme membre de l'assemblée, ou comme élève de Gamaliel admis à l'audience, à la façon dont nos étudiants en droit viennent s'asseoir au tribunal. Un fait, à ce propos, mérite d'être noté. Dès ce moment, dans notre livre, nous n'entendrons plus parler du sanhédrin, jusqu'au moment où Paul reparaîtra devant ce corps comme accusé : alors nous aurons des détails, des comptes rendus minutieux. Ne dirait-on pas d'une relation particulière entre notre auteur et saint Paul, spécialement lorsqu'il s'agit du sanhédrin ? Le jeune élève de Gamaliel aurait-il pris des notes pendant le discours d'Etienne ? Peut-être. Nous savons au reste plus d'un cas où des adhérents secrets du christianisme se sont trouvés jusque chez les greffiers des tribunaux. On parle de soldats païens qui auraient reçu des sommes importantes, pour transcrire et pour livrer à l'Eglise les délibérations de certains procès4.

La seconde question est plus grave : peut-on attribuer à un prévenu chrétien un discours pareil en une telle circonstance ? Etienne, dit-on, ne répond nullement aux accusations lancées contre lui ; il devait prononcer une apologie, il fait de l'histoire. -- Observons-le cependant : Juif s'adressant à des Juifs, Etienne n'avait point à suivre les principes oratoires de Cicéron ni de Quintilien. Un orateur hébreu fera surtout appel aux analogies, aux paraboles, aux interprétations allégoriques ou même mystiques. Si nous découvrons ces caractères dans le discours d'Etienne, -- et nous les découvrons, en effet, -- nous ne saurions nous en étonner. Baur le faisait déjà remarquer5 : le diacre accusé veut montrer par l'histoire la constante hostilité d'Israël en face des révélations de Dieu, d'où résulte son incompétence pour condamner un disciple de ces révélations. Cette observation ne suffit pas pour expliquer tout le discours ; elle est juste pourtant ; et Holtzmann eût bien fait de s'en inspirer, au lieu de voir dans notre apologie une composition tardive d'un auteur inconnu et probablement essénien. Hackett, au contraire, nous semble beaucoup plus dans la vérité en signalant deux idées centrales de la défense d'Etienne :

  1. les charges relevées contre lui reposent sur une vue fausse des dispensations de Dieu dans l'ancienne alliance ;
  2. les Juifs d'aujourd'hui conservent l'esprit rebelle de leurs pères et n'ont pas pour la loi un zèle réellement pur.
Avouons-le franchement : le compositeur postérieur rêvé par la critique eût donné à cette apologie une forme beaucoup moins critiquable. Il aurait évité l'histoire et cherché la discussion ; il aurait prêté à l'accusé de tout autres arguments ; Etienne, sous sa plume, aurait au moins tâché de se défendre. Et c'est, il faut en convenir, un des traits communs à tous ces écrivains pseudonymes inventés par la science négative : ce sont, en général, de grands maladroits.

Lisons donc sans parti pris le texte du discours, et tâchons d'en dégager un fil conducteur.

Pour arriver à condamner Etienne, le sanhédrin veut recourir aux armes dont les pères se sont servis pour condamner les prophètes. Il s'appuie sur des privilèges soi-disant inviolables, sur une alliance prétendue indissoluble avec l'Eternel. Son erreur est complète. Alliance et privilèges sont devenus caducs par la rébellion d'Israël, et l'histoire de ce peuple est aujourd'hui déjà l'histoire de sa déchéance. Sa foi même, pure au temps d'Abraham, a fini par se matérialiser. Il a confondu la majesté de Dieu avec la permanence des institutions théocratiques ; admettre un progrès, une transformation de ces institutions lui apparaît comme un sacrilège ; devenu infidèle, il ne veut pas laisser parvenir à un autre peuple les grâces dont il s'est dépouillé. Ce sont là des faits indéniables. Etienne, en racontant cette histoire, ne manquera de respect ni à Jahveh, ni à Moïse, ni à ses concitoyens ; mais il justifiera de point en point l'enseignement évangélique, tout en se lavant de tout reproche d'impiété...En quoi donc cette marche est-elle si contraire aux exigences de la situation ? En quoi dément-elle la réputation de sagesse faite au diacre Etienne ?

Son discours peut se diviser en trois parties principales, correspondant à trois périodes de l'histoire :

  • a) époque des patriarches, versets 2-16 ;
  • b) époque de Moïse, versets 17-43 ;
  • c) époque de David et de Salomon, versets 44-50.
Une quatrième partie devait venir sans doute et retracer l'histoire du Christ ; la rage folle du sanhédrin l'a étouffée dès le début. Ne l'oublions pas, toutefois ; le but de l'orateur n'est pas le récit lui-même, c'est l'enseignement apologétique tiré du récit et résumé dans cette affirmation : Dieu n'a jamais voulu se lier vis-à-vis de son peuple par une forme exclusive ni par un lieu unique de culte. Là est l'essentiel ; si la rigoureuse exactitude historique fait défaut quelquefois, nous n'aurons pas à nous en scandaliser.
a) Époque des patriarches. Versets 2 à 16.
7.2   Le moi, si haïssable, dit Pascal, ne paraît dans ce discours ni au commencement, ni à la fin, ni nulle part. Etienne n'a pas même dit : Ecoutez-moi ! Il dit seulement : « Ecoutez ! » et il tourne d'emblée l'attention de ses auditeurs vers le Dieu de gloire, vers ce Dieu environné de sainteté et de puissance, comme d'une splendeur rayonnant dans tout l'univers. Nous voudrions nous borner à admirer, en nous laissant entraîner au cours des récits. Des difficultés, malheureusement, surgissent aussitôt et nous obligent à discuter.

Dieu, dit l'orateur, apparut à notre père Abraham, lorsqu'il se trouvait en Mésopotamie, avant qu'il habitât à Charan, et il lui dit : Sors de ton pays et de ta parenté. Cet ordre se lit Genèse 12.1 ; mais là il est placé après et non avant l'arrivée du patriarche à Charan. Il est vrai. Si pourtant nous lisons Genèse 15.7 ; Néhémie 9.7, nous y trouverons l'affirmation que Dieu a « fait sortir Abraham d'Ur. » Si donc le père des croyants a quitté Ur de Chaldée, c'est déjà par obéissance à une vocation, à un ordre de Dieu ; cet ordre l'a conduit à Charan et y fut renouvelé6. Etienne, sur ce point, ne commet pas une erreur.

7.4   N'en commet-il point quand il fait mourir le père d'Abraham à Charan même, avant le départ du patriarche pour Canaan ? D'après Genèse 11.26, Térach était âgé de 70 ans avant la naissance d'Abraham, de Nachor et de Haran ; d'après 11.32, il vécut 205 ans7 ; enfin 12.4 donne 75 ans à Abraham au départ de Charan. Dès lors, au moment de ce départ, Térach est âgé de 70 + 75 = 145 ans et il ne peut pas être mort ; il lui reste au contraire à vivre 205 - 145 = 60 ans. La difficulté est réelle. Bengel, pour s'en tirer, reproduit une tradition d'après laquelle Abraham, dans sa piété filiale, se serait considéré comme vivant encore, non dans Canaan, mais à Charan, jusqu'au dernier jour de son père : « Abram, dum Thara vixit in Haran, domum quodammodo paternam habuit in Haran, in terra Canaan dun-taxat peregrinus agens ; mortuo autem pâtre, plane in terrâ Canaan domum unice habere caepit. » Explication bien cherchée, me semble-t-il, et peu admissible. -- A entendre les rabbins, Térach serait retombé dans l'idolâtrie et dès lors aurait été mort au sens spirituel. Le texte, évidemment, ne conduit pas à cette idée. -- Il soutiendrait mieux, peut-être, celle de Baumgarten. D'après ce docteur, la Genèse raconte la mort de Térach avant le départ d'Abraham, pour nous amener à considérer désormais ce dernier comme distinct absolument de son père et engagé dans de tout autres relations. -- Une interprétation plus simple se présente. Genèse 11.26 nomme bien Abram en tête des trois fils de Térach ; il n'en suit pas nécessairement qu'il ait été l'aîné ; il a été seulement le plus important, et de beaucoup. De même Genèse 5.32 nomme Japhet le dernier des trois fils de Noé ; il était cependant l'aîné. (comparez 10.21). Nous voyons 11.29 Milca, fille de Haran, épouser Nachor, son oncle : Haran ne peut guère avoir été le cadet des trois frères. Supposons-le l'aîné, au contraire, lui qui mourut le premier des trois (11.28) ; Abram peut avoir été le cadet. Admettons -- à cette époque cela n'était point extraordinaire -- 60 ans d'intervalle entre la naissance de Haran et celle d'Abram. Térach alors, au moment où Abram quitta Charan, serait arrivé à 70 + 60 + 75 = 205 ans, c'est-à-dire à l'année de sa mort. Ces conclusions, admises par Hackett, ne sont pas certaines, nous en convenons ; elles sont possibles ; nous ne pouvons en demander plus.

Revenons au récit d'Etienne. Il montre Abraham transporté dans la terre de Canaan où vous aussi, dit-il, vous habitez maintenant8. -- Là, le patriarche ne posséda pas le moindre héritage ; Dieu ne lui donna pas même l'espace où la plante du pied peut fouler le sol, βῆμα ποδός . Certes l'achat du terrain attenant à la grotte de Macpéla ne contredit pas cette assertion ; cet achat lui procurait une sépulture, non pas une demeure, et ce n'était d'ailleurs pas un don. Restait une promesse : Dieu promit de la donner (cette terre de Canaan) en possession 9 à lui et à sa postérité après lui, alors qu'il n'avait pas d'enfant. Puis une prophétie menaçante : Mais Dieu parla ainsi : Sa postérité sera nomade en terre étrangère ; et on l'asservira et on la maltraitera quatre cents ans.

Ici, troisième difficulté. Elle ne provient pas de la différence entre 400 ans, chiffre donné maintenant, et 430, indication de Exode 12.40, la différence est peu importante, mais bien de la comparaison avec Galates 3.17, où le chiffre 430 marque l'intervalle entre la promesse faite à Abraham et la promulgation de la loi du Sinaï. Or, de ces 430 ans notés par l'apôtre nous devons déduire : 25 ans entre l'arrivée d'Abraham en Canaan et la naissance d'Isaac ; 60 de la naissance d'Isaac à celle de Jacob ; 130 de la naissance de Jacob à son arrivée en Egypte (Genèse 47.9), soit un total de 215 ans ; dès lors la durée du séjour d'Israël en Egypte serait réduite à 430 -- 215 = 215 ans. Que deviennent les 400 indiqués par Etienne ? Maints arrangements ont été essayés ; je n'en connais pas un de satisfaisant, et une conclusion me paraît s'imposer : les Juifs, au temps d'Etienne, devaient avoir deux manières différentes de compter la période du séjour de leurs pères en Egypte. Peu importait à Etienne, étant donné le but de son discours, lequel des deux calculs il adoptait. Peut-être donnait-on le titre général de « période de la servitude » à l'ensemble des 430 ans compris entre la vocation d'Abraham et l'exode ; mais cela n'est pas démontré.

7.7   Quatrième difficulté historique, toujours dans l'époque des patriarches : Quant à la nation à laquelle ils (les pères) seront asservis, je la jugerai, moi, dit Dieu, et après ces choses ils sortiront et ils me serviront en ce lieu. Ces paroles ont été adressées du buisson ardent à Moïse et non pas à Abraham. Le τόπος οὗτος, dans Exode 3.22, désigne le mont Horeb ; Etienne l'applique à la terre de Canaan, et peut-être au temple. Il a pu, sans doute, dans l'émotion et la rapidité du discours, se permettre ces transpositions sans y voir une grande importance. Ou bien sa pensée aura été entraînée, en considérant le rapport étroit qui reliait le service de Jahveh au pied d'Horeb et ce même service en Canaan, et l'idée à retenir serait celle-ci : comme Moïse, a servi l'Eternel en Horeb, ainsi Abraham et ses descendants lui ont rendu un culte en Canaan. Bengel paraphrase dans ce sens : « Oracula ad Abram et Mosem facta Stephanus contexit, hoc sensu : Exibunt ex terra servitutis et venient in Horeb, et servient Domino in hoc loco ; et inde venient in terram Canaan et Domino servient. » A juger rigoureusement, ces interprétations n'enlèvent pas la difficulté, nous en convenons. Mais une réflexion s'impose à un esprit non prévenu. Pourquoi, dans aucune des occasions où Etienne s'écarte des textes de l'Ancien Testament, n'est-il arrêté, corrigé, conspué peut-être par ses juges ? On n'attribuera pas ce silence à la mansuétude du sanhédrin. N'y aurait-il pas eu, bien plutôt, chez les Juifs les plus orthodoxes d'alors, une tradition généralement répandue, différant sur certains points des récits du Pentateuque pris littéralement, ou les expliquant tout au moins un peu autrement que nous ? Si l'orateur se range à cette tradition, adopte ces explications, le tribunal ne peut pas lui retirer la parole.

7.8   Etienne arrive maintenant à l'institution de la circoncision. Il y voit un don de Dieu (ἔδωκεν) à Abraham ; et certes rien n'obligeait le Seigneur à contracter cette alliance (διαθήκην) avec son serviteur. Mais tout devait être grâce dans ces origines du peuple de la promesse. Et ainsi (οὔτοω ; un an après avoir été circoncis lui-même, Genèse 17.24), il engendra Isaac et il le circoncit. Il suffira du reste à Etienne de mentionner Isaac ; il ne racontera pas son histoire. Celle d'Abraham établissait bien assez fortement sa thèse, savoir la volonté de Dieu de suivre une marche lente et prolongée pour former le peuple élu. Dix étapes successives de cette marche viennent d'être rappelées : vocation du patriarche en Chaldée, migration à Charan, mort de Térach, migration en Canaan, établissement ou plutôt séjour nomade dans ce pays, attente de vingt-cinq années, annonce des souffrances d'Israël, alliance de la circoncision, naissance d'Isaac, sa circoncision. Voilà comment le « Dieu de gloire » a procédé jadis. Pourquoi vouloir aujourd'hui le lier, comme de force, à certains sanctuaires ou bien à des formes religieuses immuables, comme s'il ne devait plus jamais adopter sa conduite d'autrefois ?

7.9   Bien des traits de l'histoire d'Abraham se retrouvent, au point de vue théocratique, dans celle de Jacob. Etienne l'aborde maintenant, pour la concentrer dans celle de Joseph. Car les haines des frères de Joseph peuvent être tenues pour un type de celles des Juifs contre le Messie. Jaloux de leur cadet, les patriarches le vendent ; il est emmené en Egypte. Mais Dieu l'y accompagne, le délivre de ses multiples angoisses, lui fait trouver grâce10 devant le roi Pharaon, le revêt d'une sagesse extraordinaire, l'établit enfin presque sur le trône d'Egypte ; il deviendra alors le maître et surtout le pourvoyeur de sa propre famille. -- La famine, en effet, éclate en Canaan comme en Egypte ; les fils de Jacob n'y trouvent plus de provisions11. Il y a pourtant du blé12 dans le pays de Pharaon ; le vieux patriarche l'apprend ; il y envoie ses fils une première fois. Une seconde mission est bientôt nécessaire, et dans cette seconde rencontre seulement Joseph est reconnu de ses frères. Toujours la marche lentement progressive voulue par Dieu dans ses révélations. Alors aussi Pharaon prend connaissance de la famille de Joseph et découvre en même temps son origine hébraïque13. Le vice-roi, aussitôt, veut devenir le bienfaiteur de tous les siens ; il appelle auprès de lui Jacob et sa famille entière (littéralement sa parenté, συγγένεια), au total de soixante-quinze âmes.

Une cinquième difficulté surgit à ce propos. Ce chiffre de 75 est conforme à celui de Genèse 46.27, d'après le texte des Septante. Mais le texte hébreu donne dans ce passage et dans Exode 1.5 le chiffre de 70. Genèse 46.26 commence par indiquer 66 personnes, puis ajoute Jacob, Joseph et ses 2 fils, en tout 70. Deutéronome 10.22 compte aussi 70 seulement. D'où vient le nombre 75 ? Dans Genèse 46.26, les Septante ajoutent aux 66 âmes de la famille de Jacob 9 fils de Joseph nés en Egypte, et que nous voyons énumérés, en y comprenant des petits-fils, 1 Chroniques 7.14-22. Nous arriverions bien ainsi aux 75. Etienne aura probablement suivi la donnée des Septante, adoptée couramment de son temps. L'exactitude rigoureuse des chiffres importe moins, du reste, que le contraste entre les très petits débuts d'Israël et son développement considérable. Et, sans répéter la remarque générale faite à propos du verset 7, citons plutôt les sages paroles de Reuss : « Ces changements ne sont dus ni à une erreur d'Etienne ni à une méprise du rédacteur. Ils représentent la forme populaire de l'histoire, telle qu'elle se transmettait alors dans les écoles. Les livres du Nouveau Testament contiennent beaucoup d'exemples de ce fait14. »

7.15   Cette phrase s'applique naturellement encore à notre sixième et à notre septième difficulté, contenues dans le verset 16. Etienne mentionne rapidement la descente de Jacob en Egypte, sa mort et celle de ses fils, puis il continue : (7.16  ) Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu'Abraham avait acheté à prix d'argent des fils de Hemmor à Sichem. D'où résultent deux divergences d'avec les textes hébreux :

  1. D'après Etienne tous les patriarches, Jacob y compris, ont été inhumés à Sichem. Suivant Genèse 50.13, le corps de Jacob fut déposé à Macpéla ; Josué 24.32 fait bien inhumer à Sichem les os de Joseph, mais ne dit rien de la sépulture de ses frères.
  2. D'après Etienne, le sépulcre des patriarches avait été acheté par Abraham aux fils de Hemmor. Suivant Genèse 33.19, cet achat fut fait par Jacob. Abraham avait bien, lui aussi, acquis un terrain pour une sépulture ; mais il l'avait acheté de Héphron, le Héthien, vis-à-vis de Mamré et non à Sichem. (Genèse 23.3-20)
Comment concilier ces contradictions sans admettre chez Etienne une interprétation oratoire, mais non mathématiquement exacte, des récits historiques ? Une tradition des rabbins fait inhumer à Sichem les douze patriarches et non pas seulement Joseph ; il n'y a rien d'impossible dans cette donnée. Josèphe place à Hébron le tombeau de Jacob15. Au dire de Jérôme, on montrait à Sichem le sépulcre des douze patriarches. Sur ces points donc, Etienne avait pour lui diverses autorités. A-t-il commis une erreur à propos de l'achat du terrain ? Calvin l'admet franchement : « Quod autem subjicit, postea fuisse in sepulcro positos, quod emerat Abraham a filiis Hemor, in nomine Abrahae erratum esse palam est...Quare hic locus corrigendus est. » Après tout, Etienne n'a pas prétendu à l'infaillibilité. Notre texte non plus n'est pas infaillible, et c'est là plutôt que je serais porté à reconnaître une faute. Il suffirait de retrancher Ἀβραάμ après ὠνήσατο pour enlever la difficulté. On traduirait alors : Le sépulcre qu'on acheta (ὠνήσατο au moyen), ou bien, en lisant  : Le sépulcre qui fut acheté. C'est l'avis proposé par Hackett. Quant à lire : ἀργυρίου καὶ ἐν ἐκεινῳ ὁ ὠνήσατο παρὰ τῶν ὑιῶν ...c'est décidément prendre trop de libertés avec un texte où les variantes se réduisent à une seule (ἐν Συχέμ de א, B, C est remplacé dans A, E par τοῦ Συχέμ).

Avant de passer à la seconde partie du discours d'Etienne, relevons sa réserve, habile sans être infidèle. Maintes applications de l'histoire de Joseph à celle de Jésus se présentaient assurément à lui. Il les suppose, les indique, à peine, n'y insiste point ; et il fera de même dans la suite.

b) Epoque de Moïse. Versets 17-43.

7.17  . Les ennemis d'Etienne prétendaient, pour le condamner, s'appuyer légitimement sur l'autorité de Moïse. Le diacre s'arrêtera donc plus longuement sur l'époque mosaïque, et il montrera dans ce libérateur d'Israël un instrument préparé par Dieu comme en cachette, amené peu à peu à se charger de sa tâche énorme, et laissant paraître dans toute sa carrière la gloire de Javeh seul : Dans les circonstances où (καθὼς) s'approchait le temps de [l'accomplissement de] la promesse que Dieu avait promise16 à Abraham, (7.18  ) le peuple s'accrut et fut augmenté en Egypte jusqu'au moment où se leva un autre roi. Ce monarque était probablement un Amosis de la XVIIIe dynastie. -- Pour essayer de détruire la race israélite, il employa la ruse17 et les mauvais traitements contre les pères pour faire (rendre) leurs enfants exposés pour n'être pas conservés vivants18. L'expression τοῦ ποεῖν pourrait, surtout dans le grec postérieur, amener ce sens de la phrase : « Il les maltraita de telle sorte qu'ils exposèrent leurs enfants. » Mais, en fait, nous ne voyons pas des nouveau-nés hébreux exposés sur le Nil pour y périr ; si Moïse le fut, c'était pour échapper à la mort. Laissons donc au τοῦ devant l'infinitif son sens télique et traduisons : Il les maltraita, afin de les amener à,...C'était le but de Pharaon : pousser des parents, à force de souffrances, à faire mourir leurs enfants pour leur éviter un sort aussi affreux. Mais il n'y réussit pas.

7.20   A ce moment de grande angoisse, Moïse naquit. Sa beauté exceptionnelle est représentée comme remarquée de Dieu même, ou peut-être consacrée à Dieu. Le texte dit simplement et noblement : Il était beau19 à Dieu. Ainsi est-il dit de Ninive : « Elle était une ville grande à Dieu. » (Jonas 3.3, texte des Septante), et, dans un sens analogue, de Jésus enfant : Πρόεκοπτεν τῇ σοφιᾶ ...καὶ ἡλικίᾳ παρὰ θεῶ). (Luc 2.52) La beauté du petit Moïse est célébrée aussi par Josèphe : « On se retournait dans la rue, dit-il, et l'on abandonnait ses affaires pour le voir passer. 20 »

Cet enfant, cependant, ne put rester plus de trois mois dans la maison paternelle. Exposé sur le Nil, il est emporté (ἀνείλατο 21) par la fille de Pharaon et nourri par elle comme son propre fils (littéralement : pour elle-même en tant que fils). Il ne fut pas seulement nourri ; il fut aussi instruit, de manière à posséder toute la sagesse du pays des Pharaons. Les jeunes Egyptiens, les futurs prêtres surtout, suivaient alors volontiers l'université d'Héliopolis. Ils y recevaient des enseignements, distingués pour l'époque, sur la théologie, la médecine, le droit, les mathématiques, l'astronomie et l'histoire naturelle. Les plus récents travaux de l'égyptologie ont établi ces données presque avec certitude, et nous permettent ainsi d'entrevoir le sens de ces mots : πασῇ σοφιᾴ Αἰγυπτίων . Moïse se préparait de la sorte, à son insu, à devenir tout ensemble le législateur et le guide de son peuple, non seulement à travers le désert, mais pour les siècles à venir22. Cette éducation porta ses fruits. Il fut puissant par ses paroles et par ses œuvres. Le passage Exode 4.10 nous le montre, il est vrai, affecté d'un langage difficile. Cela ne veut pourtant pas dire qu'il fût bègue. Sa parole pouvait n'être pas aisée et coulante, sans perdre pour cela sa puissance ; d'ailleurs, Moïse n'a-t-il en rien exagéré les difficultés de son élocution, pour mieux se dispenser d'obéir à l'appel de Dieu ?

7.23   Revenons à son histoire, avec notre orateur. Comme se remplissait pour lui un temps de quarante années (ce chiffre n'est pas indiqué dans l'Exode), alors monta à son cœur de surveiller ses frères, les fils d'Israël. L'expression ἀνέβη ἐπὶ τὴν καρδίαν est la traduction exacte de עָלָה עַל לֵב (comparez Jérémie 3.16.) L'âge donné par Etienne à Moïse à ce moment ne contredit en rien celui de quatre-vingts ans que Exode 7.7 lui attribue au jour où il comparaît devant Pharaon ; et, si la vie totale de ce législateur est partagée de la sorte en trois périodes de quarante années chacune, nous ne voyons pas en quoi cela pourrait être impossible. (7.24  ) Un trait tient manifestement au cœur d'Etienne : il lui importe d'établir l'insuccès de Moïse à l'instant où il voulut délivrer, de son propre mouvement, son peuple opprimé : il échoua, au point d'être obligé de se cacher, et Dieu dut l'aller prendre dans sa retraite ignorée, comme il avait pris jadis Abraham du sein des païens. Moïse, en face d'une injustice subie par un de ses frères, s'est érigé en défenseur et en vengeur, sans en avoir reçu l'ordre d'en haut23. Ce fut son tort ; on ne comprit point son acte ni ses projets ; on ne vit point, comme il s'en était flatté, un salut donné de Dieu par ses mains à ses concitoyens. (De même, ajoute peut-être Etienne en son esprit, les Juifs d'aujourd'hui ne veulent pas s'apercevoir que Dieu, en Jésus-Christ, leur apportait le salut.) -- Le lendemain, Moïse leur apparut (à ses concitoyens) comme ils se battaient, et il les réconcilia (voulut les réconcilier24) en vue de la paix en leur disant... L'Exode parle de deux Israélites seulement rencontrés alors par Moïse. Etienne s'inquiète peu du chiffre ; il lui suffit d'établir l'inutilité de cette seconde intervention volontaire de Moïse. Comment reconnaître, en effet, la volonté de Dieu dans les efforts d'un meurtrier, malgré sa bienveillante interpellation (non citée dans l'Exode) : Hommes, vous êtes frères ? Le plus coupable en apparence des deux combattants est le premier à répondre, en repoussant Moïse : « Qui t'a établi chef et juge sur nous ? »

7.29   Moïse épouvanté s'enfuit ἐν τῷ λόγῳ τούτῳ en cette parole, c'est-à-dire dans l'impression produite sur lui par cette réponse. Il devient étranger dans le pays de Madian. Là, deux fils lui sont donnés ; sa vie s'écoule loin de son peuple, pour lequel il ne peut plus rien et dont il semble même perdre le souvenir. Pendant quarante nouvelles années, la délivrance s'éloigne encore ; Aaron ne paraît point agir en faveur des Hébreux.... Quelle application facile, n'est-il pas vrai ? aux circonstances dans lesquelles Etienne se trouve maintenant ! Avec une double différence néanmoins : le diacre n'a pas dû fuir loin de son peuple, et son peuple est en train de le rejeter.

7.30  . Soudain, au bout de quarante ans, la scène change ; Moïse ne songe point à quitter le lieu de sa retraite, mais Dieu veut l'en faire sortir. Un ange lui apparaît dans le désert de la montagne de Sina en flamme de feu de buisson ; donc « dans la flamme d'un buisson en feu. » L'Exode nomme ici Horeb, et non Sina ; et probablement Horeb était le nom de la chaîne entière dont, à parler plus rigoureusement, il formait le sommet septentrional, Sinaï en étant la pointe méridionale. Le terme Sinaï est spécial au Nouveau Testament. D'autre part, ce même nom paraît avoir été donné par les anciens à la chaîne entière ; ne cherchons donc pas une contradiction dans l'emploi des deux désignations : Horeb et Sina.

7.31   En présence de cette vision, Moïse s'étonne. Il s'approche pour tâcher de la comprendre, au moins pour la contempler à fond (κατανοῆσαι). La voix du Seigneur se fait alors entendre. -- Ce n'est plus celle d'un ange, c'est celle de Dieu lui-même, se révélant comme le Dieu des pères. Etienne, en interprétant comme il le fait l'angélophanie dont Moïse fut témoin, ne laisse-t-il pas deviner un temps où Jahveh s'est révélé par un autre lui-même, par le prophète promis jadis à Moïse (v. 37), par celui qui seul peut être appelé ἀπαύγασμα τῆσ δὸξης ἀυτοῦ  ? (Hébreux 1.3) N'oublions pas non plus l'application faite par Jésus à la doctrine de la résurrection, de ces paroles prononcées du buisson ardent. (Luc 20.37-38)

Moïse tremble à cette voix ; il ne songe plus à examiner ; il se prosterne. Mais ce ne sont pas ses paroles qu'Etienne veut rapporter, ce sont celles de Dieu, parce qu'elles établissent la solennité hors ligne de cette rencontre. -- Jahveh est descendu sur l'emplacement où Moïse se tient, et l'a sanctifié. Ce berger, en présence du Roi des rois, doit délier et enlever ses sandales ; ni boue ni sable du dehors ne souilleront la terre sacrée où l'Eternel apparaît. Est-ce en souvenir de cet ordre que les Samaritains entraient pieds nus dans leur sanctuaire de Garizim ? Et n'a-t-on pas attribué à Pythagore le fameux précepte : Ἀνυπόδητος θῦε καὶ προσκύνει  ? (7.34  ) Dieu, du reste, a encore un autre commandement à donner à son serviteur. Maintenant il veut le charger de délivrer les Hébreux, car il connaît bien leurs angoisses. Voyant j'ai vu -- exacte reproduction de l'hébreu רָאֹה רָאיתִי (Exode 3.7) -- le mauvais traitement de mon peuple en Egypte ; et leur gémissement, je l'ai entendu. Et je suis descendu pour les libérer. Et maintenant, viens ici ; je t'enverrai25 en Egypte. Pas un mot, du reste, sur les objections de Moïse ni sur les patientes réponses de Dieu ; cela n'entre pas dans le sujet d'Etienne. Mais une autre observation lui importe : Moïse avait été « renié » par Israël ; ce même Moïse, nullement un autre, a délivré Israël. On lui avait demandé : « Qui t'a établi chef et juge ? » Dieu a répondu en l'établissant chef et rédempteur, et en l'envoyant à son peuple avec26 (conduit par) la main de l'ange qui lui était apparu dans le buisson. Etienne insiste particulièrement sur l'identité entre le Moïse rejeté et le Moïse glorifié ; cela ressort du τοῦτον deux fois répété dans le même verset. L'allusion à l'histoire du Christ devient transparente. Accueilli lui aussi par l'ingratitude de son peuple, il a été orné de tous les dons de Dieu ; il a vécu dans un état caché et même abaissé, la gloire ceint désormais son front ; on l'a repoussé comme ἄρχων, il est devenu λυτρωτής גֹאֶל, titre appliqué à Dieu seul dans l'Ancien Testament et résumant par excellence l'œuvre de Jésus.

7.36   Moïse n'a pas failli à sa mission. Investi du pouvoir d'en haut, il a fait sortir d'Egypte les fils d'Israël, après avoir accompli des prodiges et des signes dans la terre d'Egypte et dans la mer Rouge et dans le désert pendant quarante ans. L'intéressante construction de ce verset semble indiquer l'exode d'Israël comme n'ayant pas été définitif avant les quarante ans du désert, et ce point de vue est assurément exact. -- Avant de quitter ses frères, Moïse leur a promis la venue, de la part de Dieu, d'un prophète semblable à lui. Et il n'y a point dans ce ὡς ἐμέ l'expression d'un naïf orgueil. Le législateur se sait assez l'homme de Dieu pour ne pouvoir annoncer comme le prophète de l'avenir un personnage différent essentiellement de lui27 : ce même Moïse encore est le devenu dans l'assemblée, dans le désert, avec l'ange qui parlait avec lui au mont Sina et avec nos pères ? Le sens nous paraît celui-ci : Moïse est devenu28 dans l'Eglise du désert un véritable médiateur entre l'ange de Jahveh et les enfants d'Israël, comme Jésus l'est aujourd'hui entre son Père et les croyants. Paul, dans ce même sens, donne à Moïse le nom de μεσίτης 29. Etienne le caractérise comme celui qui a reçu [de Dieu] des discours vivants pour nous les donnervous, si on lit ὑμῖν). Les révélations accordées au législateur étaient, au dire de ce diacre, des paroles vivantes ; pouvait-il mieux répondre à l'accusation de blasphème lancée contre lui ? La loi, à ses yeux, est vivante, car elle éveille la conscience et amène à Christ, quand même le péché prend occasion d'elle pour amener à la mort. (Romains 7.10)

7.39  . A ce Moïse, les pères n'ont pas voulu obéir. Ils l'ont repoussé. Dans leurs cœurs, ils se sont tournés en arrière du côté de l'Egypte, soit pour y retrouver des idoles, types du veau d'or, soit pour pouvoir mieux se livrer à leurs convoitises. (Nombres 11.5) Ils ont dit à Aaron : « Fais-nous des dieux,...car, pour ce Moïse30, nous ne savons ce qui lui est advenu. » La demande : (7.40  ) « Fais-nous des dieux » aboutit à la fabrication d'un veau d'or ; mais cette idole unique est bien le représentant de l'espèce. Et remarquons le juste jugement d'Etienne : en employant le pluriel du verbe (hapax) μοσχοπείεω et non pas le singulier, il attribue cette honte au peuple entier, non au seul Aaron.... Il ne convient pas non plus d'attribuer au sanhédrin seul la condamnation du Christ ; le peuple fut coupable au désert, il vient de l'être à Jérusalem et jusque dans ses colonies. Quant au veau d'or, nous pouvons voir en lui le bœuf Apis de Memphis ou le Mnevis d'Héliopolis, symbole du soleil divinisé31.

7.42   Le châtiment ne pouvait pas être indéfiniment écarté. Les Hébreux se sont détournés de Dieu ; Dieu s'est détourné32 des Hébreux. Ils l'ont abandonné pour servir un veau d'or ; Dieu les abandonne pour les laisser servir l'armée des cieux, la צְבָא־הַשָׁמַיִמ . Dégradation, non pas fatale, mais juste, dans la voie du péché ; une première idolâtrie conduit à une seconde, plus avilissante. Paul a dit des païens, employant le même verbe que notre texte : « Dieu les a livrés dans leurs passions...pour aboutir à la débauche. » (Romains 1.24) Cette punition terrible paraît en outre à l'orateur un accomplissement de la prophétie d'Amos 5.25-27. Il la cite librement d'après les Septante. Le texte hébreu de ces versets et surtout le contexte offrent un sens un peu différent. Le prophète voulait prouver à son peuple combien peu Dieu a besoin du culte ritualiste et des sacrifices lévitiques. Il établit cette vérité en rappelant les quarante années du désert. Souvent, pendant ce temps, le culte avait été délaissé ou transfiguré ; Dieu n'en avait pas moins supporté son peuple. Par une idée voisine de celle-là, Etienne complète, élargit la parole du prophète : Dieu ne consent pas à reconnaître comme offerts véritablement à lui-même des sacrifices présentés par des cœurs à moitié idolâtres. Il y avait certainement aussi parmi les adorateurs des cœurs droits et pieux ; toutefois ils formaient une petite minorité, et celle-ci disparaissait dans la masse des hypocrites. Oui, sans doute, Israël pendant ses migrations dans le désert, a offert des victimes33 et des sacrifices ; en fait, il ne les offrait pas à son Dieu. Oui, il a pris et porté le tabernacle de Jahveh ; en fait, il portait celui de Moloc ou de Milcom, désigné ironiquement dans le texte hébreu par מַלְכִכֶמ, car Israël avait été assez lâche pour faire effectivement son roi de cette odieuse divinité ammonite34, à laquelle on immolait de petits enfants. C'était peut-être le dieu du soleil ; d'autres y voient Saturne, mais cette dernière idole paraît plutôt représentée par Remphan, nom copte de Saturne et correspondant à l'hébreu כּיוּנ . (Les manuscrits grecs varient beaucoup sur la forme de ce nom. C : Ῥεφάν  ; A : Ῥαιφάν  ; B : Ῥομφᾶ  ; D : Ῥεμφάμ  ; Recepta : Ῥεμφάν .) Le Pentateuque, il est vrai, ne mentionne pas expressément un culte rendu dans le désert par les Hébreux à ces deux divinités. Toutefois lorsque nous lisons, Lévitique 18.21, l'interdiction spéciale de rendre un culte à Moloc, nous sommes amenés à supposer que le peuple y était particulièrement enclin ; cette défense peut avoir été l'origine de la tradition à laquelle Etienne se rattache. Et à la tente de Moloc, les Israélites joignaient l'astre de Remphan, c'est-à-dire une représentation plus ou moins grossière de Saturne, comme étoile ou comme divinité, ainsi que l'indiquent clairement les mots : τοὺς τύπους οὕς ἐποιήσατε ...

A ces transgresseurs Dieu a dénoncé le châtiment : Je vous transférerai au delà de Babylone35...Mais non ; Amos n'a point dit cela ; il a dit : « Au delà de Damas. » Etienne se permet donc de changer en une déportation à Babylone un exil à Damas ? Oui, sans doute, et l'orateur ne croit pas se jouer de l'histoire. L'idolâtrie du désert s'étant constamment répétée en s'aggravant, Etienne a le droit d'en trouver le châtiment dans la captivité de Babylone, bien autrement douloureuse et grave que celle de Damas. Convenons-en, du reste : un faussaire se fût bien gardé de prêter une telle erreur à un homme aussi versé dans la connaissance des textes sacrés, à un orateur juif parlant en présence du sanhédrin. Une critique superficielle pourra traiter de grossières des divergences de cette sorte ; elles témoignent, à mon sens, de la supériorité des Ecritures. Là, chaque livre, chaque auteur et chaque orateur courent vers le même but, sans se préoccuper de calquer les unes sur les autres leurs dépositions. En bonne justice, leur indépendance mutuelle les uns vis-à-vis des autres augmente notre confiance, loin de l'ébranler36.

c) Epoque de David et de Salomon. Versets 44-50.

Etienne, dans la seconde partie de son discours, vient d'établir sa thèse avec une force nouvelle : nulle considération de lieu ni de nation ne saurait lier Dieu, ni ralentir son œuvre. Et d'autre part, Israël n'a pas cessé de se montrer un peuple rebelle et contredisant. La troisième partie de l'apologie va confirmer cette démonstration, en concentrant la preuve autour du temple et de son histoire.

7.44   L'orateur y est amené fort naturellement par le souvenir du tabernacle, auquel il vient de faire allusion en parlant de la tente de Moloc. Le tabernacle était, devait être tout au moins « la tente du témoignage. » Il était avec les pères ; il était même à eux, leur ayant été donné comme un présent de Dieu, et construit directement d'après le plan montré par Dieu à Moïse. Israël, après l'avoir reçu37 des mains de son législateur, l'a introduit, sous la conduite de Josué, dans la prise de possession des nations que Dieu chassa de devant la face de nos pères, jusqu'aux jours de David. Ces derniers mots εὥς τῶν ἡμερῶν Δαυείδ pourraient grammaticalement se rapporter soit à ἐιςήγαγον, soit à ἐξῶσεν . L'idée, dans ce dernier cas, serait celle-ci : Dieu continua jusqu'aux jours de David l'expulsion des Cananéens. Le fait est incontestablement vrai ; mais Etienne me paraît insister sur une autre pensée. Il veut montrer la durée, relativement courte, du culte célébré dans le tabernacle ; elle ne dépassa pas le règne de David, et déjà ce prince avait voulu remplacer la σκηνή par un σκήνωμα par une habitation plus solide et plus durable, mais rappelant cependant la première. (Vers. 46.) Le sens de notre verset sera donc : « Nos pères, ayant reçu le tabernacle des mains de Moïse, l'ont pris avec eux pendant qu'ils s'emparaient, sous la conduite de Josué, du territoire des nations chassées par Dieu devant eux, et ils l'y ont laissé jusqu'aux jours de David. »

7.46   L'ancêtre royal du Christ est enfin nommé. Un premier fait doit être relevé à son sujet : il trouva grâce devant Dieu. Appuyé sur cette faveur, il demanda à trouver une habitation pour le Dieu38 de Jacob, un σκήνωμα, dit le texte, car le plus riche temple offert à l'Eternel tiendra toujours de la tente, mais pourtant une demeure relativement stable dans un pays conquis. En quelques mots, Etienne résume ici 2 Samuel 7.1-3 ; 1 Chroniques 22.7 ; Psaumes 132.1-5. Et remarquons la forme si humble : « Il demanda à trouver » pour dire : « Il chercha l'autorisation. » (7.47  ) David ne l'obtint pas. Il avait trouvé grâce ; il ne trouva pas la permission ; elle fut accordée à Salomon. Cependant, avec quelles réserves encore ! Bâtir à l'Eternel une maison, c'est une chose possible ; y faire habiter le Très-Haut, cela ne se peut pas ; jamais les mains des hommes n'enfermeront le Dieu présent partout, le Dieu-Esprit, auquel il faut des adorateurs en esprit et en vérité. (Jean 4.24) La prophétie déjà le donnait clairement à entendre. Etienne le prouve par Esaïe 66.1-2, et cette citation, faite d'après les Septante, est très habilement choisie. Sans jeter le moindre blâme sur l'œuvre de Salomon, elle établit l'impossibilité absolue pour l'Eternel de se confiner, si nous osons parler de la sorte, dans un lieu quelconque, tabernacle ou temple. N'a-t-il pas son trône dans le ciel et son marchepied sur la terre ? Il ne se fixera nulle part comme pour s'y reposer ; sa main a fait toutes choses, même les palais où l'on voudra l'adorer. Etienne, jusqu'ici, ne s'est point écarté de la marche adoptée par lui. Dans un langage très calme, très sobre, suffisamment complet, il a exposé le progrès lent des révélations de Dieu, procédant volontiers par répétitions, afin de mieux attirer l'attention des hommes. Joseph se fait reconnaître de ses frères à leur seconde visite, non pas à la première. Moïse échoue dans la première circonstance où il veut être accepté par son peuple comme un libérateur ; il réussit à la seconde seulement. Il n'est pas, d'ailleurs, le prophète par excellence ; un autre viendra après lui et méritera ce titre. L'Eternel a d'abord consenti à habiter dans une tente au désert ; plus tard il a fait reposer son nom dans le temple de Salomon. Toujours peu à peu en avant. Où trouver donc le moindre droit de rejeter le Christ, parce que son apparition dans le monde a été dépourvue d'éclat ? Rien de plus sagement, de plus délicatement amené.

7.51   Et tout d'un coup, Etienne abandonne son exposé méthodique pour se lancer dans une brusque apostrophe, où il emploie les termes les moins pondérés. A-t-il surpris chez ses auditeurs des marques d'impatience, qui l'auront poussé à hâter le dénouement ? Cela se peut, sans être nécessaire pour expliquer cet éclat. Etienne, n'est-ce pas ? a voulu montrer dans le passé le miroir fidèle du présent. L'Israël d'aujourd'hui veut, comme ses pères, s'attacher à tout prix aux choses visibles et passagères, en dépit des enseignements reçus. Eh bien, c'est une preuve certaine d'opiniâtreté et de dureté de cœur. Se cramponner fiévreusement aux pierres d'un temple, aux cérémonies extérieures d'un culte, c'est endurcissement ou folie, peut-être tous les deux. Israël donc en général, et surtout les membres du sanhédrin, méritent d'être appelés σκληροτράχηλοι, « gens au cou roide. » Ils ont secoué le joug de cette loi dont ils semblent si fiers ; ils ont rejeté et condamné le seul qui l'eût réellement accomplie. Etienne avait le droit et le devoir de dire tout cela à ses juges ; il pouvait d'accusé devenir accusateur, d'historien prophète. Les sanhédristes, si fiers de leurs multiples privilèges, sont en réalité des « incirconcis de cœur et d'oreilles ; » leurs cœurs et leurs oreilles sont encore païens. (Comparez des expressions analogues Lévitique 26.41 et Jérémie 9.25.) Toujours, continue-t-il, vous avez été rebelles39 à l'Esprit-Saint ; comme vos pères [ont été], vous aussi [vous êtes]. Les pères ont persécuté les prophètes ; ils ont mis à mort ceux qui annonçaient à l'avance au sujet de la venue du Juste, duquel maintenant vous êtes devenus traîtres (livreurs) et meurtriers, vous qui avez reçu la loi εἰς διαταγὰς ἀγγέλων .

7.53   Comment entendre cette dernière expression ? Est-il question d'ordonnances ou de dispositions établies par des anges ? Calvin traduit littéralement : « In dispositionibus angelorum. » Bengel : « Legem eo habendam loco quo habendo essent constitutiones angelorum. » Meyer : « Respectu angelorum. » Lechler à peu près comme Bengel : « En sorte que la loi devait être estimée comme un commandement d'anges. » Rilliet : « Vous qui avez reçu la loi comme des commandements d'anges. » Oltramare et Stapfer : « Sur les ordres des anges, » et Segond à peu près de même. -- Le mot διατάγη (chez les classiques διατάξις) signifie : disposition, ordonnance, comme Romains 13.2. L'idée d'Etienne ici paraît être celle de Paul dans Galates 3.19, où il dit de la loi : διατγεὶς δι’ ἀγγέλων, ou celle de Hébreux 2.2 : ὁ δι’ ἀγγέλων λαληθεὶς λόγος  ; et cette idée, à son tour, dérive probablement de la façon dont les Septante interprétaient Deutéronome 33.2 : « L'Eternel est venu de Sinaï...Il est sorti du milieu des saintes myriades ; il leur a de sa droite envoyé le feu de sa loi 40. » Josèphe aussi s'est fait l'écho de cette tradition et nomme les anges comme des intermédiaires dont Dieu s'est servi pour faire apprendre la loi à son peuple41. Et si le texte de l'Exode, aux chapitres 19 et 20, ne mentionne pas cette intervention, nous ne saurions cependant la déclarer en désaccord avec l'enseignement biblique sur le rôle des anges, appelés λειτουργικὰ πνεύματα Hébreux 1.14. Aussi admettons-nous la dernière parole de l'apologie d'Etienne comme la relation d'un fait vrai, et nous la traduirons : Vous qui avez reçu la loi en relation avec des ordonnances d'anges, et vous ne l'avez pas gardée. Nous donnons de la sorte à εἰς s :s le sens : « eu égard à, » -- en vue de, » -- « en relation avec, » sens appuyé par Matthieu 12.41 : Μετενόησαν εἰς τὸ κήρυγμα Ἰωνᾶ, et par Romains 4.20 : Εἰς τὴν ἐπαγγελίαν οὐ διεκρίθη . La loi provenait de Dieu seul ; il a pourtant voulu se servir des anges pour la promulguer et pour l'inculquer aux Hébreux. C'était en rehausser encore la valeur ; la repousser, c'est être plus coupable.

7.54   A ce point si grave de son discours, Etienne voulait probablement tourner ses auditeurs vers Jésus par un dernier appel, comme Pierre avait toujours eu soin de le faire. On ne lui en laisse pas le temps ; la colère du sanhédrin fait explosion. Les coups de l'orateur ont porté juste, et l'on ne veut pas s'avouer vaincu. Les juges sont déjà déchirés dans leurs cœurs non par les remords, mais par la rage ; ils la laissent voir en grinçant les dents contre l'accusé. Leur fureur du reste, ne parvient pas à troubler le confesseur de Jésus ; le Saint-Esprit habite toujours en lui. Etienne tourne ses regards vers le ciel ; il voit la majesté de Dieu en la personne de Jésus debout à sa droite. Les yeux de ses juges ne sauraient contempler ce spectacle, car ils ne sont pas ouverts par le Saint-Esprit. Mais à lui, dont le discours entier a proclamé le « Dieu de gloire » (v. 2), cette gloire peut se manifester ; et il la proclame aussitôt, oubliant sa position d'accusé, oubliant la mort qui l'attend. -- Il se perd, en quelque sorte, dans une contemplation céleste. Je vois, s'écrie-t-il, les cieux ouverts et le Fils de l'homme se tenant debout à la droite de Dieu. Matthieu 26.64 ; Marc 16.19 nous montrent Jésus assis aux côtés de l'Eternel ; Etienne le voit debout, levé de son trône, prêt à recevoir son témoin fidèle et venant à sa rencontre. Ce n'est pas tout : Etienne lui donne le titre par lequel il se désignait lui-même, celui de Fils de l'homme, et non celui de Fils de Dieu, dont les disciples se servaient habituellement pendant le ministère de Jésus. Il peut y avoir là une réminiscence de Daniel 7.13-14. Il y a surtout une solennelle et bienfaisante proclamation de l'humanité de Jésus ; le martyr voit en lui son frère. Enfin, aucune autre vision du ciel ouvert n'avait produit jusqu'alors un tel sentiment de paix. Esaïe avait tremblé ; Ezéchiel avait été stupéfait ; Etienne triomphe, car le ciel, pour lui, c'est Jésus-Christ.

7.57   Les juges ne veulent pas entendre une seconde fois cette confession. Ils crient pour l'étouffer ; ils se bouchent les oreilles ; le pauvre diacre n'est plus un prévenu, c'est une victime : il faut l'immoler au plus tôt. D'un mouvement unanime, perdant toute dignité ils s'élancent sur lui pour le lapider.

Ont-ils, par cet acte meurtrier, dépassé les limites de leur compétence ? Cela n'est pas certain. Tout, assurément, a été injuste. Notre auteur ne raconte pas la conclusion juridique du procès, ne mentionne aucune sentence rendue ; il n'y en a probablement point eu ; la colère était trop pressée. Mais les cris de rage ont tenu lieu de votation, et la condamnation pouvait être tenue pour décidée à une énorme majorité ; nous ne voyons pas même un Gamaliel se lever pour réclamer en faveur de l'équité. Le sanhédrin a pu se persuader à lui-même, dans une certaine mesure, qu'il avait devant lui un faux prophète, voulant détourner le peuple du culte de l'Eternel. La peine à infliger était dès lors tracée par la loi en termes très précis ; c'était la peine capitale. (Deutéronome 13.6-11 ; 17.2-7) Habituellement, depuis leur soumission à Rome, les Juifs ne pouvaient exécuter un coupable sans l'autorisation du procurateur : preuve en soit le procès du Christ. D'autre part, et suivant sa coutume constante, Rome s'abstenait d'intervenir dans les querelles religieuses des peuples conquis. Or, cette fois, tout est resté dans le domaine religieux ; nulle accusation politique n'a été dirigée contre Etienne. Son martyre, en outre, se place suivant les données les plus probables en l'an 37. A cette époque, Pilate avait été rappelé de la Palestine ; le trône impérial se trouvait momentanément vacant ; les rênes du pouvoir étant devenues lâches, les Juifs ne se croyaient pas tenus à une grande déférence vis-à-vis de ses représentants. Enfin, tout a marché si vite que la garnison romaine n'a probablement rien su avant la mort d'Etienne. Elle interviendra énergiquement plus tard en faveur de Paul ; mais les circonstances seront fort changées.

Scrupuleusement fidèles à la loi tout en violant la justice, les juges, devenus bourreaux, traînent le condamné hors de l'enceinte de la ville : c'était l'ordre pour les blasphémateurs. (Lévitique 24.14) Fixer exactement la place où Etienne subit le supplice ne nous paraît guère possible ; on hésite entre la vallée du Cédron et une place voisine du Calvaire. Toujours suivant la loi, les témoins doivent jeter les premières pierres ; ils s'y préparent en ôtant leurs vêtements de dessus, et en les déposant aux pieds d'un jeune homme nommé Saul. Nous rencontrons ici ce nom pour la première fois dans le livre des Actes ; mais la manière même dont il nous est présenté le montre revêtu d'une certaine influence dans le sanhédrin et dans le peuple. Le terme νεάνιος peut s'appliquer à un homme de vingt-cinq à trente ans. Plus tard, on le sait, l'apôtre a fait allusion à la part prise par lui au supplice d'Etienne.

7.60   Ce supplice lui-même est simplement mentionné par l'historien. Lightfoot en note les détails et les phases juridiques. Nous n'avons pas à nous y arrêter ; qui sait, d'ailleurs, si les prescriptions ordinaires ont été observées ? On avait si grande hâte d'en finir ! Un trait seulement, relevé avec soin : à l'instant où les pierres volent déjà, Etienne invoque...Qui ? Le régime non exprimé du participe ἐπικαλούμενον se trouve dans les termes de la prière : « Seigneur Jésus ! reçois mon esprit. » L'invocation du nom de Jésus se rencontre donc dès les premières prières des premiers chrétiens. (Comparez 9.21 ; 1 Corinthiens 1.2) Et non seulement Etienne invoque Jésus : il lui emprunte en quelque sorte ses dernières prières. Comme lui, il demande au Père de recevoir son esprit. (Luc 23.16) Puis, après avoir mis les genoux en terre, rassemblant ses dernières forces, il répète le cri du Sauveur mis en croix : « Seigneur ! ne leur impute pas ce péché ! » Jésus avait dit : « Pardonne-leur ! » ἄφες αὐτοῖς, (Luc 23.34) ; Etienne : Ne place pas contre eux cette iniquité ! en quelque sorte le côté négatif de la prière, prononcée par le Christ sous sa forme positive.

Et cette noble requête du diacre mourant a reçu dans la personne de Saul de Tarse un exaucement admirable. La conversion du persécuteur, c'est la réponse de Dieu à l'invocation du martyr. La victoire n'appartient point à la violence sauvage des juges, mais à l'irrésistible puissance de la foi et de la charité. Aussi est-il dit d'Etienne : Il s'endormit, ἐκοιμήθη . Le monde invisible, entr'ouvert tout à l'heure devant son regard, ne s'est pas refermé avant que son âme n'y soit entrée. Il dort maintenant. Ce mot n'a pas été employé au sujet de Jésus ; on aurait pu en tirer une conclusion contre la réalité de sa mort. Ce scrupule ne saurait exister aujourd'hui : Etienne s'est endormi, certain du réveil. Nous n'en tirons aucune conséquence dogmatique sur l'état des âmes après la mort, et nous concluons avec Bengel : « Lugubre verbum, et suave. Hic protomartyr ipsos apostolos habuit superstites. »

 

 


1
Bell, 5, 5, 3.
2
Ἐπέχω sous-entendu τὸν νοῦν, tendre son esprit vers. Comparez Luc 14.7 ; 1  Timothée 4.6. Nous verrons un sens un peu différent, Actes 19.22.
3
Σφυδρά, donné par plusieurs manuscrits, signifie les talons.
4
Antiq., 20, 9, 7.
1
Après ὑμεῖς quelques manuscrits ajoutent un μὲν solitarium.
2
Ὀνόματος genitiv. objecti, comparez Marc 11.22.
3
Comparez Luc 23.34 ; 1 Timothée 1.13 ; 1 Pierre 1.14
4
Ἐλαλείφω, couvrir de chaux, puis, enlever l'enduit, effacer, essuyer. Colossiens 2.14.
5
Προχειρίζομαι se proposer un projet ; avec l'accusatif : décréter, ou décider quelqu'un à. La Recepta lit à tort προκεκηρυγμένον .
6
Sur λαλεῖν τῶν ἁγίων ἀπ’ ἀιῶνος προφητῶν, comparez Luc 1.70.
7
Recepta : ἐξολοθρ ...
1
Ἐφίστημι se tenir sur, en général pour saisir, pour empoigner ; au moyen : survenir et surprendre.
2
Hor. Hebr. in Luc 23.1i.
3
Voir Lechler, Apostol. u. nachapost. Zeitalter ; 3e Aufl., p. 62-64.
4
Comparez Deutéronome 13.14.
5
Comparez 1 Corinthiens 15.22.
6
Un brusque changement de construction donne ces quatre noms au nominatif, d'après les plus anciens manuscrits.
7
1 Chroniques ch. 24 ; comparez Winer, Real Wörterb. Art. Priester.
8
Ἐι pour ἐπεὶ = puisque.
9
Ἀνθρώπου ἀσθενοῦς, exemple frappant du genitiv. objecti.
10
Ἐξουθενέω rendre égal à οὐδὲν = οὐθέν .
11
Matthieu 21.42
12
διανέμω diviser, disperser. Le sujet est σημεῖον
13
Ἀπειλεῖσθαι τινί, interdire à quelqu'un avec menaces. La Recepta ajoute ἀπειλῃ .
14
Καθ’ ὅλου  : prorsus, omnino.
15
Sur τό πῶς, comparez une tournure analogue : Luc 1.62 ; 9.46.
1
א, A, B, E lisent : Ὁ τοῦ πατρὸς ἡμῶν διὰ πνεύματος ἁγίου στόματος Δαυεὶδ παιδὸς σου εἰπών . La Recepta simplifie et lit : Ὁ διὰ στόματος Δαυεὶδ παιδὸς σου εἰπών . Nombre de versions, déjà anciennes, traduisent comme si le texte était : Ὁ διὰ πνεύματος ἁγίου στόματος τοῦ πατρός ἡμῶν Δαυεὶδ παιδὸς σου εἰπών Et c'est bien le plus probable. Je ne puis aller avec Blass jusqu'à retrancher τοῦ πατρός ἡμῶν et πνεύματος ἁγίου .
2
23.6-11.
3
Ἄυτῶν désigne, à travers Hérode, Pilate et les peuples, les membres mêmes du sanhédrin. Ἔπιδε pour ἔφιδε, comme Luc 1.25.
4
Æ. III, 89.
5
On notera que l'auteur dit ici : ἐπλήσθησαν ἄπαντες  : tous sans exception ; 2.4, il s'était contenté de πάντες .
6
Littéralement : acquéreurs.
7
Χρῆμα, proprement ce qui sert à ; de χράομαι  ; puis : produit, somme d'argent.
1
Νοσφιζόμαι, mettre à part pour soi ; de νόσφι à part ; comparez Tite 2.10.
2
Ψεύσασθαι avec l'accusatif ne se rencontre qu'ici.
3
Τί ὅτι = quid est quod ; et sur ἔτου ἐν καρδιᾴ (déposé de manière à l'y laisser, ἐν comparez Luc 21.14.
4
ἐκκλησία comme assemblée des croyants est ici officiellement séparée de ceux
5
Ce sens donné à οἴ λοιποὶ est contesté par Baur. Il y voit la masse des croyants, mis à part des apôtres, qu'il faudrait chercher seuls au portique de Salomon. On les aurait considérés « Gleichsam magischen Wesen, welchen man sich nicht nahen dürfe. » (Paulus, 2e Aufl, I, 27.) Déjà Zeller combat cette idée de son maître et voit dans πάντες les chrétiens, dans λοιποί les non chrétiens. (Apostelgeschichte, p. 125, Anmerk. 1.)
6
Εκφέρειν indique qu'on emportait les malades de chez eux, pour les apporter πλατείας = πλατείας ὅδους, voies larges, rues.
7
Εἰς devant Ἱερουσαλήμ manque avec raison dans א, A, B ; πέριξ  ; est ἁπάξ pour περί . Ὀχλέω proprement exciter la foule ; puis vexer, tourmenter ; comparez Luc 6.18 ἐνοχλούμενοι .
1
Nous ne saurions traduire : s'étant levé de son siège, comme si la séance du chapitre 4 durait encore.
2
Περὶ αὑτῶν peut se rapporter aux λόγοι ou bien aux ἀποστόλοι
3
La Recepta garde la forme interrogative en écrivant οὐ devant παραγγελίᾳ . Mais א, A, B condamnent cette leçon.
4
Αποκριθεὶς au singulier, εἰπαν au pluriel. Pierre prononce la première parole, tous les autres l'appuient.
5
Πειθαρχεῖν, de πείθομαι et ἀρχή obtempérer à un commandement.
6
B lit : Καὶ ἡμεῖς ἐν αὐτῶ μἀρτυρες, en retranchant ἐσμεν . Ce verbe est pourtant bien appuyé par א, A. Αὐτῶ en revanche l'est moins et doit peut-être être remplacé (par ἀυτοῦ de la Recepta après ἐσμὲν .
7
Comparez Herzog, Real. Encycl., IV, 656, lt » Aufl.
8
On peut rattacher ἐπὶ τοῖς ἀνθρώπ. à προσέχετε ou bien à πράσσειν .
9
Θευδᾶν ζωγήσαντεσ ἀποτέμνουσι τὴv κεφαλὴν . Antiq., 20, 5, 1.
10
Voir Stokes, ouv. cité, I, p. 237.
11
Josèphe, Antiq., 17, 10,6.
1
Antiq., 18, 3, 1 et 2.
2
Πρὸς  ; même tournure, Luc 5.30.
3
Καθημέρινος et παραθεωρέω sont deux ἅπαξ .
4
Signalons pour mémoire seulement la bizarre interprétation qui veut voir dans la διακονία τραπεζῶν une surveillance des changeurs et de leurs tables, par allusion aux τραπέζαι de Jean 2.5 !
5
Ἐπισκεπτόμαι  : inspecter, visiter : chercher avec attention (circumspicere ; sich umsehen nach) ; ἄνδρας, dans son sens restreint.
6
« Magis necessarium credidi, ex duabus ancillis, quae ministrae dicebantur, quiet esset ver et per tormenta quaerere. » (Lib. X, Ep. 97.)
7
D'intéressants détails sur le diaconat sont donnés par Stokes, I, p. 268 et suiv., comparez Lichtenberg, Encyclopédie, III, p. 727.
8
א, A, C ont la curieuse faute πλήρης
1
A conserver avec א, A, B, D contre πίστεως de la Recepta.
2
Συνζητέω, sous-entendu λογόν, τινί ou πρὸς τινα chercher parole avec quelqu'un, discuter.
3
὘ποβάλλω, littéralement jeter par-dessous, mettre à la place de, suborner.
4
Voir Stokes, I, p. 181, 295 et notes.
5
Tubingue, Weinacht's Programm, en 1829.
6
J'ai développé cette pensée dans le premier chapitre de mon Abraham, études bibliques, 1890.
7
Ce passage ne donne pas nécessairement à entendre que la mort de Térach eut lieu avant le récit de 12.1 et suiv.
8
Κατοικεῖν εἰς, en tenant compte du mouvement nécessaire pour arriver dans le pays avant d'y habiter.
9
Κατάσχεσις, littéralement retentio, puis occupatio de Κατέχω .
10
Χαρίς dans ce contexte ne paraît pas signifier la grâce de Dieu.
11
Χορτάσματα, de χορτάζω  ; littéralement fourrages, pâturages ; ce qui rassasie.
12
La forme σιτία est beaucoup mieux appuyée que σῖτα de la Recepta, et εἰς beaucoup mieux que Ἄιγυπτῷν .
13
Ces deux sens découlent du φανερὸν ἐγένετο τὸ γένος .
14
Histoire du siècle apostolique, p. 99.
15
Antiq., 2, 8, 2. Peut-être, dans notre verset, les verbes μετετέθησαν et ἐτέθησαν ont-ils pour sujets όι πατέρες sans ἀυτὸς .
16
Ὠμολόγησεν doit être préféré à ὡμόσεν .
17
κατασοφίζομαι, circonvenir, vaincre par des artifices.
18
Ζωογονέω, proprement : rendre vivant ; dans l'Ecriture, conserver vivant. Comparez Luc 17.33
19
ἀστεῖος de ἄστυ, ville ; proprement urbanus, civil.
20
Antiq., 2, 9, 6.
21
Ἀνειρέω, au moyen, pourrait se prendre au sens du latin : tollere liberos, adopter des enfants.
22
J'ai développé ce sujet dans le Journal des écoles du dimanche, 1896.
23
Ἀμύνω, repousser ; au moyen : propello aliquem a me, se défendre contre quelqu'un. Ποιεῖν ἐκδίκησιν avec le génitif. (comparez Luc 18.7)
24
Συνήλλασσεν dans א, B, D ; συνήλασεν de A, C verss. viendrait de συνελαύνω, contraindre, pousser, exhorter à : τινὰ εἰς .
25
Ἀποστείλω des plus anciens manuscrits doit être préféré à ἀποστέλω, forme plus correcte et probablement correction.
26
Σὺν est la leçon de A, B, C -- R lit ἐν χερὶ synonyme de בְּידָ . Notons βάτος féminin ici et Luc 20.37, masculin Marc 12.26.
27
L'addition de la Recepta ἀυτοῦ ἀκούεσθε est probablement une répétition de 3.22.
28
Sur l'emploi de γενέσθαι dans le sens de vivre, comparez Marc 16.10.
29
Galates 3.19
30
Ὁ γὰρ Μωυσῆς peut être cité comme un exemple de nominatif absolu.
31
Comparez Winer, Real. Wörterbuch, art. Goldenes Kalb ; Herzog, Real. Encycl., VII, 214, lte Aufl.
32
Ἐστρεψεν au sens propre, réfléchi. Non pas comme équivalent de שׁוּב, « à nouveau. »
33
Σφάγια, de σφάζω, immoler.
34
comparez 1 Rois 11.5.
35
Μετοικιῶ fut. attiq. de μετοικίζω . ἐπέκεινα = ἐπὶ ἐκεῖνα μέρη = ultra, trans avec le génit.
36
Comparez sur ce point Stokes, I, p. 317-318. Notons aussi, au terme de ce deuxième fragment, tout rempli de vénération pour Moïse que l'orateur semble ne pouvoir assez désigner par τοῦτον, τοῦτον,...οῦτος, οῦτος l'admirable réponse faite à l'accusation 6.11.
37
Διαδεχόμαι ἄπ  ; recevoir des mains d'un précédent possesseur. κατάσχεσισ, proprement : empêchement, retenue ; puis : possession et acte de prendre possession.
38
Au lieu de τῳ θεῷ א, B, D lisent τῷ οἰκῷ .
39
Ἀντιπίπτω, tomber contre ; se jeter à l'opposé, résister.
40
Dans les Septante, à sa droite des anges avec lui.
41
Antiq., 15, 5, 3.