DEUXIÈME PARTIE

1. ÉVANGÉLISATION DE LA SAMARIE

§ 1.
Ministère de Philippe en Samarie : 8.1 à 8.13
§ 2.
Pierre et Simon le magicien : 8.14 à 8.24

§ 1. Ministère de Philippe en Samarie

Le trouble, le désordre jetés brusquement dans l'Eglise par la mort d'Etienne se reflètent pour un moment, et d'une manière touchante, dans la façon d'écrire de notre historien. Son émotion vibre en quelque sorte dans sa plume. Il passe de Saul au troupeau persécuté, signale en passant l'acte de piété de quelques inconnus, revient à Saul, puis décrit l'œuvre bénie des disciples dispersés.

8.1   D'abord les sentiments de Saul. Il ne regrette rien de ce qui s'est passé. Le supplice d'Etienne était à ses yeux juste et nécessaire. Il y a trouvé, il y trouve encore une satisfaction, bien marquée par ces deux mots du texte ἦν συνευδοκῶν . Il n'y avait pas seulement consenti ; il l'avait approuvé ; lui-même en fera un jour l'aveu public : Ἤμην συνευδοκῶν dira-t-il devant la populace de Jérusalem. (22.20)

Ensuite le sort des chrétiens dans la capitale. Il est, pour le moment, très digne de pitié. Le premier sang versé n'a point apaisé les haines, au contraire. Les habitants de la ville n'ont pas protesté contre la lapidation d'Etienne ; ils y ont peut-être pris part, ils en aggravent les suites. Une grande persécution éclate en ce jour-là contre l'Eglise ; tous (les croyants, sans doute) furent dispersés par les localités de la Judée et de la Samarie, à l'exception des apôtres. Mais cette exception fut-elle bien la seule, et le πάντες doit-il être pris absolument à la lettre ? C'est peu probable. Les apôtres eux-mêmes ne seraient pas restés, s'ils n'avaient eu à conduire encore un troupeau, si réduit fût-il ; les violences prolongées de Saul contre les chrétiens fussent devenues impossibles, s'il n'y avait plus eu de chrétiens dans Jérusalem. (Voir v. 3.) Baumgarten préfère donner à πάντες un sens littéral et restreint tout ensemble. D'après lui, les dispersés indiqués dans le verbe διεσπάρησαν auraient été, non pas tous les chrétiens de la ville, mais tous les participants à une assemblée, alors réunie pour intercéder auprès du Seigneur en faveur d'Etienne. La foule excitée aurait envahi le local où ces disciples priaient, et les aurait chassés en ce jour même, ἐν ἐκείνῃ τῇ ἡμέρᾳ devant également être pris au sens littéral. Je ne sais rien d'impossible à cette supposition ; elle me paraît cependant un peu forcée et je ne vois pas bien ces participants à une réunion de prières contraints de s'enfuir, eux seuls et immédiatement, jusque dans la Samarie.

8.2   Au milieu de ce déchaînement de persécution (dont l'histoire profane, notons-le, ne renferme pas ici une mention spéciale), quelques hommes pieux se distinguent par leur respect courageux pour le martyr. Ce ne sont pas nécessairement des chrétiens ; nous avons rencontré ce terme de ἐυλαβεῖς appliqué à des Juifs (2.5) ; ce sont simplement des hommes de cœur, qui ont conservé la piété pour les morts. Ils viennent rendre à Etienne les derniers devoirs. Ils l'emportèrent entre eux 1 -- dit le texte, en son langage émouvant à force de simplicité -- et ils firent grande lamentation2 sur lui.

8.3   Ce vivant tableau d'un deuil, où l'Eglise n'est pas seule à pleurer, ne détourne pas notre auteur des souvenirs de la persécution. Il y revient, en les concentrant autour de l'action de Saul. Ce disciple de Gamaliel nous apparaît ici revêtu d'une assez grande autorité pour oser procéder à des visites domiciliaires, dans des maisons chrétiennes. De la sorte, il réussit à dévaster l'Eglise ; on pourrait dire aussi à l'outrager, car λυμαίνομαι signifie tout ensemble traiter honteusement et traiter durement. Or, ce double rôle du persécuteur résulte bien de ses propres aveux ; parlant devant Agrippa, il s'accusera d'avoir contraint les disciples du Christ à blasphémer, à force de les faire souffrir3. Il n'épargne alors ni les femmes ni les hommes ; il traîne en prison les uns et les autres. Par une dispensation divine toute spéciale, les apôtres échappent à ses perquisitions. Ils sont restés pourtant à Jérusalem. Ils n'ont pas usé de la permission du Maître : « Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. » (Matthieu 10.23) Le même Maître leur a donné pour l'occasion présente des ordres différents, et avant tout celui-ci : « Vous me servirez de témoins dans Jérusalem. » (1.8) Leur témoignage en cette ville n'est pas encore arrivé à son terme. Là donc, avant d'aller plus loin, ils ont à gagner de nouvelles âmes ; ils ont, au travers du feu, à soigner celles qui sont déjà gagnées. Leur courage, à peine indiqué dans notre récit, vaut la peine d'être loué. Si l'on veut, après cela, insister sur le caractère de plus en plus effacé de leur activité, -- au moins du plus grand nombre d'entre eux, -- on le peut> sans doute. L'historien nous amène à la juger ainsi. A la condition, toutefois, d'être juste et de dégager l'héroïsme contenu dans cette courte phrase : « Ils furent tous dispersés,...à l'exception des apôtres. »

8.4   Hâtons-nous, au reste, de le reconnaître avec le récit. Les dispersés n'ont point été des lâches ; la persécution a contribué à répandre plus largement la connaissance de l'Evangile, et les fugitifs sont devenus des missionnaires : c'est le plan de Dieu. Ces simples fidèles, dépourvus de l'autorité apostolique, ont été des prédicateurs puissants ; le sacerdoce universel commence. Ils traversaient [le pays] évangélisant la parole, c'est-à-dire : annonçant comme bonne nouvelle la Parole de Dieu. Nous ignorons leurs noms, mais nous voyons leurs succès dépasser ceux des apôtres, et notre auteur les raconte avec un intérêt manifeste. Ne dirait-on pas un évangéliste mêlé à cette sorte de travaux, retraçant dans les expériences des autres quelques-unes des siennes ? Les Douze, peu à peu, perdront la direction de la mission. Peu importe ! ils' en ont donné le premier élan ; ils savent répéter, en se l'appropriant, la devise du précurseur : « Il faut qu'il croisse et que je diminue. »

8.5   Un épisode, relaté con amore, va nous dépeindre dans leur première fraîcheur ces essais d'évangélisation. Un diacre, Philippe, devient momentanément le personnage important. Evidemment il ne s'agit pas de l'apôtre de ce nom, resté dans Jérusalem avec ses collègues ; en outre, le collège des Douze n'eût pas délégué Pierre et Jean pour examiner une œuvre accomplie par un des siens. (Vers. 14.) Philippe est bien ici le diacre ou l'évangéliste de ce nom. Il me paraît, en outre, être en grande partie l'historien de cet épisode. Nous verrons au chapitre 21 l'apôtre Paul, revenant de son troisième voyage missionnaire, accepter pendant plusieurs jours -- ἡμέρας πλείους -- l'hospitalité de Philippe. (Vers. 10.) Il ne viendra à l'esprit de personne de supposer que l'hôte et son visiteur aient gardé le silence sur leurs souvenirs. Paul n'aura pas été le seul à raconter les siens ; Philippe aussi aura parlé de ses expériences, de celles, entre autres, dont Dieu l'avait enrichi à ses débuts. Leurs conversations avaient un témoin, celui-là même qui dit nous en écrivant le chapitre 21 des Actes. Toujours à l'affût de renseignements précis, ce témoin aura noté ceux dont Philippe lui faisait part alors, et nous tenons ainsi de première main la narration du chapitre 8.





D'emblée, Philippe nous apparaît comme fort doué pour l'évangélisation ; il a dû être désigné entre beaucoup d'autres à la haine des persécuteurs. Le voici en fuite ; il ne peut plus « servir aux tables ; » il va se vouer au ministère de la Parole. Ainsi un diacre aura provoqué la dispersion d'une partie au moins de l'Eglise ; un autre diacre en préparera l'établissement au milieu des Gentils. Philippe débute par une ville de la Samarie. Laquelle ? Si nous lisons avec א, A, B τὴν πόλιν, nous désignerons sans hésiter la capitale de cette province, la ville même de Samarie ou Sébaste. Le texte reçu lit πόλιν, sans article ; il ne serait alors pas possible de désigner la ville. Meyer se décide pour cette dernière leçon et la dit appuyée par le verset 9, où ἔθνος τῆς Σαμαρίας désignerait manifestement (offenbar) le peuple de la province. Pourquoi ? Même en acceptant le texte reçu, nous voyons Philippe évangéliser une ville et non la province entière ; le verset 9 ne désigne donc pas le peuple du pays, mais celui de cette ville, et le plus probable me paraît encore d'y voir la capitale. Certains commentateurs ont pensé à Sychar, à cause des souvenirs laissés par la visite de Jésus. (Jean ch. 4) Or précisément nous ne trouvons pas, dans l'évangélisation faite ici par Philippe, la moindre allusion à cette visite.

8.6   Le succès du prédicateur est promptement considérable. Des foules accourent, prêtent attention d'un commun accord à ses paroles et ne sont pas moins frappées par ses actes. Car il lui est donné d'accomplir des « signes, » et l'historien en énumère aussitôt quelques-uns. -- Beaucoup de démoniaques sont délivrés de leurs esprits impurs, beaucoup de paralytiques et de boiteux sont guéris. Le premier de ces deux traits mérite une observation particulière. La mention d'une guérison de démoniaques se trouve deux fois seulement dans tout le livre des Actes : ici et 19.12, toujours dans un milieu païen ou fortement teinté de paganisme. Le texte aussi réclame notre examen. Les manuscrits les plus autorisés, א, A, B, G, E, lisent πολλοὶ ...ἐξήρχοντο . Cela ne donne aucun sens, et il semble difficile d'interpréter ici πολλοὶ comme un nominatif absolu. La Recepta lit πολλῶν, et cette leçon, parfaitement facile, fait par là même l'effet d'une correction postérieure. D paraît avoir lu primitivement πολλοῖς, et ce pourrait bien être la leçon vraie, plus tard corrompue en πολλοì par l'influence du πολλοὶ suivant4. Le sens, en tout cas, reste clair. Le terme rare παραλελυμένος, de παραλύω, détacher des parties placées côte à côte, signifie littéralement, suivant Grimm : nervorum resolutione laborans ; nous le retrouvons, au lieu de l'ordinaire παραλύτικός  : 9.33 ; Luc 5.18,24 ;. Hébreux 12.12.

8.8   Une grande joie accompagne cette mission dans la ville où Philippe l'accomplit. C'est la marque ordinaire des débuts de l'Eglise : joie du missionnaire, joie des convertis. Cette réflexion générale ne suffit pourtant pas à notre auteur. Il lui importe de signaler un cas très exceptionnel où la joie ne parut pas seule, mais où le jugement de Dieu fut appelé à s'exercer.

8.9  . Avant l'arrivée de l'évangéliste, un certain personnage nommé Simon se trouvait déjà dans la même ville (προϋπῆρχεν). Il y exerçait la magie et, par la façon exaltée et bruyante dont il parlait de sa propre personne, il mettait les gens hors d'eux-mêmes. Le verbe hapax μαγεύω signifie proprement « faire le mage. » Simon, sans doute, se prétendant investi de la sagesse de l'Orient, pratiquait des évocations, répétait des formules dites magiques attribuées à Salomon, essayait des guérisons, en opérait probablement, parlait beaucoup, mais surtout de lui, et, en troublant l'imagination des petits et des grands, les amenait à répéter avec un enthousiasme plus ou moins convaincu : Celui-ci est la puissance de Dieu, celle qui se nomme grande. -- Cela durait depuis un temps assez long. On l'écoutait toujours, et ses pratiques occultes continuaient à remuer fort la population. Simon, semble-t-il, avait voulu se faire considérer comme la personnification de la force souveraine, émanée de Dieu ; peut-être aussi comme une sorte de Messie ou de restaurateur religieux et politique, celui dont la femme samaritaine disait : « Je sais qu'il doit venir5, » et que ses compatriotes attendaient sous le nom de הַשָׁהֵב  » « le revenant. »

Avant de continuer le récit des Actes au sujet de ce personnage, résumons brièvement les hypothèses auxquelles il a donné lieu.

Josèphe nomme un certain Simon, μὰγον σκηπτόμενον, dont le procurateur Félix aurait requis les offices pour enlever à Aziz, roi d'Edesse, sa femme Drusille6. Mais il fait de lui un cypriote ; ce ne peut, guère être le nôtre. Justin-Martyr, dans sa première apologie, semble bien parler du Simon de notre texte. Ses renseignements, néanmoins, sont très confus ; il montre en lui le type de l'hérésie gnostique et même, peut-être, de toutes les hérésies. Il raconte, en outre, la découverte d'une statue ou fragment de statue, dans une île du Tibre, avec l'inscription : Semoni sanco deo fidio. Il avait cru pouvoir traduire ces mots par : Simoni deo sancto, et avait vu là une statue élevée à Simon le magicien, osant se faire nommer dieu. Or, en 1374 et dans cette même île, une statue brisée fut mise au jour avec la même inscription. Seulement tout concourt à y faire reconnaître une divinité Sabine et nullement notre Simon7. Avec Irénée et les Constitutions apostoliques, nous avançons plus encore dans le domaine de la fable. Simon se serait fait fort de voler au travers des airs, aurait même accompli ce miracle à Rome, quand un mot de l'apôtre Pierre l'aurait soudain précipité sur le sol 8. Il aurait été en outre accompagné d'une femme appelée Hélène, présentée aux adeptes sous les noms symboliques de παμμήτηρ καὶ σοφία . Et certains écrivains ecclésiastiques, en veine d'imagination, ont vu dans cette femme tantôt l'épouse de Priam, tantôt la brebis perdue de l'Evangile ! Les philosophoumena à ! Hippolyte font naître à Gitton ou Gitta, en Samarie, un Simon, incarnant en sa personne « l'universelle Providence, » et promenant bientôt avec lui, sous le nom d'Hélène, l'incarnation de la « grande pensée » ou de l'esprit féminin. Zeller, relevant le caractère légendaire de ces récits, en a conclu à la non-historicité du nôtre. Simon, aux yeux de ce critique, est un personnage inventé, peut-être l'image du soleil, tandis qu'Hélène serait tout naturellement la lune, Sélênê. Ne voyons-nous pas chez les Samaritains le culte du soleil et de la lune, probablement importé par les Philistins ? Dès lors, les missionnaires chrétiens, pénétrant en Samarie, y auraient tout simplement combattu cette idolâtrie en ramenant Hélène et Simon à leurs justes proportions9.

Nous voici déjà bien engagés sur le terrain de la fantaisie, Hilgenfeld, cependant, Baur, Zeller lui-même ont trouvé mieux encore. A les entendre, Simon le magicien est un pseudonyme, un masque, et derrière ce nom nous avons à chercher l'apôtre Paul. Notre épisode serait un écho de luttes acharnées entre les ébionites et les pauliniens. Quelle bonne fortune, n'est-ce pas, de pouvoir représenter l'apôtre détesté des Gentils sous les traits ridicules d'un magicien, bientôt convaincu d'imposture par le fidèle protagoniste du judéo-christianisme, l'apôtre Pierre ! La conversion de Simon ne fut jamais sincère ; Paul, de même, ne fut jamais tenu pour apôtre véritable, preuve en soit l'épître aux Galates. Les disciples de Simon, c'est-à-dire les pauliniens, ont été dûment convaincus d'idolâtrie. « Peut-être, conclut Zeller, avons-nous le moyen de nous expliquer la place occupée par le récit 8.4 et suivants, et le trouble apporté de la sorte dans la suite chronologique de l'histoire de Saul : l'auteur, au courant du vrai sens de la légende, a voulu par cette place même prévenir toute application qu'on en pourrait faire à son apôtre.... » Donc tout est inventé dans ces quelques versets ; seuls les savants du dix-neuvième siècle ont découvert le vrai sens de ces historiettes, et ont bien voulu l'exposer aux simples !

L'érudition et le savoir de nos critiques sont incontestables. Est-ce trop audacieux de leur contester la vue claire des conséquences de leur système ? Voyons : un pasteur dont le ministère entier proteste contre l'amour de l'argent est présenté, pour la première fois, dans le livre qui racontera son désintéressement ; et à cette occasion, il sera le père de la simonie. Est-ce scientifiquement probable ? On nous propose de voir dans le marché offert par Simon aux deux apôtres (v. 19) un travestissement habile de l'intérêt montré par saint Paul pour les collectes dans tous ses voyages. Est-ce honnêtement admissible ? Allons plus loin. Vous faites des deux délégués du collège des Douze deux représentants des ébionites ; de Simon peut-être (avec Justin-Martyr et Hégésippe) un défenseur du gnosticisme. Alors pourquoi Pierre et Jean ne prêchent-ils aucune des doctrines chères aux ébionites ? Pourquoi le livre des Actes dans son entier, le chapitre 8 en particulier, ne renferment-ils nulle allusion aux disputes gnostiques dont le second siècle a retenti ? Si vos hypothèses sont vraies, vous voilà contraints de placer avant cette époque la rédaction de notre livre. Nous enregistrons cet aveu involontaire. Zeller, croyons-nous, eût montré plus de sens historique, et critique aussi, en tenant compte de l'extraordinaire penchant à la magie dont les Juifs étaient affectés aux premiers temps de l'Eglise ; l'exemple d'Elymas fournira une nouvelle preuve. (ch. 13) Les sorciers de tous les temps ont été et sont encore au nombre des adversaires les plus décidés de l'Evangile. Simon le magicien nous apparaît comme un descendant spirituel de Janès et de Jambrès, les deux adversaires de Moïse, et comme l'ancêtre des devins de l'Inde et de la Côte-d'Or. Nos missionnaires connaissent leurs agissements10.





8.12   Revenons à Samarie. Les habitants croient à l'Evangile de Philippe, et les principaux objets de leur foi nous montrent les thèmes ordinaires de cette prédication : c'était, d'une part, le royaume de Dieu, de l'autre le nom de Jésus-Christ. Hommes et femmes ne tardent pas à recevoir le baptême. -- Simon à son tour arrive à la foi ; il demande ce sacrement ; il le reçoit ; bientôt il ne peut plus se séparer de Philippe, car lui aussi est mis hors de lui par les signes et les déploiements de puissance dont il est témoin. Sa foi, à coup sûr, est très imparfaite ; nous en verrons très vite la fragilité ; sa conversion n'a point atteint les racines de la conscience ; nous l'entendrons demander qu'on prie pour lui, et non pas prier lui-même. (Vers. 24.) Pourtant le narrateur a dit de lui : « Il crut, » ἐπίστευσεν, et il a rattaché l'origine de cette foi aux miracles accomplis sous les yeux de Simon. Double leçon, et sur les degrés infiniment divers de la foi et sur le rôle du miracle. Les signes ont leur place marquée dans le plan de Dieu pour le salut ; néanmoins, à eux seuls ils ne changent pas un cœur. C'est folie de les dédaigner ; ce n'est pas toujours sagesse de les rechercher, car ils peuvent éblouir sans éclairer. Dans le cas présent, assurément, ils étaient réclamés. Aux miracles apparents dus à la magie, il fallait opposer, pour décider les âmes, des miracles de l'Esprit-Saint.

§ 2. Pierre et Simon le magicien

8.14   Le bruit de ce mouvement religieux parvient à Jérusalem aux oreilles des Douze. Leur attention ne peut manquer d'en être éveillée ; bien vite ils jugent nécessaire de soumettre ces faits nouveaux à un examen scrupuleux. Surveillants de l'Eglise, ils ont le devoir d'étudier de si réjouissants phénomènes. Deux d'entre eux, Pierre et Jean, partent comme leurs mandataires, pour procéder sur les lieux à cette information ; et rien ne dit, il faut le noter, que Pierre ait été l'instigateur de la députation.

8.15   Dès leur arrivée à Samarie, les deux délégués se sentent pressés de prier avec les nouveaux convertis. Ils demandent pour eux le don du Saint-Esprit, car, ajoute notre historien, il n'était encore tombé sur aucun d'entre eux ; seulement ils se trouvaient avoir reçu le baptême au nom du Seigneur Jésus. Pierre et Jean imposent1 alors les mains à ces nouveaux disciples, puis ceux-ci reçoivent l'Esprit-Saint. Bien des conclusions ressortent de ces détails très précis ; voici, selon nous, les plus importantes :

  • a) La foi, au moins à un certain degré, avait précédé chez ces néophytes le don de l'Esprit.
  • b) Cette foi avait paru suffisante à Philippe pour leur octroyer le baptême.
  • c) L'administration de ce sacrement avait précédé également l'envoi de l'Esprit. Donc la pratique constante de l'Eglise n'a pas été d'attendre, pour baptiser, les preuves de la présence du Saint-Esprit.
  • d) L'imposition des mains précède ici l'envoi de l'Esprit ; pourtant, dans le cas de Corneille et de ses amis, elle ne sera pas même mentionnée. (10.44)
  • e) L'imposition des mains est ici un acte apostolique ; cependant Ananias, qui n'était pas un apôtre, imposera les mains à Saul de Tarse 2. (9.17)
  • f) Le baptême avait pu être administré à Samarie par un simple évangéliste. Où sont donc, à cette heure de création et de vie, les chaînes de fonctionnarisme et de hiérarchie dans lesquelles l'Eglise a cru devoir paralyser sa liberté première ?
Demandera-t-on pourquoi les Samaritains baptisés ne possédaient pas encore l'Esprit-Saint ? Edmond Scherer3 répondait : « Par manque des dispositions nécessaires. » C'est aussi la pensée de Néander : les prédications de Philippe auraient produit seulement une adhésion extérieure ; les apôtres auraient réveillé la conscience et rendu l'âme réceptive. Cette explication, à vrai dire, ne donne pas beaucoup de lumière et ne ressort pas du texte. Les apôtres, à leur arrivée, ont surtout prié ; nous ne savons pas s'ils ont prêché beaucoup. Et comment, sans posséder encore l'Esprit-Saint, les Samaritains seraient-ils devenus tout à coup réceptifs aux exhortations de Pierre et de Jean, après ne l'avoir pas été à celles de Philippe ? Baumgarten, reproduisant en partie l'opinion de Meyer, voit dans ces événements un moyen d'empêcher que l'apostolat ne soit méconnu et comme effacé dans l'Eglise. Momentanément, tout au moins, Dieu réserve encore à des apôtres la tâche et l'honneur de poser le sceau divin sur l'œuvre des évangélistes. N'était-ce pas la couronne gagnée par leur constance à rester dans Jérusalem après la mort d'Etienne ? Il faut voir dans ces belles scènes de la Samarie un récit et non une règle. C'est l'anneau qui relie les développements d'aujourd'hui aux débuts d'hier ; ce n'est point une norme immuable ni une loi inflexible. Les missionnaires du dix-neuvième siècle l'ont bien compris ainsi ; ils ensemencent et ils moissonnent des terrains labourés par leurs évangélistes indigènes ; souvent aussi, et ce n'est pas leur moindre joie, ils peuvent abandonner à ces auxiliaires et les semailles et la moisson.

8.18   Simon s'est aperçu de l'effet dont a été suivie l'imposition des mains : il reconnaît chez ses anciens admirateurs les dons du Saint-Esprit. Comment a-t-il pu s'en rendre compte ? Par un phénomène de glossolalie, répond Holtzmann ; les néophytes se sont mis à « parler en langues. » Je n'y vois rien d'impossible. Le texte, cependant, n'y fait pas allusion, et, ne l'oublions pas, le Saint-Esprit a de bien autres moyens pour faire constater sa présence et son action. Sous son influence, par exemple, un converti parlera probablement un langage entièrement nouveau, sans pour cela « parler en langues. » En tous cas, Simon a bien vu ; les dons de l'Esprit sont là, et il voudrait les posséder. Sans eux son influence risque de baisser. Ne pourrait-il pas les payer ? Il apporte aux apôtres une somme d'argent, des richesses, dit littéralement le texte ; il en avait sans doute à sa disposition, et, sans vergogne, il expose son plan : Donnez, à moi aussi, ce pouvoir-là, afin que, à quiconque j'imposerai les mains, il reçoive le Saint-Esprit. En le vendant à son tour, il aurait vite retrouvé ses dépenses. Pierre, à cette proposition, ne peut se contenir. Sans consulter Jean, sûr d'ailleurs de son adhésion, il foudroie d'un mot l'ami de l'argent, considérant en quelque sorte ce métal comme une personne qui peut vivre ou mourir : Que ton argent, lui crie-t-il, soit avec toi en perdition4, puisque tu as pensé que le don de Dieu était acquis par des richesses ! -- La possibilité seule d'une telle pensée prouve suffisamment le véritable état d'âme de Simon. Il ne saurait avoir dès lors ni part ni héritage ἐν τῶ λόγῳ τούτῳ, non pas « dans cette Parole de Dieu, » mais bien dans cette œuvre d'évangélisation où les chrétiens sont engagés ; λόγος a ici le sens de דָבָר comme 15.6, sans perdre entièrement celui de « parole, » l'œuvre en question étant bien celle de la parole. Avoir le privilège de s'en occuper, c'est un héritage -- κλῆρος -- de tout premier ordre. Simon n'y saurait prétendre, car son cœur (au sens hébreu, siège des pensées) n'est pas droit devant Dieu. Il voudrait cultiver la piété tout en faisant une bonne affaire. Encore une de ces âmes dont les filles ou les sœurs se comptent par milliers dans les missions ; elles connaissent l'Evangile, elles l'admirent ; elles n'en acceptent pas le joug et, dès lors, n'en possèdent pas la vie.

8.22   La position de Simon est grave ; pas désespérée pourtant, et Pierre lui montre une porte de salut : Repens-toi ! lui dit-il, ou : Convertis-toi ! La condition est la même que pour les trois mille de la Pentecôte. Et c'est le premier pas, la prière vient en second lieu ; pourrait-elle être exaucée là où la repentance manquerait ? Oui, Dieu entend la supplication du pécheur avant son entière conversion ; mais son oreille reste fermée au transgresseur qui persévère volontairement dans sa transgression : Repens-toi !...et demande au Seigneur si peut-être cette pensée5 de ton cœur te sera pardonnée. Pourquoi « peut-être ? » Y a-t-il de l'arbitraire en Dieu ? Non, certes, et rien ne limite son pouvoir, si ce n'est sa volonté souverainement juste. Or, sa volonté et sa justice refusent le pardon à un repentir hypocrite et nul. La difficulté ne vient point de Dieu ; elle vient de Simon ; avec ses dispositions actuelles, il lui sera malaisé de s'humilier et de se détourner de sa mauvaise voie. -- Il est pour le moment -- Pierre le voit et le dit -- dans un fiel d'amertume et un enlacement d'injustice. Χολή, la bile ou le fiel n'est pas seulement le symbole de l'extrême amertume, c'est aussi une image du poison ; les Septante emploient couramment le mot dans ce dernier sens. (Deutéronome 29.18) Les anciens, du reste, se figuraient que le venin du serpent est enfermé dans son fiel. La jalousie de Simon, son amour de l'argent sont devenus un fiel amer6 et venimeux ; il voudrait en empoisonner l'Evangile et les apôtres ; ils sont en même temps pour lui un σύνδεσμος, un réseau de chaînes où il étouffera s'il ne se repent. Lechler traduit σύνδεσμος par « faisceau » et voit Simon enveloppé, perdu dans un faisceau d'injustices. Mais ce sens, comme l'observe Meyer, exigerait le pluriel ἀδικιῶν, au lieu du singulier ἀδικίασ .

8.24   Simon a peur, sans doute. Est-il sérieusement touché ? Cela n'est point sûr. Il demande des prières ; il ne prie pas, et c'est probablement manque de repentir. Encore attend-il de la prière des apôtres la délivrance des suites de son péché, non du péché même. Mauvaises conditions pour la conversion. En faisant de lui un adversaire endurci de l'Evangile, la tradition ne s'est peut-être pas trompée.

2. PHILIPPE ET L'EUNUQUE ÉTHIOPIEN

8.25   Les deux apôtres ont terminé leur tâche ; ils ont rendu leur témoignage jusqu'au bout et parlé la Parole du Seigneur. Retournant maintenant à Jérusalem, ils voyagent à la façon de Philippe ; ils évangélisent sur leur route plusieurs villages des Samaritains. Les deux imparfaits ὑπέστρεφον,..., εὐηγγελιζοντο 7 laissent entendre un travail prolongé pendant un certain temps ; le retour de Pierre et de Jean s'est donc effectué lentement. Et, de nouveau, ils passent au second plan ; ils s'effacent ou peu s'en faut.

L'auteur ne raconte pas leur mission il revient à celle du diacre, confirmée maintenant sous une forme nouvelle et s'adressant non plus à des foules, mais à un seul individu. Au dire de Zeller, Philippe aurait commencé par se rendre à Jérusalem avec les deux apôtres ; cela semble fort peu probable. L'ange dont il reçoit les ordres peut parfaitement lui être apparu dans Samarie.

8.26   Une angélophanie se place donc au début de la mission chez les païens. Le but, certes, en valait bien la peine. Si un messager du ciel a été envoyé aux apôtres pour leur ouvrir la prison, pourquoi le Seigneur n'enverrait-il pas un Michel, un Gabriel ou tel autre à un évangéliste appelé à faire tomber les chaînes dans lesquelles les idolâtres se débattent ? Comment Philippe le vit et l'entendit, nous n'en savons rien. L'ordre, en tout cas, fut assez précis pour ne laisser subsister aucun doute : Philippe doit se lever, marcher vers le midi8 et prendre la route de Jérusalem à Gaza ; à quoi l'ange ajoute : Celle-ci est déserte ; et nous nous demandons si cet adjectif « déserte » et le pronom « celle-ci » se rapportent à la ville ou à la route, à Γάζα ou bien à ὄδος .

Supposons le premier cas. Gaza, -- un des cinq chefs-lieux de la Philistie, au sud-ouest de Jérusalem, conquise par Alexandre le Grand, puis par le chef hasmonéen Alexandre Jannée, relevée de ses ruines 58 ans avant Jésus-Christ par le proconsul Gabinius, finalement incorporée à la province de Syrie, -- Gaza fut détruite par les Romains dès le commencement de la guerre des Juifs, vers 64 ou 65. Si donc les mots : « Elle est déserte » se rapportent à cette ville, la composition du livre des Actes est postérieure à 65, peut-être même à 70. On conviendra seulement combien peu cette remarque importait à Philippe. Si Gaza était dévastée, il devait probablement le savoir ; les versets suivants, d'ailleurs, ne font pas la moindre allusion à la ville ; elle ne joue aucun rôle dans l'épisode.

Admettons maintenant le second cas : « déserte » se rapporte à la route. Comme il y en avait deux au moins pour descendre de Jérusalem à Gaza, il fallait bien indiquer à Philippe laquelle il devait prendre. De sa propre initiative, il n'eût pas choisi la plus délaissée. La remarque : « Elle est déserte9 » est donc une parole de l'ange, non une observation de l'écrivain ; elle était nécessaire, dirons-nous avec Holtzmann, afin que l'évangéliste « ne manquât pas son homme. » Et nous n'avons plus besoin de faire descendre jusqu'aux environs de 70 la date de notre livre. Je trouve avec plaisir une confirmation de cette manière de voir dans les Souvenirs de Terre Sainte, de M. le professeur L. Gautier. (2e édition, p. 130, 131.) Mais il y a déjà près de quarante ans qu'elle m'avait été inspirée par un autre voyageur. Le capitaine Van de Velde, dans ses conférences sur la Palestine, m'avait semblé faire disparaître définitivement de notre texte la traduction « Gaza la déserte. »

8.37   Philippe, sans discuter, est parti. Dans le même moment, un autre homme suivait le même chemin. Une quadruple désignation le recommande à notre attention : c'est un Ethiopien, un eunuque, un seigneur haut placé au service de la reine Gandace et spécialement chargé de la garde du trésor ; un prosélyte enfin, en tout cas un pèlerin venu à Jérusalem avec le projet d'y adorer l'Eternel.

Un Ethiopien, d'abord. Non pas, croyons-nous, un Juif né en Ethiopie, mais un véritable citoyen de Cousch et par conséquent un descendant de Cham. (Genèse 10.6) Amos 9.7 fait un peu des Ethiopiens les types des païens ; toutefois, leurs rois devaient un jour apporter des présents à l'Eternel (Psaumes 72.10), et Dieu consentira même à les prendre en rançon de son peuple. (Esaïe 43.3). -- Un eunuque, ensuite. Ce terme, vu le δυνάστης qui suit, doit être pris au sens propre, et ne désigne pas seulement d'une manière générale un officier royal. Or, la loi excluait l'eunuque des assemblées du peuple élu (Deutéronome 23.1) ; celui-ci va pourtant devenir un disciple du Christ. -- Troisièmement un seigneur10 haut placé de la cour de Candace. Au temps d'Eusèbe encore, nous voyons des femmes régner en Ethiopie, et quant au nom Κανδάκη, il paraît être patronymique, comme celui de Pharaon. L'eunuque en question avait sous sa surveillance tout le trésor de cette reine. La gaza est, en persan, l'argent royal, et le terme a passé dans les langues occidentales ; nous le trouvons chez Virgile (Æn. I, 119) :

Arma virum, tabulæque, et Troïa gaza per undas.
Un prosélyte, enfin. Eloigné par sa naissance et par ses fonctions du culte israélite, il a voulu néanmoins s'en rapprocher dans la mesure du possible. Il est venu jusqu'à Jérusalem pour adorer Jahveh ; et, s'il n'est pas prosélyte au sens officiel du mot, il l'est certainement par le cœur. Il possède au moins une partie des rouleaux sacrés ; celui d'Esaïe, entre autres, est dans ses mains, ; il le lit, tout en poursuivant son voyage de retour. Il n'a pas choisi un fragment de la loi ; les menaces contenues dans ces textes contre les idolâtres l'auraient peut-être effrayé. Un prophète l'a plus attiré, et, entre tous les prophètes, celui où la vocation des Gentils se fait le plus clairement connaître. Il en est même à cette seconde partie d'Esaïe où il pouvait rencontrer ce bienfaisant appel : « Que l'eunuque ne dise pas : Je suis un arbre sec 11 ! » Dans une autre portion des prophètes, n'aura-t-il pas lu peut-être l'histoire d'Ebed-Mélec, l'eunuque éthiopien auquel Jérémie dut son salut et qui reçut de l'Eternel cette promesse : « Je te sauverai ? » (Jérémie 37.7-13 ; 39.16-18) Pour le moment, l'officier de Candace s'est arrêté à un oracle messianique. Le souvenir de sa visite à Jérusalem, des sacrifices offerts dans le parvis du temple, peut-être aussi de sa rencontre avec une assemblée chrétienne, tout cela se mêle dans son esprit aux déclarations du texte sacré. Il lit à haute voix (probablement dans la version des Septante),...mais il ne comprend pas.

8.29   L'Esprit-Saint alors -- non plus un ange -- s'adresse à l'autre voyageur, à Philippe, l'évangéliste : Avance, lui dit-il, et joins-toi à ce chariot, à ce brillant équipage qui te précède sur le chemin. Philippe court en avant. Il entend une voix, des mots ; quelqu'un fait une lecture dans ce chariot ; on lit Esaïe le prophète. Est-ce qu'on serait en état de le comprendre ? Il faut s'en assurer. Et, oubliant toute distance sociale entre le grand seigneur et l'humble diacre : « Comprends-tu, -- dit Philippe à peine arrivé à la portière, -- Comprends-tu donc ce que tu lis12 ? »

8.31   A la hardiesse de cet étranger, l'eunuque répond avec une admirable loyauté, et la forme en laquelle sa réponse nous est transmise laisse entendre qu'un geste franchement négatif l'a précédée. « Comment en effet comprendrais-je ? » signifie : « Je ne comprends pas. Comment le pourrais-je, en effet, si personne ne me guide ? » L'eunuque est donc près de voir s'ouvrir devant lui les mystères de la révélation, car « l'Eternel enseigne aux humbles sa voie. » (Psaume 25.9) Il n'a pas, au surplus, à chercher bien loin le guide nécessaire à son intelligence. Ce sera l'audacieux questionneur lui-même ; au lieu de lui commander de passer son chemin, l'officier le fait monter à côté de lui dans son char. Une conversation va s'engager entre ces deux hommes, si différents jusqu'ici, bientôt unis par une même foi. L'Ethiopien n'aura pas besoin de signe extraordinaire pour être amené à croire ; le miracle, c'est cette rencontre.

8.32   Il commence par relire le fragment d'Esaïe, la περιοχὴ, dit notre auteur, c'est-à-dire le contenu, la substance13. C'est une citation de 53.7-8, reproduite à peu près exactement d'après les Septante, mais non pas d'après l'original, au moins pour le second de ces versets. Le sujet, c'est le serviteur de l'Eternel, mené à l'immolation comme une brebis. Mais au verset 8 d'Esaïe, l'hébreu dit littéralement : « Il a été enlevé par (ou : de ?) l'angoisse et le châtiment. (Delitzsch : « Aus Verhaft und aus Gericht ist er hinweggenommen worden. ») Et, parmi ses contemporains, qui a réfléchi qu'il était retranché de la terre des vivants et frappé pour les péchés de mon peuple ? »

Le sens de ces deux phrases est modifié dans le grec :

  • a) Au lieu de : « Il a été enlevé par l'angoisse, » notre texte dit : Dans son abaissement son jugement a été enlevé. (Rilliet : « C'est dans l'humiliation que s'est consommé son jugement ; » Oltramare et Segond à peu près de même ; Hackett : « Dans l'humiliation dont il a été l'objet, tout jugement (= toute justice) a été mis de côté (??). ») Dans l'hébreu donc, l'idée paraît être que l'angoisse sans pareille dont le serviteur de l'Eternel a été saisi l'a enlevé de la terre ; dans le grec, que son abaissement inouï, mais volontaire, a eu pour résultat de l'enlever au jugement prononcé contre lui.
  • b) Au lieu de : « Parmi ses contemporains, qui a réfléchi qu'il était frappé ?... » nous lisons ici : Qui racontera sa génération ; parce que (ou : à savoir que) sa vie est enlevée de la terre ? Le grec γενέα traduit l'hébreu דּוֹר, et l'on entend par ce mot, tantôt origine, provenance ; tantôt âge, durée de vie ; tantôt descendance. Mais γενέα ne désigne pas la postérité ; c'est bien plutôt la génération contemporaine. Le verset 8 d'Esaïe marque un étonnement douloureux causé par l'inintelligence des contemporains du Messie : nul n'a voulu comprendre la vraie cause de son enlèvement de la terre. Notre verset 33 exprime une sorte de dégoût au sujet de ces contemporains dégénérés : nul ne voudrait raconter leurs destinées, car, par le fait de leurs iniquités, la vie du Christ a été enlevée de la terre. La première forme n'est-elle pas celle de la prophétie, la seconde celle de l'histoire ?
8.34   L'eunuque a relu ce passage mystérieux. Répondant alors (ἀποκριθεὶς) à ses propres réflexions, nées de cette lecture, ou bien à un geste surpris chez Philippe, ou encore à un « eh bien ? » échappé de ses lèvres, il précise la difficulté dont son esprit est occupé. Il veut savoir de qui le prophète parle de la sorte. Est-ce de lui-même ? Est-ce d'un autre ? Et l'Ethiopien peut sans honte formuler cette question ; la critique moderne l'a plus d'une fois soulevée. C'était, au reste, fournir à l'évangéliste l'occasion d'établir la relation entre l'ancienne et la nouvelle alliance, dont Jésus a été le trait d'union. Solennel enseignement, introduit comme plusieurs de ses pareils par les mots : Ayant ouvert sa bouche14, et partant du texte même, de la γράφη, dont l'eunuque vient de répéter la lecture. C'est une bonne nouvelle, εὐηγγελίσατο . L'objet de la leçon, c'est la personne de Jésus. Les détails nous en demeurent inconnus. A en voir le résultat, nous pensons qu'une courte instruction sur le baptême y a été jointe. L'étranger avait pu voir à Jérusalem la célébration de ce rite. Il peut en avoir demandé le sens à son interlocuteur. Au moment où il reprend la parole, c'est pour faire connaître son désir d'être baptisé. Le chariot est arrivé près d'une source ; un étang, un réservoir y est probablement adjacent ; et l'exclamation soudaine : « Voici de l'eau, » ἰδοù ὕδωρ, semble vraiment le cri de joie poussé par le voyageur mourant de soif, lorsqu'il découvre de l'eau dans le désert. On montre aujourd'hui l'emplacement prétendu de cette source à Aïn-Hanijeh, au sud-ouest de Jérusalem. Suivant Jérôme, il faudrait la chercher beaucoup plus au sud, aux environs de Hébron15.

A la vue de cette eau, l'eunuque, impatient d'entrer dans l'Eglise de Jésus-Christ, s'est écrié : Qu'est-ce qui m'empêche d'être baptisé ? Le texte reçu donne à cette question la réponse suivante, mise dans la bouche de Philippe et formant le verset 37 : Si tu crois de tout ton cœur, c'est permis (ἔξεστι, sans σοὶ). Mais répondant, il (l'eunuque) dit : Je crois que le Fils de Dieu, c'est Jésus-Christ. Cette addition paraît ancienne ; elle est conforme au sens général, car certainement Philippe a dû s'assurer si la foi de son compagnon était assez avancée pour permettre le baptême. Néanmoins les manuscrits les plus autorisés ne renferment pas ces mots. Ce texte, assez riche d'ailleurs en variantes, provient probablement d'un pium desiderium. On voulait expliquer comment le baptême d'un païen avait pu être si prompt. Le verset paraît donc avoir été tout d'abord une note marginale, fort importante au surplus, car nous y trouvons un des premiers rudiments du credo.

8.38   Mais Philippe n'a point opposé d'objection au vœu de l'Ethiopien. Celui-ci fait arrêter son char ; ils descendent tous deux dans l'eau, et le diacre baptise le seigneur, comme Jean-Baptiste avait baptisé Jésus dans le Jourdain. Les paroles prononcées alors ne nous sont pas rapportées.... Tous deux remontent hors de l'eau, et Philippe soudain disparaît ; l'Esprit du Seigneur l'a enlevé16, comme autrefois il enleva Elie, comme, plus tard, il enlèvera saint Paul en extase. (1 Corinthiens 12.2-4, avec l'emploi du même verbe ἁ'ρπαζω .) L'Ethiopien n'a peut-être pas été témoin de cet enlèvement ; cela ne ressort pas des termes employés. L'auteur dit seulement : Et l'eunuque ne le vit plus, car il marchait son chemin en se réjouissant. La présence de ce γὰρ est intéressante ; elle semble indiquer une phrase sous-entendue : Il ne vit plus et il ne chercha pas à voir, car il continuait sa route. Loin de perdre son temps à gémir ou à contempler, il marche et il est joyeux. N'a-t-il pas trouvé son Sauveur ? La présence de l'évangéliste a cessé de lui être indispensable ; Jésus ne le quitte pas. Les apôtres aussi, au jour de l'Ascension, sont rentrés joyeux dans Jérusalem ; et pourtant le Maître les avait quittés. (Luc 24.52) Bengel dit avec raison : « Qui nactus est Scripturam et Christum jam carere potest homme hodego. » Quant au fait proprement dit de la disparition du diacre, Reuss avoue loyalement : « Le texte est trop clair pour nous permettre de supprimer un miracle dont nous n'entrevoyons pas le but. » Miracle donc ; nous retenons l'aveu ; et, quant au but, ne pourrions-nous l'entrevoir, tout ensemble dans le recueillement nécessaire à l'eunuque et dans les besoins de l'évangélisation qui maintenant appellent Philippe ailleurs.

8.40   Nous le trouvons, en effet, -- il fut trouvé17, dit le récit, -- dans Azot ou Asdod (aujourd'hui Esdud) une des cinq villes philistines, à quelque cinquante-cinq kilomètres au nord de Gaza. Il ne paraît pas y avoir demeuré longtemps : Traversant [le pays], il évangélisait toutes les villes, en vrai missionnaire itinérant. Une de ces villes fut peut-être Joppe. Il arrive enfin et s'établit à Césarée-Sébaste18 fondée par Hérode Ier, où nous le retrouverons bien des années plus tard. Il serait étrange, vraiment, qu'il n'y ait pas fait la connaissance de Corneille. Il ne sera pas néanmoins l'instrument de la conversion de ce païen. Cette œuvre était réservée à un apôtre.

3. CONVERSION DE SAUL DE TARSE

§ 1.
Première rencontre de Saul avec Jésus : 9.1 à 9.19
§ 2.
Premières prédications de Saul : 9.20 à 9.30

§ 1. Première rencontre de Saul avec Jésus

Un pas décisif restait encore à faire pour l'évangélisation du monde païen. Il fallait y fonder un peuple de Dieu, indépendant quant à sa vie spirituelle de la communauté israélite. Celle-ci persistait à rejeter le témoignage apostolique. Or ce témoignage ne pouvait pas ne pas être rendu ; il s'agissait donc de le porter en dehors des confins de la Palestine.

Qui serait capable d'entreprendre cette mission colossale et de la mener à bien ? Les Douze sortaient peu de Jérusalem ; déjà Pierre et Jean y étaient rentrés après leur visite en Samarie. Un apostolat était nécessaire ; mais un apostolat nouveau, et Jésus, continuant du haut du ciel les travaux commencés sur la terre (ἤρξατο ποιεῖν, 1.1), allait créer pour son Eglise un instrument de choix. Ce sera un Israélite, élevé dans la stricte observance des traditions religieuses de sa nation, puis amené petit à petit à s'en détacher, et finalement, malgré l'extraordinaire indépendance de ses convictions, reconnu par le collège des Douze comme un de leurs collègues dans l'apostolat.





De l'éducation de Saul à Tarse, puis à Jérusalem sous la direction de Gamaliel, nous savons peu de chose. Les biographes de l'apôtre ont recueilli sur ces points de rares documents et plusieurs hypothèses ; le livre des Actes en parle à peine. Notre historien a noté, mais sans y insister beaucoup, la part prise par ce jeune homme au meurtre juridique d'Etienne. Saul a continué après cela son œuvre de persécuteur avec un zèle ardent et certainement sincère. (8.1,3) A l'heure où nous le rencontrons de nouveau, ses dispositions n'ont point changé. Le texte, par une image très énergique, nous le montre respirant de menace et de meurtre contre les disciples, comme si meurtre et menace étaient la source et les éléments mêmes de son souffle. Aristophane dit de même : Ὡσ οὗτος ἠδη καίκιας καὶ συκοφαντίας πνεῖ 1; et les Septante (Josué 10.40) : Πάν ἐμπνέον ζωῆς . Les visites domiciliaires ne suffisent pas à ce bouillant zélote ; il veut étendre le cercle de ses opérations et visiter entre autres Damas, où la présence d'un fort grand nombre de Juifs2 avait amené l'ouverture de plusieurs synagogues. L'Evangile aussi avait pénétré jusque-là depuis la Pentecôte, et sans avoir encore causé une rupture avec Israël.

Des pleins pouvoirs étaient nécessaires à Saul pour faire à Damas son travail d'inquisiteur. Il va les demander au grand prêtre. D'après 22.5 ; 26.10, il les aurait obtenues du sanhédrin tout entier et, entre autres, des grands prêtres. Ces données, loin de se contredire, confirment, d'une part, la haine dont les autorités juives poursuivaient les chrétiens ; de l'autre, l'autorité dont Saul jouissait auprès d'elles. En l'an 37, date probable de la conversion de ce jeune homme, le grand prêtre devait être Jonathan, fils d'Anna, ou son frère Théophile ; tous deux se sont trouvés en charge en cette année-là.

Les lettres octroyées à Saul lui permettront d'arracher des synagogues de Damas et d'amener prisonniers à Jérusalem hommes et femmes, ὄντας τῆς ὁδοῦ, ressortissant à cette voie. Cette désignation est expliquée par celle de ὁδος τοῦ κυρίου, employée par notre auteur. (18.25) Le Seigneur conduit ses disciples par un certain chemin, différent de celui du monde, ὁδὸς τεθλιμμέν en opposition à ὁδὸς εὐρύχωρος (Matthieu 7.13-14), et ses disciples deviennent ainsi les gens de la voie étroite ; peu à peu ὁδὸς a désigné directement la secte chrétienne, sans autre explication3. On s'étonnera peut-être de voir entre les mains de Saul des pleins pouvoirs aussi étendus délivrés par la seule autorité juive. Mais répétons-le encore : les Romains s'imposaient la règle de ne point intervenir dans les querelles purement religieuses des peuples vaincus. Dans ces limites, ils respectaient volontiers le pouvoir du grand prêtre des Hébreux. Ils n'ont pas donné d'autorisation à Saul, et paraissent ne s'être guère inquiétés de sa mission.





Voici le persécuteur en route pour Damas. Il est accompagné d'une escorte, dont la mention viendra bientôt. Six jours de marche, environ, lui étaient nécessaires pour atteindre la capitale de la Syrie. Quelles étaient, pendant ce voyage, ses dispositions morales ? La question a été fort discutée ; assurément, elle mérite de l'être.

Beaucoup d'exégètes se plaisent à nous montrer Saul préoccupé, non seulement par des souvenirs, mais aussi par le remords. La paix admirable d'Etienne mourant, sa prière pour ses juges, la persévérance des chrétiens malgré les rigueurs de la persécution, tout cela, dit-on, a fait sur son âme une impression profonde ; il commence à se demander si le droit et la vérité ne seraient pas du côté des confesseurs du Christ. Le doute l'assaille ; son rôle lui apparaît sous un jour moins honorable ; il n'est plus si certain de travailler à l'œuvre de Dieu.

Ces considérations, convenons-en, se présentent fort naturellement à l'esprit. Nous jugeons Saul d'après ce qui se passerait en nous aujourd'hui, si nous nous trouvions dans une situation analogue. Cela s'est-il passé en lui ? C'est une autre question, et elle me paraît devoir être résolue par la négative. Sans doute, il a été frappé par le discours d'Etienne, il en a même retenu la teneur générale ; nous en aurons la preuve dans son propre discours à Antioche de Pisidie. (Chapitre 13) Sans doute encore, le voyage l'a momentanément soustrait à l'influence excitante de ses flatteurs et de la foule. Mais qu'il ait déjà commencé à regretter, à se repentir, à hésiter, nous n'en trouvons pas la moindre indication : ni dans le récit très objectif du chapitre 9, ni dans les deux discours où l'apôtre raconte sa conversion (chapitres 22, et 26), ni dans aucune de ses épîtres4. Avant d'arriver à Damas, il avait persécuté les chrétiens dans d'autres villes, hors de Jérusalem. (26.11.) Il est parti plein de fureur contre eux, et sa fureur n'a pas encore cessé de lui paraître légitime ; ne s'efforce-t-il pas de les contraindre à blasphémer ? Il est si pressé d'arriver à Damas, si impatient d'y commencer son œuvre, qu'il poursuit sa route aux environs de midi5, à l'heure où tous les voyageurs en Orient se reposent. Non vraiment, rien au dedans de lui ne le préparait à une rencontre avec Jésus. Il ne le cherchait point, mais Jésus le cherchait. Et nous concluons volontiers avec Holtzmann : « Un fait demeure absolument certain, c'est que l'apôtre lui-même ne sait rien d'un lent progrès opéré en lui, pour l'amener petit à petit au christianisme.... Il a eu conscience d'un revirement soudain, mais il n'a point connu de pont jeté d'un bord à l'autre. »

9.4   Trois routes au moins conduisent de Jérusalem à Damas. Nous ignorons laquelle Saul suivait ; pour nous, du reste, cela n'a guère d'importance. L'historien préfère nous laisser deviner le danger imminent suspendu sur la tête des chrétiens ; Dieu (il agit souvent ainsi) attend le dernier moment pour délivrer les siens ; il veut exercer leur foi.... Le persécuteur approche ; ses pouvoirs sont en règle ; bientôt il reviendra sur ce même chemin avec un long cortège de prisonniers.... Soudain, sans aucune préparation une lumière sortie du ciel l'enveloppa comme un éclair6, plus éclatante que le soleil. (26.13) Nous ne savons pas exactement où il se trouvait en cet instant ; certainement près de Damas. Le Dr Porter penche cependant pour un village éloigné, d'où les voyageurs venant de Jérusalem ont une fort belle vue sur Damas.

La lumière étincelante venue du ciel environne Saul de tous les côtés. Rien dans les termes employés ne fait songer à un orage. Paul parlera lui-même d'une φῶσ, non d'un éclair, et nous savons le rôle joué par la lumière dans des occasions d'importance analogue ; dans celle, par exemple, du buisson ardent et dans la scène de l'investiture d'Esaïe. (Esaïe ch. 6)

L'éblouissement dont le jeune persécuteur est frappé est si complet, qu'il ne peut plus se soutenir ; il tombe sur le sol. En même temps un son distinct retentit à ses oreilles : Saul ! Saul ! lui dit une voix, pourquoi me persécutes-tu ? Le terme Σαούλ (Σαῦλος), confirme pleinement la donnée de Paul (26.14) : « J'entendis une voix me parlant en dialecte hébraïque ; » et la répétition de son nom par deux fois révèle la solennité de l'appel. Dieu se plaît ainsi, en interpellant l'homme par son nom propre, à le contraindre de rentrer en lui-même : « Elie, avait-il dit, que fais-tu ici ? » (1 Rois 19.9,13)

9.5   Or, que pouvait répondre Saul à ce pourquoi du Seigneur ? Quelle bonne raison avait-il à donner de sa persécution ? En vue de quoi cette conduite ? La voix n'a pas dit : « Pourquoi persécutes-tu mes disciples ; » mais « pourquoi me persécutes-tu ? » Frapper les disciples, serait-ce donc frapper leur maître ?...Saul interloqué, effrayé, s'arrête net, et questionne à son tour : « Qui es-tu, Seigneur ? » A-t-il cru un instant se trouver en présence de Jahveh lui-même ? Cela se pourrait. En tout cas la voix le détrompe immédiatement : Pour moi, dit-elle, je suis Jésus (et d'après 23.8 : Jésus de Nazareth) que tu persécutes. Ainsi, deux révélations à la fois, l'une et l'autre confondantes. D'abord : Jésus n'est point dans le tombeau. Ce Nazaréen méprisé, odieux même à Saul de Tarse, est vivant ; il peut se montrer tout à coup avec les signes évidents d'une apparition divine. Ensuite, il vit au milieu de son Eglise ; il s'est intimement uni à elle ; il partage son sort, ses épreuves ; la persécuter c'est poursuivre Jésus-Christ. Admirable confirmation, sans doute, de la déclaration faite un jour aux disciples : « Celui qui vous rejette me rejette. » (Luc 10.16) Mais renversement complet en même temps des plans, des conceptions et des ambitions de l'élève de Gamaliel !

9.6   Après les mots ὅν σὺ διώκεις, la Recepta insère les paroles suivantes, formant la fin du verset 5 et la plus grande partie du 6 : σκληρόν σοι πρὸς κέντρον λακτίζειν. Τρέμω τε καὶ θαμβῶν εἶπε· Κύριε, τί με θέλεις ποιῆσαι ; Καὶ ὁ Κύριος πρὸς αὐτόν Ἀνάστηθι ...Nous retrouvons ce texte, appuyé par les meilleures leçons, et avec des variantes peu importantes, 26.14 ; en partie seulement 22.10 (τί ποιήσω). Ces paroles donc ont bien été prononcées ; mais les meilleurs manuscrits ne les donnent pas dans Actes chapitre 9, où elles se rencontrent seulement dans d'anciennes versions, par exemple dans la Vulgate. Nous en renvoyons l'étude au chapitre 26, et nous lisons ici : ὅν σὺ διώκεις· ἀλλά ἀναστηθι le ἀλλά étant fourni par 26.15.

Jésus, en cet instant, ne veut pas donner à Saul de longues explications ; un ordre suffit : « Lève-toi, entre à Damas et...attends. Ce que tu devras faire, on te le dira plus tard. » Mais n'oublions pas un élément capital de cette rencontre. En cet instant suprême, Saul n'a point perdu sa liberté. Il aurait pu résister à ces ordres. Cela résulte avec évidence de son apologie devant Agrippa : οὐκ ἐγενόμην ἀπειθὴς ...« Je ne devins point désobéissant à la vision céleste. » (26.19) Un devenir était inévitable ; Saul ne le détermine pas dans le sens de la révolte. Et sa soumission ressembla tout d'abord à celle du père des croyants. Il partit comme lui...sans savoir.

9.7  . Ses compagnons de route sont demeurés tout d'abord hors d'eux-mêmes, ἐνεοί  ; ils entendent une voix, mais ne découvrent personne. -- L'adjectif hapax ἔνεος 7 (ou ἔννεος) est rattaché par les dictionnaires au terme poétique ἄνεος muet, sans voix, venant de privatif et de ἄω ou ἄυω, crier. Le mot désigne ainsi un individu frappé de stupeur au point de ne pouvoir faire entendre un son. -- Saul, de son côté, se relève ; ses yeux sont restés ouverts, mais il ne voit plus rien ; la lumière dont il a été ébloui a disparu ; pour lui tout est ténèbres. Il doit se laisser conduire par la main, et c'est dans ces humiliantes conditions qu'il entre dans Damas, où son arrivée était attendue avec tant d'effroi. (comparez v. 13 et 14.) Aucune révélation nouvelle ne lui est accordée pour le moment. Trois jours se passent : il ne voit rien, il ne mange pas, il ne boit pas, et il ne sait rien. La voix céleste continue à se taire.





Le récit de cette conversion extraordinaire se trouve, nous l'avons indiqué déjà, trois fois dans les Actes : ici, au chapitre 22, et au 26. Cette méthode de relater trois fois un même fait a été jusqu'ici -- à part les livres des Rois et des Chroniques -- un trait caractéristique des Evangiles. Si nous la rencontrons de nouveau, c'est à coup sûr la marque d'un événement d'une importance hors ligne. Et, en effet : après les miracles accomplis par le Christ, nul ne dépasse, dans les premiers temps évangéliques, celui de la conversion de Saul. Il deviendra la pierre angulaire des apologies de Paul contre les détracteurs de son apostolat. L'histoire, du reste, est présentée avec une parfaite simplicité, et l'on en sera frappé plus encore si l'on essaie de la comparer aux traditions légendaires des siècles suivants.

Les Recognitions clémentines, par exemple, racontent les aventures d'un « homo quidam inimicus » qui doit avoir été Saul de Tarse, et qui se serait brusquement présenté dans le temple de Jérusalem, au moment où le peuple et le grand prêtre allaient demander le baptême. Cet homme, par ses discours violents, aurait amené la populace à se retourner contre les néophytes ; il en aurait fait mettre à mort un grand nombre et dirigé particulièrement ses coups contre « l'évêque Jacques. » Puis, muni de lettres de la part de Caïphe, il serait parti pour Damas, espérant y surprendre Pierre8.

Les ébionites auraient transformé en roman ces scènes d'émeute. Epiphane, du moins, leur prête le conte suivant : Saul, fils de parents païens, serait venu à Jérusalem et y aurait fait un séjour assez prolongé. « Puis -- je traduis littéralement -- il désira prendre pour femme la fille du prêtre (probablement du grand sacrificateur). Pour arriver à ses fins, il se fit prosélyte et fut circoncis. Après cela, la jeune fille lui ayant été refusée, il se mit en colère, et il écrivit contre la circoncision, contre le sabbat et contre la loi9. »

Si la narration des Clémentines pèche par confusion et maladresse, celle des ébionites paraîtra sans doute à tout homme de goût tomber dans le domaine de l'absurde, et il n'est pas besoin, pour la repousser, d'une grande somme d'érudition. Nous devons cependant à la vérité de reconnaître des divergences dans le récit de la conversion de Saul, suivant la place où nous le rencontrons. La manière dont il est présenté par notre auteur n'est pas exactement conforme aux narrations de Paul, d'abord devant le peuple (chapitre 22), puis devant Agrippa (chapitre 26). Les différences portent sur trois points principaux, et sont assez fortes aux yeux de Zeller pour lui faire rejeter la narration entière. Examinons.

  1. Les compagnons de Saul, debout dans le texte de 9.7, sont 26.14 couchés à terre.
  2. Ces mêmes compagnons ont, d'après 9.7, entendu une voix sans voir personne ; d'après 22.9, ils voient une lumière, mais n'entendent pas la voix de celui qui parle à Saul.
  3. Les paroles adressées à Saul doivent 9.15 être prononcées dans la ville, par Ananias ; 22.15 et 21, elles le sont en partie par Ananias à Damas, en partie par Jésus à Jérusalem ; 26.16-18, elles le sont toutes par Jésus, en dehors de Damas, et sur le lieu de l'apparition.
Le premier point, on en conviendra, soulève à peine une difficulté. Les compagnons de Saul ont pu tomber avec lui sur la terre, puis se relever promptement et se tenir debout : la première donnée n'exclut nullement la seconde. « Ceciderant illi quoque, dit Bengel, sed ante Saulum surrexerunt, suâ sponte. » C'est d'autant plus naturel qu'ils n'entendent pas de paroles à eux directement adressées ; rien ne les amène à demeurer prosternés. Des phénomènes analogues se produisent lors de la vision de Daniel au bord du fleuve Hiddekel. Le prophète est seul à la contempler ; ses compagnons ne la perçoivent pas ; néanmoins ils sont assez effrayés pour prendre la fuite, et Daniel tombe, frappé d'étourdissement, la face contre terre. (Dan. X, 7-9.) La seconde divergence nous montre :
  • a) chez Saul une perception nette de la vision ; il voit le Seigneur, il entend ses paroles ;
  • b) chez ses compagnons une perception fort indistincte. Ils voient une lumière, non une personne ; ils entendent une voix, un son (φωνή) mais pas « la voix du parlant, » donc pas de paroles articulées et intelligibles.
De Saul à ses compagnons la différence est explicable par des causes très naturelles ; il y a chez lui une réceptivité dont ils manquent ; de plus, les paroles du Seigneur sont destinées à lui seul, et non point à ses compagnons. Ils en entendent le bruit (9.7) ; ils n'en saisissent pas les mots (22.9). Le verbe « entendre » a dans le grec10 et dans l'hébreu, comme dans le français, le double sens d'entendre et de comprendre ; employé 9.7 dans la première acception, il l'est avec la seconde dans 22.9. Rappelons ici la voix venue du ciel en réponse à la prière de Jésus : « Père, glorifie ton nom ! » Pour la masse des assistants, cette voix est un tonnerre. Pour quelques-uns, elle est celle d'un ange. Pour Jésus seul elle est celle du Père, et il en distingue parfaitement le sens. (Jean 12.28-30) Ajoutons une considération. Paul dit expressément à Agrippa : La voix me parla « en dialecte hébraïque. » (26.14) Or ses compagnons, peu lettrés probablement, pouvaient fort bien ne pas entendre ce langage.

Reste le troisième point. Paul dans son discours au peuple (chapitre 22) distingue avec soin : des paroles prononcées par Jésus hors de Damas ; des paroles d'Ananias dans la ville même ; enfin des paroles de Jésus dans Jérusalem. Ce récit ne contredit en rien celui d'Actes chapitre 9. Dans son apologie devant Agrippa, l'apôtre réunit ces trois allocutions en une seule, et les met dans la bouche de Jésus, avant l'arrivée à Damas. Est-ce une contradiction ? Vraiment non. D'abord, Ananias a simplement répété le message reçu de son Maître ; paroles d'Ananias et paroles du Christ, c'est, dans le cas présent, une même chose. Ensuite, l'ordre chronologique et le lieu de ces trois appels importent infiniment peu au roi Agrippa. Paul les a entendus tous les trois ; tous les trois ont déterminé son apostolat chez les païens ; voilà l'essentiel. Il est habile à l'apôtre de les réunir en un seul, et ce n'est point, étant données les circonstances, une infidélité.

Concluons. Ces divergences de détails, loin de jeter des doutes sur le fait relaté, contribuent à le mieux affirmer. Une identité absolue des trois récits eût bien mieux abouti à soulever des doutes sur l'authenticité de l'ensemble. Quant aux points essentiels, l'accord reste parfait.

Qu'après cela la critique négative refuse encore à notre récit tout caractère historique, il ne saurait venir à l'esprit de personne de s'en étonner. Zeller et Renan se donnent ici la main, sans diriger cependant des attaques identiques. L'hallucination leur sert d'explication suffisante. Renan y joint l'influence des courants d'air, saisissant un voyageur échauffé et lui donnant la fièvre, surtout si quelque violent orage complète les troubles atmosphériques et les dérangements physiques. Il a éprouvé, dit-il, quelque chose de pareil ; seulement cela n'a point suffi pour le convertir11.... Vraiment, je m'en serais douté. Et, de plus, je ne sais voir dans cette intervention prétendue de l'hallucination rien absolument de scientifique. On est halluciné quand on perçoit des sensations sans aucun événement ni objet extérieur qui les fassent naître. Petit à petit, on en vient à croire à la réalité de l'objet, ou de l'événement en question. Mais encore faut-il en avoir été longtemps et fortement préoccupé. Saul de Tarse, dit la critique, a cru sans le moindre fondement avoir vu Jésus-Christ et l'avoir entendu. Alors il l'attendait depuis longtemps ? Il était persuadé que Jésus était vivant, qu'il ne pouvait manquer de le rencontrer un jour face à face ? Ces suppositions sont-elles admissibles ou seulement probables ? Zeller lui-même semble contraint de les abandonner. Saul, dit-il, en avançant vers Damas n'était agité ni par des remords au sujet d'Etienne, ni par aucune attente messianique. -- De plus, sommes-nous amenés par son histoire à lui trouver un cerveau faible, incapable de discerner un orage d'une apparition, et le bruit du tonnerre d'une parole articulée ? La conscience parfaitement nette d'avoir vu le Seigneur, non dans les fantaisies de la fièvre, mais d'une façon objective et réelle, va devenir bientôt le fondement de sa foi et de ses prédications. Les textes de Actes 9.27 ; 26.16 ; 1 Corinthiens 9.1 ; 15.8 deviennent, dans l'hypothèse contraire, des faux témoignages ; et la conversion du persécuteur est une duperie, pour ne pas dire une impossibilité, s'il n'a pas été mis en présence du Christ ressuscité.

Expliquera-t-on aussi par une hallucination soudaine la cécité de Saul et son jeûne de trois jours ? Cela serait difficile. L'hallucination exalte volontiers. Ce jeune homme nous apparaît au contraire momentanément écrasé ; son orgueil est maté ; il n'est plus le chef de l'expédition, on le conduit comme un enfant ; ses yeux ouverts sont privés du pouvoir de la vision. De bonnes raisons appuient, me semble-t-il, l'opinion que ses yeux, gravement atteints en ce moment, ne guérirent jamais complètement. Dès ce jour, Saul aurait été malade d'une ophtalmie, devenue chronique petit à petit, et sujette à des crises aiguës comme celle, peut-être, dont il souffrit en Galatie. (Galates 4.13-1512) Ce serait là l'écharde dans sa chair. (2 Corinthiens 12.7)

Les effets spirituels de la rencontre de Saul avec Jésus sont, au reste, bien autrement sérieux. Nous en surprenons les premières traces dans ses prières, commencées durant sa solitude à Damas et signalées par le Seigneur lui-même à Ananias. (Vers. 11.) Et, si notre récit sommaire ne dit rien des pensées dont le disciple de Gamaliel fut alors assailli, nous n'avons pas grand effort à faire pour nous les représenter. L'ardent zélateur de la loi, si assuré de la servir en persécutant, est amené peu à peu à la comprendre tout autrement. Il l'a saisie jusqu'ici par ses côtés extérieurs et formels ; il l'a confondue plus d'une fois avec les superfétations rabbiniques. Maintenant il en devine le but : donner à l'homme la conscience de son péché, pour le contraindre à chercher le changement du cœur. Il y découvre en quelque sorte l'interdiction de la convoitise (Romains 7.7) et le commandement central de la charité. (Romains 13.8-10 ; Galates 5.1??) Il en faisait peut-être un piédestal pour s'élever aux honneurs ; il y rencontre maintenant la volonté d'un Dieu saint, impartial, juste, condamnant partout l'orgueil et le pharisaïsme, et il sent tomber directement sur lui cette condamnation. Non, il n'a pas obéi à la loi ; il s'en est servi pour satisfaire ses passions. L'heure est venue de choisir : ou bien persévérer dans la voie suivie jusqu'ici, résister à l'appel d'en haut ; ou bien céder sans réserve et devenir le serviteur du Christ...Saul a choisi l'obéissance ; mais après quelles luttes et quelles souffrances ! On n'arrive point à une victoire aussi complète sans avoir été d'abord complètement vaincu.





9.10   Reprenons le récit. Autant la retraite était nécessaire à Saul après la rencontre avec Jésus, autant il fallait en sortir. Le Seigneur aurait pu lui apparaître une seconde fois et lui communiquer ses ordres. Il ne le fait pas ; il a recours à un intermédiaire humain, non pas à un apôtre, mais à un disciple dont il honore de la sorte la foi et le ministère. Ananias, nommé ici pour la première fois, jouissait au milieu des Juifs de Damas d'une réputation fort honorable. (22.12) On a fait de lui, sans preuves certaines, un des soixante-dix disciples. Chrétien en tout cas, habitué aux révélations de son Sauveur (le récit même en témoigne), il a dans la ville de nombreuses relations et une certaine influence ; beaucoup d'amis sont venus lui annoncer l'arrivée et les intentions de Saul. (Voir v. 13.) Il peut avoir été un des disciples mis en fuite par la première persécution éclatée dans Jérusalem ; et là aussi le persécuteur peut l'avoir connu, au moins de nom. La tradition l'a transformé en évêque, ou tout au moins en presbytre de Damas, où il serait mort martyr13.

9.11   Le Seigneur apparaît à cet homme dans une vision, -- de jour ou de nuit ? nous ne savons, -- l'appelle par son nom, puis, à sa réponse empressée : Me voici, ajoute l'ordre de se lever et de se rendre auprès de Saul. Nous ignorons si Ananias possédait un renseignement quelconque au sujet des événements accomplis trois jours auparavant. Jésus n'en parle pas, mais il donne des instructions très précises à son mandataire. Désignation de la rue14 d'abord : elle est appelée « la droite, » εὐθεῖα  ; c'est encore aujourd'hui la rue principale de Damas, orientée de l'est à l'ouest, longue et droite comme jadis, plus d'un kilomètre, paraît-il, au temps des Romains. Elle était alors partagée par deux colonnades en trois avenues. Désignation, ensuite, de la maison ; c'est celle d'un certain Jude ou Judas, inconnu pour nous, probablement personnage de quelque importance, puisqu'il devait recevoir chez lui un envoyé du sanhédrin. Quelques commentateurs le confondent avec le Judas mentionné 15.22. Un voyageur du dix-septième siècle prétend avoir vu l'emplacement de cette maison, comme aussi celui de la maison d'Ananias et la fontaine où Saul fut baptisé.

9.12   Au moment d'envoyer Ananias, le Seigneur l'encourage par deux considérations : les prières du persécuteur en ce moment même et une vision reçue par lui, annonçant son visiteur. Bien souvent, certes, Saul de Tarse avait fait monter vers Dieu ses correctes prières de pharisien. Il en prononce de tout autres à cette heure ; il les appuie sur la grâce du Sauveur miraculeusement entrevue, et alors seulement le Seigneur dit de lui : « Voici, il prie ! » Quant à la vision, ὁράμα 15, accordée à ce jeune homme et lui montrant soudain Ananias entrant chez lui, l'auteur ne l'a pas racontée ; nous en devons la connaissance à la seule mention faite actuellement par Jésus. Tout lecteur du livre des Actes aura rapproché cette double vision parallèle de Saul et d'Ananias de celle de Pierre et de Corneille au chapitre 10. Baur insiste aussi sur ce rapprochement, mais pour mettre en doute la réalité de ces apparitions et l'historicité des deux récits. Il reconnaît néanmoins la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité, d'une rencontre fraternelle d'Ananias et de Saul, en restant dans les circonstances décrites jusqu'à maintenant par notre auteur. « Si jamais, dit-il, l'intervention de la divinité fut nécessaire, ce fut bien en cette occasion ; elle seule pouvait conduire à bonne fin l'œuvre commencée16. » Le savant professeur de Tubingue conclut à l'invention de toute la scène, pour les besoins de la cause. La conclusion contraire nous paraît pour le moins aussi logique. Là où l'intervention directe de Dieu est réclamée pour l'avancement de son règne, il ne manque pas de l'accorder.

9.13   Une touchante conversation s'engage entre le disciple et le Sauveur. Ananias ne se rend pas d'emblée. Le mandat dont Jésus le charge lui semble trop dangereux pour ne pas reposer sur une méprise. Il veut renseigner le Seigneur, comme il a été renseigné lui-même par plusieurs avis, soit par les compagnons de Saul, soit par des lettres venues de Jérusalem. Cet homme, il le sait pertinemment, est venu à Damas pour y ravager l'Eglise, après avoir fait tout le mal possible aux « saints » du Christ dans la métropole : première rencontre où ce nom de saint est donné aux disciples, et les note tout ensemble comme séparés du monde et consacrés à Dieu. (Comparez Romains 1.7) Nul n'aurait résisté dans Damas à cet ennemi acharné des chrétiens ; il a reçu pour sa mission les pleins pouvoirs des grands prêtres.

Jésus peut-il consentir à envoyer un de ses confesseurs dans la gueule du lion ? Ananias hésite, comme autrefois hésitèrent Moïse et Jérémie ; à l'en croire, le Christ mieux éclairé retirera son ordre. Trait d'une admirable simplicité ; « ce n'est pas ainsi qu'on invente. »

9.15   Le Seigneur, au surplus, se hâte de rassurer son disciple, mais sans rien retrancher de l'ordre donné. Va ! dit-il une seconde fois ; il faut tout d'abord obéir. Et en voici la raison : Parce que celui-là (Saul) m'est un vase d'élection, pour porter mon nom devant les nations, et les rois, et les fils d'Israël. Jésus ne parle pas au futur : à présent déjà Saul est devenu pour lui un instrument d'élite, un vase dont le Saint-Esprit se servira pour renfermer ses dons et pour les communiquer à d'autres. Et certes, si un σκεῦος est précieux par le métal dont il est fait et par les ciselures dont il est orné, Paul méritera entre tous les apôtres d'être désigné par cette image17. Mais nous ne saurions aller plus loin, ni voir avec les Pères dans l'expression σκεῦος ἐκλογῆς un appui donné à la doctrine de la prédestination. Si Paul eut dès lors une conscience claire de sa divine vocation, il ne l'a pas moins de sa pleine liberté d'y résister18.

Quant au futur horizon missionnaire de Saul converti, nous le voyons ici dessiné en trois traits. L'apôtre portera le nom du Christ devant les nations, -- son champ d'activité spécial, -- devant les rois ou leurs lieutenants, -- Félix et Festus par exemple, et aussi Serge Paul, Agrippa, Néron, -- devant les Israélites, auxquels il n'a jamais failli, en effet, de faire entendre son message. Va donc, conclut le Seigneur, car (γὰρ) pour moi je lui montrerai tout ce qu'il lui faut souffrir à cause de mon nom. Ce car pourrait, au reste, se rapporter aussi à σκεῦος ἐκλογῆς  : il m'est un vase de choix, car il aura fort à souffrir. Il sera jeté au creuset avant d'avoir sa forme dernière, et je me charge de l'y préparer.

9.17   Ananias n'objecte plus rien. Ambassadeur du Christ, il se rend directement chez le persécuteur de son Eglise. Il trouve sans peine la maison indiquée ; il va droit à l'aveugle et, sans lui demander ni confession ni rétractation, il lui impose les mains en l'appelant d'emblée : Saul, frère ! Son garant, c'est la plus haute des autorités : Le Seigneur m'a envoyé. Son but, c'est de guérir le pharisien abattu et de lui communiquer les dons du Saint-Esprit. Chacune de ses paroles est faite pour éveiller l'espérance et la joie chez ce malade abandonné ; car il vient à lui au nom du même Seigneur qui lui apparaissait l'autre jour sur la route de Damas. Celui qui lui a ravi la vue est en mesure de la lui rendre. Ananias disparaît en quelque sorte derrière Jésus, dont il est le mandataire. En recevant le Saint-Esprit, Saul possédera le Guide souverain, capable de le conduire dans toute la vérité. Le récit, fort rapide, ne mentionnera aucun signe de la descente du Saint-Esprit chez Saul : ni glossolalie ni autre miracle. Le ministère entier de cet homme va devenir une preuve suffisante de l'action du Paraclet en lui.

9.18   L'auteur insiste, en revanche, sur la guérison de cet aveugle ; il la raconte en langage de médecine populaire, reproduisant probablement un récit fait à maintes reprises par l'apôtre : aussitôt tombèrent de ses yeux comme des écailles. L'impression physique éprouvée par Saul, au moment où la vue lui fut rendue, fut celle d'un homme dont les yeux seraient débarrassés tout à coup d'une couche d'écailles aveuglantes. Aussitôt après vient le baptême. Il nous importe peu de savoir où il a été célébré ; mais nous pouvons, sans doute, rattacher à cet acte, décisif dans sa carrière, la doctrine du baptême à laquelle Paul est finalement arrivé. (Galates 3.27 ; Romains 6.3-11) Il voit dès aujourd'hui dans ce sacrement le gage d'une délivrance du péché et de la mort, et le sceau d'une naissance nouvelle. -- Enfin, il prend quelque nourriture pour refaire son corps épuisé.

Dans tout ce récit, on l'aura sans peine observé, Christ est seul agissant ; Ananias, son disciple, est un simple intermédiaire, pas davantage. Paul aura désormais le droit de s'appeler « apôtre, non de la part des hommes » (Galates 1.1), et le devoir de se considérer comme le pasteur des Gentils, successeur authentique des anciens prophètes. Son mandat rappelle par plusieurs côtés celui de Jonas, choisi comme lui pour annoncer les voies de Dieu aux païens. Il n'est toutefois pas rebelle, ainsi que l'avait été le fils d'Amittaï ; il croit possible la conversion des idolâtres ; il va la désirer de toutes les forces de son âme ; il y consacrera le reste de sa vie. Et des souffrances multiples rencontrées dans cette carrière, il saura se faire une couronne de gloire. Elles établiront aussi, pour tout esprit impartial, l'impossibilité d'attribuer à Paul lui-même le choix de son apostolat19.

Laissons pour quelques jours Saul au milieu des disciples devenus ses frères et affermissant dans leur société sa nouvelle foi. Une remarque intéressante se présente à nous au point de vue de l'harmonie entre les écrits du Nouveau Testament. Les deux premiers évangiles ont relaté l'institution du baptême ; le troisième la passe sous silence. Le livre des Actes, en revanche, semble ne pas vouloir perdre une occasion de mentionner des baptêmes. Nous avons déjà vu ceux de la Pentecôte, ceux des Samaritains, celui de l'eunuque éthiopien et celui de Saul. Nous rencontrerons encore successivement ceux de Corneille et de sa famille, celui de Lydie, celui du geôlier de Philippe, celui des douze disciples d'Ephèse. L'auteur de notre livre voit donc bien dans le baptême un sacrement institué par le Seigneur et nécessaire à son Eglise. S'il est, comme beaucoup l'ont supposé, l'auteur aussi du troisième évangile, avons-nous le droit de conclure du silence de ce livre-là sur le baptême à l'ignorance de l'écrivain à l'endroit de cette institution ?

Autre observation. S'il y a jamais eu dans l'Eglise un cas où le baptême a pu paraître superflu, c'est bien celui de Saul de Tarse. Mis directement en présence du Seigneur, converti par sa parole, investi de l'apostolat, avait-il vraiment encore besoin d'être baptisé ? Assurément, car cet acte constitue une confession décisive du nom de Jésus, et proclame une soumission entière à sa volonté, l'abandon d'une vie passée, la naissance à une vie nouvelle. Ce fut pour l'ancien disciple de Gamaliel une humiliation. Mais par cet abaissement même il fut élevé. Nos missionnaires d'aujourd'hui savent ce qu'il en coûte d'amener à descendre jusque-là un fils de Confucius ou de Brahma.

§ 2. Premières prédications de Saul

9.20   Le néophyte brûle déjà du « zèle de la maison de Dieu. » Il veut communiquer sa foi, gagner des âmes à son Sauveur. Il commence par annoncer Jésus dans ces synagogues où il s'était promis d'enchaîner ses confesseurs. Et ses prédications ont un but précis, auquel il demeurera fidèle dans tout son ministère ; il veut établir que Jésus est bien le Fils de Dieu1.

9.21   Le premier effet produit chez les auditeurs est une véritable stupéfaction. Car chacun savait le but de Saul en arrivant à Damas et l'on se répétait, presque sans y croire au début : N'est-ce pas celui-ci qui a ravagé2 dans Jérusalem ceux qui invoquaient ce nom, et ici il est venu avec l'intention de les emmener liés aux grands prêtres. Ces exclamations de surprise n'arrêtent point le jeune prédicateur ; il redouble au contraire d'énergie ; il « confond » les Juifs de Damas, il continue imperturbablement ses démonstrations3, revenant toutes à ceci : Jésus est vraiment le Christ. Il emploie la puissance de sa logique à ruiner ses anciennes assertions. Bientôt, à ses raisonnements pressants on ne trouvera rien à opposer, si ce n'est la violence.

Ici, une difficulté assez sérieuse se présente. Paul, dans son épître aux Galates (Galates 1.16-18), parle de la même époque de sa vie et ne dit rien de ses premières tentatives d'évangélisation. Il serait parti de Damas presque immédiatement après sa conversion, et ne serait rentré à Jérusalem qu'après trois ans, passés en partie en Arabie. Où placer ces trois années dans la narration des Actes ? Le terme εὐθέως s'applique au début de l'activité missionnaire de Saul dans Damas, nullement à un départ pour le Midi, dont il n'est pas même fait mention. Il n'y a, dit Zeller, aucune conciliation possible entre ces deux versions ; il faut choisir l'une ou l'autre, peut-être les repousser toutes deux. -- De deux choses l'une, affirme Holtzmann : ou bien la différence entre les deux récits est intentionnelle, ou bien elle prouve l'ignorance de l'auteur des Actes. L'un et l'autre texte auraient pour but de laver Saul de tout reproche pour ne s'être pas mis plus promptement en rapport avec les Douze, demeurés dans Jérusalem.

Ces solutions forcées ne paraissent point s'imposer. L'auteur des Actes use ici, pour désigner le temps et les dates, d'expressions vagues, ou plutôt élastiques, et probablement choisies à dessein pour permettre une interprétation un peu large. Saul commence par passer à Damas quelques jours -- ἡμέρας τινάς . -- (Vers. 19.) Plus tard, des jours en nombre suffisant -- ἡμέραι ἱκαναί -- s'écoulent avant l'explosion du complot formé par les Juifs contre lui. (Vers. 23.) Il est dès lors possible de voir dans la première de ces deux indications celle d'un bref séjour de Saul à Damas, immédiatement après son baptême ; la seconde s'appliquerait au temps plus considérable passé par lui, d'abord en Arabie (peut-être dix-huit mois), puis de nouveau à Damas. C'est l'opinion de Meyer et, partiellement, de Lechler. Farrar chercherait plutôt la place du séjour en Arabie dans le corps même du verset 19, entre la visite d'Ananias et les premières prédications du converti. Cela me paraît moins vraisemblable.

Mais, continuera-t-on, pourquoi donc notre auteur n'a-t-il pas parlé du voyage en Arabie ? Nous ne savons pas ; deux raisons, cependant, sont admissibles. Ses renseignements personnels se taisaient peut-être sur ce point. Ou bien, et c'est plus probable, il n'a pas voulu s'en servir. Son but n'était pas d'écrire une biographie de Paul. Il racontait l'établissement de l'Eglise, sa marche constante de Jérusalem à Rome, l'épisode de l'Arabie y importait assez peu. Un fait reste commun aux deux documents, celui des Galates et celui des Actes : c'est que Saul a commencé à Damas son activité missionnaire. Ce fait rentrait dans le cadre adopté par notre historien, il le mentionne. Il se tait sur le séjour en Arabie, et ce silence rend improbable, à nos yeux, l'hypothèse parfois présentée d'une évangélisation de ce pays par le jeune néophyte4. En l'y envoyant, le Seigneur se proposait un autre but, croyons-nous. Il voulait le faire passer par la retraite, comme Moïse au temps jadis, afin de consolider une conversion encore à ses débuts, et d'empêcher cette dispersion des grâces reçues d'où naît si aisément la dissipation religieuse. Le choix de l'Arabie pour une telle retraite révèle mieux encore cette intention. Car nous avons très probablement à entendre sous ce nom la péninsule sinaïtique. Le fameux et difficile passage Galates 4.21 et suiv., nous montre Paul familiarisé avec cette localité et avec les traditions, populaires ou rabbiniques, rattachées aux divers sommets du Sinaï. Pour mieux conduire les âmes à Christ, il a dû passer par le « pédagogue, » c'est-à-dire par la loi ; et il l'a rencontrée pour ainsi dire face à face, aux lieux mêmes où se retirèrent autrefois Moïse le législateur et Elie le restaurateur de la loi.

9.23   Paul, de retour à Damas, y a repris ses exhortations. Les Juifs, cette fois, ne se contentent plus de s'en étonner ; ils veulent les faire cesser en supprimant le prédicateur5. Ils en forment entre eux le projet et débattent leur plan, sans parvenir pourtant à le cacher entièrement à leur victime. Ils ont, du reste, bien des alliés dans la ville, car on leur a confié la garde des portes et ils les surveillent6 jour et nuit pour empêcher la sortie de l'apôtre. Quand Paul rappellera ces circonstances, il y ajoutera celle que Damas, alors au pouvoir d'Arétas, beau-père d'Hérode-Antipas, avait pour gouverneur un ethnarque : les Juifs avaient trouvé le moyen de le mettre dans leurs intérêts. (2 Corinthiens 11.32) Il peut avoir été Juif lui-même ; il met, en tout cas, sa police à leurs ordres.

9.25   Les issues étant fermées de la sorte, et les disciples étant résolus à sauver Saul dont ils commencent à comprendre la valeur, recourent à un stratagème renouvelé des espions de Jérico. (Josué 2.15) Ils l'amènent de nuit dans une maison dont les fenêtres ouvrent sur le rempart (cela ressort du moins du texte très concis) et le descendent en le dévalant dans une corbeille7, le long de la muraille. -- Une leçon assez curieuse, donnée par א, A, B, C, lit μαθηταὶ αὐτοῦ au lieu de : αὐτόν οἱ μαθηταὶ  ; il faudrait alors admettre à Damas l'existence de disciples se réclamant déjà du nom de Saul. -- Dans sa seconde épître aux Corinthiens (11.32), à l'énumération des preuves les plus éclatantes de son apostolat, Paul ajoute le souvenir de cette fuite de Damas, souvenir pénible pour lui, semble-t-il, et presque honteux ; il lui en coûte d'avoir dû recourir à ce moyen de sauver sa vie.

9.26   La narration se tait sur le voyage de Saul de Damas à Jérusalem. Elle nous le montre seulement, arrivé dans cette dernière ville, accueilli par la défiance générale des chrétiens. Il cherche à se joindre à eux ; mais on le redoute ; on ne peut pas le considérer comme un frère. Et ne nous étonnons pas trop de ces soupçons ; en vérité, les croyants de Jérusalem ne savaient pas et ne pouvaient pas savoir. Ils avaient perdu Saul de vue pendant son séjour prolongé en Arabie ; ses faits et gestes depuis son retour à Damas devaient n'être encore que très imparfaitement connus, ou soulever bien des doutes. Comment croire, sans preuves redoublées, à la réelle conversion de l'ancien « ravageur ? »

9.27   Barnabas crut. Il avait ses raisons et il parvint à les faire accepter. Très généreusement, en effet, et très promptement, il prend fait et cause pour le nouveau venu. Avait-il été, comme le prétend une tradition, son camarade à l'école de Gamaliel ? Il est difficile de le certifier. L'avait-il connu à Tarse ? Ou bien l'intervention de Jean surnommé Marc, cousin de Barnabas et fort lié avec Pierre (12.12), a-t-elle contribué à briser la glace et à faire recevoir Saul chez les apôtres ? Tout cela est possible. Galates 1.18 place effectivement ici un séjour de Saul chez Céphas pendant deux semaines. Pourquoi nierions-nous, d'autre part, la probabilité d'entretiens particuliers, dans lesquels Barnabas aurait pu se convaincre de la parfaite droiture du nouveau croyant, et recevoir de sa bouche tous les détails de sa conversion ? Il les aurait transmis, revêtus de sa propre autorité, à ses collègues encore craintifs. -- Reste une dernière difficulté. « Barnabas, dit notre texte, conduisit Saul auprès des apôtres. » Paul déclare avoir vu alors Pierre et « aucun autre apôtre, si ce n'est Jacques le frère du Seigneur. » (Galates 1.19) Ces deux données semblent s'exclure. Des apôtres dans un récit, dans l'autre un seul apôtre. Pourtant le passage même des Galates fournit une explication. Jacques, le frère du Seigneur, nommé après Céphas, peut passer et a passé souvent pour un personnage apostolique ; cela suffit déjà pour expliquer le pluriel ἀποστόλους dans Actes 9.27. En outre, le nom de ἀπόστολος, déjà appliqué au frère du Seigneur, l'est aussi à d'autres personnages, par exemple à Barnabas lui-même (Actes 14.4) ; peut-être à Andronicus et à Junias8. (Romains 16.7) La difficulté signalée se résout donc sans faire au texte aucune violence.

9.28   Les nobles efforts de Barnabas réussissent ; la confiance des apôtres est accordée à Saul, et celui-ci peut bientôt, selon l'expression hébraïque bien connue, « entrer et sortir dans Jérusalem9 » dans la compagnie des frères. Paul profite de cette liberté pour user d'une pleine franchise, même de hardiesse, dans le nom du Seigneur10, absolument comme il venait de le faire à Damas. Il recherche, en outre, pour discuter avec eux (συζήτειν), non les Juifs hébreux, cette fois, mais les hellénistes Ἕλληvας est certainement une faute), ces Juifs de l'étranger, dont les plaintes avaient amené du trouble dans l'Eglise. (6.1) Pour le moment, il ne s'adresse pas aux païens. Mais, s'il a cru trouver un meilleur accueil chez ces hellénistes, il s'est bien trompé ; ils cherchent à le faire mourir11, comme lui, trois ans auparavant, avait résolu la mort d'Etienne. Les frères, les apôtres par conséquent en première ligne, ont vent du complot. Décidés, comme leurs coreligionnaires de Damas, à sauver Saul à tout prix, ils l'emmènent à Césarée, puis le font passer de là à Tarse, sa patrie. Dieu voulait encore pour lui un temps de retraite et de repos, au moins relatif.

Deux courtes indications autobiographiques doivent compléter ici la narration fort brève de notre historien. Paul, dans son apologie devant le peuple de Jérusalem, affirme avoir obéi, pour quitter la capitale, à un ordre du Seigneur ; il aurait même commencé par lui résister. (22.17-21) Voir, entre les deux données, du chapitre 9 et du chapitre 22, une contradiction absolue, comme Zeller l'affirme, c'est vraiment du parti pris. Si notre apôtre avait eu de la peine à quitter Damas, il doit en avoir eu plus encore à s'éloigner de la ville sainte ; il n'eût pas cédé à la seule pression de ses nouveaux collègues ; des motifs plus forts l'ont déterminé. D'autre part, d'après sa lettre aux Galates, il aurait à ce moment traversé la Syrie et la Cilicie (Galates 1.21-24), tout en demeurant inconnu de visage aux Eglises de Judée. Ce renseignement peut avoir conduit quelques commentateurs à faire de la Césarée ici nommée Césarée de Philippe. C'est pourtant bien peu probable ; cette ville était trop rapprochée de Damas pour ne pas faire courir à Saul des dangers renouvelés ; et puis notre auteur, toujours exact, l'eût désignée par son nom complet. Une supposition plus naturelle se présente. De la Césarée maritime, Saul a pu remonter d'abord vers le nord, à Tyr, par exemple, ou à Sidon, villes politiquement rattachées à la Syrie, et il s'y serait embarqué pour Tarse. Ou encore, pendant les trois ou quatre ans passés dans sa patrie, il a pu la parcourir plus d'une fois et se rendre jusqu'en Syrie. La mention de frères répandus en Cilicie12, donne à entendre que, durant ce laps de temps (probablement de 39 à 42 ou 43), il aura évangélisé cette province, peut-être même converti quelque membre de sa famille, sa sœur, par exemple, ou son neveu. (23.16)

Quelques frères l'ont accompagné, au moins au début du voyage. Parmi eux, Pierre se trouvait peut-être avec son hôte de quinze jours. Il aurait été de la sorte conduit dans la région de Lydde et de Joppe, où nous allons le rencontrer, poussé, dirait-on, par le besoin d'examiner encore l'œuvre accomplie par l'évangéliste Philippe.

4. MISSION DE PIERRE ;
CONVERSION DE CORNEILLE

§ 1.
Guérison du paralytique Énée : 9.31 à 9.35
§ 2.
Résurrection de Dorcas : 9.36 à 9.43
§ 3.
Pierre chez Corneille : ch. 10
§ 4.
Apologie de Pierre devant l'Église : 11.1 à 11.18

§ 1. Guérison du paralytique Énée

Un pas immense est fait pour amener l'Eglise des Gentils à s'établir dans le monde. Son apôtre lui est donné. L'historien, cependant, va nous détourner pour quelque temps de Saul de Tarse ; ce missionnaire ne sera même pas le premier à faire entrer des païens dans la communauté des croyants. D'obscurs évangélistes ont commencé cette œuvre dans la Sa-marie. Un apôtre va la continuer ; mais cet apôtre, tout d'abord, ne sera pas Saul, et il agira en dehors des limites de la Palestine. Dieu ne se lie ni par des pays, ni par des institutions. L'appel d'Israël à l'existence fut une œuvre de sa liberté souveraine ; ainsi en sera-t-il de l'entrée des Gentils dans son royaume.

9.31   Le nouveau tableau peint par l'auteur présente au premier plan une scène de paix. Par toute la Judée, la Galilée et la Samarie, l'Eglise jouit d'un calme momentané, étant édifiée -- comme un bâtiment dont les étages s'achèvent successivement -- et cheminant dans la crainte du Seigneur, elle s'augmentait dans [la sphère de] l'exhortation du Saint-Esprit1. Avec les manuscrits les plus sûrs nous lisons le singulier ἐκκλησία, et non le pluriel. Il y a une Eglise, et pour la première fois nous découvrons son existence jusque dans la Galilée, œuvre sans doute des cinq cents témoins du Ressuscité et peut-être aussi des fugitifs de la persécution. Les trois provinces de la Palestine ont chacune maintenant leurs troupeaux chrétiens, et ces troupeaux réunis constituent l'Eglise du Christ. Or, aujourd'hui, cette Eglise est paisible, car son persécuteur le plus redoutable est devenu un disciple, et ceux dont il était tour à tour le chef et l'agent n'ont pas encore trouvé leur nouveau conducteur. D'autres circonstances, d'ailleurs, ont concouru à procurer cette paix.

Josèphe, en particulier, nous montre à cette même époque les Juifs profondément troublés, menacés dans leur foi, au point de ne pouvoir plus guère se préoccuper des chrétiens. Caligula, dans un de ses accès de folie, avait voulu installer sa propre statue dans le temple de Jérusalem. Ordre avait été donné à cet effet au gouverneur Pétronius de ne pas reculer devant l'emploi de la force, et deux légions, accompagnées d'auxiliaires, occupaient déjà Ptolémaïs pour faire exécuter cette insanité sacrilège. C'était en l'an 39. Des milliers de Juifs étaient alors accourus auprès de Pétronius pour le supplier de surseoir. Des conférences et des pourparlers s'étaient succédé pendant cinquante jours. Le gouverneur en avait référé à Rome ; Hérode s'était employé auprès de Caligula pour le détourner de son dessein. En l'an 40 ces multiples instances semblaient perdues, lorsque tout d'un coup l'empereur mourut, en janvier 412.

On n'avait, au milieu de si graves préoccupations, point de temps pour courir sus aux chrétiens, et notre auteur, en sa brièveté, prouve une fois de plus la sûreté de ses informations. L'Eglise profite de ce répit pour s'édifier3, en progressant tout ensemble quant au nombre et quant à la vie spirituelle de ses membres ; le Saint-Esprit, remplissant ses fonctions de Paraclet, poussait par ses exhortations les âmes à faire partie de l'Eglise.

9.32   Pendant cette période de calme et de progrès, Pierre fait une tournée de visites à travers les différents troupeaux chrétiens ; διà πάντων, dit le texte, après quoi il faut sous-entendre ou τόπων ou peut-être ἀγίων (c'était le temps de la retraite de Saul à Tarse). Il arrive ainsi à Lydde, village, dit Josèphe, à peu près égal en grandeur à une ville4 et situé près de la Méditerranée, à 20 ou 25 kilomètres de Joppe ; ce fut plus tard Diospolis. Là vivait un malade nommé Enée (Ἀινείασ serait le nom du héros de Virgile), paralysé depuis huit ans et toujours couché sur un grabat. Le récit ne fait pas de lui un chrétien ; mais il connaissait au moins le nom du Seigneur, invoqué par Pierre pour sa guérison : Jésus-Christ te guérit, dit l'apôtre, non pas sous forme de vœu, mais bien comme l'expression d'un fait. Le programme tracé par l'auteur, tout au début de son livre, continue à se remplir : le Sauveur ne cesse pas d'agir du haut du ciel ; il poursuit les œuvres commencées. Du reste, à la promesse faite en son nom, un ordre aussi est joint, en la même autorité : Lève-toi, et, littéralement : Etends pour toi, στρῶσον σεαυτῷ, « dresse-toi ton lit5 ; » στρώννυμι signifiant « préparer le lit, » même sans le régime exprimé εὐνήν ou κλίνηv . Au paralytique de prouver la réalité de sa guérison, en faisant immédiatement l'ouvrage fait pour lui par d'autres depuis huit années. Nous n'entendons, au surplus, aucune autre parole échangée entre l'apôtre et le paralytique. Il peut n'y en avoir point eu. Le regard peut avoir suffi à Pierre, comme 3.4, pour se persuader de la foi d'Enée.

9.35   Ce malade était connu ; sa guérison, naturellement, fait du bruit ; chez les habitants de Lydde, d'abord, puis aussi chez ceux de Saron. Ce dernier nom est celui d'une plaine célèbre et fertile, entre Joppe et Césarée, riche en pâturages et en vignes 6. Elle commence à s'enrichir d'un trésor autrement précieux. Des témoins du miraculeux rétablissement d'Enée sont gagnés à la foi. Ils le virent, dit le texte, eux qui 7 se convertirent au Seigneur ou : « Savoir ceux qui se convertirent... » Encore un cas où le miracle a été un instrument de conversion.

§ 2. Résurrection de Dorcas

9.36   De cet Enée, nous sommes transportés auprès d'une femme chrétienne, la première, depuis la Pentecôte, dont l'activité nous soit racontée. Sans avoir porté, semble-t-il, le titre de diaconesse, elle l'a été certainement par ses œuvres. Son nom de Tabitha est l'araméen טְבִיתָא équivalent de צֵבִי la gazelle ; en grec : Dorcas. Ce nom flatteur était volontiers donné à la femme1. L'école de Tubingue a imaginé de confondre cette Tabitha avec la jeune fille de Marc 5.35-43, à laquelle le Seigneur dit : « Talitha coumi ; » supposition d'un bien étrange arbitraire, car, dans le passage de Marc, Talitha n'est pas un nom propre, mais le synonyme de « jeune fille. » Tout, d'ailleurs, diffère dans les deux récits ; à mon sens, un esprit prévenu peut seul les identifier. Dorcas est présentée comme disciple2 ; elle est donc une chrétienne ; elle habite Joppe, l'ancienne Japho, au sud de la plaine de Sa-ron et rattachée alors à la province de la Syrie. Un bourg voisin de Lydde paraît avoir porté le nom de Tebi en souvenir de Dorcas, ou bien, comme dit Lightfoot, « a capreolis, in fœcundà hac valle discursantibus. »

9.37   Cette chrétienne -- sa vie, dirions-nous plutôt dans notre langage, -- était remplie de bonnes œuvres et d'aumônes. Cela ne l'empêche pas de tomber malade et de mourir ; l'auteur, contre son habitude, ne dit pas à quel mal elle succomba. Pierre était bien près, pourtant ; pourquoi ne l'a-t-on pas appelé plus tôt ? -- Et pourquoi, répondrons-nous, Jésus appelé par Marthe et Marie est-il venu si tard à Béthanie ? Comme celle de Lazare, la maladie de Dorcas était, sans doute, « à la gloire de Dieu. » -- On vient de lui faire sa dernière toilette3, puis on a déposé le corps dans une chambre haute, et l'on a vite dépêché deux messagers à Pierre, dont on vient d'apprendre la présence à proximité. Les messagers ont ordre de le presser. Ne tarde point4, -- doivent-ils lui dire, -- à passer jusque vers nous5. L'apôtre se lève aussitôt et les accompagne dans la maison de deuil. Point de temps perdu : on le conduit tout de suite à la chambre haute, et le voilà entouré de femmes en pleurs ; on lui montre les ouvrages faits par la défunte au profit des nécessiteux : tuniques et vêtements de dessus. On ne demande pas expressément à Pierre d'opérer un miracle et de ressusciter Dorcas ; mais cette demande, cette attente en tout cas et ce désir se sous-entendent dans cette petite congrégation. Les veuves sont spécialement mentionnées, car elles sont aussi très particulièrement touchées par ce décès. L'emploi du participe moyen ἐπιδεικvύμεναι semble même reproduire leurs gestes : elles montraient sur elles les vêtements cousus par Dorcas.

9.40   Pierre alors, on le dirait du moins, se rappelle la scène dont il avait été le témoin chez Jaïrus. A l'exemple de son Maître, il fait sortir de la chambre tout le monde, même ces veuves dont la douleur est si évidemment sincère. Rien ne doit troubler sa prière. Mais il priera ; il s'agenouillera ; chez Jaïrus, le Christ n'avait pas eu besoin de cet acte ; sa communion avec le Père était trop constante pour l'exiger. L'apôtre, après cela, se tourne vers le cadavre : « Tabitha, dit-il, lève-toi ! » Dorcas ouvre les yeux, voit Pierre devant elle, et, par un sentiment très naturel de respect, se met sur son séant. L'apôtre lui tend la main pour l'aider à se lever, appelle les saints, c'est-à-dire les disciples, et les veuves, leur rend vivante cette femme tout à l'heure couchée dans le linceul de la mort. Le bruit de ce miracle parcourt promptement la ville entière de Joppe, et plusieurs crurent au Seigneur, proprement « en se reposant sur lui, » ἐπὶ indiquant la direction vers laquelle se porte la foi : elle va non point à Pierre, mais au Seigneur.

9.43   Une œuvre spirituelle commence donc dans cette ville. L'apôtre juge nécessaire d'y faire un certain séjour, afin d'affermir ces débuts. Rien de plus naturel. Ce qui l'est moins, c'est qu'il prend ses quartiers chez un corroyeur6. En serait-il venu à se placer déjà au-dessus des préjugés de son peuple ? Il faut le croire ; car le métier de tanneur était tenu chez les Hébreux pour impur, vu l'obligation où il mettait d'entrer en contact fréquent avec des animaux morts, ou du moins avec leurs dépouilles. Si un tanneur se mariait sans avoir déclaré son métier, l'épouse, en le découvrant, pouvait demander son divorce. Eh bien, l'apôtre sera déjà l'hôte d'un tanneur, au moment où Dieu lui révélera la distinction vraie entre le pur et l'impur.

La critique négative ne pouvait laisser passer un tel récit sans protestation ; la réfuter nous exposerait à plus d'une redite. Notons-le cependant : de l'aveu même de Zeller, le fait en question se présente bien comme un miracle, et non comme un événement naturel. Pour le repousser, il faut partir de ce principe à priori : il n'y a pas de miracles. Or c'est une affirmation de parti pris ; ce n'est pas une démonstration scientifique. Holtzmann soutient un point de vue un peu différent. Suivant lui, ces deux derniers miracles attribués à Pierre sont des reproductions de types anciens, dont l'imagination populaire se plaisait à voir la pareille chez certains hommes de Dieu. On voulait enrichir l'apôtre Pierre d'une réputation égale à celle des anciens prophètes, ou même du Christ. La guérison du pauvre Enée devient une variante de celle du paralytique opérée par le Sauveur. (Matthieu 9.1-8, et passages parallèles.) La résurrection de Dorcas reproduit celle de la fille de Jaïrus (Marc 5.35, etc.), ou peut-être aussi celle du fils de la Sunamite. (2 Rois ch. 4.) Or ces types anciens sont des mythes ; les reproductions le sont pareillement ; il n'y a pas lieu de s'y arrêter. Et Pfleiderer7 pose sans sourciller le principe suivant : « Dans toute histoire légendaire, il est de mode de rattacher des récits analogues conservés par la tradition à des personnages divers et à des localités différentes, si, toutefois, on rencontre entre ces récits quelques points de contact. » Pour cet auteur, la résurrection de Dorcas serait surtout un parallèle de celle d'Eutyche. (20.9-12) Oui, le principe est posé. Mais sur quelle base solide s'appuie-t-il lui-même ? Où sont les preuves irréfutables qui nous contraindront de l'admettre ? Nous les cherchons, mais nous ne les trouvons pas. Ecrire, quelque dix-huit siècles après l'événement : « Les choses ont dû se passer ainsi et de nulle autre façon ; » dénier aux témoins immédiats la capacité de voir et d'entendre ; les classer superbement parmi les hallucinés ou les simples d'esprit, c'est, répétons-le, de la fantaisie, ce n'est plus de la science.

Un mot encore. Nous venons de voir l'intercession d'un apôtre suffire pour briser, momentanément, la puissance de la mort. Bientôt, cependant, les Douze passeront au second rang, presque à l'arrière-plan. Ce ne sera point marque de faiblesse ni d'infidélité. Le Seigneur, en les mettant à la retraite, ne les dépouillera point de ses dons.

§ 3. Pierre chez Corneille


a) Vision de Pierre à Joppe. 10.1-16.
Comment allait s'opérer l'entrée des Gentils dans l'alliance de Dieu ? Y seront-ils appelés ou, du moins, fraternellement accueillis par les anciens croyants ? Cette grave question se pose maintenant à l'Eglise ; la solution en est d'une importance capitale. Elle ne s'annonce malheureusement pas sous un jour favorable. La nation Israélite s'est détournée de Jésus-Christ ; elle ne se dispose point à lui amener les païens. Bien au contraire ; les considérant encore comme des ennemis, elle leur interdit l'accès du royaume de Dieu, à moins qu'ils ne se soumettent à toutes les exigences du mosaïsme.

Les païens, cependant, entreront dans l'Eglise. C'est le plan de Dieu, et l'heure de l'exécution est venue. Mais ce ne sera pas une brusque révolution, compromettante pour l'existence même de la communauté mère à Jérusalem. Le Seigneur continuera de procéder par degrés. Il fera connaître sa volonté par des révélations à la fois très décisives et très restreintes, ou d'abord confiées à des cercles peu étendus. Les judéo-chrétiens pourront s'associer aux païens, travailler à leur conversion, sans renier leur peuple ni leur Messie. Faire connaître à Pierre et par lui aux Douze, puis à l'Eglise, cette mystérieuse dispensation, c'est le but de la vision de Joppe et de la visite chez Corneille. Les détails dans lesquels le narrateur entrera, les nombreuses répétitions de son récit nous feront vite comprendre la signification exceptionnelle des événements. La vision de Corneille sera racontée trois fois : 10.3-6 ; 30-32 ; 11.13-14 ; celle de Pierre deux fois : 10.10-16 ; 11.5-10 ; sans compter l'allusion 10.28. Cette insistance frappe le lecteur, lorsqu'il se rappelle avec quelle absence de détails la conversion des 3000, à la Pentecôte, avait été relatée.

Quant au récit lui-même, il abonde en traits miraculeux, et nous ne saurions nous étonner de les voir révoqués en doute par les adversaires du surnaturel. Néander, tout en les admettant, croit pouvoir les expliquer par les dispositions psychologiques des principaux acteurs. Pure hypothèse, sans appui dans le texte, et d'ailleurs incapable d'aplanir les difficultés. Si nous n'avons pas le préjugé -- car vraiment ce n'est pas autre chose -- en vertu duquel on déclare le miracle impossible, une autre considération nous frappera bien plus ici : c'est l'impossibilité d'expliquer sans miracles les événements dont l'Eglise va être l'acteur et le témoin.1 L'intervention de l'homme joue maintenant un rôle absolument effacé. Mais l'heure est venue où les derniers seront les premiers, et où les premiers deviendront les derniers. Etablie au sein du peuple juif, l'Eglise compte déjà quelques milliers de membres ; elle a vaillamment préparé, réalisé même, le passage de l'ancienne alliance à la nouvelle, sans devenir une simple dépendance du judaïsme.

10.1   L'historien nous transporte à Césarée, alors véritable ville païenne, construite cependant par Hérode le Grand, avec l'intention d'en faire un port pour la Palestine. Les Romains en avaient promptement reconnu l'importance. Césarée, appelée par Tacite « caput Judææ, » était devenue la résidence du gouverneur et d'une garnison. Soldats et officiers tenaient du reste pour une disgrâce le fait d'y être envoyés, tant la haine et les révoltes des Juifs rendaient ce poste pénible. Nous y trouvons maintenant comme centenier un nommé Corneille, inconnu précédemment -- à moins qu'il n'ait été, suivant une tradition, le capitaine chargé de garder les croix lors du supplice de Jésus. Il commande une cohorte connue sous le nom d'italique, et ce terme a donné lieu à plusieurs interprétations2. Ce ne pourrait être une compagnie de la « legio italica, » dont parle Tacite 3, car cette légion fut levée sous Néron seulement. Etait-elle une sorte de compagnie indépendante, formée de volontaires romains ou du moins italiens ? Peut-être ; une autre explication paraît cependant plus probable. De l'an 6 à l'an 66, la Palestine a été une province romaine « de second rang. » En cette qualité, elle devait avoir en garnison des troupes auxiliaires, recrutées en Samarie et en Syrie. Mais à des légions ainsi composées les Romains mélangeaient habituellement des cohortes de soldats italiens, jugés indispensables pour maintenir la fidélité des auxiliaires. L'empire n'en comptait pas moins de trente-deux ; la compagnie de Corneille était probablement une de celles-là.

10.2   La plupart des centeniers dont nous parle le Nouveau Testament nous sont présentés comme charitables et pieux, bien disposés pour le peuple de Dieu. Corneille ne fait pas exception. Sa piété, même, a été missionnaire ; elle s'est étendue à toute sa maison. Il la manifeste par des aumônes nombreuses distribuées au peuple (évidemment au peuple juif), et par de constantes prières adressées à Dieu. Insuffisamment instruit, sans doute, il a du moins profité de son instruction. Or, « à celui qui a il sera donné, et il aura encore davantage. » Au monothéisme dont il s'est contenté jusqu'ici succédera l'adoration du Dieu de Jésus-Christ.

10.3   Vers trois heures de l'après-midi (une des heures de la prière, chez les Hébreux), par conséquent, on peut le penser, dans un état de veille, Corneille a soudain une vision. Il voit distinctement (φανερῶς) un ange de Dieu, vêtu de blanc (v. 30) et il s'entend appeler par son nom. Il arrête ses regards sur cette apparition ; mais il en est d'abord tout effrayé, comme tous ceux, y compris même un prêtre du Seigneur, Zacharie, qui sont mis soudain en présence d'un envoyé de Dieu4. -- Qu'est-ce ? qu'y a-t-il ? interroge-t-il encore en tremblant. Et l'ange s'empresse de le rassurer ; le message dont il est chargé pour Corneille est plein d'encouragements ; ses prières et ses aumônes, loin d'avoir passé inaperçues, sont montées en mémorial devant Dieu. Car « celui qui fait la vérité vient à la lumière. » (Jean 3.21) Les œuvres de ce païen sont devenues entre Dieu et lui un אֲזכָרָה, un appel à Jahveh de se souvenir de Corneille ; et la prière du centenier, pareille à celle de David, s'élève vers le ciel comme l'encens. (Psaume 141.2)

10.6   A cette déclaration toute bienveillante, un ordre se joint, celui d'envoyer « maintenant » des gens à Joppe, pour en faire venir un certain Simon qui est surnommé Pierre. Philippe l'évangéliste était très probablement alors à Césarée. Combien il eût été plus simple de s'adresser à lui pour amener Corneille à la foi ! Oui ; et combien plus simple encore de confier à l'ange toute cette mission !...Dieu avait choisi pour l'accomplir un apôtre ; il voulait honorer ainsi l'apostolat, le mettre en mesure de rendre son témoignage « jusqu'aux extrémités de la terre. » En même temps, il se réserve à lui seul le premier appel. Une vision est accordée à Corneille avant que Pierre ait la moindre connaissance de son mandat. Belle démonstration par le fait de cette affirmation de saint Paul : Dieu est aussi le Dieu des Gentils. (Romains 3.28)

10.6   L'ange donne à Corneille des indications précises sur l'habitation actuelle de Pierre. La maison de Simon, où il loge, est au bord de la mer. Un corroyeur, en effet, ne pouvait exercer son métier à proximité d'autres demeures habitées ; le contact, le voisinage seul les eût contaminées5. Ces instructions achevées, l'ange s'éloigne. Le centenier ne paraît pas hésiter un instant : l'ordre entendu l'oblige. Il appelle deux de ses domestiques et un soldat religieux, tous les trois d'entre ceux qui lui sont attachés. Holtzmann traduit προσκατερούντες par « gens appartenant à la même tendance religieuse. » C'est plus recherché et moins sûr : προσκαρτερεῖν avec le datif de la personne signifie bien « s'attacher à6, » et le choix du terme οἰκέτης, plus honorable que δοῦλος, indique aussi en quels bons termes domestiques et maîtres vivaient dans cette maison. Corneille met ces trois subalternes au courant de sa vision et des ordres reçus ; puis il les envoie à Joppe, à une forte journée de chemin de Césarée. Ces dispositions n'ayant guère pu être prises avant quatre heures de l'après-midi (la vision avait eu lieu à trois heures), ces messagers auront dû passer la nuit en route.





10.9   Le lendemain, vers midi, ils approchent de Joppe. Pierre de son côté, en Juif fidèle, se rend sur la terrasse7 de son hôte pour y prononcer la prière du milieu du jour. S'est-il rappelé alors, en laissant errer ses regards sur les flots de la Méditerranée, la fuite de Jonas, s'embarquant à ce port de Japho pour ne pas annoncer à des païens les volontés de l'Eternel ? Il se pourrait. Mais, pour le moment, il se sent surtout affamé8 et il demande à manger9. On lui prépare un repas ; il reste, en attendant, sur le toit de la maison et, pendant ce temps, il tombe en extase, ou, suivant la pittoresque expression de l'original : une extase devint sur lui10. Le rapprochement entre la faim et l'extase de l'apôtre semble établir entre elles une relation de dépendance ; la faim aurait servi comme de véhicule à un état d'âme où les limites ordinaires des sens sont franchies, où l'esprit, dégagé presque de toute entrave, perçoit des révélations supérieures. Or cet état c'est la « dejectio mentis de statu suo, » c'est-à-dire l'extase. Ainsi l'expose Paul dans 2 Corinthiens 12.2-4. Dans le cas particulier de Pierre, la vision lui apparaît sous une forme très déterminée, en rapport étroit avec son sentiment physique, c'est-à-dire avec la faim. Il attend impatiemment un repas ; Dieu lui en prépare un auquel il ne pouvait s'attendre. Par une ouverture faite au ciel, au-dessus de sa tête, il voit descendre jusqu'à lui un σκεῦος  ; désignation assez vague d'un ustensile ordinairement creux -- nous dirions : d'un récipient -- pareil à un grand linge11 dévalé par ses quatre angles vers la terre. Ces quatre angles sont probablement rattachés directement, ou par des cordes, aux bords du ciel ouvert.

10.12   Cette grande nappe creuse n'est pas vide. Pierre y voit tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre et les oiseaux du ciel. Ne traduisons pas « toute espèce de quadrupèdes ; » le texte dit bien « tous, » πάντα  ; et, si cela nous paraît impossible, répondons, avec le bon sens de Calvin : « Prospecram hune humano more non debemus metiri, quia extasis Petro alios oculos dabat. » Le caractère même de la vision entraîne de pareilles impossibilités. Seuls les poissons ne paraissent pas dans la nappe, car elle ne renferme pas d'eau, et contient seulement des animaux vivants12. Une voix, en effet, se fait entendre et crie à l'apôtre : Tue et mange. Nous le constatons : cet ordre est bien en rapport avec l'état où l'apôtre se trouvait alors, affamé et attendant son repas. Un rapprochement instructif s'impose à ce propos. Jésus a institué dans et par un repas le sacrement de la cène, où tous les membres de son Eglise proclameront leur entière unité en lui. Un repas aussi introduit la grande leçon, encore étrangère aux apôtres, de l'admission des païens dans cette Eglise. Il y a plus encore. La séparation établie dans l'ancienne alliance entre le peuple de Dieu et les Gentils n'était-elle pas associée à la distinction entre animaux purs et animaux impurs ? Cette dernière barrière va désormais être supprimée ; l'autre tombera également13.

10.14   Pierre, au surplus, n'est pas dores et déjà persuadé de ces vérités. Il a, pour y arriver, tout un chemin à faire, et sa première réponse ne l'y montre guère disposé. Sans doute, il a reconnu la voix de Dieu, ou celle de Jésus, car il répond : « Seigneur ! » Mais c'est pour ajouter : En aucune façon, car jamais je n'ai mangé tout ce qui est commun et impur ; en français : « rien de commun (souillé) ni d'impur14. » Obéissant toute sa vie à la prescription très sévère du Lévitique (11.2 et suiv.), il ne veut point commencer aujourd'hui à la violer. En fait, comme l'observe justement Reuss, il aurait pu cette fois encore ne point la violer ; car s'il y avait dans la nappe tous les animaux, il pouvait ne tuer et ne manger que les purs. Seulement, même en état d'extase, il a bien compris que l'ordre s'appliquait à tous indistinctement ; de là son refus. Et de là aussi l'insistance de la voix. Elle reprend, avec une précision des plus nettes : Ce que Dieu a purifié, toi ne le rends pas commun, c'est-à-dire : « ne le souille pas. » Maintenir actuellement l'antique distinction, observée pendant des siècles, ce serait faire œuvre directement contraire à celle de Dieu, souiller là où il a purifié. Son ordre : « Tue, mange ! » a suffi pour rendre nets des aliments impurs. Les rejeter maintenant, se refuser à y toucher, ce serait les profaner...Hélas ! que de jugements téméraires, que de paroles imprudentes ont jeté la souillure dans une âme pourtant lavée par sa foi ! -- Pour donner plus de puissance à cet enseignement extraordinaire, la vision se reproduit à deux reprises. Hackett applique le ἐπὶ τρίς 15 à la seule répétition des paroles : « Tue ! mange ! » Cela me semble peu probable, en présence des termes : τοῦτο ἐγένετο .

Nous voici donc en présence d'une phase toute nouvelle dans les révélations divines ; c'est l'aurore de cette pleine lumière dont l'éclat paraîtra dans les épîtres de Paul. L'Ecriture nous montre toutes choses, sans exception, souillées par le péché. Aux yeux de l'apôtre des Gentils, « rien n'est souillé par soi-même ; » mais il est arrivé à cette conviction ἐν κυριᾷ . (Romains 14.14) En dehors de cette sphère, les antiques distinctions conservent leur rigueur. « Toute créature de Dieu est bonne, dit ailleurs l'apôtre, et rien n'est à rejeter,... » oui ; mais à la condition d'être « pris avec action de grâces, sanctifié par la Parole de Dieu et par la prière. » (1 Timothée 4.4-5) « Tout est pur, » enfin,...oui ; mais pour les purs. « Pour les souillés et pour les infidèles, rien n'est pur. » (Tite 1.15) Dès le jour de la Pentecôte, Pierre croyait à la possibilité d'un salut pour les Gentils ; seulement il le subordonnait à l'observance des pratiques lévitiques. Ce joug (il le nommera lui-même ainsi, 15.10) doit leur être enlevé ; et voilà la leçon qui lui est donnée aujourd'hui. Les judéo-chrétiens pourront s'astreindre encore à ces règles dans leur alimentation, sous la réserve expresse de n'y point assujettir leurs frères d'entre les païens. (comparez tout ce développement, 1 Corinthiens ch. 8 à 10.)

b) Pierre se rend chez Corneille. 10.17-33.

10.17   L'ange a disparu. L'apôtre, revenu à lui, mais fort embarrassé, réfléchit sur le sens possible de sa vision. Pendant ce temps, les envoyés de Corneille, arrivés déjà dans la ville, s'informent de rue en rue de la maison du corroyeur, finissent par la découvrir, et s'arrêtent devant le πύλων, littéralement un vestibule orné de colonnes, un portail ; ici tout simplement la porte. Ils appellent alors et s'informent -- ou : appellent à haute voix16 -- pour savoir si Pierre est bien logé (proprement « hébergé ») dans cette demeure...L'apôtre réfléchit toujours ; il n'a pas encore réussi à se rendre compte du sens des ordres entendus. L'Esprit lui dit alors : Voici trois hommes qui te cherchent. L'Esprit, notons-le ; d'après le narrateur, ce ne sont pas les voix des nouveaux venus qui sortent l'apôtre de sa méditation. (Nous avons lu avec א, A, C trois hommes ; B lit δύο, comme s'il faisait abstraction du soldat venu avec les domestiques du centenier ; et D dit simplement ἄνδρες, sans articuler de chiffre.) Puis, comme toujours, l'Esprit ne se contente pas d'une information ; il y joint un ordre ; et il l'introduit par un ἀλλὰ significatif : ils te cherchent, mais toi, lève-toi ; descends vers eux, accompagne-les ; il ne convient pas de te laisser chercher plus longtemps ; n'hésite point, car ils ont été envoyés par moi-même. Que conclure de ces paroles, sinon que l'Esprit a été l'agent de la vision attribuée à un ange ?

10.21   Pierre obéit aussitôt, il descend vers ces hommes17, se fait connaître à eux, puis leur demande le motif de leur visite. -- Les messagers commencent leur récit, et l'on ne peut s'empêcher d'admirer le choix délicat, et fort approprié aux circonstances, des expressions mises dans leur bouche. Les domestiques de Corneille présentent leur maître à l'apôtre de la façon la mieux faite pour gagner sa confiance. C'est, disent-ils, un homme juste, qualité la plus prisée chez un chef. C'est aussi un homme craignant Dieu, auquel toute la nation des Juifs rend témoignage ; comme cette remarque devra faire impression sur Pierre ! Enfin, il a reçu de la part d'un ange une révélation positive lui commandant de faire chercher l'apôtre, et, pour désigner cette révélation, les messagers emploient le terme le mieux en rapport avec leurs conceptions païennes, celui dont Matthieu 2.12 se sert pour désigner une communication divine adressée aux mages d'Orient18. « Pour préciser le motif de leur maître, dirons-nous avec Reuss, les députés se servent d'un terme employé en grec pour les oracles, et combinent ainsi une formule d'origine païenne avec un fait -- l'apparition d'un ange --- dont la conception même était étrangère à cette sphère. » Si donc Corneille n'est pas venu de sa personne, s'il ose prier Pierre de se déranger de la sorte, c'est par obéissance à un ordre divin !

10.23   Mais l'apôtre aussi a reçu un ordre pareil, et il obéira. Dès maintenant, son esprit est éclairé ; ses incertitudes disparaissent. Il offre, lui Juif, l'hospitalité à des païens. Il est trop tard pour partir immédiatement, les voyageurs ont besoin de repos. On se met en route pour Césarée le lendemain. L'apôtre se fait accompagner par six frères, pris à Joppe même. (comparez 11.12) Il ne lui sera pas inutile, dans la suite, de pouvoir produire ces témoins ; ils y gagneront, de leur côté, les plus utiles enseignements. Un jour se passe en chemin ; mais on n'est peut-être pas parti dès la première heure ; on fait halte pour la nuit, et l'on arrive à Césarée le lendemain du départ de Joppe. Corneille n'était pas seul à attendre l'apôtre. Il avait convoqué dans sa maison ses parents et ses amis les plus intimes, les nécessaires, comme dit le texte. Une sainte fête se prépare pour lui ; il ne veut pas être seul à en jouir19.

10.25   Déjà Pierre est à la porte. Au moment où il entre20, le centenier s'élance à sa rencontre, tombe à ses pieds et adore. Ce verbe προσκύνησεν -- adora -- n'a pas de régime. L'intention de Corneille pouvait être d'adorer Dieu ; mais l'apparence est celle d'une adoration de l'apôtre par cet officier. Il faut éviter jusqu'à cette apparence idolâtre. Lève-toi, dit Pierre à Corneille, comme le dira l'ange de l'Apocalypse à l'apôtre Jean. (Apocalypse 19.10 ; 22.9) Pierre entre enfin, s'entretenant 21 avec le soldat romain ; il trouve toute une assemblée accourue pour l'entendre, et il prend le premier la parole, car il a besoin de leur expliquer ce fait extraordinaire : l'arrivée d'un Juif chez un Gentil. Fait si étrange, qu'il est, en soi, contraire à la justice légale, à Thémis, comme l'indique énergiquement le terme ἀθέμιτον (classiq. ἀθέμιστον  ; comparez 1 Pierre 4.3). Cette justice-là, du reste, n'était point celle de la loi. Les rabbins seuls avaient élevé ces barrières jalouses, haineuses, entre Israël et les autres nations, multiplié ces interdictions méchantes et ces réserves pédantes dont Lightfoot nous a conservé maint exemple, celui-ci entre autres : « Prohibitum est reducere deperditum quid Ethnici22. » Les Juifs, il y a quelques années, ont évité d'entrer au prétoire « pour ne pas se souiller. » (Jean 18.28) Pierre a fait plus d'une journée de voyage avec des païens ; il est actuellement dans la maison de Corneille. Il fera et il verra bien plus encore, et déjà son langage se ressent des premières leçons reçues. Pour désigner les non-Juifs, il ne dit pas les ἔθνικοι  ; il emploie l'expression plus douce de ἀλλόφυλοι, « ceux d'une autre tribu23.. » Bientôt même il mangera avec eux. (Comparez 11.3.) Il agit de la sorte par obéissance à une révélation d'en haut. Dieu lui a défendu de dire aucun homme souillé ou impur, et ainsi est entrée dans sa conception du salut une notion vraiment universaliste. Il a pourtant autre chose encore à apprendre. Il est venu sans répliquer24 sur la demande des envoyés de Corneille ; il attend maintenant les motifs de cet appel : Je m'informe donc, dit-il, en quel sujet vous m'avez fait venir.

10.30   Corneille répond aussitôt : Depuis le quatrième jour jusqu'à cette heure-ci j'étais à la neuvième [heure] en prière dans ma maison...Comment faut-il entendre cette donnée ? Les passages Jean 11.18 ; 21.8 ; Apocalypse 14.20 attribuent à ἀπό le sens de : « à partir de. » Nous pouvons le lui donner ici et traduire : « Au quatrième jour à partir d'à présent ; » donc : il y a quatre jours, et, dans ce jour-là, en avançant jusqu'à l'heure où nous sommes. Un latin dirait : « Quarto abhinc die25. » En français : « Il y a quatre jours, à compter d'aujourd'hui, jusqu'à l'heure présente, j'étais en prières, savoir à la neuvième heure. » Après ἤμην  ; la Recepta ajoute νηστεύων καὶ  ; cette leçon donnerait plus de clarté au sens (je jeûnais jusqu'à cette heure-ci, et à la neuvième j'étais en prière) ; mais elle paraît trop peu appuyée. Edmond Schérer, d'après Néander et de Wette, traduit : « Depuis quatre jours j'étais en prière jusqu'à trois heures ; » comme si le cente-nier eût prié chaque jour jusqu'à l'heure où la vision lui avait été envoyée. Ce sens ne semble pas conforme au texte. Un fait ressort des termes employés, c'est que l'entrée de l'apôtre chez le centenier eut lieu à l'heure même où l'ange lui était apparu quatre jours plus tôt. Cette apparition, du reste, il la rapporte en reproduisant les propres paroles du messager céleste et remplaçant seulement le pluriel προσευχαί par le singulier προσευχή . -- Au nom de Πετρός quelques manuscrits ajoutent : ὁς παραγενόμενος λαλήσει σοι mots superflus et retranchés dans A, B. -- « J'ai obéi, conclut Corneille. Pour toi, tu as bien fait de venir ; pour nous, nous voici tous présents devant Dieu26, -- le Dieu d'Israël, déjà instinctivement adoré par ces païens -- prêts à écouter les paroles qu'il t'a commises pour nous. » Peu d'assemblées chrétiennes ont été aussi bien préparées, et Bengel a le droit de remarquer : « Religiose preparati erant. Terra bona erat ; inde fructus celeberrimus. »

c) Discours de Pierre chez Corneille. 10.34-48.

C'est maintenant au tour de l'apôtre de prendre la parole. Sans être encore absolument éclairé, il a compris une chose : son devoir est d'annoncer Christ à cet auditoire ; il va prêcher. Et de nouveau, la solennité de cet enseignement est indiqué par la formule : ἀνοίξας τὸ στόμα, comme 8.35. Ce premier sermon chrétien adressé à des Gentils développe une idée très nouvelle pour l'orateur lui-même, savoir l'absolue catholicité de l'Eglise et l'impartialité, à l'égard de toutes les nations, de celui qu'on nommait par excellence « le Dieu d'Israël. » Ce discours, observe Reuss avec raison, diffère peu des autres exhortations apostoliques ; mais l'auditoire tout spécial auquel il s'adresse en fait l'extraordinaire nouveauté et en prépare les admirables conséquences. Pierre le sent bien, au fond, et le donne à entendre dès ses premiers mots. Quatre pensées principales sont successivement abordées ; elles ont dû être développées avec soin, nous en avons un résumé seulement :

  1. un abrégé du ministère de Jésus ;
  2. l'importance de sa résurrection ;
  3. l'annonce du jugement à venir, dont il sera le juge ;
  4. l'accord entre ces enseignements et ceux des prophètes. Mais, comme les auditeurs de Pierre ignorent à peu près la loi mosaïque, il a soin de n'y pas faire d'allusion.
10.34   Abrégé du ministère de Jésus.
L'apôtre débute en se déclarant véritablement saisi (παραλαμβάνομαι) par une vérité dont il n'avait pas encore entrevu toute la portée, et cette vérité c'est la parfaite équité de Dieu. Il n'est pas, dit-il, acceptant de personnes, littéralement « preneur de visage. » Le terme προσοπωλήμπτησ, se rencontre seulement ici. Mais nous lisons Romains 2.11 προσωποληψσία, et Galates 2.6 πρόσωπον λαμβάνειν, traduction exacte de נָשָׂא פָנִיב . L'expression fait allusion à l'acte d'un juge qui relève et tourne vers lui la face d'un prévenu, pour le traiter non selon le droit, mais selon la faveur du moment. Ainsi n'agira jamais le Seigneur, et, certes, l'Ancien Testament l'affirmait en termes assez clairs. Notre apôtre ne pouvait donc pas ignorer ce fait ; seulement, il n'en avait point encore tiré toutes les conséquences. Il ne poussait pas sa conviction de l'impartialité de Dieu jusqu'à en déduire l'effacement de l'antique distinction entre le circoncis et l'in-circoncis. Il comprend, maintenant. Conserver cette distinction, ce serait faire acception de personnes. Dieu ne la fera point ; son enfant non plus. En toute nation, le craignant Dieu et pratiquant la justice lui est recevable, et ces trois mots ἐν παντὶ ἔθνει, vont devenir une des pierres d'angle de l'Eglise. Quel est le moyen de pratiquer la justice ? Pierre ne s'explique pas maintenant sur ce point ; mais il ne donne pas le moindre appui à la doctrine du salut par les œuvres, ni à l'indifférence en matière de religion. Bengel l'observe avec grande raison : « Non indifferentismus religionum, sed indifferentia nationum hic asseritur. » L'expression δεκτὸς τῷ θεῷ, « recevable devant Dieu » n'est pas absolument synonyme de « sauvé. » Autrement, à quoi bon prêcher aux néophytes la foi en Jésus et leur proposer le baptême ? L'offre du salut gratuit est la même pour tous les hommes ; Dieu ouvre son royaume à toute âme repentante, croyante et fidèle aux révélations déjà reçues ; les prérogatives nationales d'Israël ne lui suffisent pas pour être délivré de la condamnation. Voilà les grands principes dont Pierre commence à se pénétrer. Ils sont si hauts et si nouveaux que, vingt ans plus tard, l'apôtre même des Gentils les appellera un mystère. (Ephésiens 3.3-6 ; Colossiens 1.24-29)

10.36   L'orateur, au surplus, semble un moment ébranlé. L'émotion dont il est rempli influe sur son style et sur la construction de ses phrases, aux versets 36 et 37. Les manuscrits א, C, D lisent ὅν après τὸν λογόν  ; A et B le retranchent. Dans ce dernier cas, il faut mettre un point après κύριος et traduire : Il (Dieu) a envoyé la Parole aux fils d'Israël en évangélisant (annonçant la bonne nouvelle de) la paix par Jésus-Christ ; c'est lui qui est Seigneur de tous. Pour vous, vous connaissez la parole qui est survenue à travers toute la Judée, en commençant par la Galilée, après le baptême que Jean a publié [savoir], Jésus de Nazareth, comment Dieu l'a oint, etc. La marche alors, un instant arrêtée à la fin du verset 36, reprend au début du 37, et le οἴδατε a pour régime tout le 37 et les premiers mots du 38. Ainsi traduit Rilliet, suivi plus ou moins littéralement par Oltramare, Segond et M. Stapfer : « Il a envoyé la Parole aux fils d'Israël.... Vous savez ce qui s'est passé dans toute la Judée.... Vous savez, en ce qui concerne Jésus de Nazareth, comment Dieu l'a oint... » Cette traduction fait une parenthèse de la phrase οὗτος ἐστιν πάντων κύριος, et change ἀρξάμενος, solécisme donné par presque tous les manuscrits au verset 37, en ἀρξάμενον, ce qui est aussi nécessaire si l'on maintient ὅν entre λόγον ἀπέστειλεν au verset 36. Le plus naturel, dans ce cas-là, me paraît être de donner au verbe οἴδατε du verset 37 un régime antécédent, le verset 36, et un régime subséquent, le verset 37 et le 38 ; on traduirait alors : « Quant à la parole qu'il a envoyée aux fils d'Israël en annonçant la paix par Jésus-Christ (pour lui, il est Seigneur de tous), vous la connaissez, [c'est] cette parole qui a passé à travers toute la Judée en commençant par la Galilée après le baptême que Jean a publié, [savoir] Jésus de Nazareth, [vous savez] comment Dieu l'a oint, » etc. La construction est embarrassée, lourde, pas très correcte et pas très claire. J'en conviens. Ne répond-elle pas, précisément par cette incorrection, au trouble de l'orateur ? Il commence par faire allusion à une parole annoncée par Jésus-Christ ; il se hâte d'arriver à Jésus lui-même, la Parole vivante. -- Banmgarten fait dépendre τὸν λόγον de καταλαμβάνομαι du verset 34 ; Ewald y voit une apposition de δικαιοσύνην (celui qui pratique la justice, savoir la parole....) ; Bengel interprète τὸν λόγον par un accusatif absolu (celui qui pratique la justice est recevable,...c'est la parole...) Toutes ces explications sont, je le crains, non plus seulement embarrassées, mais forcées, et font violence au texte27.

Un fait demeure certain. L'émotion de l'apôtre ne l'égare point ; elle le pousse, au contraire, à présenter le plus tôt possible à ces païens Jésus comme le Seigneur de tous (πάντον du v. 36 à prendre au masculin), et comme la Parole par excellence, à laquelle se rattachent toutes les autres révélations. Or les auditeurs de Pierre les savent, du moins en savent plusieurs, et son ὑμεῖς οἴδατε est pleinement justifié. Pilate avait longtemps résidé dans Césarée. Ses soldats, si ce n'est lui-même, avaient raconté les scènes du Vendredi saint et de la Pâque. Philippe l'évangéliste les avait sans doute commentées maintes fois : non, sur tous ces points Corneille et ses amis n'étaient pas des ignorants. Pierre se meut donc sur un terrain connu, et il ne scandalise pas ses auditeurs en assimilant τὸ γενόμενον ῥῆμα 28 -- la parole devenue par la Judée entière -- à Jésus, d'origine humaine et d'ordination divine, de Nazareth, mais oint par Dieu de Saint-Esprit et de puissance.

Entre les diverses preuves du pouvoir ainsi déployé par le Christ, l'apôtre choisit à dessein la guérison des possédés. La tyrannie exercée par le diable était, en effet, elle est encore aujourd'hui, une des caractéristiques essentielles du paganisme, et l'orateur en rend la poignante réalité par l'emploi du verbe καταδυναστεύω 29. Devenir, en délivrant ses victimes, le maître de Satan, n'était-ce pas prouver une étroite communion avec Dieu ? Eh bien, tous ces faits, toutes ces victoires, Pierre n'en a pas eu connaissance par quelque tradition obscure. Ses collègues et lui en ont été les témoins : dans la vallée du Jourdain, à Jérusalem, partout. Et ils ont vu autre chose encore ; ils ont vu ce Christ, qui usait de sa puissance pour délivrer des esclaves, crucifié comme un criminel. Ici, avec un tact parfait, l'apôtre n'accuse pas de ce crime ses auditeurs ; il emploie pour le raconter la troisième personne et non la seconde, dont il avait eu le droit de se servir devant le sanhédrin. (Comparez 5.30.)

10.40   Importance de sa résurrection.
D'autre part, il relève maintenant comme alors le contraste éclatant entre l'œuvre des hommes et celle de Dieu : Ils ont tué, il a ressuscité. Puis il ajoute, en se servant d'un verbe particulièrement propre à faire sentir la miséricorde de Dieu dans la résurrection de Jésus : il l'a donné pour devenir manifeste. La manifestation du Christ vivant après sa mort expiatoire a été un don de Dieu. Au début, toutefois, elle n'a pas été accordée au peuple entier, mais réservée à des témoins choisis. Pourquoi, dira-t-on peut-être, cette partialité, et n'est-il pas maladroit d'y insister ? Car enfin, en se montrant à ses juges, le Ressuscité ne les aurait-il pas convertis en masse ? Non ; les contemporains de Lazare mort, le revoyant vivant, ont cherché à faire mourir Jésus. Et puis, Dieu n'accorde habituellement pas les preuves les plus extraordinaires à ceux qui ont rejeté les plus simples et n'ont pas écouté Moïse ni les prophètes. (Luc 16.31) En voyant à nouveau Celui qu'il venait de crucifier, le peuple, ou bien l'eût rejeté une seconde fois, ou bien se fût empressé de le prendre pour roi tout terrestre et de déclarer la guerre aux Romains, en précipitant ainsi sa propre perte.

Comme l'Eternel avait jadis mis Abram à part pour porter ses bénédictions à toutes les familles de la terre, ainsi a-t-il séparé les Douze, et cela de sa propre main, voulant d'avance30 avoir en eux des témoins de la résurrection et, par eux, en convaincre tous les peuples. Donnés par le Père à Jésus (Jean 17.6), ces témoins ont mangé et bu avec lui dans les quarante jours écoulés entre Pâque et l'Ascension. Impossible donc d'être plus convaincus de la réalité de sa nouvelle vie. Pierre, sans doute, fait allusion par ces mots à la scène racontée Luc 24.41-43 et à laquelle il fut présent.

10.42   Annonce du jugement à venir.
Deux mots encore et Pierre conclura. Les apôtres n'ont pas été choisis seulement pour voir et pour savoir, mais pour prêcher : témoins, ils ont été appelés à témoigner. Or il y eut dans leur mandat un point sur lequel l'orateur tient à insister : Dieu leur a ordonné de certifier que celui-ci (Jésus) est le juge déterminé par le Dieu des vivants et des morts. Nous ne lisons pas cet ordre expressément dans Matthieu 28.19 ; mais il n'en est pas non plus exclu ; il est bien plutôt renfermé dans le terme μαθητεύσατε 31. Les νεκροί et les ζῶντες, doivent être pris ici au sens propre et désignent les morts et les vivants au temps de la Parousie.

10.43   Accord entre ces enseignements et ceux des prophètes.
A ce Jésus enfin, considéré ainsi comme Juge suprême, tous les prophètes rendaient déjà leur témoignage. Sans les citer, Pierre tient à s'appuyer de leur autorité : Juif, il veut se montrer d'accord avec les livres saints d'Israël, où se trouvait annoncé dès longtemps le pardon des péchés par le nom du Messie.

L'accord de cette doctrine avec celle de Paul, soit dans ses épîtres, soit dans ses discours (par exemple, 17.31), est évident. Zeller y voit la preuve de la tendance irénique de notre auteur, et s'appuie de cet accord même pour nier l'authenticité des paroles de Pierre.... Et si les deux apôtres s'étaient combattus ? Quelle conclusion en eût tirée le savant coryphée de l'école de Tubingue ? A qui les croit l'un et l'autre conduits par l'Esprit « dans toute la vérité, » leur union sur des points de pareille importance démontre la réalité de l'inspiration divine.

10.44   Ce discours de Pierre était un véritable appel au Saint-Esprit. Il vient, ce Paraclet déjà envoyé au jour de la Pentecôte. Il vient sans laisser à l'apôtre le temps d'achever32, et, mettant son sceau sur les paroles déjà dites, il tombe sur tous les auditeurs. Le texte dit bien tous, πάντας  ; pas un n'est exclu, malgré des préparations et des réceptivités différentes. Ils reçoivent le Saint-Esprit avant le baptême. Il n'est point parlé ici de l'imposition des mains, dont le rôle avait été considérable dans le mouvement religieux de la Samarie.

10.45   Les fidèles circoncis venus à Césarée avec Pierre sont hors d'eux-mêmes, en reconnaissant chez ces païens la soudaine présence de l'Esprit-Saint. Ils ne sauraient la mettre en doute, car elle se manifeste par un des phénomènes particuliers à la première Pentecôte -- le « parler en langues » -- et cette glossolalie, à son tour, se révèle par des accents de louange à la gloire de Dieu. Nous nous sommes suffisamment expliqué sur ces phénomènes pour n'avoir pas à y revenir. Reuss trouve celui de Césarée à peu près identique à celui de Jérusalem. Le texte, cependant, met en saillie deux différences notables. D'abord, Corneille et ses gens parlent « en langues » seulement ; non pas « en langues étrangères. » A quoi ces dernières eussent-elles servi dans une assemblée où tout le monde comprenait le grec ? Ensuite, ce don n'est pas accordé, comme au jour de Pentecôte, à des disciples préludant de la sorte à leur mission, mais à des païens devenant en ce moment même des disciples. Le phénomène de Césarée paraît donc bien, comme plus tard celui d'Ephèse (19.1-6), une transition entre la glossolalie de Jérusalem et celle de Corinthe. La présence d'interprètes des langues n'est pas encore mentionnnée ; le πνεῦμα commence à dominer sur le νοῦς  ; c'est déjà en partie l'état d'extase. L'intelligence de Pierre et celle de ses amis de Joppe demeurent-elles assez ouvertes pour saisir cette leçon de premier ordre : les Gentils peuvent être admis par la foi seule dans le royaume des cieux ; il n'y a pas d'opposition entre l'Eglise née du sein d'Israël et l'Eglise sortie d'entre les païens ? Le cas particulier de Corneille est-il typique pour l'ensemble des nations ?...

10.47   L'apôtre va en fournir le témoignage éclatant. Ses compagnons s'étonnent ; il veut agir et donner aux nouveaux croyants le sceau de leur conversion. Quelqu'un ne peut pourtant pas interdire l'eau, de façon à ce que ne soient pas baptisés ceux-ci, qui ont reçu le Saint-Esprit de même que nous ? Sous cette forme, la question de l'apôtre laisse clairement attendre une réponse négative : non, nul n'aurait le droit d'interdire33 ; et nul n'interdit, en effet. Réponse digne de réflexion à ceux qui déclarent inutile aujourd'hui le sacrement du baptême dans des milieux chrétiens. Il suffit, dites-vous, d'avoir reçu le Saint-Esprit. Les gens de Corneille l'avaient reçu ; un apôtre, pourtant, réclame pour eux le baptême et pas une voix ne s'y oppose. L'a-t-il administré en personne ? C'est peu probable. Le récit dit : Il ordonna qu'ils fussent baptisés. Pierre probablement, comme Paul, s'est tenu pour chargé avant tout non du baptême, mais de la prédication et de l'enseignement. (1 Corinthiens 1.17) Et cet enseignement, il le continue, pensons-nous, et il l'approfondit durant les quelques jours passés encore à Césarée, à la demande de son hôte.

Mentionnons, pour mémoire seulement, une tradition ecclésiastique relative à Corneille. Elle fait de lui le premier évêque de Césarée, et les Acta sanctorum lui consacrent un long article, en fixant sa fête au 2 février.

§ 4. Apologie de Pierre devant l'Église

11.1   Il est difficile d'estimer trop haut l'importance des événements dont notre auteur vient de nous tracer le résumé. La nouvelle en est apportée aux chrétiens de Jérusalem et de la Judée ; elle excite parmi eux une véritable effervescence. Ils en voient bien, tout d'abord, un contenu infiniment réjouissant : les païens ont reçu la Parole de Dieu. Malheureusement, il y a plus, beaucoup plus, et le parti de la stricte observance a été consterné en apprenant que Pierre est entré chez des incirconcis dont il a même partagé les repas. C'est un renversement complet du légalisme, une opposition absolue aux coutumes des pères. Pierre vient d'arriver à Jérusalem ; ses collègues commencent aussitôt une discussion l avec lui et le somment de s'expliquer...On ne croyait pas alors à l'infaillibilité de ce prétendu pape, à peine à sa primauté. Aux yeux de tous, Pierre a eu tort ; on lui laisse, néanmoins, la possibilité de se justifier. Chose bien digne de remarque : on ne paraît pas lui faire un reproche d'avoir baptisé des païens ; on le blâme d'avoir mangé avec eux.

11.4   Eh bien, l'apôtre se défendra, comme le plus simple fidèle. Il ne se retranchera point derrière une dignité intangible. Son apologie, noble et tranquille, véritable « réponse douce qui calme la fureur » (Proverbes 15.1), se borne à l'exposé des faits. Il sait combien sa conduite doit paraître étrange, mais il suit déjà la règle dont il se fera plus tard l'avocat : « Etre toujours prêt à la défense, vis-à-vis de quiconque demande compte de notre espérance. » (1 Pierre 3.15) Il parlera peu de lui, d'ailleurs, beaucoup de l'action du Seigneur. Son récit reproduit à peu près textuellement celui de la vision vue à Joppe, abrège celui de la visite à Césarée. Les différences portent sur des points de détail. Ainsi les mots ἦλθεν ἄρχι ἐμοῦ n'ont pas de correspondants exacts au chapitre 10 ; le πάντα, en revanche, placé devant τετράποδα, manque au chapitre 11. L'ordre adressé à l'apôtre est donné chaque fois dans les mêmes termes, c'était l'essentiel. Les meilleurs manuscrits retranchent devant κοινὸν le πᾶν de 10.14 ; au ἔγαγον du premier récit, le second substitue εἰσῆλθεν ἐις τὸ στόμα μου plus énergique ; μοι après ἀπεκίθη manque dans A, B et peut être simplement reproduit du verset 7 ; ἀνεσπάσθη remplace, sans changer le sens, le ἀνελήφθη de 10.16 ; ἤμην donné par la Recepta doit probablement être remplacé par la leçon plus difficile ἦμεν, de A, B, D ; il faut alors se représenter l'apôtre placé en esprit dans la maison de Joppe, dans la société des six frères qui ne l'ont pourtant rejoint que le lendemain. Ce chiffre de six n'avait pas encore été indiqué ; les frères en question sont présents à l'apologie de Pierre, comme l'indique ὗτοι . A, B lisent, dans ce même verset, μηδὲν διακρίνοντα, rattachant cet accusatif à συνελθεῖν et non pas à μοι . -- L'article τὸν placé devant ἄγγελον par la plupart des manuscrits, étonne au premier abord. Les auditeurs de Pierre n'ont pas encore entendu parler de cet ange pourquoi le leur désigner comme connu ? Mais rien n'est plus naturel, dans la chaleur du discours. Ce que l'apôtre sait si bien, il le suppose également su de tous.

11.14   Les traits nouveaux se multiplient à la fin du discours. En premier lieu, les paroles de l'ange à Corneille, au sujet de Pierre : Il t'adressera des paroles dans lesquelles tu seras sauvé, toi et toute ta maison. Ensuite, rapprochement entre le don de Dieu aux gens de Corneille et celui dont l'apôtre et ses collègues ont été enrichis au commencement, sans doute à la Pentecôte, environ dix ans plus tôt. Puis encore, souvenir, monté soudain à la mémoire de Pierre1, de la comparaison établie par le Seigneur entre le baptême d'eau, opéré par Jean, et le baptême du Saint-Esprit. Et déjà l'horizon de notre apôtre s'est assez élargi, pour lui permettre d'étendre à des païens cette promesse faite un jour seulement aux Onze. (1.5) Conclusion, enfin, et conclusion victorieuse : Si Dieu a fait aux païens et à nous un même don en retour d'une même foi2, moi qui étais-je puissant pour empêcher Dieu ? c'est-à-dire : avais-je le pouvoir de m'opposer à Dieu ? Leur refuser le baptême, les exclure de notre communion, c'eût été agir en opposition directe avec une volonté divine clairement manifestée.

11.18   Oui, vraiment, ce discours de Pierre lui a été inspiré par le Saint-Esprit, aux injonctions duquel il avait simplement obéi dans sa visite à Césarée. Aussi le résultat de son apologie n'est pas seulement le calme rentrant dans les cœurs : c'est comme un cantique à la gloire de Dieu3 : Donc même aux païens, s'écrient les assistants, Dieu a donné la repentance à la vie. Il y a un repentir dont l'issue est la mort ; c'est une œuvre du monde ; il y en a un dont le terme est la vie ; celui-là est certes un don de Dieu ! (Comparez 2 Corinthiens 7.10.)

Magnifique issue d'une dispute de laquelle la ruine de l'Eglise aurait pu sortir !

Nous le reconnaissons, au reste, avec Edmond Schérer : la vocation des Gentils demeure encore longtemps incomprise des apôtres, au moins avec toutes ses exigences. Les fameuses discussions amenées dans Antioche d'abord, puis dans Jérusalem, au sujet de l'entrée des païens dans les cercles chrétiens (Actes ch. 15) témoignent, dirait-on, d'un singulier oubli de la scène de Césarée. Holtzmann en fait avec raison la remarque. Mais les barrières étaient trop fortes et trop nombreuses pour être renversées en une seule fois.

5. ÉTABLISSEMENT DE L'ÉGLISE À ANTIOCHE

11.19   La conversion de Corneille et de sa famille a dû faire quelque bruit dans la résidence du gouverneur romain. L'historien, pourtant, ne nous en dit rien et même ne reviendra plus sur ce récit. Le centre de l'Eglise chrétienne va se transporter pour un temps, non point à Césarée, mais à Antioche, et cela non par le ministère de Pierre, mais par celui d'évangélistes inconnus, chassés de Jérusalem à la suite d'une persécution. La narration, en effet, nous ramène un instant au point où elle nous avait laissés après la mort d'Etienne, et reprend les termes mêmes du chapitre 8, verset 4 : οἱ μὲν οὖν διασπαρέντες . Les événements rapportés maintenant peuvent bien être antérieurs à ceux de Césarée ; les placer pendant les séjours de Pierre à Lydde et à Joppe ne serait peut-être pas éloigné de la vérité.

Les dispersés, réchappés de la persécution, nous sont représentés comme traversant la Phénicie et l'île de Chypre avant d'arriver à Antioche. De ces visites probablement sont résultées deux communautés chrétiennes, celle de Tyr et celle de Sidon, où Paul s'arrêtera plus tard 1 ; peut-être aussi, en Chypre, quelques petites assemblées retrouvées par Saul et par Barnabas dans les débuts de leur voyage. (13.4) Les évangélistes, au surplus, ont soin de s'adresser sur leur route exclusivement aux Juifs. Mais, une fois arrivés à Antioche, quelques-uns d'entre eux, des Cypriotes et des Cyrénéens, se mettent à prêcher aux hellénistes2, leur annonçant la bonne nouvelle du Seigneur Jésus.

Ces chrétiens ont-ils eu connaissance alors de la visite de Pierre à Césarée et de l'évangélisation des païens entreprise sous ses auspices ? C'est possible, et même probable. Les relations entre Césarée et Antioche, deux capitales de provinces, romaines, étaient relativement faciles. C'était, par mer, un voyage de quatre jours au plus. Ces hommes de Chypre et de la Cyrénaïque n'étaient pas, d'ailleurs, sans avoir entendu parler du miracle de la Pentecôte ; quelques-uns peuvent, en avoir été témoins. Ces souvenirs et leur propre inclination les poussent à s'adresser aux hellénistes pour leur prêcher le Christ. Or, si nous ignorons les résultats de leurs appels aux Juifs pendant leur voyage, nous allons trouver le récit détaillé de leurs travaux dans Antioche, où ils fonderont une des Eglises les plus importantes du premier siècle ; peu de : cités dans le monde romain en avaient un besoin plus urgent.





Fondée vers l'an 300 par Antiochus, père de Séleucus, au bord de l'Orontes, à quelque 25 kilomètres de la mer, grecque par la langue et par les mœurs, très commerçante, très riche, Antioche passait alors pour la troisième ville de l'empire ; Alexandrie, sa contemporaine, était la seconde. Au temps de Paul, elle était partagée en quatre grands quartiers, -- presque quatre villes distinctes, -- chacune avec ses propres remparts. Une large rue bordée d'arcades, où les négociants se tenaient volontiers la traversait dans toute sa longueur. Une eau excellente y avait été amenée à force de travaux d'art, au point de permettre l'établissement de superbes bains publics ; Libanius, au troisième siècle, en vantait encore les conforts. Les beautés naturelles abondaient autour de la ville. Mais une corruption presque sans égale rongeait la masse de la population. Seule une nombreuse colonie juive3 maintenait au moins les préceptes de la morale la plus ordinaire ; elle ne parvenait pas, du reste, à contenir le torrent débordé. Dans un vers fameux de ses satires (III, 62), Juvénal ose attribuer à l'influence d'Antioche le flot d'impuretés dont Rome était inondée :

Jampridem Syrus in Tiberim defluxit Orontes4 ...
Telle était la ville où pénétrèrent un jour de simples évangélistes, dépourvus probablement de culture littéraire et scientifique, et dont les noms ne nous ont point été conservés. Ils y constituèrent un noyau de disciples du Christ, et de leurs efforts jaillit un nouveau nom, inconnu jusqu'à eux, celui de chrétien !

11.21   Comme ils ont donné à leurs prédications un seul et unique objet, -- le Seigneur Jésus, -- le Seigneur à son tour marque leur œuvre de son sceau. Sa main est avec eux, et un nombre considérable, ayant cru, se convertit au Seigneur. (Remarquons ce simple ἀριθμὸς, même sans le régime όνοματων .) Le bruit de ces conversions parvient à Jérusalem. L'Eglise s'en émeut ; elle n'hésite pas à suivre la conduite si sage adoptée déjà à propos de Samarie (ch. 8) ; elle envoie une délégation pour s'enquérir de ce mouvement. Et nous pouvons bien signaler ici un progrès : cette fois l'Eglise entière agit, et non pas seulement le cercle des Douze. Elle délègue non un apôtre, mais un des hommes les mieux qualifiés pour cette tâche, Barnabas5, l'ami si fidèle de Saul, natif de Chypre, et par conséquent tout désigné pour examiner un travail fait, en partie du moins, par des Cypriotes. La suite a montré le parfait à-propos de ce choix. Si les termes de son mandat ne sont pas donnés dans le texte, ils ressortent pourtant clairement du récit : les fidèles de Jérusalem voulaient par son entremise étudier, d'abord ; puis, s'il y avait lieu, saluer une Eglise sœur et affermir ses membres. Or, il y avait lieu, en effet, et Barnabas a bien vite tout sujet de se réjouir. Vrai « fils de l'exhortation, » il les exhorte tous à persister au Seigneur6 par la disposition du cœur, en d'autres termes : à garder une disposition du cœur fermement décidée pour Jésus-Christ.

11.24   L'approbation si prompte de Barnabas pourrait s'expliquer par la bonté de son cœur : c'était un homme bon. Il y a néanmoins plus que cela : il était aussi rempli du Saint-Esprit ; et ce « guide dans toute la vérité » ne l'a pas laissé s'égarer. Il était, en outre, plein de foi ; sa bienveillance naturelle n'aura produit nulle infidélité. « Apologie plus ou moins nécessaire, dirons-nous avec Reuss, à l'adresse de ceux qui voyaient dans tout ce mouvement une déviation du bon chemin, et dans la réception des non-circoncis une déplorable erreur. » (Page 134.) Le franc encouragement donné par le député de Jérusalem a pour conséquence un progrès nouveau de la communauté d'Antioche. Non plus un « nombre, » mais une « foule, » et même considérable, est ajoutée au Seigneur ; toujours au Seigneur, non pas à l'Eglise mère. Ce qui s'accroît par l'augmentation du nombre des disciples, ce n'est pas tout d'abord une assemblée humaine, c'est la gloire de Dieu en Christ. Barnabas, bientôt, ne peut suffire pour paître un pareil troupeau. Il se rappelle alors cet homme dont il avait, un des premiers, discerné la valeur, Saul, le converti de Damas. Autant son affection l'avait poussé naguère à l'introduire auprès des apôtres défiants, autant à cette heure il se sent pressé de recourir à son aide. Il sera peut-être bientôt éclipsé par lui ; n'importe, Barnabas ne connaît pas la jalousie. Il se rend de sa personne à Tarse pour y chercher Saul ; le rapprochement des deux mots ἀναζητῆσαι ...ἑυρὼν pourrait bien indiquer les difficultés ou la durée de cette recherche7 ; Barnabas y aurait eu d'autant plus de mérite.

11.26   De retour dans Antioche, les deux amis y passent une année entière ; il leur arriva d'être amenés ensemble tout un an dans l'Eglise. Les mots αὐτοῖς (à conserver contre αὐτούς) συναχθήναι ont été diversement interprétés. Si le contexte le permettait, on pourrait traduire : « Il leur arriva de recevoir bon accueil dans l'Eglise » (comparez Matthieu 25.35) ; mais cette interprétation ne paraît pas indiquée. Le participe συνηγμένοι a, Actes 4.31, un sens tout local : assemblés, réunis. Ainsi traduisent Rilliet et Oltramare : « Il leur arriva de passer une année entière ensemble dans l'Eglise ; M. Stapfer à peu près de même ; cette traduction reste la plus probable. Segond est moins exact : « Ils se réunirent aux assemblées de l'Eglise ; » Meyer insiste sur une idée secondaire : « Ils furent amenés ensemble » (après avoir été longtemps séparés). Notre auteur relève donc ici la rencontre bénie de deux hommes de Dieu, travaillant durant une année à former une Eglise au milieu des Gentils. Il leur fut alors donné d'enseigner une véritable multitude, Paul revêtant les fonctions de διδάσκαλος jusqu'alors réservées aux Douze.

Mais autre chose encore se produisit pendant cette mémorable année : un nom nouveau fut donné aux disciples de Jésus, et accepté par eux : on les appela dorénavant des chrétiens. Ce nom leur vint-il des Juifs ? C'est peu probable. Les fils d'Abraham leur donnaient plutôt les titres de Nazaréens ou de Galiléens, voulant ainsi leur faire injure. Or, ils les eussent honorés en les désignant par le nom même du Messie, Christos. Entre eux, les croyants s'appelaient volontiers frères, disciples, élus, saints, autant de termes qui leur sont couramment appliqués dans les épîtres. L'appellation κριστιάνος se rencontre une fois encore au livre des Actes, dans la bouche d'Agrippa (26.28), et une fois sous la plume de Pierre, pour affirmer que toute souffrance supportée en tant que chrétien ne saurait être une source de honte8. A en juger par ces deux passages, nous serons tentés d'attribuer au mot « chrétien » une origine païenne, et particulièrement latine. Les noms de parti se terminaient volontiers en άνοι  ; les partisans d'Hérode étaient des hérodiens (Ἡρωδιάνοι) ; on voulut faire des adhérents du Christ des christiens (χριστιάνοι)9. Tacite n'a-t-il pas écrit : « Quos per flagitia invisos, vulgus christianos appellabat. Auctor nominis ejus Christus10.... » Selon Baumgarten, ce nom de chrétien aurait eu d'emblée une intention ironique. Cela n'est pas certain, malgré le penchant des habitants d'Antioche au sarcasme. Raillerie ou non, ce titre contribue en tout cas à prouver les progrès énormes déjà réalisés par l'Eglise. Il y a chez les disciples du Christ, de l'aveu même des païens, des traits suffisants pour les distinguer nettement des Juifs et pour les désigner par le nom de leur chef. Or ces disciples se gardent bien de repousser une telle désignation. Ils s'en font, au contraire, un titre de gloire. Ainsi firent les réformés de la Hollande, quand leurs ennemis prétendirent les stigmatiser par le surnom de « gueux11. »

Un rapide coup d'œ sur le chemin parcouru jusqu'ici nous permettra d'admirer les modes si divers suivis par l'Esprit-Saint dans la direction de la première Eglise. Les apôtres, d'abord au premier rang, ont passé au second, au troisième même ; on les dirait, pour un temps, condamnés au silence. Après son retour de Samarie, Pierre semble être mis en non-activité. Les succès appartiennent à des évangélistes sans notoriété, et Saul, dont les débuts avaient été si brillants, a été relégué à Tarse dans une véritable retraite. Un diacre est l'instrument de la conversion d'un officier éthiopien. Puis, au moment où nous allions nous étonner de cette soudaine infériorité des apôtres, voici Pierre envoyé chez Corneille à la suite d'une vision et d'une instruction toutes spéciales. Deux membres du collège des Douze avaient été députés en Samarie ; la mission d'examiner la communauté naissante d'Antioche est remise à un Lévite chrétien, Barnabas. Convenons-en, dès lors : les Douze ne sont pas devenus inutiles ; leur tâche n'est pas finie. Mais des collaborateurs bien inattendus sont placés à leurs côtes par le Seigneur Jésus.

11.27   De nouvelles visites honorent bientôt la jeune Eglise d'Antioche : des prophètes lui arrivent de Jérusalem. Avant tout, sans doute, des prédicateurs de la Parole ; mais prophètes aussi dans un sens plus restreint, et possédant parfois le don de prédire l'avenir. Car la prophétie, muette pendant des siècles, s'est réveillée au début des temps évangéliques. Nous l'avions entendue de la bouche du précurseur ; elle va renaître à la voix de quelques frères inconnus. Envoyés par ceux de Jérusalem, ou venus de leur propre mouvement, il n'importe guère : les voici établis, au moins momentanément, dans Antioche, où les accueille, tout nous le montre, une réception fraternelle12. Un d'entre eux est nommé : Agabus13 ; sous l'inspiration de l'Esprit, il annonce comme imminente une grande famine dont la terre entière souffrira14. Cette prophétie peut avoir été prononcée dans une assemblée de culte ; il n'est pas interdit de supposer que les fidèles s'y entretenaient du retour de Christ et des signes dont il serait précédé ; un de ces signes doit être la famine. (Matthieu 24.7 ; Luc 21.11) Le choix du verbe ἐσήμανεv semble laisser entrevoir une action symbolique précédant la parole, comme ce fut le cas pour la seconde prophétie à nous connue d'Agabus. (21.10-11) Notre auteur restreint du reste l'horizon de cette prédiction, en disant de la famine : Elle arriva sous Claude15. Or, il y eut bien sous le règne de cet empereur quatre famines partielles, mais pas une famine universelle. Elles eurent lieu entre l'an 41 et l'an 54 ; deux ont frappé Rome, une la Palestine (celle de notre récit), une la Grèce. Ces données, du moins, ressortent de Suétone, Claude, 1816 ; Tacite, Annales, XII, 4317 ; Jos., Antiq., 20, 2, 5 et 5, 2 ; Eusèbe, Hist. Eccl., II, 11, 3. A l'occasion de la famine en Palestine (45-46), la reine Hélène d'Adiabène aurait procuré aux Juifs du blé d'Egypte, acheté, dit Josèphe, πολλῶν χρημάτων .

11.29   Il n'entre pas, au reste, dans l'intention de notre historien de la décrire. Il est beaucoup plus frappé par un noble déploiement de charité, rattaché à cette famine même. Le fléau, semble-t-il, n'avait pas encore éclaté ; on en était à l'attendre, en suite de la prophétie d'Agabus, peut-être à en ressentir seulement les premières atteintes, et déjà les chrétiens d'Antioche ont reconnu le devoir de soulager selon leurs moyens leurs frères indigents de Jérusalem et de la Judée. Le texte, un peu embarrassé, dit littéralement : d'entre les disciples, selon que quelqu'un se trouvait à l'aise, ils déterminèrent, chacun d'eux, d'envoyer pour un service aux frères qui habitaient dans la Judée. Le τῶν μαθητῶν en tête est peut-être un génitif absolu, et revient à la forme : οἵ δε μαθηταὶ, καθὼς εὐπορεῖτό τις, ὥρισαν ...avec ce sens bien clair : les disciples résolurent d'envoyer ce que chacun pouvait offrir en secours aux frères de la Judée. Ayant reçu de Jérusalem des biens spirituels, les chrétiens d'Antioche lui envoient leurs biens temporels. Il n'y a, dit saint Paul, rien d'extraordinaire à un tel échange (1 Corinthiens 9.11), et les Eglises de la mission nous en fournissent plus d'un exemple dans ces dernières années. Calvin conclut avec raison : « Duplex fuit hujus eleemosynæ finis : nam, et caritatis officio erga egenos fratres defuncti sunt Antiocheni ; et testati sunt hoc symbolo, quanti Evangelium facerent, dum honore locum unde fluxerat prosequuti sunt. » D'Antioche étaient descendues jadis sur Jérusalem les abominables cruautés d'Epiphane ; aujourd'hui partent de la même ville les bienfaits d'un troupeau chrétien.

11.30   On attacha tout de suite une très haute valeur à ce témoignage de libéralité. Il fut décidé de remettre la somme collectée à deux messagers de choix, Saul et Barnabas. Ainsi se révèle pour l'apôtre, dès les débuts de son ministère, l'importance de ces collectes, auxquelles il vouera plus tard un soin si attentif. La conférence de Jérusalem le priera de se souvenir des pauvres, et il aura le droit de dire à ce propos : « Je m'en suis toujours occupé avec zèle. » (Galates 2.10) Des fragments entiers de ses épîtres seront consacrés à des conseils sur cette œuvre, capitale à ses yeux au point de vue spirituel, et non moins nécessaire aujourd'hui dans les missions évangéliques. (1 Corinthiens ch. 16. ; 2 Corinthiens ch. 8, 9)

La présente collecte est destinée aux frères de Judée ; Paul et son compagnon peuvent, en la portant, avoir dirigé dans une portion de ce pays le travail d'évangélisation dont parle 26.20. Quant à la somme, elle est remise aux anciens. Pourquoi pas aux Douze ? Etaient-ils alors absents de Jérusalem ? Nous ne savons ; ils ne sont, pour le moment, pas même mentionnés. Les anciens, en revanche, paraissent ici pour la première fois dans les Actes. L'auteur avait passé sous silence l'établissement des premiers presbytres ; mais nous devinons combien ils étaient nécessaires, vu l'extension croissante du christianisme et des charges imposées aux apôtres. Reuss incline à voir en eux les analogues des זְקֵנִימ de la synagogue. Paul en établira de ville en ville dans son premier voyage missionnaire (14.23) ; longtemps ils seront encore confondus avec les ἐπισκοποῖ . (20.17,28)

On demandera encore pourquoi l'apôtre ne parle jamais de ce voyage à Jérusalem, entre autres au début de son épître aux Galates. Holtzmann déclare impossible un accord entre Actes 11.30 et Galates 1.18-20 ; 2.1 ; ce dernier texte en particulier renfermerait une erreur et parlerait, en fait, du voyage annoncé seulement comme possible. (1 Corinthiens 16.4) L'hypothèse est bien hasardée, et je préfère de beaucoup l'explication de Lechler : le but de Paul dans l'épître aux Galates n'est point un exposé chronologique complet de ses voyages. Il tient seulement à établir l'indépendance absolue de son apostolat vis-à-vis des Douze. Baur en convient très loyalement, et nous avons de bonnes raisons pour voir dans le voyage de Galates 2.1 celui qui amena l'apôtre à Jérusalem pour la conférence racontée dans Actes ch. 15. Le voyage de 11.30, où Saul occupe une position subordonnée, n'apporte aucun appui à la thèse de son indépendance apostolique. Je ne puis donc croire, comme M. Sabatier, que l'auteur des Actes ait commis ici une erreur.

6. L'ÉGLISE PERSÉCUTÉE PAR HÉRODE

Une persécution en quelque sorte nationale avait éprouvé déjà l'Eglise de Jérusalem ; elle avait été conduite d'abord par les autorités spirituelles, puis par la populace. Le pouvoir civil ne s'en était pas mêlé. Un monarque juif va la reprendre ; les magistrats romains entreront plus tard dans cette voie. Ainsi grandit peu à peu cette « vexatio », dont Wieseler dit justement : « Inceperat a sacerdotibus, continuata a plebe, perfecta a principe. » L'établissement providentiel de l'Eglise dans Antioche empêchera les violences commises à Jérusalem d'anéantir le troupeau chrétien.

12.1   Le récit de notre chapitre 12 nous place au terme de l'année de travail en commun de Barnabas et de Saul dans Antioche, entre leur départ de cette ville pour Jérusalem et leur retour. Le roi nommé maintenant est un Hérode, un descendant par conséquent d'une famille iduméenne, et plus ou moins imbu de la haine héréditaire des Edomites contre Israël. (Comparez Psaume 137.7-9.) Ce peuple, circoncis de force par Jean Hyrcan, contraint par lui « d'adopter les lois juives, » n'en était pas moins hostile aux fils d'Abraham ; Josèphe les appelle des ἡμιουδαῖοι 1. En fait, il avait fallu à leurs princes l'appui de Rome pour arriver au pouvoir et pour s'y maintenir, et leur royauté demeurait fortement teintée de paganisme. Hérode le Grand avait été fameux surtout par ses crimes ; Antipas, son fils, avait fait décapiter Jean-Baptiste. (Comparez aussi Luc 23.6-12.) Celui dont nous allons lire la fin est Hérode-Agrippa Ier, neveu d'Antipas, fils d'Aristobule et de Bérénice.

Né dix ans avant l'ère chrétienne, ce prince avait d'abord vécu à Rome et s'était lié avec Drusus, le fils de Tibère. Vers l'an 30, banni de la capitale, renvoyé fort malgré lui en Palestine, il avait obtenu de son oncle la juridiction de Tibériade. Et puis il s'était brouillé avec Antipas ; la nostalgie de Rome l'avait saisi. A Antioche d'abord, à Alexandrie ensuite, il avait trouvé moyen de se faire donner de l'argent pour reprendre sa vie fastueuse dans la ville éternelle. Non seulement il était parvenu à ses fins, mais il s'était lié avec Caligula, n'avait pas tardé à devenir son compagnon de débauches et l'objet de ses faveurs ; Claude les lui avait continuées. En 43, la Palestine à peu près entière était placée sous son gouvernement ; il y séjournait, cette fois, avec le titre de roi. Un trait peut être mentionné à son honneur : il avait usé de son influence sur Caligula pour l'empêcher de faire dresser sa statue dans le sanctuaire de Jérusalem. D'autre part, grand ami des pompes, il tâchait de gagner la sympathie des Juifs, afin de s'abandonner plus aisément à ses caprices. Il crut rencontrer dans la persécution contre les chrétiens le procédé le plus simple pour satisfaire à la fois ses instincts cruels et sa passion de popularité. L'auteur du livre des Actes n'y voit rien d'extraordinaire, étant donné le caractère bien connu d'Agrippa Ier ; il racontera donc très simplement ses violences, sans les expliquer. Encore un trait de fidélité historique digne d'être relevé et justifiant bien cette remarque de Tholuck : « Le livre des Actes offre beaucoup plus que les Evangiles de ces faits historiques sur lesquels on pourrait trouver l'auteur en défaut. Il nous parle d'un souverain sacrificateur Ananias ; de trois rois juifs : Agrippa Ier, Agrippa II et Antipas ; de deux procurateurs romains, Félix et Festus ; de la femme de l'un d'eux, Drusille ; de la sœur d'un roi juif, Bérénice ; de deux proconsuls romains, Gallion et Sergius ; d'un gouverneur de l'île de Malte, Publius. Riche matière à fouiller pour un critique défiant ! Or l'auteur ne s'est trompé sur aucun de ces personnages. » (« Glaubwürdigkeit der evang. Geschichte2. »)

12.2   Les premières victimes d'Agrippa ne sont pas nommées. Il s'attaque, un jour, au cercle même des Douze, à ce Jacques, fils de Zébédée, auquel Jésus avait accordé des privilèges spéciaux en le faisant témoin de trois des plus grandes scènes de sa vie. Depuis l'Ascension, il est vrai, nous l'avons entièrement perdu de vue. Si pourtant Hérode le juge particulièrement digne de ses coups, c'est que Jacques n'était pas resté au dernier rang des apôtres.... Pourquoi donc le Seigneur ne fait-il rien pour le délivrer ? Pourquoi ne lui envoie-t-il pas son ange, comme, il y a dix ans, à Pierre et à Jean (5.19) ; comme, dans peu de jours, à Pierre seul ? Bien plus, pourquoi cette mort nous est-elle ainsi racontée en passant, sans un regret, sans un détail ? Une ligne dans une chronique : Il fit périr par l'épée Jacques frère de Jean,..., et c'est tout ! Un chapitre entier, cependant, avait été consacré à l'apologie d'un simple diacre et au récit de ses derniers moments. C'est vrai, et nous n'expliquons pas, nous constatons. Dieu a sa manière d'écrire l'histoire. Une ligne dans son livre dit plus qu'un chapitre dans les nôtres. -- Rappellerons-nous la tradition conservée par Eusèbe3 ? Suivant elle, le dénonciateur de Jacques auprès d'Hérode, touché par la foi de l'apôtre, se serait converti tout en le menant au supplice, puis aurait partagé sa mort. C'est possible. A notre sens, l'auteur se tait, parce qu'il n'en sait pas plus long. Et il n'y avait, probablement, rien de plus à dire. Le martyr aura bu simplement et sans beaucoup de paroles la coupe autrefois donnée par le Père à son Maître, et qu'il s'était flatté, avec Jean son frère, de pouvoir boire aussi. Il avait oublié, peut-être, cet engagement ; l'heure était venue de s'en souvenir. (Marc 10.35-39) Cette mort sans bruit est aussi un triomphe. Il y a des moments où le Seigneur semble se cacher aux regards de ses enfants ; nous sommes arrivés à l'une de ces heures. Il a permis à l'ennemi d'Israël de s'asseoir sur le trône de David. Il lui permet maintenant de porter la main sur un homme choisi par Jésus pour lui servir de témoin et d'ouvrir, après le suicide de Juda, une brèche nouvelle dans les rangs des Douze. Oui, pour un instant, il semble abandonner même un apôtre à un pouvoir mondain.... Bientôt il affirmera d'autant plus haut sa puissance de libérateur.

Meyer, pour expliquer sur ce point le silence de l'historien, lui prête le projet d'écrire un autre livre, dans lequel il aurait raconté la vie détaillée des apôtres, en laissant à peu près de côté Pierre et Paul. La mort de Jacques eût alors été l'objet d'un récit complet. Bonnet (p. 293) paraît se ranger à cette idée. Nous ne pouvons avancer des raisons solides ni pour ni contre ; l'hypothèse, en tout cas, en vaut d'autres.

12.3   Encouragé par le succès et par l'approbation des Juifs, Hérode ajoute à son premier crime4 celui de faire arrêter Pierre. En même temps, au reste, il respecte les scrupules religieux de ses sujets. On est dans les jours des azymes5 ; aucune exécution capitale ne les souillera. Pierre attendra en prison la fin de fête. Il est très bien gardé, à la façon romaine. Quatre « tétrades » ou « quaterniones » de soldats se relaient pour surveiller le prisonnier ; chacune à son tour fournit deux hommes à placer devant la cellule, deux autres à établir dans l'intérieur, en rivant à leurs poignets les chaînes du condamné. Toutes les précautions possibles sont prises, car on ne peut avoir oublié l'extraordinaire évasion de ce même prisonnier et de Jean. (5.19) La semaine sainte terminée, on fera monter Pierre pour le peuple. L'expression ἀναγαγεῖν s'emploie pour désigner le fait de conduire le prévenu jusqu'au lieu élevé où la sentence sera rendue, puis exécutée ici pour la plus grande satisfaction du peuple. (Comparez ἀπήγαγον, Luc 22.66.)

12.5   Oui, Pierre est bien gardé...Mais -- et le δέ retient ici toute sa puissance adversative -- il y a un pouvoir avec lequel Hérode a oublié de compter : il y a la prière. L'Eglise, douloureusement frappée par la mort de Jacques, s'accuse peut-être aussi d'un certain relâchement dans le jeûne et dans les oraisons. Son deuil l'a réveillée. Elle prie, et, cette fois, sa prière ne s'arrête plus6. Certes, Dieu ne délivre pas toujours ses enfants opprimés ; le martyre d'un apôtre l'a prouvé suffisamment. Néanmoins, il n'est point interdit de lui adresser de persévérantes requêtes, même pour demander la préservation d'une vie menacée. Ces chrétiens des premiers jours ne partagent pas la crainte exagérée et peu virile de certaines communautés contemporaines, où l'on estime indigne de Dieu et du croyant de demander le pain quotidien, au sens le plus littéral de ce mot. Ils sont conscients de leur force ; ils croient aux promesses du Maître ; ils ne veulent pas voir dans le sort de Jacques la manifestation d'une destinée inéluctable ; ils ignorent les pouvoirs humains tout-puissants ; ils découvrent dans ce nouveau sujet d'inquiétude la main d'un Dieu d'amour...et ils prient...

12.6   A en juger par le verset 12, ces prières se font entendre dans un certain nombre de maisons et dans diverses assemblées. Pendant ce temps, et la veille même du jour fixé pour le supplice, Pierre dort. Attend-il une délivrance ? Il se pourrait. Les gardes sont bien là7 ; les chaînes sont fixées comme elles doivent l'être. L'apôtre est prêt : à vivre, à mourir comme le Seigneur en décidera. En s'endormant, peut-être s'est-il rappelé d'autres soldats, placés, le soir d'un sabbat, devant la pierre d'un tombeau. Ils n'avaient pas empêché Jésus d'en sortir.... Qui sait ?...

Dieu veille, en effet. Il a retardé la délivrance jusqu'au dernier moment, mais il l'envoie à temps. Un ange, tout à coup, se tient là, dans la cellule, où resplendit au même moment une lumière permettant de tout voir. -- Un ange, et au bout de quelques jours seulement ! Paul n'en verra point pendant deux ans passés dans sa prison de Césarée, Pierre non plus, au jour où il fut conduit à la croix. Dieu a ses heures, et ses délais, et ses plans. En fait, il ne change pas ses projets. Ses délivrances les plus signalées, comme ses abandons apparents, concourent au même but : manifester sa gloire.

Une brillante lumière a éclairé la cellule8 de l'apôtre. C'est un caractère propre aux angélophanies ; les ténèbres, en leur présence, disparaissent. L'ange alors, frappant le côté de Pierre, lui ordonne de se lever promptement. Les chaînes de ses mains (les pieds n'étaient probablement pas enchaînés) tombent au même instant. Cependant, malgré la hâte nécessaire, tout se passe dans un ordre parfait, comme à l'heure où Jésus sortit du tombeau. L'ange commande avec calme, Pierre obéit de même ; il serre sa ceinture autour de ses reins9, chausse ses pieds des sandales, s'enveloppe de son manteau. Il ne fuit pas ; il part à la suite de son compagnon ; aucun de ces menus détails ne paraît trop mesquin ni au narrateur, ni à l'ange. On sort du cachot. Pierre, il est vrai, agit machinalement ; il ne comprend pas ; il croit rêver ; mais il ne peut pas mieux résister que se rendre compte. Les gardes dorment ou sont absolument étourdis. Le premier poste ni le second ne se réveillent. La porte de fer du bâtiment, seule issue sur le dehors et destinée à rendre toute évasion impossible, s'ouvre automatique10, obéissant pourtant à une force supérieure comme l'indique le verbe passif ἠνοίγη . L'ange et Pierre ont passé ; les voilà dans la rue. A ce moment précis, le messager céleste disparaît. Il n'est plus nécessaire à l'apôtre, son mandat est terminé. Et l'assonance probablement cherchée des deux verbes : ἐπέστη (v. 7), ἀπέστη (v. 10), montre l'égale soudaineté de son arrivée et de son départ. A ce moment aussi, Pierre sort de son extase ; la claire disposition de ses facultés lui est indispensable ; elle lui est rendue. Tout aussitôt il comprend ; la main de Dieu lui apparaît avec la plus complète évidence dans ce qui vient de se passer. Le Seigneur l'a délivré d'Hérode et de toute l'attente11 du peuple des Juifs.

Notre apôtre s'est-il trompé ? Ou bien Dieu est-il réellement intervenu par une manifestation, non de sa bonté seulement, mais de sa toute-puissance ? Est-il impossible d'expliquer l'événement par des causes purement physiques ? Tranchons le mot : est-ce un miracle ?

Beaucoup se sont efforcés de le nier ; par exemple, en supposant un coup de foudre qui aurait brisé les liens de Pierre, étourdi ses gardiens, mais sans le toucher lui-même. Weizsäcker préfère l'hypothèse d'un brusque changement de dispositions chez Hérode. Ce prince aurait surpris dans l'opinion publique des marques graves de désapprobation. Il aurait alors commandé de rendre moins sévère la surveillance du prisonnier. Le geôlier, probablement, se serait prêté à ces nouveaux projets et Pierre n'aurait pas eu de peine à fuir. Holtzmann (p. 371), après avoir rapproché le sommeil des gardes au tombeau de Jésus de celui des soldats dans la prison de Pierre, conclut au caractère légendaire des deux récits. Néander attribue le salut de l'apôtre à « quelque disposition spéciale prise par Dieu. » Ou bien, dit-on encore, le prisonnier délivré tout d'un coup, et sans savoir comment, n'aura pas manqué de se dire sauvé par une angélophanie.

A qui trouve ces explications satisfaisantes nous n'avons pas grand'chose à répondre. Nous nous bornons à demander si la reconnaissance pure et simple du miracle n'est pas plus naturelle et plus scientifique. « Ce récit, dit Reuss (p. 137-138), peut donner lieu à une série d'observations archéologiques ; mais il ne saurait être question d'en discuter le fond, pour le réduire à des proportions qui en excluraient le miracle...Si l'on se décide à ne pas tenir compte du texte, il vaut mieux le négliger tout à fait que de le dénaturer préalablement. » On ne saurait mieux dire.

12.12   Pierre, lui, se sait très bien dans la main de Dieu. Il obéit donc à ses directions tout en réfléchissant (sur συνιδών, comparez 14.6) et en formant son propre plan. Une maison, bientôt, lui paraît spécialement désignée pour le recevoir, au moins provisoirement ; c'est celle d'une Marie connue surtout par son fils. Elle est mère d'un certain Jean surnommé Marc, et sa demeure, aujourd'hui, reçoit une de ces assemblées de prières auxquelles on peut attribuer la délivrance de l'apôtre, assemblée nombreuse en cette occasion, à juger par les termes ἱκανοὶ συνθροισμένοι .

12.13   Arrivé devant cette maison, l'apôtre frappe à la porte du portique pour se faire ouvrir. La servante Rose -- peut-être la θυρώρος comme Jean 18.16, et dont le nom grec admet pourtant une nationalité juive -- accourt pour répondre ; tout d'abord pour écouter, ὑπακοῦσαι, et pour tâcher de reconnaître la voix. Elle la reconnaît, en effet, c'est celle de Pierre, il n'y a pas à s'y méprendre. Dans l'élan de sa surprise et de sa joie12, elle oublie d'ouvrir la porte et court dans la salle intérieure pour annoncer cette incroyable nouvelle : Pierre est là ! Une parfaite incrédulité accueille tout de suite son message : « Tu es folle13, » lui dit-on. Et comme elle insistefnΔυσχυρίζομαι  : affirmer avec force ; insister, comparez Luc 22.59., on consent à une concession : ce n'est pas Pierre, impossible ! Mais c'est peut-être son ange !

A chaque instant, dans ce récit, on se rappelle le mot fameux de Rousseau : « Ce n'est pas ainsi qu'on invente. » On reconnaît partout les souvenirs d'un témoin, de Pierre lui-même, par conséquent, ou de Marc alors présent chez sa mère, ou de Barnabas, son cousin. On croit entendre leurs propres paroles, recueillies par notre auteur. Et quel trait psychologiquement certain que le doute si tenace des hôtes de Marie, quand la servante leur apprend l'exaucement de leurs supplications !...On demande à Dieu avec instances le salut d'un prisonnier. Ce prisonnier est à la porte, libre...Ce n'est pas vrai ! Il faut être fou pour le dire et fou pour le croire !...La critique négative a souvent pu s'appuyer sur les doutes des croyants.

La seconde réponse faite à Rose a été mise quelquefois en avant pour justifier la doctrine de l'ange gardien. Elle contribue, cependant, à en prouver la fausseté. Les gens assemblés dans la maison y croyaient, sans doute ; mais ils se trompaient ; Pierre en personne, et non son ange, était devant la porte ; sa présence est faite pour les convaincre d'erreur. L'historien, il est vrai, ne raisonne point pour la réfuter ; sa narration suffit. Reuss, d'autre part, me paraît se tromper lorsqu'il traduit : ὅ ἄγγελος ἐστιν αὐτοῦ par « c'est son esprit. » Le mot ἄγγελος ne signifie pas esprit ; et si, comme Reuss en convient, nous n'avons pas le droit d'attribuer à l'ange tutélaire la voix de l'homme dont il est censé le gardien, pouvons-nous mieux l'attribuer à un esprit14 ?

12.16   Pierre, laissé dehors, continuait à frapper (littéralement : persistait frappant). Ces coups éveillent sinon déjà la foi, au moins la curiosité ; tous viennent ouvrir ; tous s'extasient. Un mouvement bruyant se produit. Cela pouvait devenir dangereux. L'apôtre, de la main, fait signe15 à ses amis de se taire et d'écouter. Il ne faut pas donner l'éveil à l'ennemi ; il faut, aussi, ne point perdre de temps et prendre tout de suite les mesures dictées par la plus simple prudence. Dieu n'a pas délivré son apôtre pour l'abandonner aussitôt aux persécuteurs. Après un bref récit du miracle, Pierre recommande d'en porter la nouvelle aux frères, et, avant tout, à un personnage important qui n'était pas, cette nuit-là, chez Marie. L'auteur le nomme Jacques ; duquel s'agit-il ?

Le fils de Zébédée était mort. Serait-ce le fils d'Alphée ? Son nom n'est pas accompagné de la désignation Ἀλφαίου  ; depuis le jour de l'Ascension (1.13), nous ne l'avons pas rencontré une seule fois. Rien ne lui donne, donc, la position très en vue dont le Jacques ici nommé paraît jouir. Pour ces divers motifs, nous inclinons fortement à voir en lui le frère du Seigneur, comme aux chapitres 15 et 21. Ce personnage devenait de plus en plus le directeur écouté et autorisé de l'Eglise de Jérusalem ; son influence ressort nettement de l'épître intitulée de son nom. A cette heure où Pierre est obligé de fuir, où il peut prévoir la même obligation comme plus ou moins prochaine pour les autres apôtres (donc aussi pour Jacques, fils d'Alphée), il songe à l'Eglise avec sollicitude. Il la confie à l'homme le mieux fait pour la diriger après lui, au frère même de Jésus, honoré par le Ressuscité d'une apparition spéciale. (1 Corinthiens 15.7)

Et lui, où est-il allé, en quittant la maison hospitalière ? Le texte dit : εἰς ἕτερον τόπον, dans un autre lieu ; c'est vague. On a expliqué : dans une autre maison de la ville. C'est peu probable, au moment où des perquisitions minutieuses allaient commencer. L'Eglise catholique répond : à Rome. C'est de la fantaisie. Notre auteur aurait certes nommé cette capitale, si l'apôtre s'y fût rendu. Il ne dit rien, peut-être ne sait-il rien de plus16. Nos recherches sur ce point n'ont guère de chances d'aboutir. Pour le moment, Pierre quitte Jérusalem ; nous ne l'y retrouverons pas avant la conférence racontée au chapitre 15.

12.18   Sa délivrance, au surplus, avait bien été divinement conduite. Le sommeil des gardes a duré jusqu'au matin ; alors seulement on s'est douté de son départ ; un grand trouble s'est emparé des soldats, empêchant au premier moment les recherches utiles. Quand Hérode les ordonne, il est trop tard ; Pierre est en sûreté. Il fallait, naturellement, une victime au monarque déçu. Il s'en donnera même plusieurs ; à la place de l'apôtre, ses gardiens. Ces derniers, après un jugement sommaire, sont « emmenés, » et ce mot, dans sa brièveté sinistre, veut dire : « conduits au supplice. » Là-dessus, Hérode semble pressé de quitter Jérusalem ; il y est de toutes façons mal à son aise. Il descend à Césarée, où d'assez graves soucis l'attendaient.





12.20   Des dissentiments avaient éclaté entre ce prince et deux villes de la Phénicie. Notre historien ne nous en dit pas la nature ; on se demande même pourquoi il mentionne de la sorte ces démêlés. Serait-ce seulement pour avoir l'occasion de raconter le trépas d'Hérode et d'écrire un chapitre « de morte persecutorum ? »

Oui et non. D'autres persécuteurs plus illustres : Hérode le Grand, Antipas, sont morts sans que leur dernière heure ait fait l'objet d'un récit dans nos livres saints. Il y a ici autre chose. Nous rencontrons un de ces enseignements profonds, dont l'Esprit-Saint a seul le secret, sur la lutte antique entre les royaumes de la terre et le royaume de Dieu. Hérode-Agrippa est un représentant de la quatrième de ces monarchies universelles dont Daniel avait tracé à grands traits la succession, en expliquant le songe de la statue. Dans son orgueil, il a osé s'attaquer à l'Eglise du Christ. L'heure est venue de prouver, non seulement à lui, mais à tous les potentats, que la petite pierre détachée de la montagne n'a rien perdu de sa merveilleuse puissance d'extension. Hérode, d'ailleurs, n'a pas voulu se laisser instruire par l'exemple de ses prédécesseurs. Nébucadnetsar, Darius, d'autres encore, s'étaient follement élevés dans leur orgueil et dans leur ambition ; cependant, ils avaient fini par s'humilier en présence de l'Eternel arrachant ses serviteurs de leurs mains. Hérode ne s'est pas laissé avertir par l'intervention si visible de Dieu. Il a fait mourir des soldats innocents ; il se prêtera bientôt à des flatteries blasphématoires. Il devient, comme l'observe Baumgarten, une personnification de cette « petite corne » dont la bouche parlait avec arrogance, dans les visions de Daniel. (7.8) A l'exemple de Nébucadnetsar, il sera frappé par Dieu dans le moment même où il s'adorera (Daniel 4.28-32) ; son châtiment, toutefois, ne sera pas une épreuve, comme pour l'empereur babylonien ; ce sera un écrasement, parce qu'il refuse de se repentir.

Or, si Dieu intervient de la sorte en faveur des siens, s'il délivre un apôtre et fait périr un roi persécuteur, quelle ne sera pas désormais la confiance de son Eglise, même aux heures les plus sombres ! Il y a donc bien, dans cette histoire de la mort d'Hérode, une intention très spéciale du Saint-Esprit en vue de l'affermissement de la foi.

Divers motifs ont dû appeler Hérode à Césarée. Nous avons mentionné son dépit après l'évasion de Pierre. On peut y ajouter, malgré le silence du narrateur, le désir de flatter Claude César. Cet empereur était de retour depuis quelques mois de son expédition contre les Bretons. Dès son arrivée à Rome, il y avait ordonné des jeux publics pour consacrer son surnom de Britannicus, pris à cette occasion. La plupart des grandes villes de province avaient voulu rivaliser sur ce point avec la capitale. Hérode, sachant l'impossibilité de célébrer à Jérusalem des fêtes païennes, les avait commandées à Césarée.

Si notre auteur n'a pas relaté cette circonstance, il note, en revanche, un autre motif du séjour d'Hérode dans ce port de mer. Une rupture de ses relations avec Tyr et Sidon venait d'éclater. On ne se battait pas encore, et probablement on ne s'est point battu ; le verbe θυμομάχειν (hapax) signifie bien : combattre avec ardeur, mais pas nécessairement par les armes. Une guerre entre vassaux de l'empire romain eût été peu probable, et l'histoire profane n'en mentionne pas entre Hérode et les Phéniciens. Il s'agit de rapports très tendus, de contestations d'où la violence pouvait bien ne pas être absente. C'était suffisamment sérieux, étant données les conditions économiques de Tyr et de Sidon. Ces deux cités, malgré l'étendue de leur commerce, ne suffisaient pas à la subsistance de leurs habitants, pas mieux que Londres, aujourd'hui, avec ses cinq ou six millions d'âmes. Elles tiraient donc de la Judée une forte proportion de leurs vivres. C'était déjà le cas du temps de Salomon, il n'en était pas autrement aux jours d'Ezéchiel17. On se trouvait actuellement sous menace de famine (11.28) ; le danger était pressant ; la réconciliation urgente.

Pour l'obtenir, Tyr et Sidon ont envoyé des députés à Hérode. Ils parviennent, par une entente commune et par des moyens dont la réussite ne prouve pas nécessairement l'excellence morale, à gagner un certain Blastus, préposé, dit le texte, à la chambre à coucher du roi, un « præefectus cubiculi. » Ces fonctions, très païennes, ne nous sont pas autrement expliquées. Peut-être la chambre à coucher était-elle aussi la chambre du trésor, dont Blastus aurait eu la garde. Nous ne savons rien, au reste, sur ce personnage, si ce n'est son influence sur le monarque. Celui-ci consent à recevoir les ambassadeurs en audience publique. Au jour fixé, revêtu des insignes royaux, Hérode prend place sur une estrade (une haute tribune où l'on accède par des marches, de la βῆμα), et il prononce une harangue18 à l'adresse des députés. Le peuple ayant osé, par ses cris d'enthousiasme, faire de la voix du roi la voix même d'un dieu, Hérode ne proteste point contre ce blasphème. Un ange descend alors du ciel, comme naguère dans la prison d'un apôtre ; mais c'est pour frapper le prince impie. Hérode meurt, rongé par les vers.

Un récit, tout ensemble analogue et différent, de cet événement nous a été conservé par Josèphe dans ses Antiquités. (19, 8, 2.) Selon cet historien, au deuxième jour19 des jeux organisés par Hérode, le roi se rendit de très grand matin à l'amphithéâtre, après s'être vêtu d'une tunique d'argent. Les rayons du soleil levant firent resplendir ce vêtement d'un éclat féerique. Les courtisans, à cette vue, s'écrièrent : « Si jusqu'à maintenant nous avons révéré un homme, désormais nous te déclarons supérieur à la nature humaine. » Hérode accepta silencieusement cette impiété. Presque au même instant, il aperçut une chouette, posée sur un cordage au-dessus de sa tête, et une ancienne prophétie lui revint en mémoire. Au temps de sa jeunesse, lorsqu'il était prisonnier de Tibère et sur le point de passer en jugement, il avait vu un de ces oiseaux se tenir à son côté. Signe de délivrance, lui avait expliqué l'oracle ; mais, s'il lui arrivait jamais de revoir une chouette, il mourrait au bout de cinq jours. Hérode, dans l'amphithéâtre, comprit aussitôt. Il ressentit au même moment de violentes douleurs d'entrailles, et dit à ses familiers : « Moi que vous appelez dieu, je reçois l'ordre de quitter cette vie...Moi que vous nommez immortel, je vais être soudain emporté par la mort. » Cinq jours plus tard, Hérode mourait.

Rapprochons ce récit de celui des Actes. Nous les trouverons d'accord sur trois points essentiels.

  • a) Tous deux placent à Césarée la mort d'Hérode.
  • b) Tous deux la rattachent à un déploiement de son faste royal, accompagné d'un acquiescement momentané à des flatteries blasphématoires.
  • c) Tous deux racontent une mort soudaine du prince, causée par une maladie des entrailles. Josèphe fait durer cette maladie cinq jours. L'auteur des Actes n'en fixe pas la longueur ; mais le terme σκωληκόβρωτος (hapax) laisse bien supposer au moins quelques jours. L'œuvre de destruction accomplie par des vers n'est pas nécessairement instantanée.
Restent quelques divergences, faciles selon nous à justifier. Josèphe ne mentionne pas l'ambassade des villes phéniciennes : il n'avait rien dit de leurs inquiétudes, il supprime donc la harangue royale, et pourtant elle explique fort bien l'explosion des flatteries. Il ne parle pas d'un ange, il signale l'apparition d'une chouette : trait païen, naturellement placé dans sa narration et non moins naturellement effacé de celle d'un auteur chrétien. L'action de l'ange était, au contraire, un élément capital dans un événement où la justice de Dieu devait apparaître à tous les yeux. Elle rappelle la visite dont Corneille fut honoré -- pour son salut -- dans cette même ville de Césarée ; et aussi les coups d'envoyés vengeurs, frappant Israël après le dénombrement, les Assyriens après les insultes de Sanchérib20. Quant au terme de βῆμα enfin, employé dans les Actes, il peut s'appliquer également à une sorte de trône, dressé au théâtre pour le monarque, et à un tribunal dressé pour une audience.

Rapprochons ici la mort horrible d'Hérode de celle d'Antiochus Epiphane21, tenue par le peuple pour un jugement de Dieu, de celle de l'empereur Galère en 311, et de celle de Philippe II d'Espagne, en 159822.... Un mois à peine s'est écoulé entre le supplice de Jacques et celui de son meurtrier.

12.24   En deux coups de pinceau très rapides, notre auteur achève son tableau épisodique et revient au point où il nous avait laissés 11.30. Ce sera sa transition à l'histoire du premier voyage missionnaire de Saul. D'abord, la prédication évangélique, loin de reculer, se développait de plus en plus : la Parole du Seigneur augmentait et se multipliait23 ; l'intervention si visible de Dieu avait doublé les courages. Ensuite, les deux députés d'Antioche, Barnabas et Saul, leur mandat achevé, reprenaient le chemin de leur troupeau. Ils ont peut-être appris, au moment d'entrer à Jérusalem, les violences d'Hérode, auquel cas ils auraient retardé leur visite jusqu'au départ de ce prince. Rien de certain sur ce point. Leurs dons auraient été particulièrement appréciés durant la fête de Pâque, où l'Eglise avait tant d'hôtes à recevoir. Le texte, seulement, nous présente une difficulté d'après les manuscrits du Sinaï et du Vatican ; ils lisent ὑπέστρεψαν εἰς Ἱερουσαλὴμ . Pour maintenir cet εἰς il faut : ou bien le séparer fortement de ὑπέστρεψαν et traduire : « Ils s'en retournèrent, ayant pour Jérusalem accompli leur mandat ; » ou bien supposer que Barnabas et Saul, après avoir distribué leurs aumônes en Judée, revinrent à Jérusalem pour prendre congé avant de partir pour Antioche. Mais, après tout, εἰς peut bien être une faute de copiste, et il faudrait lire ἐξ .

Demandera-t-on comment, dans cette visite à Jérusalem, Saul a échappé à ses anciens persécuteurs, si acharnés contre lui à son retour de Damas ? (9.29) La réponse est aisée. Trois ou quatre ans se sont écoulés entre ces deux dates ; Saul, demeuré en Cilicie, a été quelque peu oublié dans la métropole. Il n'est probablement pas entré dans le temple, comme il le fera en revenant de son troisième voyage ; durant la fête de Pâque, il put sans peine passer inaperçu dans la foule. Les violences d'Hérode, d'ailleurs, et le bruit de sa mort auront porté ailleurs l'attention.

En repartant pour Antioche, les deux voyageurs ont pris avec eux un compagnon : Jean, surnommé Marc. Ce fils d'une chrétienne bien connue de Jérusalem pourra devenir une force pour eux et pour l'Eglise d'Antioche. Evidemment, on commence à comprendre, dans la première communauté chrétienne, la grande importance de la seconde et le devoir de la soutenir.

 

 


1
Ζυγκομίζω porter avec d'autres, et spécialement pour inhumer.
2
Κόπτομαι, se frapper la poitrine ; κοπετός, ὁ, lamentation avec coups.
3
26.11.
4
Blass insère un entre ἀκάταρτα et βοῶνθα ...
5
Jean 4.25.
6
Antiq., 20, 7, 2.
7
Comparez Edm. Stapfer, dans l'Encyclopédie de Lichtenberger, art. Simon le magicien.
8
Constit. apost., lib. VI, cap. 9, d'après la patrologie de Migne.
9
Ouv. cité, p. 168-170.
10
Justin-Martyr, ajoutons-le, peut avoir mal lu ou mal interprété l'inscription de la fameuse statue élevée « Semoni Sanco. » Il peut aussi y avoir eu deux statues dans l'île du Tibre.
1
Ἐπετίθουν est peut-être à préférer à ἐπετίθησαν, pour marquer la continuité de l'action.
2
Comparez encore, sur l'imposition des mains, Stokes, I, 375-384.
3
Cours manuscrit.
4
εἴη ἐις  ; ellipse : que ton argent tombe en perdition et y reste !
5
Ἐπίνοια désigne déjà une pensée qui vient à l'esprit, donc imagination, projet.
6
Πικρίας peut se prendre comme genitivus appositionis.
7
Avec l'accusatif de la localité évangélisée, grécité postérieure.
8
On pourrait traduire : vers l'heure de midi ; comparez pourtant περὶ μεσημβρίαν, 22.6, et non pas κατὰ μεσημβ .
9
C'est-à-dire : elle traverse des lieux déserts. Nous lisons de même dans les Septante, 2 Samuel 2.24 : ὁδὸν ἔρημον Γαβαών .
10
Sur δυνάστης, comparez Luc 1.52 ; 1 Timothée 6.15.
11
Esaïe 56.3
12
Ἀρά γὲ est moins dubitatif que ἆρα  ; comparez Luc 18.8, et pourrait se traduire : est-ce donc que ?...-- On notera la paronomasie entre γινώσκεις et ἀναγινώσκεις .
13
De περιέχω  ; comparez 1 Pierre 2.6. -- Περιοχὴ n'est pas exactement synonyme de περικοπή, coupure.
14
Comparez Matthieu 5.2 ; Actes 10.34.
15
Je demande au reste, avec M. L. Gautier (ouv. cité) : pourquoi vouloir absolument ici une source ? La moindre flaque d'eau aurait suffi.
16
A lit après πνεῦμα les mots : ἅγιον ἐπέπεσεν ἐπί τὸν εὐνοῦχον, ἄγγελος δὲ κυρίου, etc.
17
Εὑρέθη εἰς en sous-entendant ἡρπάγμενον  : il fut trouvé enlevé jusqu'à...
18
Καισάρεια Σεβαστὴς . Jos. Antiq., XVI, 5, 1. Voir aussi l'article Césarea dans Herzog, R. Encycl. Ce nouveau nom remplaçait celui de « Tour de Straton. »
1
Equit., 4, 37. Ἀπειλῆς, φόνου sont ainsi des genitivi partilivi ; comparez ὅζειν τινος, et Winer, Gramm., § 30, 9.
2
Josèphe, Bell., 2, 20, 2, parle de plusieurs milliers de Juifs tombés à Damas dans la guerre contre les Romains.
3
Comparez Stokes, II, 32-34.
4
Galates 1.13 ; Philippiens 3.6 ; 1 Timothée 1.13.
5
22.6 ; 26.13.
6
περιαστράπτω  ; ἀ'π Circumfulgeo.
7
Employé par les Septante.
8
Recognit clement., lib. I, cap. 70, 71. Ediclit J.-P. Migne.
9
Epiph., Adv. Hæres., lib. I, tome II, 17. (Cura D. Petavii.)
10
Comparez entre autres Marc 4.33 ; 1 Corinthiens 14.2 ; Galates 4.21.
11
Les apôtres, p. 175-183.
12
Opinion soutenue par Farrar, Life of Saint Paul, I, excursus X. -- Comparez Stokes II, 50. Nyegaard, Revue chrétienne, 1892, p. 469.
13
Acta Sanctorum, 25 janvier. II, 613.
14
Ῥύμη, proprement tradus, espace allongé, de ῥύω, traîner.
15
Les mots ἐν ὁράματι, manquent dans א, A. Donnés par B, C et par la Recepta, ils sont peut-être une explication, mais peuvent être conservés.
16
Paulus, I, 82.
17
Voir 2 Corinthiens 4.7 le même emploi métaphorique de ce terme.
18
« Comparez Galates 1.15-16 et surtout 1 Corinthiens 9.27.
19
Je renvoie le lecteur, pour une étude plus détaillée de la conversion de Saul, au chapitre III du livre de M. le professeur Aug. Sabatier : L'apôtre Paul (2e édit.). Avec l'expression d'un regret, toutefois : c'est que le savant auteur, après avoir fort justement rattaché cette conversion à la résurrection du Christ, nous laisse dans le doute quant à la réalité de celle-ci. Pourtant, la résurrection est bien de l'histoire, et non de la métaphysique seulement (p. 47).
1
Cette appellation ne se retrouve dans tout notre livre que 13.33, dans une citation.
2
Πορθέω, comme Galates 1.13.
3
Συμβιβάζων  ; comparez 1 Corinthiens 2.16. Littéralement : réunir, rapprocher des éléments, pour conclure par comparaison entre différents termes mis à côté les uns des autres ; puis : démontrer, conclure.
4
J'avoue préférer cette solution à celle de M. Sabatier qui dit ici de notre auteur : « Nous ne pouvons pas nous fier à lui comme précédemment. » (Ouv. cité, Introd. XX.)
5
Farrar place ici une des cinq flagellations subies par Paul, 2 Corinthiens 11.25 .
6
Παρέτηροῦντο à préférer à παρέτηρουν τε, même verbe Luc 20.20. Ἡμέρας καὶ νυκτὸς, façon de compter païenne ; un Juif eût dit : νύκτα καὶ ἡμέραν  ; comparez Actes 20.31.
7
Καθῆκαν (καθὶημι), comparez Luc 5.19 ; σφυρίς, ou mieux σπύρις (σπεῖρα), aliquid volutum ; objet tressé, panier, corbeille ; comparez Matthieu 15.37 ; 16.10 ; Marc 8.8,20.
8
Comparez Bishop Lightfoot, Comment, on the Epist. to the Galatians, 95 et 96.
9
ἐίς Ἰερουσαλημ de א, A, B, C doit être retenu contre ἐν Ἰεπρουσαλημ .
10
Deux fois de suite, le verbe παρρησιαζόμαι a pour régime ἐν τῷ ὀνόματι, comme si le nom de Jésus marquait la sphère dans laquelle cette hardiesse se déployait.
11
Ἐπεχείρουν indique même un commencement d'exécution du projet.
12
15.23.
1
Non pas : « Elle était remplie du Saint-Esprit ; » mais grâce à lui, à son action réveillante sur les âmes, le nombre de ses membres augmentait. Sur πορευομέν τῷ φόβω comparez περιπατεῖν τοῖς ἔθεσι, 21.21.
2
Voir Jos., Antiq., 18, 8, 2-9 ; Bell., 2, 10.
3
Comparez οἰκοδομεῖν au sens spirituel, 1 Corinthiens 8.1.
4
Antiq., 20, 6, 2.
5
L'impérat. aor. marque une action à faire immédiatement.
6
Voir Lightfoot, Hor. hebr., centur. chograph. Matthæo praemissa, p.38.
7
Οιτινες = quippe qui.
1
Jos., Bell., 4, 3, 5.
2
Μαθήτρια, terme rare, pour μαθήτρις .
3
Λούσαντες est peut-être accordé avec μαθηταὶ qui suit. Car cet office devant ici être rempli par des femmes, il eût fallu : λουσάσαι .
4
Lire μὴ ὀκνησῇς avec A, B, C. -- ὄκνος cunctatio. Le verbe est hapax.
5
Sur διελθεῖν ἕως, comparez Luc 2.15.
6
Βυρσεύς  ; ou βυρσοδέψης, corroyeur ; de βύρσα peau apprêtée, cuir.
7
Urchristenthum, p. 570.
1
« Loin de marchander les éléments surnaturels de ce récit, nous en prenons acte ; parce qu'ils nous font voir que, dans l'esprit du narrateur même, il n'en fallait pas moins pour engager Pierre dans cette voie nouvelle ; qu'une révélation subsidiaire était indispensable pour le convaincre qu'un païen pouvait recevoir le baptême, chose qu'il ignorait encore et que ses collègues ont de la peine à croire. » Reuss, La Bible ; histoire apostolique, p. 122.
2
La σπεῖρα était proprement la dixième partie de la légion ; Polybe l'assimile à la manipule, trentième partie de la légion.
3
Hist., I, 59, 64.
4
Faut-il mettre en parallèle de cette narration si simple la bizarre hypothèse d'Ewald ? D'après ce docteur, Corneille aurait hésité d'abord à faire venir Pierre chez lui ; puis il aurait reçu d'en haut (comment ?) la certitude que c'était son devoir, et il aurait attribué cette conviction à une intervention angélique !
5
La Recepta ajoute à la fin du verset : οῦτος λαλήσει σοῖ τί σε δεῖ ποιεῖν addition condamnée par les meilleurs manuscrits, et peut-être empruntée à 9.6. Même remarque à la fin du v. 32.
6
Comme 8.13. Avec le datif de la chose : persévérer dans, 1.14 ; 2.42.
7
Δῶμα désigne proprement non le toit, mais la maison, Luc 5.19.
8
Πρόσπεινος, insuper esuriens ; hapax.
9
Γεύσασθαι, littéralement « goûter. »
10
La Recepta dit même « tomba » sur lui. Mais les meilleures leçons donnent ἐγένετο et non ἐπέπεσεν .
11
Ὀθόνη, drap, nappe ; diminutif : ὀθόνιον, Luc 24.12. -- Après ἀρχαῖς Recepta, d'après C, lit δεδεμένον  ; à retrancher d'après א, A, B.
12
Le texte de ce verset est passablement altéré, en partie d'après 11.6. Après ἕρπετα la Recepta ajoute : καὶ τά θηριά . La leçon la plus probable me paraît être : ἐν ῷ ὑπηρχεν πάντα τὰ τετράποδα καὶ πετεινὰ τοῦ οὐρανοῦ . (Voir Frid. Blass : Acta apostolorum, editio philologica ; Göttingen, 1895, p. 125.)
13
Lire les intéressantes considérations de Calvin sur ce sujet.
14
Ὀυδεποτε πᾶν, hébraïsme correspondant à οὐδέν .
15
Ἐπὶ indiquant le terminus ad quem.
16
L'imparfait ἐπυθάνοντο, marquant l'action continuée, me paraît préférable à ἐπύθοντο .
17
Après ἄνδρας, la Recepta ajoute τοὺς ἀπεσταλμένους πρὸς αὐτόν  ; ces mots ont été probablement introduits pour les besoins de l'anagnose, parce qu'une péricope commençait à καταβὰς δὲ .
18
Χρηματιζω faire des χρήματα = des affaires ; puis : traiter des affaires publiques ; donner réponse à des consultants ; communiquer des ordres divins. Dans Actes 11.2 et Romains 7.3, donner un nom tiré des affaires qu'on traite ou de la vie qu'on mène.
19
Le manuscrit D introduit le verset 25 par une description un peu lourde et, probablement, apocryphe quant au texte : « Comme Pierre s'approchait de Césarée, un des esclaves, courant en avant, annonça qu'il était arrivé. Mais Corneille s'étant élancé à sa rencontre,... » etc.
20
Lee τοῦ entre ἐγένετο et εἰσλεθειν peut être retranché malgré l'appui de א, A, B, C, E. comparez cependant 3.12 ; 7.19.
21
Συνομίλω est un hapax.
22
Hor. hebr., in Mat. 18.17, p. 396.
23
Comparez Jos., Contra App., II, 28 : Περὶ τῆσ προς ἀλλοφύλους ἐπιεικείας
24
Ἀναντιρρήτως  ; l'adverbe est hapax, voir l'adjectif 19.36.
25
Blass (ouvr. cité, p. 128), voit dans le ἀπό τετάρτης ...le synonyme du latin « nudius quartus ; » mais il suppose que le texte primitif pourrait bien avoir été simplement : πρό τετάρτης ἡμέρας ταύτης ἥμην (comme dans Jean 12.1).
26
D, suivi par la Vulgate, lit ἐνώπιον σοῦ . Erreur évidente ; Corneille attend de Dieu la réponse à ses questions, la fin du verset l'établit.
27
Blass (p. 130) observe que « les très graves embarras du verset 36 seraient enlevés si l'on retranchait du texte le mot κύριος . » On rapporterait alors οὖτος à τὸν λόγον écrit à l'accusatif par attraction du relatif ὅν que Blass retient. Construction analogue à celles de Matthieu 21.42 ; Luc 20.17 ; 1 Corinthiens 10.16 τὸν ἄρτον ὅν κλῶμεν ...ἐστίν . Au verset 37, le même auteur propose de retrancher ἀρξάμενος ἀπο τῆς Γαλ .
28
Comparez cette expression à ἐγένετο ῥῆμα θεοῦ ἐπὶ Ἰωάννην, Luc 3.2.
29
Employé aussi Jacques 2.6.
30
Ces deux notions : « Par la main de Dieu » et « d'avance » sont renfermées dans le terme hapax : προκεχειροτονημένοι .
31
Comparez 1 Pierre 4.5.
32
D'après 11.15, il commençait seulement.
33
Κωλύειν τί τίνος, arœre aliquid ab aliquo.
1
Ἐμνήσθην τοῦ ῥήματος ...ὡς ἔλεγεν ; pléonasme comme Luc 22.61.
2
Πιστεύσασιν peut se rapporter à ἀυτοῖς et à ἡμῖν .
3
L'imparfait ἑδοξαζον de A est probablement à préférer à l'aor. ’δόξασαν  ; l'action a dû se prolonger quelque temps.
1
Actes 21.3 ; 27.3.
2
א, A, D lisent : Ἑλληνας Reuss, je ne puis comprendre pourquoi, déclare absurde la leçon Ἑλληνιστάς appuyée par B, D2, E, H. Les évangélistes ont pu commencer par les hellénistes avant de passer aux Grecs.
3
Comparez Jos., Bell., 7, 3, 3 : « La nation juive était, par toute la terre, fortement mélangée aux indigènes ; en Syrie surtout à cause du voisinage, et très particulièrement à Antioche. »
4
Comparez encore : Farrar, Saint Paul, I, 289 et suiv. ; Renan, Les apôtres, 221 et suiv.
5
Διελθεῖν entre Βαρνάβᾶν et ἕως Ἀντιοχείας manque dans א, A, B, probablement avec raison.
6
Ἐν devant τῷ κυρίῳ n'est pas suffisamment appuyé. πρόθεσις, proprement « exposition ».
7
Le manuscrit D donne ici une longue addition : « Ayant entendu que Saul était à Tarse, il sortit pour le chercher, et l'ayant rencontré, il l'exhorta à venir à Antioche. »
8
1 Pierre 4.16.
9
א dit ici χρηστιανοὺς  ; B χρειστιανούς .
10
Ann., XV, 44.
11
Sur le sens de χρημάτιζω, voir à 10.22.
12
Comparez Lechler, p. 162.
13
Ce nom peut venir de חָגָב sauterelle, ou de עָגָב brûler d'ardeur.
14
Λίμος étant des deux genres, on peut lire μεγάλη, ou μέγαν .
15
Καισάρος de la Recepta manque dans A, B, D.
16
« Arctiore autem annona ob assiduas sterilitates. »
17
« Frugum quoque egestas et orta ex eo fames. »
Ces deux auteurs racontent une émeute soulevée contre Claude par suite de la disette.
1
Comparez Antiq., 13, 9, 1 ; 15, 7, 9 ; 14, 15, 2.
2
Cité par Bonnet, Actes, 299.
3
Hist. eccl., II, 9.
4
Προσέθετο comme דַיוֹספ . Cet hébraïsme n'est pas rare dans le troisième évangile : Luc 19.11 ; 20.12.
5
Luc 22.1 donne aussi à la Pâque le nom de ἑορτὴ τῶν ἀζύμων.
6
Ἐκτενῶς d'après א, et B, ou peut-être ἐκτενὴς  ; D ἐν ἐκτενεία littéralement : avec tension, sans penser à autre chose ; nous lisons Luc 22.44 : ἐκτενέστερον .
7
Ἐτήρουν τὴν φυλακήν  : ils gardaient la prison ; et non : ils faisaient la veille.
8
Nous rencontrons οἴκημα dans les sens de habitation, chambre, cage, prison, cachot.
9
Ζῶσαι, (impératif aor. 1er moy. de ζώννυμι), donné par A, B, D, doit probablement être préféré à περίζωσαι .
10
Ἀυτομάτος se dit habituellement des personnes ; mais Marc 4.28 de la terre.
11
Προδοκία, non pas l'objet de l'attente, mais l'attente elle-même.
12
Sur ἀπὸ τῆσ χαρᾶς, comparez Luc 24.41.
13
Même μαίνῃ que 26.24.
14
Le passage Matthieu 18.10 ne me semble pas non plus favorable à la théorie de l'ange gardien.
15
Κατασείω, avec τῇ χειρὶ ou τὴν χεῖρα  ; 19.33 : secouer, agiter la main, ou de la main ; faire signe.
16
Des commentateurs ont nommé Antioche. Ce serait plus admissible. Mais la suite ne fait nulle allusion à un séjour de Pierre dans cette ville à cette époque.
17
1 Rois 5.9-11 ; 2 Chroniques 2.9-15 ; Ezéchiel 27.17.
18
Δημηγορεώ δῆμοσ et ἀγορεύω, adresser la parole au peuple, concinnor.
19
Correspondant au 1er août, d'après Conybeare et Howson, I, 124.
20
2 Samuel 24.17 ; 2 Rois 19.35.
21
2 Macchabées 9.9-12.
22
Voir Feuille religieuse du canton de Vaud, 14 mars 1886, p. 118.
23
Même déclaration, dans les mêmes termes que 6.7. On dirait d'un cantique, presque d'un refrain triomphal, d'abord avant, maintenant après une persécution. Il reparaîtra 19.20 après les victoires remportées à Ephèse, et avant l'émeute suscitée par Démétrius.